IV. L'ARCHITECTURE AFRICAINE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ DE L'UNION AFRICAINE : UNE DIFFICULTÉ À MONTER EN PUISSANCE
La volonté exprimée par les autorités françaises de réduite la dimension sécuritaire et militaire de la présence de notre pays en Afrique va de pair avec la perspective d'une prise en main « par les Africains eux-mêmes » de leur sécurité collective, via l'Union africaine (UA) et les communautés régionales.
La notion de « pax africana », qui fait référence à l'idée que les Africains doivent être responsables de la paix et de la sécurité sur leur continent, a été introduite par Ali Mazrui dans son livre Towards a Pax Africana (1967). Cette notion a influencé la pensée panafricaine et a contribué à façonner les approches des organisations régionales africaines en matière de paix et de sécurité. C'est dans ce contexte que sont nées, à partir des années 1960, l'Organisation de l'unité africaine et plusieurs communautés économiques régionales. Ces différentes organisations ont progressivement investi les domaines de la paix et de la sécurité.
A. L'ARCHITECTURE AFRICAINE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ COLLECTIVE REPOSE SUR PLUSIEURS ORGANISATIONS RÉGIONALES COORDONNÉES PAR L'UNION AFRICAINE.
1. Le rôle coordinateur et supranational de l'Union africaine lui confère une légitimité supérieure à celle des organisations régionales.
Née en 2002 sur les cendres de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'Union africaine (UA) affirme d'emblée une volonté d'assumer davantage de responsabilités en matière de sécurité collective du continent . Elle se démarque de l'OUA en remplaçant le principe de non-ingérence de l'OUA par celui de « non-indifférence », qui lui donne le droit d'intervenir dans un État membre en cas de circonstances graves : crimes de guerre, génocides et crimes contre l'humanité.
L'UA conçoit ainsi l'Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Son principal pilier opérationnel est le Conseil de paix et de sécurité (CPS), créé en juillet 2002, en partie calqué sur le modèle du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). Il est composé de 15 membres élus pour un mandat de deux à trois ans mais qui, contrairement au CSNU, ne disposent pas d'un droit de véto. Ensuite, la Force africaine en attente (FAA) constitue une composante majeure de l'APSA. Elle se décline en cinq états-majors et brigades régionaux qui permettent la mise en place d'une capacité de déploiement rapide, chaque brigade étant formée d'environ 5000 soldats. Les 5 composantes de la FAA ont été fusionnées avec les forces de chaque communauté économique régionale (cf. ci-dessous).
L'UA reconnaît huit Communautés économiques régionales (CER) avec lesquelles elle a signé en 2007 un Protocole. Ce protocole affirme la prééminence de l'UA sur les CER : « Les CER (...) prendront des mesures requises pour réviser leurs traités afin d'établir un lien organique avec l'Union et y prévoir en particulier (...) l'alignement de leurs programmes, de leurs politiques et stratégies sur ceux de l'Union » (article 5).
2. La montée en puissance des organisations régionales sur les enjeux de paix et de sécurité.
Initialement conçues pour favoriser l'intégration économique régionale du temps de l'UOA, les CER sont devenues partie intégrante du dispositif sécuritaire de l'UA.
Toutes les CER disposent de mécanismes destinés à promouvoir la paix et la sécurité dans leurs régions respectives. On retrouve ici les cinq forces régionales en attente intégrées à la Force africaine en attente de l'UA qui sont toutes dotées d'une structure de planification interne. De fait, certaines opérations peuvent être menées par les CER sans qu'elles aient été mandatées par l'UA au préalable. Plusieurs CER étaient d'ailleurs déjà dotées de forces armées avant que l'UA ne constitue les forces régionales de la FAA. Par exemple, la Force en attente de la CEDEAO (FAC) est l'héritière de l'Ecomog, créée en 1990 pour intervenir au cours de la guerre civile au Libéria. Concernant l'Afrique centrale, la CEEAC dispose de la Force Multinationale de l'Afrique Centrale (FOMAC) qui a conduit une opération en 2013 (MICOPAX) en République Centrafricaine.
Enfin, les CER disposent également de structures de discussion et de délibération sur les sujets de la paix et de la sécurité. Ainsi, la SADC crée en 1996 l'Organe de coopération en matière de politique, de défense et de sécurité (OPDS) et la CEEAC se dote en 2004 du Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale (COPAX).
En raison des avantages du maintien de la paix par des acteurs régionaux mais aussi du fait des problèmes de financement de l'UA, les opérations menées par les CER ont eu tendance à prendre le pas sur celles décidées d'emblée par l'UA.
Communautés économiques régionales d'Afrique
Source : Rapport « indice de l'intégration économique régionale en Afrique » de l'Union africaine et de la commission économique pour l'Afrique des Nations unies, éditions 2019, p. 15.
