D. UNE RÉDUCTION MAL NÉGOCIÉE DU FORMAT DES BASES FRANÇAISES EN AFRIQUE DE L'OUEST

Depuis 2023, une nouvelle réduction très importante du volume des effectifs des bases militaires françaises en Afrique de l'Ouest est en cours. Cette réforme intervient au terme d'un long processus de déflation s'étalant sur plusieurs décennies.

1. Une diminution qui fait suite à de précédentes déflations

En dehors des déploiements temporaires liés à l'opération Barkhane, la France conservait jusqu'à la fin de 2024 quatre bases permanentes situées à Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d'Ivoire), Libreville (Gabon) et Djibouti, ainsi que des implantations importantes au Tchad.

Ces bases remplissent deux fonctions principales : la formation et le soutien logistique aux opérations militaires. Les installations de Dakar et Libreville sont davantage orientées vers la coopération civile, avec des séjours prolongés pour les troupes françaises et un armement très limité sur place. À l'inverse, les bases d'Abidjan et de Djibouti servent de points d'appui opérationnels, avec des forces qui peuvent être mobilisées sur décision du président de la République, en coordination avec les demandes des États voisins.

La présence des bases française fait l'objet d'un accord avec les autorités locales. Ainsi, l'accord relatif à la base de Djibouti a été récemment renouvelé après une longue négociation portant notamment sur l'aspect financier (le loyer versé est de 85 millions d'euros par an).

Il y a 10 ans, en 2014, dans le cadre des accords de coopération et de défense conclus avec des pays africains, la France entretenait des forces prépositionnées au sein de bases permanentes en trois points du continent : au Sénégal, avec les Éléments français au Sénégal (EFS) basés à Dakar ; au Gabon, avec les Forces françaises au Gabon (FFG) basées pour l'essentiel à Libreville ; à Djibouti, avec les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj). Des réductions drastiques d'effectifs ayant été prévues par le livre blanc de 2013 et la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, les forces françaises au Gabon sont passées de 900 à 350 hommes pour former les Éléments français du Gabon (EFG), qui couvrent désormais les onze pays de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Par ailleurs, une base permanente a été maintenue en Côte d'Ivoire après la fin de l'opération Licorne en 2015, avec un effectif d'environ 1 000 hommes, permettant à la France de garder une capacité militaire opérationnelle en Afrique de l'Ouest. Enfin, en Afrique de l'Est, les forces françaises à Djibouti, connectées aux bases des Émirats arabes unis, ainsi qu'aux forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FASZOI) à Mayotte et La Réunion, ont également été préservées.

Il convient par ailleurs de rappeler qu'entre 1996 et 2015, la France avait déjà considérablement réduit la taille de ses forces de présence à l'étranger. Les 1 500 soldats des Éléments français d'assistance opérationnels (EFAO), stationnés à Bangui et Bouar en Centrafrique, ont été retirés en 1996. La déflation a également concerné Dakar, Abidjan, Libreville et Djibouti. En conséquence, l'effectif global des forces françaises était passé de 8 000 en 1995 à 5 000 en 2001. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2008 et le Livre blanc sur la défense de 2008 avaient accentué la tendance, notamment en raison de la diversification des sources d'approvisionnement stratégique. Ce réajustement s'est traduit par l'ouverture d'une base permanente à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, en 2009. De même, les 1 200 soldats des Forces françaises du Cap Vert avaient été retirés et remplacés par les Éléments français du Sénégal, avec seulement 350 militaires.

2. Une nouvelle diminution des effectifs à partir de 2023 et une rétrocession des bases au Sénégal et en Côte d'Ivoire

Le président de la République a annoncé, dans un discours du 27 février 2023, une « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique, concernant l'ensemble des bases en Afrique de l'Ouest. Cette réforme ne concerne pas Djibouti, dont la dimension Indo-Pacifique est actuellement considérée comme prioritaire, sans oublier les enjeux actuels au Moyen-Orient-. Il s'agirait ainsi de s'adapter au nouveau contexte géopolitique en étant moins exposé dans le « champ informationnel » et parallèlement de mieux répondre aux attentes des partenaires (par exemple les demandes en matière de renseignement, de développement de capacités aériennes ou de sécurité maritime).

