LE POIDS DES RÉFLEXES RÉGLEMENTAIRES
Un tropisme administratif
A l'analyse, en France, la différence majeure entre une
administration et une entreprise ne réside pas dans la taille -il existe
des entreprises comptant plusieurs centaines de milliers d'employés et
des administrations aux effectifs squelettiques-, ni dans le statut des hommes
et des femmes qui en assurent la vie- il y a des fonctionnaires remarquables de
dynamisme et d'adaptabilité comme il existe des salariés de droit
privé peu motivés. Cette différence se
révèle bien davantage dans l'attitude adoptée à
l'égard des relations tant externes qu'internes.
Dans le cas de l'entreprise, c'est une logique contractuelle qui tend à
présider à ces relations. On négocie avec les clients
comme on discute avec les salariés. Ces négociations sont
menées avec plus ou moins de souplesse selon les circonstances ou selon
l'importance des interlocuteurs. La manière dont la grande distribution
négocie avec ses fournisseurs n'est pas, à en croire les
débats actuels, un modèle du genre. Mais, d'une manière
générale, une relation commerciale ou salariale résulte
d'un accord des deux parties en présence.
Dans une administration, en revanche, le schéma dominant n'est pas
contractuel, il est réglementaire. Il ne repose pas sur la
négociation mais sur l'autorité. L'administration dispose tant
dans ses relations externes qu'internes de prérogatives de puissance
publique, exorbitantes du droit commun, qui lui permettent d'imposer son point
de vue à ses interlocuteurs. En bref, même si elle peut être
amenée à composer, elle fonctionne davantage sur un mode
unilatéral que sur celui du dialogue.
France Télécom s'est construite dans ce cadre et elle reste
marquée par celui-ci.
Une inflexion commerciale
Longtemps, ses abonnés ont été
considérés comme des " usagers " -c'est-à-dire
comme de simples utilisateurs de ce qui leur était
" souverainement " proposé- et non comme des clients,
c'est-à-dire comme des personnes que l'on s'efforce de satisfaire.
L'opérateur oeuvrant pour l'intérêt général
ne s'attardait pas à examiner la complexité contrastée des
divers intérêts particuliers. Tout imbu de l'importance des
tâches confiées par la Nation, les préoccupations
commerciales étaient, pour lui, frappées du sceau de la
trivialité. C'eut été déchoir que de s'y
intéresser.
Il y a encore quelques années, oser contester le montant de sa facture
téléphonique relevait d'un acte de foi dans les droits du
consommateurs. Même quand les sommes exigées étaient
aberrantes, la plupart de ceux qui s'y sont essayés ont
été privés de téléphone jusqu'à ce
que la justice se prononce.
A la décharge de l'exploitant téléphonique, on peut faire
remarquer que c'est là une tendance partagée par des entreprises
publiques qui n'ont pas de passé administratif. Ainsi, à la SNCF,
le retentissant échec de " Socrate " semble bien s'expliquer
par des attitudes inspirées par les mêmes
présupposés " d'infaillibilité technocratique ".
Les choses ont indéniablement changé en ce domaine. Ayant perdu
une partie de son monopole en 1991 (les services dits à valeur
ajoutée), France Télécom a pris conscience qu'elle avait
besoin de ses abonnés autant qu'ils avaient besoin d'elle. Elle a
commencé à les traiter en clients.