C. EN AFRIQUE DE L'OUEST, AU SAHEL ET EN AFRIQUE CENTRALE, DES INTÉRÊTS FRANÇAIS MODESTES MAIS RÉELS ET QUI DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉS

Les intérêts français humains ou économiques en Afrique de l'Ouest restent soumis à des risques sécuritaires substantiels, ce qui plaide contre un désintérêt ou un retrait français de la région.

1. Des intérêts toujours présents

Si la volonté d'approfondir les relations et les partenariats avec les pays anglophones et les pays d'Afrique de l'Est n'appelle aucune critique, en revanche, s'éloigner de l'Afrique de l'Ouest n'est en réalité pas une option envisageable pour la France.

À côté du Nigéria, premier partenaire économique de la France sur le continent, les échanges avec d'autres pays de la région comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun restent significatifs. Plusieurs autres pays, comme le Sénégal, ont également un potentiel de développement économique important. De nombreuses PME et des multinationales françaises sont par ailleurs bien implantées dans chacun de ces pays.

En outre, environ 80 000 Français sont présents dans le golfe de Guinée, y travaillent et y entreprennent. Plus largement, 200 000 Français environ vivent en Afrique francophone. Cette présence française est parfois profondément enracinée. A titre d'exemple, le sociologue Francis Akindes, enseignant à l'Université de Bouaké, explique, au sujet de la Côte d'Ivoire, que « Le ressentiment anti-français n'a jamais réussi à faire disparaître le lien affectif entre les deux peuples. Ce lien se retrouve plus en Côte d'Ivoire qu'ailleurs, avec la présence française dans le secteur privé, la vie sociale, et une communauté de Français importante, présente depuis parfois trois générations. Les métis franco-ivoiriens traduisent une proximité culturelle et religieuse plus forte qu'au Sénégal par exemple, avec des administrateurs et des entrepreneurs qui portent des noms français, et sont de souche ivoirienne à travers leur mère».

Le fait que la France ait des relations anciennes et approfondies, notamment sur le plan culturel, et des partenariats très développés avec les pays de la région constitue aussi un élément de son statut international, de son rayonnement et de sa capacité d'influence.

L'Afrique de l'Ouest revêt enfin actuellement une importance certaine sur le plan des migrations : région d'accueil des migrants issus du golfe de Guinée ou du Sahel, elle est une région de départ significative vers l'Europe, avec notamment de nombreux départs depuis les côtes sénégalaises.

2. Des menaces réelles dans le golfe de Guinée

L'ensemble de ces intérêts français est confronté à diverses menaces. Celles-ci justifient la pérennité d'un certain engagement sécuritaire français dans la région. La France contribue d'ailleurs déjà à combattre ces menaces en coopération avec ses différents partenaires et à leur demande.

Si la piraterie semble en régression depuis quatre ans (le nombre d'attaques a radicalement diminué, passant de 115 incidents en 2020 à 52 en 2021, et seulement une vingtaine en 2022), sans qu'un retournement de tendance puisse être écarté pour l'avenir, ce n'est pas le cas du terrorisme djihadiste.

Depuis plusieurs années, l'expansion des groupes djihadistes, auparavant principalement présents au Sahel, vers les pays du golfe de Guinée, suscite une inquiétude croissante. Depuis l'attentat de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire en 2016, plusieurs attaques ont frappé des États de la région, avec une intensification notable depuis 2021. Bien que les djihadistes n'aient pas réussi à mettre en place un contrôle de type territorial, ils s'infiltrent dans les régions reculées, notamment dans les grands parcs naturels, et perpètrent des attaques ciblées contre les gardiens et les autres représentants de l'État. Le Togo et le Bénin ont été particulièrement touchés par ces incursions. Parallèlement, les djihadistes tentent de s'ancrer dans les communautés locales et s'introduisent dans les écoles coraniques. Comme au Sahel, ils attaquent les symboles de l'État dans les zones où les populations sont marginalisées. Ils exploitent également les tensions interethniques et les conflits sociaux préexistants. Ainsi, l'ensemble des pays de la région se trouve exposé à cette menace en raison de vulnérabilités partagées face au terrorisme, liées aux conflits sur l'usage des terres, aux inégalités socio-économiques extrêmes et à l'influence des groupes djihadistes déjà actifs dans les pays sahéliens voisins.

Les pays du golfe de Guinée semblent avoir pris plus rapidement conscience de l'importance de cette menace et avoir pris des mesures en conséquence31(*).

Par ailleurs, le trafic international de drogue, principalement dirigé vers l'Europe, représente une menace croissante en Afrique de l'Ouest. Une part importante de la cocaïne consommée en Europe transite aujourd'hui par les pays du golfe de Guinée. Les saisies de la Marine nationale dans la région sont ainsi de plus en plus massives. Un véritable « écosystème » de la drogue s'est développé le long de la côte du golfe de Guinée. Il s'appuie sur des infrastructures telles que les aéroports internationaux, les ports maritimes dotés de terminaux à conteneurs et les réseaux routiers régionaux, facilitant ainsi la redistribution de la drogue en Afrique et vers l'Europe. Or, comme l'a montré la commission d'enquête dirigée par nos collègues Etienne Blanc et Jérôme Durain32(*), la lutte contre le trafic de drogues est désormais un enjeu de première importance pour la France.