Cette évolution passe par un transfert de responsabilité de certaines entreprises de la France vers les partenaires. Elle doit se traduire par la mise en place d'une dispositif « socle » de taille réduite auquel s'ajouteront des détachements à géométrie variable en fonction des missions (formation, entraînement conjoint, soutien au développement d'une capacité du partenaire, appui opérationnel, intervention). Ces détachements viendront avec leur propre soutien ou bénéficieront du soutien conservé au sein de la base dans le « dispositif socle ». Ainsi, au Gabon, les capacités qui resteront présentes sur la base militaire à l'été 2025, soit moins de 100 militaires, devront permettre d'accueillir 150 militaires détachés en deux semaines et 400 en deux mois.

L'offre de formation serait rénovée, en s'appuyant davantage sur les écoles militaires en France et les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) ainsi que les opérateurs extérieurs comme DCI, et en complémentarité avec les offres extérieures (OTAN, PSDC...). Les bases, quant à elle, verront s'installer des écoles et des académies militaires où les partenaires seront appelés à prendre une part croissante.

La réforme passerait également par un accompagnement des partenaires en matière capacitaire (équipement, doctrine, organisation, soutien, maintien en condition opérationnelle...) afin de les aider à développer des réponses adaptées aux enjeux de sécurité actuels.

En décembre 2023 a été prise la décision d'accélérer cette déflation, après le départ précipité du Niger en juillet 2023. En Côte d'Ivoire, les effectifs de la base de Port-Bouët sont ainsi passés en un an de 950 à 400 hommes. Des militaires Ivoiriens s'installent progressivement dans la base de Port Bouet, qui sera rétrocédée au pays en janvier 2025, en replacement des militaires français. De même, les effectifs au Gabon et au Sénégal passeraient de 350 à une centaine d'hommes.

Parallèlement à cette manoeuvre, l'ancien ministre et ancien sénateur Jean-Marie Bockel a été nommé « envoyé personnel du Président de la République pour l'Afrique », afin d'expliquer la réforme aux partenaires africains.

3. Un dispositif qui permettait une grande réactivité

Les forces de présence en Afrique permettent notamment d'intervenir en urgence : pour l'opération Serval, en janvier 2013, les unités prépositionnées au Tchad, en Côte d'Ivoire et au Sénégal ont rejoint le Mali pour former un groupement tactique de circonstance, en liaison avec les forces spéciales et avec le soutien de l'armée de l'air. Cette arrivée a permis, avant de repousser l'offensive djihadiste, de sécuriser des milliers de ressortissants français ou d'autres pays. En République centrafricaine, un scénario comparable s'est déroulé dans une situation humanitaire très dégradée. L'opération Sangaris a ainsi vu se greffer à l'opération Boali préexistante des unités venues du Gabon, du Tchad et de Djibouti, commandées par un état-major armé par les forces françaises du Gabon.

L'opération Sagittaire a également été un succès en grande partie grâce au soutien des forces prépositionnées à Djibouti, la base ayant pu accueillir trois A400M et un C130 de l'armée de l'Air et de l'Espace afin de recevoir les évacués lors de 9 rotations aériennes avec le Soudan. Cette opération a ainsi permis la mise en sécurité de plus de 900 ressortissants, dont plus de 300 étrangers, issus de plus de 80 nations différentes.

Cette capacité à venir en aide aux ressortissants français et européens est ainsi étroitement liée à la capacité des implantations à recevoir en un temps très réduit les matériels nécessaires et à les mettre en oeuvre. En l'occurrence, pendant l'opération Sagittaire, un détachement a pu notamment accueillir et filtrer ces ressortissants avec le renfort du Centre de crise du Quai d'Orsay, tandis que des aviateurs de la base 188 djiboutienne étaient en charge de la coordination de l'escale aérienne escale et de la gestion logistique. L'ensemble des FFDJ ont pu assister les ressortissants, qui étaient dans une situation précaire, lors de leur arrivée sur la base et faciliter leur départ vers la France. Par ailleurs, cette capacité à prendre en charge les ressortissants étrangers rejaillit de manière très positive sur l'image de la France.

Ainsi, selon le colonel François, alors en poste au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), « le vrai point fort de la manoeuvre, cela a été la situation de nos forces prépositionnées, le fait d'avoir sur place un état-major opératif, qui a des connexions et des liens avec les acteurs sur place, et une véritable capacité de commandement, cela nous a fait gagner plusieurs jours ».

