B. DES DIFFICULTÉS DE MISE EN oeUVRE PERSISTANTES

1. Une loi difficilement intelligible, dont les paramètres ont tardé à être explicités

ð Le groupe de suivi n'a cessé de recueillir des témoignages des difficultés éprouvées par les élus locaux à comprendre et s'approprier les obligations nouvelles qui leur incombent en matière de réduction de l'artificialisation des sols et le rôle respectif des différentes strates de collectivités territoriales. Les nouvelles définitions et métriques introduites par la loi Climat-résilience d'août 2021 nécessitaient un accompagnement pédagogique qui a fait cruellement défaut, des explicitations et des « modes d'emploi » que l'État a tardé à mettre à leur disposition, alors même que la période de référence pour atteindre le premier objectif de réduction de moitié de l'artificialisation d'ici 2031 a débuté dès la promulgation de la loi, en août 2021.

Les retards dans la publication des décrets d'application de la loi Climat-résilience n'ont en outre pas permis aux collectivités de s'approprier leur contenu suffisamment en amont des prises de décision concernant la territorialisation des enveloppes d'artificialisation, ni de mettre en place une véritable stratégie de développement et d'aménagement du territoire tenant compte de ces nouveaux paramètres.

La publication en novembre 2023 de la seconde version du décret précisant les éléments de territorialisation des enveloppes d'artificialisation à prendre en compte au niveau régional a par exemple rendu nulle et non avenue une partie des discussions et réflexions engagées préalablement, ce qui a naturellement été source d'incompréhension et d'amertume pour de nombreux élus locaux.

Le Gouvernement n'a pas « corrigé le tir » pour les textes d'application de la loi « ZAN 2 » : alors que cette dernière a été votée en juillet 2023, l'arrêté fixant la liste des PENE qui ne seront pas imputés à l'enveloppe d'artificialisation régionale n'a été publié qu'en juin 2024, à peine six mois avant la date limite de modification des Sraddet, fixée en novembre 2024...

Ces retards ont en outre fragilisé la qualité du dialogue avec les élus locaux, dont certains ont eu l'impression de se voir imposer des contraintes nouvelles au dernier moment, de manière très descendante.

Plus fondamentalement, le groupe de suivi relève de réelles lacunes de compréhension de certains concepts clefs pour la mise en oeuvre de la stratégie de réduction de l'artificialisation. Plus des deux tiers des élus ayant participé à la consultation en ligne organisée par le groupe de suivi ont ainsi indiqué éprouver des difficultés à déterminer quelles opérations seraient classées comme consommatrices d'Enaf. De même, plus des deux tiers des répondants n'ont pas connaissance du passage, prévu par la loi Climat-résilience, d'une comptabilisation en consommation d'Enaf à une comptabilisation en artificialisation réelle à compter de 2031.

« Une loi bien écrite n'a pas besoin de 160 pages d'explication de texte. »10(*)

Une démarche pédagogique et uniforme de la part des services de l'État est également attendue concernant les conditions d'application de la garantie de développement communal (notamment dans les régions et SCoT comportant beaucoup de communes bénéficiaires), ainsi que les modalités de mise en oeuvre des politiques de réduction de l'artificialisation pour les communes dépourvues de document d'urbanisme, soumises de ce fait au règlement national d'urbanisme (RNU).

Là encore, cette complexité nourrit le sentiment d'une réforme technocratique, imposée verticalement en méconnaissance des réalités de terrain.

2. Un accompagnement défaillant des collectivités par l'État

ð Le groupe de suivi prend acte des efforts de pédagogie déployés par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), et relayés par les services déconcentrés de l'État (circulaire du 31 janvier 2024, guide et fascicules explicatifs détaillés à destination des élus et des techniciens, déploiement d'une offre de formation en ligne et en présentiel, y compris à l'utilisation de l'outil OCS GE11(*)...).