Enfin, l'Afrique de l'Ouest est également confrontée au pillage ou à la surpêche de ses ressources halieutiques (par des navires chinois, mais aussi européens), ce qui fragilise de nombreuses communautés vivant de cette ressource. La marine française mène des actions contre la pêche illégale dans le cadre de l'opération Corymbe, notamment par des patrouilles de surveillance des zones de pêche. Ces opérations permettent de détecter et de dissuader les activités illégales, en coopération avec les centres d'opérations maritimes des partenaires africains de la région.

3. Des risques importants de crises politiques en Afrique centrale dans les années à venir

L'Afrique centrale connaît également des facteurs de risques importants, en particulier sur le plan politique.

En effet, trois pays de la région pourraient connaître prochainement, compte-tenu de l'âge avancé de leur dirigeants, un changement de chef d'État : le Congo, la Guinée équatoriale et le Cameroun. L'analyse de la situation dans chacun de ces pays révèle d'importants facteurs de risque et des similitudes avec des situations ayant auparavant donné lieu à des crises dans la région.

L'Équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est ainsi âgé de 82 ans dont 45 au pouvoir, le Camerounais Paul Biya de 91 ans dont 42 au pouvoir et le Congolais Denis Sassou Nguesso de 81 ans, dont 38 cumulés au pouvoir. Cette situation est similaire à celle de la fin du pouvoir exercé par en Côte d'Ivoire (1960-1993), Gnassingbé Eyadema au Togo (1965-2005) et Omar Bongo Ondimba au Gabon (1967-2009). En Côte d'Ivoire, la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993 avait conduit au premier coup d'État militaire de l'histoire du pays, puis à la guerre civile. Au Togo et au Gabon, un conflit d'héritage avait conduit à des troubles significatifs - le Gabon a fini par subir un coup d'État le 30 août 2023 mettant fin à la présidence controversée d'Ali Bongo. Dans les trois pays, d'une part, le pouvoir revêt une dimension très patrimoniale -ce qui implique la notion de transmission ou de succession - et, d'autre part, le chef d'État est entouré par deux cercles, le premier familial et le second d'affidés, au sein desquels ont lieu des compétitions pour la succession.

Les facteurs d'instabilité au Congo,
en Guinée équatoriale et au Cameroun

En Guinée équatoriale, Teodorin Nguema Obiang Mangue, le fils aîné du chef de l'État et de la première dame, est vice-président de la République, en charge de la défense et de la sécurité de l'État, et « numéro 2 » du parti au pouvoir (Parti démocratique de Guinée Équatoriale, PDGE), tandis que Gabriel Mbega Obiang Lima, benjamin né d'une mère originaire de Sao Tomé et Principe, lui aussi plusieurs fois membre du gouvernement, en charge du ministère des Mines et du pétrole puis du ministère de la Planification et de la Diversification économique, est parfois considéré comme le favori des investisseurs.

Au Congo Brazzaville, outre un entrelacs familial comparable, de graves fractures entre le nord et le sud du pays et entre plusieurs ethnies peuvent également susciter des inquiétudes dans ce pays qui a déjà connu la guerre civile.

Au Cameroun, si la famille du Président ne semble pas devoir jouer un rôle important dans la succession, l'absence d'héritier désigné au sein du parti au pouvoir pourrait aussi provoquer des conflits. Surtout, le pays est une véritable mosaïque, avec de nombreuses lignes de fractures et des forces centrifuges importantes. Il doit affronter depuis 2014 le groupe terroriste islamiste Boko Haram mais également un mouvement insurrectionnel déclenché en 2017 par les sécessionnistes de la minorité anglophone (20 %) dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. La dégradation de la situation au Cameroun, qui abrite déjà sur son sol des centaines de milliers de réfugiés des pays avoisinants et joue un rôle essentiel dans l'économie de la région, est ainsi particulièrement porteuse de risques pour la stabilité de celle-ci.

En outre, les États environnants (RDC, République centrafricaine, Tchad) connaissent eux-aussi de graves crises susceptibles d'avoir des retentissements chez leurs voisins.

L'ensemble de ces facteurs de risques doivent être correctement anticipés afin que la France puisse, le cas échéant, y réagir de manière appropriée, notamment pour protéger ses ressortissants, sans dégrader son image auprès des populations.


* 31 En septembre 2017, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo ont ainsi lancé l'« Initiative d'Accra » pour partager des renseignements, former leurs personnels et mener des opérations militaires conjointes au-delà de leurs frontières. Ce cadre a permis de renforcer le dialogue et la confiance régionale sans toutefois réussir à supprimer la menace. Sur le plan économique et social, ces pays ont accompli des efforts significatifs pour traiter les causes du terrorisme, en s'efforçant de réduire les vulnérabilités socio-économiques. En parallèle, ils collaborent avec des chefs religieux pour contrer la radicalisation.

* 32https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-sur-limpact-du-narcotrafic-en-france-et-les-mesures-a-prendre-pour-y-remedier.html

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