Les forces prépositionnées permettent ainsi de réagir très vite lorsque la situation sécuritaire d'un pays africain impose une mise à l'abri nos ressortissants et de ceux des autres pays européens présents dans ce pays. En 2014 le général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre, déclarait à une mission de l'Assemblée nationale que « la protection des 270 000 citoyens français résidant sur le continent africain, et les obligations que nous avons dans ce domaine vis-à-vis des ressortissants étrangers, en particulier européens et nord-américains, imposent que nous disposions de forces implantées et structurées pour pouvoir assumer ce volet essentiel de notre défense ». Le général précisait que « nos forces prépositionnées restent naturellement les mieux placées pour intervenir en premier, et faire face à l'urgence absolue car elles disposent pour cela d'atouts difficilement remplaçables », parmi lesquels la stabilité de leur base logistique, la permanence de leurs moyens de commandement, et la présence en nombre adapté d'unités équipées et entraînées.

4. Une nouvelle réduction qui n'a pas été véritablement négociée avec les partenaires africains

La réduction du format des bases militaires décidée en janvier 2023 concerne les trois bases d'Afrique de l'Ouest en aboutissant à une diminution d'environ deux tiers des effectifs dans chacune d'entre elles, et, à la suite des décisions des autorités de ces deux pays, à une rétrocession des emprises au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Motivée par la volonté légitime de « réduire l'empreinte » au sein des capitales des pays partenaires afin de diminuer l'expositions aux critiques formulées contre la présence militaire française, cette déflation peut poser question par ses modalités de mise en oeuvre, notamment l'absence de réelle négociation avec les partenaires africains et l'insuffisante prise en compte des différences importantes entre les contextes respectifs des trois pays concernés.

De ce fait, la réforme a semblé être soit imposée aux partenaires, soit au contraire subie par la France, sans jamais résulter d'une vraie négociation bilatérale, au détriment finalement de l'image et de l'influence de notre pays.

Il existe depuis quelques années au sein des sociétés civiles et des populations d'Afrique de l'Ouest un fort courant néo-souverainiste qui critique les bases militaires françaises en y voyant un reliquat du colonialisme. Ce courant s'exprime fortement sur les réseaux sociaux et dans les médias. Au-delà, il est même devenu une sorte de dénominateur commun à une grande partie de la population, notamment urbaine. Cela explique qu'il soit fréquemment mobilisé à des fins électorales.

En revanche, les bases militaires françaises étaient jusqu'à présent appréciées par les autorités et par les armées des pays partenaires, demandeuses d'actions de formation et de coopération militaire, ainsi que, dans le golfe de Guinée, d'un soutien dans la lutte contre des menaces djihadistes qui persistent, voire se développent.

Cette situation complexe appelait une négociation au cas par cas de l'évolution du format, tenant compte, d'une part, des demandes en matière de coopération des autorités concernées, notamment militaire et, d'autre part, du contexte de l'opinion publique.

Or la décision de réduire drastiquement le format des bases semble avoir été décidée à Paris, de manière verticale, sans négociation préalable avec des partenaires africains auprès desquels était pourtant simultanément proposée une nouvelle approche consistant à les écouter davantage et à mieux répondre à leurs demandes. Dans ce contexte, la nomination d'un émissaire du Président de la république est apparue davantage comme une opération de « service après-vente » que comme la manifestation d'une approche négociée.

Au Sénégal, ce n'est pas tant la présence militaire que celle des grandes entreprises françaises qui suscitait auparavant des critiques, tout comme la forte présence de la France dans le champ culturel et de l'aide au développement33(*). La coopération militaire avec l'armée sénégalaise, fiable et bien entraînée selon les interlocuteurs de la mission, était excellente et appréciée par cette armée et par les autorités. En 2023, une discussion à propos de la déflation de la base avait eu lieu entre l'envoyé spécial du Président de la république Jean-Marie Bockel et le président Macky Sall, mais seulement quelques semaines avec les élections. Il semblerait que les militaires sénégalais aient vivement exprimé leur mécontentement34(*) face à l'absence de négociation préalable, les chiffres de la déflation des effectifs français ayant été publiés dans la presse avant toute discussion bilatérale. De même, lorsque l'actuel ministre des armées s'est rendu au Sénégal en février 2023 afin de tenter l'apaiser la situation, les militaires sénégalais ont regretté l'absence de concertation. Les autorités sont allées jusqu'à refuser de récupérer deux emprises que la France voulait leur rétrocéder. Dès lors, le processus avait été gelé par les autorités françaises. Cependant, en novembre 2024, dans des interviews à la presse35(*), le président Diomaye Faye a finalement estimé, conformément aux positions souverainistes constantes du Pastef, le parti dont il est issu, qu'aucune base militaire étrangère n'avait vocation à rester installée au Sénégal. Le 31 décembre 2024, il a indiqué que ce départ devrait avoir lieu en 2025.