3. Les problèmes de chevauchement entre l'échelon continental et l'échelon régional
En 1980, l'Acte final de Lagos a eu pour objectif de limiter le chevauchement institutionnel, la dispersion des ressources et les querelles de légitimité entre les institutions régionales. Ce processus s'est poursuivi avec le Traité d'Abuja (1991) qui inaugure la Communauté économique africaine et reconnaît le statut de CER à 14 organisations - limité à 8 en 2006. Depuis la création de l'UA en 2002, le Protocole de 2007 est venu encadrer les relations entre l'UA et les CER autour de deux principes.
D'une part, le Protocole affirme la supériorité de l'échelon continental en visant à s'assurer que les activités des CER soient conformes objectifs et principes de l'UA. Par ailleurs, le CPS de l'UA doit être pleinement informé des activités des CER et s'assurer qu'elles soient coordonnées et harmonisées avec lui. Cette supériorité se retrouve dans les instruments juridiques des CER qui reconnaissent leur attachement aux principes de l'UA.
D'autre part, la division du travail, guidée par les « principes de subsidiarité, de complémentarité et d'avantage comparatif en vue de permettre aux CER de mettre en oeuvre l'agenda d'intégration régionale ».
La subsidiarité signifie que la gestion des conflits est de la responsabilité première des CER et que l'UA ne peut intervenir qu'en cas d'inaction ou d'incapacité de celles-ci. La crise centrafricaine en constitue un bon exemple : entre juillet 2008 et août 2013, la CEEAC a déployé la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX) qui s'est ensuite, après les difficultés rencontrées, transformée en Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) sous conduite de l'UA. C'est finalement l'ONU qui a pris le relais fin 2014 via la MINUSCA.
La complémentarité implique que les liens entre l'UA et les CER en matière de paix et sécurité soient établis selon la politique continentale : les CER doivent harmoniser leurs mécanismes ainsi que leurs programmes pour suivre ceux de l'APSA. Le CPS est, entre autres, chargé de la coordination des mécanismes régionaux afin de les conformer aux objectifs de l'UA.
Enfin, l'avantage comparatif impose, dès lors que plusieurs organisations sont engagées sur un même terrain, de confronter leurs forces et faiblesses de sorte à identifier celle dont l'action est la plus efficace.
En réalité, l'application de ce cadre juridique apparemment clair n'a cessé de poser des problèmes à l'UA et aux CER.
4. L'évolution des menaces a mené à la création d'initiatives de sécurité ad hoc (ASI).
Face à des menaces sécuritaires transnationales - criminalité, djihadisme ou piraterie - qui ne recoupaient pas les limites des communautés régionales, les dirigeants africains ont de plus en plus fait le choix de recourir à des coalitions ad hoc (ASI - ad hoc security intitiative). La première ASI fut ainsi l'Initiative de coopération régionale pour l'élimination de l'Armée de résistance du Seigneur (RCI-LRA) en Afrique centrale, créée en 2011 et qui s'est vue confier par l'UA un mandat pour combattre le mouvement rebelle chrétien sur un théâtre d'opération à cheval sur plusieurs États. Par ailleurs, afin de lutter contre le groupe islamiste Boko Haram, la Commission du bassin du Lac Tchad (CBLT) a mis en place en 2014 la Force multinationale mixte (FMM), composée de militaires du Niger, du Nigéria, du Tchad et du Cameroun. Enfin, le G5-Sahel (G5S), créé à Nouakchott en 2014, avait pour objectif de lutter contre le terrorisme au Sahel en se dotant de la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5S).
Quatre éléments distinguent ces initiatives ad hoc des opérations de maintien de la paix menées par l'UA ou les CER. D'abord, elles répondent à une menace transnationale partagée et sont amenées à gérer un défi sécuritaire situé dans au moins deux États. Ensuite, elles sont composées de forces armées qui opèrent dans leur propre territoire, avec des dérogations pour poursuivre les groupes dans les territoires frontaliers, ceci étant gage d'une meilleure efficacité opérationnelle. En effet, les opérations internationales posent des difficultés juridiques relatifs aux dérogations accordées à une force étrangère intervenant dans un État tiers. Troisièmement, elles sont coordonnées par un QG commun dont le but est de faciliter la coordination et de planifier la stratégie, les pays participant à une ASI conservant le commandement opérationnel de leur force. Enfin, l'opération n'a pas besoin d'être préalablement autorisée en vertu de l'article 51 de la Charte de l'ONU, puisqu'elle se déroule au sein de cadres juridiques nationaux et sur la base d'accords bilatéraux entre des pays qui coopèrent pour faire face à une menace commune.