Il constate néanmoins que l'application de la réforme et la compréhension de ses concepts clefs par les services déconcentrés de l'État demeurent très hétérogènes, nourrissant chez les élus défiance et inquiétude quant à leur capacité à atteindre les objectifs fixés par la loi.

De même, l'accès des collectivités à leurs propres données de consommation demeure insatisfaisant, des écarts de comptabilisation très significatifs étant fréquemment observés entre les données locales, quand elles existent, et les données fournies par l'État (outils MonDiagArtif et Observatoire de l'artificialisation).

ð De manière plus générale, de nombreux élus ont fait part aux membres du groupe de suivi de l'absence regrettable de dialogue avec les services de l'État. En dépit de la circulaire du 31 janvier 2024, plus de 80 % d'entre eux ne constatent aucune inflexion concrète sur le terrain, et plus de 90 % ne connaissent pas le référent « ZAN » nommé par l'État dans leur département12(*).

Le groupe de suivi déplore également les cas de zèle manifestement excessif des services de l'État qui lui ont été rapportés, dans l'évaluation du rapport de compatibilité entre les plans locaux d'urbanisme (PLU(i)) et les schémas de cohérence territoriale (SCoT), sur le fondement d'une prise en compte anticipée des objectifs « ZAN », en minorant exagérément les prévisions de croissance démographique et en déconsidérant les efforts des collectivités pour attirer activités et nouveaux habitants. Une telle attitude est extrêmement décourageante pour les élus, confrontés à des injonctions contradictoires : faire vivre leurs territoires et cesser toute artificialisation au motif de leur dynamisme insuffisant lors de la décennie passée.

Un approfondissement du dialogue est absolument nécessaire pour assurer l'acceptabilité de la politique de réduction de l'artificialisation des sols, non seulement auprès des élus, mais aussi auprès du grand public : il est essentiel que les élus comme l'administration soient en mesure d'expliquer cette politique, faute de quoi le « ZAN » pourrait conduire à une crise analogue à celle des « gilets jaunes ».

ð Le groupe de suivi appelle les pouvoirs publics à mettre fin au manque persistant d'appréhension et de compréhension par les services de l'État des réalités locales, ainsi qu'au déficit d'anticipation des besoins des territoires. Les services de l'État ne semblent raisonner que par projection des dynamiques démographiques et économiques passées, sans prendre en compte les recompositions territoriales à l'oeuvre, à différentes échelles, ni anticiper les effets de politiques d'attractivité volontaristes tant au niveau national (efforts en faveur de la réindustrialisation par exemple) qu'au niveau local. Ce phénomène est aggravé par le fait que, dans plusieurs territoires, les élus interrogés ont fait état d'une « distribution » des enveloppes d'artificialisation aux collectivités locales par les services déconcentrés de l'État, en flagrante contradiction avec le processus de territorialisation en cours au niveau régional.

À l'échelle nationale également, l'État refuse de jouer son rôle d'aménageur et de stratège en participant à l'effort de rééquilibrage du territoire national, alors qu'une mise en oeuvre raisonnée des objectifs de protection des sols pourrait devenir un atout pour de nombreux territoires en déprise, peu attractifs ou riches en friches.

ð Enfin, malgré le travail d'accompagnement de qualité effectué par les différents opérateurs de l'État (Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Cerema, Banque des territoires...), le soutien en ingénierie fourni n'est pas à la hauteur des enjeux, obligeant trop souvent les collectivités à recourir à de coûteux services de conseil privés. L'ANCT, dont la vocation est précisément d'accompagner les collectivités dépourvues d'ingénierie, n'a manifestement pas les moyens humains et financiers pour se mettre au service de l'ensemble des collectivités, qui tirent pourtant les plus grands bénéfices de l'appui de ses services.


* 10 Contribution d'élu local aux travaux du groupe de suivi.

* 11 Occupation du sol à grande échelle.

* 12 Résultats de la consultation en ligne des élus locaux menée en mai 2024 par le groupe de suivi.

Partager cette page