En Côte d'Ivoire, il existe comme ailleurs en Afrique de l'Ouest des critiques à l'encontre de la France. Les autorités ivoiriennes étaient cependant conscientes de la persistance des menaces djihadistes dans le nord du pays, contre lesquelles la France, avec sa base militaire, offrait une aide considérée comme utile. En tout état de cause, alors que la réduction de la présence militaire française avait été initiée par la France, le président ivoirien a finalement repris politiquement (et médiatiquement) la main en annonçant la rétrocession de la base française lors de ses voeux du 31 décembre 2024, ce qui lui a permis de capitaliser sur le courant hostile à la présence française dans l'opinion publique, peut-être en vue de l'élection présidentielle de 2025.

Il n'en va pas de même au Gabon, où, comme la mission a pu le constater lors de son déplacement dans ce pays, les critiques à l'encontre de la France étaient, jusqu'à récemment, plus rares et n'étaient pas instrumentalisés par la classe politique. Ainsi, ni la société civile ni les dirigeants actuels issus du coup d'État ne tiennent un discours critique à l'égard de cette présence des militaires français. Cependant, compte-tenu d'un possible effet de contagion, il ne serait pas étonnant que les dirigeants gabonais finissent par demander à leur tour la rétrocession complète des emprises militaires françaises.

Enfin, au Tchad, contrairement aux autres cas, la France s'est ouvertement investie pour conserver la présence de ses militaires, y compris en manifestant publiquement un fort soutien à une transition non démocratique, ce qui a beaucoup alimenté les critiques. Les circonstances dans lesquelles elle a finalement été forcée de renoncer à cette présence montrent en outre un certain manque d'anticipation. En effet, depuis de longs mois, il existait des signaux d'un rapprochement entre le Tchad et la Russie, avec notamment une visite du président tchadien à Moscou en janvier 2024 et l'ouverture d'une maison de la Russie à Ndjamena. Par ailleurs, l'aide budgétaire massive fournie au Tchad par les Émirats arabes unis et la convergence d'intérêt des deux pays dans la crise soudanaise risquait à l'évidence d'entrer en opposition avec la volonté française d'oeuvrer pour un apaisement de ce conflit. Ces événements ont ainsi conduit de manière assez prévisible à l'annonce par le président tchadien de la fin de la coopération militaire le 28 novembre 2024, puis à la rétrocession de la base de Faya Largeau, dès le 26 décembre de la même année.

Pour résumer l'ensemble de cette séquence, le Gouvernement s'était engagé par anticipation dans une réduction drastique du format des bases françaises au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon pour s'adapter au contexte d'impopularité croissante de la présence militaire française en Afrique francophone, tout en oeuvrant pour conserver une forte présence au Tchad.

A l'arrivée, rien ne s'est passé comme prévu : la déflation en Côte d'Ivoire et au Sénégal, d'abord critiquée par les partenaires africains pour son caractère unilatéral, est devenue une déprise forcée, à la demande d'autorités non dépourvues de visées électoralistes compte-tenu d'opinions publiques de plus en plus souverainistes, tandis que le Tchad, dont la France a pourtant soutenu la « transition » non démocratique, a commencé à glisser vers le camp « pro-russe » et exigé le départ des soldats français.

5. Une déflation qui risque d'avoir un impact négatif à long terme sur les actions de formation et de coopération...

Le discours officiel accompagnant la réduction des effectifs des bases militaires promettait des améliorations futures en termes de formation des militaires des armées partenaires. Au sein des bases ont en effet lieu des actions de coopération et de formation opérationnelle des unités des partenaires, qui s'ajoutent à la coopération structurelle mise en oeuvre par la DCSD du ministère des affaires étrangères, notamment au sein des écoles nationales à vocation régionale (ENVR)36(*).

Lors de son déplacement au Gabon, la mission a pu constater que de nouvelles actions de formation étaient en effet déployées, avec la création d'une École d'administration des forces de défense (qui en réalité prend la suite de l'école de Koulikouro au Mali) et une Académie de protection de l'environnement et des ressources naturelles, dirigée par les militaires gabonais formés par la France.

Toutefois, cet accent mis sur la formation n'a en réalité rien de nouveau. Surtout, il ne pourra empêcher une inévitable diminution globale du nombre de militaires formés compte-tenu de la réduction drastique des effectifs de formateurs. Ainsi, il est peu probable que les éléments français du Gabon puissent continuer à former des milliers de militaires de la région chaque année37(*) . De même, les 400 actions de formation et 12 000 militaires formés au Sénégal en 2025 vont devenir des objectifs impossibles à atteindre.

Au Sénégal, il avait été indiqué aux nouvelles autorités que malgré la réduction des effectifs, le niveau du partenariat serait maintenu. Il a pourtant été confirmé aux membres de la mission que ce maintien était peu probable. De même, le départ des EFS risque de créer un vide en matière de coopération de renseignement, pourtant nécessaire aux autorités sénégalaises.

Au total, les actions de coopération menées dans le cadre du nouveau dispositif seront nécessairement moins réactives et moins adaptables aux besoins de nos partenaires.

6. ... de rendre plus difficile d'éventuelles opérations d'évacuation des ressortissants français ou européens...

Déjà, lors des déflations précédentes, la capacité de la France à mener à l'avenir des opérations d'évacuation de ressortissants avait été mise en doute. Avec la nouvelle réduction des effectifs, de telles opérations vont devenir encore beaucoup plus difficile à réaliser. Elles supposeront l'arrivée rapide de détachements métropolitains. Mais avec moins d'une centaine d'hommes sur chaque implantation, l'appui logistique à ces détachements deviendra une gageure.

Les autres pays européens s'inquiètent d'ailleurs déjà de savoir si la France pourra continuer à aider à l'évacuation de leurs ressortissants après la réforme en cours, comme ce fut le cas au Soudan lors de l'opération Sagittaire en 2023.

...et de laisser le champ libre aux compétiteurs stratégiques

Depuis plusieurs années, les autorités chinoises réfléchissent à l'implantation d'une base militaire sur la façade océanique occidentale de l'Afrique, dans une forme de réponse à la présence américaine dans le Pacifique. Plusieurs pays ont été pressentis pour une telle implantation. Peu avant le coup d'État au Gabon, l'installation d'une base chinoise à Port gentil avait fait même l'objet d'un accord entre Ali Bongo et la Chine. Le président Oligui, issu du putsch, maintient une certaine ambiguïté sur la poursuite de ce projet. Il est clair que le démantèlement de la base française faciliterait une telle implantation.

Outre ce projet de base, la coopération militaire sino-gabonaise se développe, avec des formations en Chine au profit des officiers gabonais, et des projets de casernes sino-gabonaises, un centre de formation à la lutte contre la piraterie à Port-Gentil, un centre de maintien en condition opérationnelle (MCO ) pour patrouilleurs chinois, un centre de formation pour le combat en forêt (situé juste en face d'un centre français similaire). En 2024, près de 150 matériels ont été remis aux forces gabonaises par les forces chinoises.

Les Américains cherchent également à implanter une base militaire sur la façade africaine atlantique. Ayant fermé leur dernière base à Agadez en août 2024, ils ont ainsi engagé récemment des discussions avec plusieurs pays côtiers d'Afrique de l'Ouest : la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Bénin, pour continuer à lutter contre le djihadisme. Finalement, Abidjan aurait donné son accord pour l'installation d'une base militaire américaine près de la ville d'Odienné, dans le nord-ouest de la Côte d'Ivoire.

Ainsi, il est clair que les bases françaises occupaient une position considérée comme stratégique par les autres puissances. La réduction ou la suppression des implantations risque d'être perçue par les compétiteurs de la France comme un appel d'air.


* 33 Ce qui conduit actuellement à des réflexions pour concentrer davantage ce type d'interventions sur un moindre nombre de projets.

* 34 Le chef d'État-major des armées sénégalais aurait montré l'accord militaire de 2011 en déclarant « ne nous faites pas le coup de 2011 ! », faisant référence à la réaction très négative d'Abdoulaye Wade lorsque le président Sarkozy avait décidé une réduction de l'empreinte militaire française.

* 35 Notamment dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/11/28/bassirou-diomaye-faye-il-n-y-aura-bientot-plus-de-soldats-francais-au-senegal_6419413_3212.html

* 36 Les ENVR permettent de contribuer à forger une culture commune parmi les cadres africains repérés comme prometteurs, à la France de conserver un levier d'influence appréciable et à moindre coût, à l'heure où elle n'a plus les moyens de former en masse les officiers africains dans ses propres écoles. Comme elles permettent d'accueillir un grand nombre de stagiaires (environ 3000 par an), elles auraient au total un impact plus important que l'accueil des officiers africains dans les écoles en France.

* 37 40% des formations se font au profit d'autres pays d'Afrique centrale que le Gabon : la mission du Sénat a pu rencontrer un détachement rwandais lors de sa visite de la base française.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page