N° 19

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1), de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (2) et de la commission des finances (3), par le groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols (4), sur la mise en oeuvre des objectifs
de
réduction de l'artificialisation des sols,

Président
M. Guislain CAMBIER,

Rapporteur
M. Jean-Baptiste BLANC,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente ; MM. Alain Chatillon, Daniel Gremillet, Mme Viviane Artigalas, MM. Franck Montaugé, Franck Menonville, Bernard Buis, Fabien Gay, Pierre Médevielle, Mme Antoinette Guhl, M. Philippe Grosvalet, vice-présidents ;
MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, M. Rémi Cardon, Mme Anne-Catherine Loisier, secrétaires ; Mme Martine Berthet, MM. Yves Bleunven,
Michel Bonnus, Denis Bouad, Jean-Marc Boyer, Jean-Luc Brault, Frédéric Buval, Henri Cabanel, Alain Cadec, Guislain Cambier, Mme Anne Chain-Larché,
MM. Patrick Chaize, Patrick Chauvet, Mme Evelyne Corbière Naminzo, MM. Pierre Cuypers, Daniel Fargeot, Gilbert Favreau, Mmes Amel Gacquerre, Marie-Lise Housseau, Annick Jacquemet, Micheline Jacques, MM. Yannick Jadot, Vincent Louault, Mme Marianne Margaté, MM. Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Sebastien Pla,
Mme Sophie Primas, M. Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot.

(2) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, premier vice-président ; Mmes Nicole Bonnefoy,
Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean Bacci,
Pierre Barros, Jean-Pierre Corbisez, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz, Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Georges Naturel, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet, MM. Hervé Reynaud, Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan,
Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, M. Michaël Weber.

(3) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin,
MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

(4) Ce groupe de suivi est composé de : M. Guislain Cambier, président ; M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean-Marc Boyer, Bernard Buis, Emmanuel Capus, Jean-Pierre Corbisez, Ronan Dantec, Bernard Delcros, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Sébastien Fagnen, Mme Françoise Gatel, MM. Fabien Genet, Philippe Grosvalet, Olivier Paccaud, Bernard Pillefer, Christian Redon-Sarrazy.

L'ESSENTIEL

Face aux inquiétudes et difficultés persistantes dans la mise en oeuvre et la déclinaison territoriale de la trajectoire de réduction du rythme de l'artificialisation des sols fixée par la loi Climat-résilience d'août 2021, le Sénat a constitué, en février 2024, un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, commun aux commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des finances. Cette structure transpartisane, composée de 18 membres, est présidée par M. Guislain Cambier et M. Jean-Baptiste Blanc en est le rapporteur.

De mars à juillet 2024, ses membres ont entendu plus de 70 acteurs qui « font le ZAN » (élus locaux, représentants de l'État et de ses opérateurs, acteurs économiques et associatifs, urbanistes, universitaires...), au cours d'une dizaine d'auditions et tables rondes. Ces auditions ont été complétées par des entretiens bilatéraux menés par le président et le rapporteur, au Sénat ou lors de déplacements sur le terrain, ainsi que par de nombreuses contributions écrites. Les élus locaux ont également été invités à partager leurs analyses et leurs besoins via une consultation en ligne en mai 2024 sur le site internet du Sénat.

Plus de

 

Plus de

 
 
 

personnes entendues

mois de travail

répondants
à la consultation en ligne

Au terme de ce cycle d'auditions dont l'ambition était d'être à l'écoute des élus locaux et des acteurs, le groupe de suivi a souhaité présenter un bilan de ses travaux et des informations qu'il a recueillies auprès de ceux qui « font le ZAN ». Ces derniers ont mis en évidence un large consensus autour de la nécessité de sobriété foncière mais également la persistance de difficultés concrètes et de blocages, dont la levée ne paraît pas, à ce stade, pouvoir se faire autrement que par des évolutions législatives et réglementaires.

Dès le printemps 2024, le groupe de suivi avait fait le choix d'une méthode pragmatique pour corriger les effets pervers d'une mise en oeuvre non raisonnée et insuffisamment territorialisée de la trajectoire foncière définie en 2021 : proposer, par amendements dans les textes en discussion au Parlement, des évolutions ciblées des règles relatives à l'artificialisation des sols, afin d'éviter que ces dernières ne pénalisent excessivement l'industrie, l'agriculture et le logement social. La dissolution de l'Assemblée nationale intervenue en juin 2024 ayant rendu incertain l'avenir de ces textes, de nouveaux vecteurs législatifs devront être trouvés pour sécuriser ces avancées, qui devront être complétées par des évolutions plus structurelles pour renforcer la viabilité et l'acceptabilité de la stratégie nationale de réduction de l'artificialisation.

I. LE CONSTAT : LA LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION DES SOLS, UNE POLITIQUE À LA FINALITÉ CONSENSUELLE, MAIS DONT LA MISE EN oeUVRE CONTINUE D'INQUIÉTER

A. UN CONSENSUS SUR L'OBJECTIF DE SOBRIÉTÉ FONCIÈRE, MAIS PAS SUR LA MÉTHODE

1. Une large adhésion des élus au principe de sobriété foncière, y compris sur leur propre territoire

Le constat qui a présidé à l'établissement d'objectifs ambitieux de réduction de l'artificialisation des sols dans la loi Climat-résilience demeure valable : la France continue de perdre chaque année plus de 20 000 hectares d'espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) ; alors que la construction de logements constitue le premier facteur d'artificialisation des sols, cette dernière a augmenté, ces dernières décennies, presque quatre fois plus vite que la population1(*).

Cette artificialisation génère des effets négatifs sur la biodiversité (en détruisant des habitats naturels) et sur la capacité de la France à atteindre ses objectifs climatiques (les sols fonctionnels, forêts et prairies étant des puits de carbone naturels). Si un tel rythme d'artificialisation se poursuit, il menace en outre d'obérer notre souveraineté alimentaire.

Face à l'urgence de préserver des sols remplissant de nombreux services écosystémiques, tous les acteurs interrogés dans le cadre des travaux du groupe de suivi se sont déclarés favorables à une sobriété foncière accrue, et ont souligné avec satisfaction les efforts déjà réalisés. Selon une enquête de la Fédération nationale des SCoT, plus des deux tiers des intercommunalités et des SCoT souscrivent ainsi au principe de sobriété foncière - y compris sur leur propre territoire - et reconnaissent en conséquence la nécessité de changer de modèles d'aménagement pour répondre aux grands défis climatiques, écologiques et sociétaux2(*).

De fait, les objectifs généraux de sobriété foncière introduits par la loi « SRU » de 20003(*), et progressivement intégrés au code de l'urbanisme - notamment par la loi « Élan » de 20184(*), qui a inscrit l'objectif de lutte contre l'étalement urbain dans ses principes généraux, sont bien intégrés par les élus, qui déclarent d'ailleurs souhaiter promouvoir, dans cette optique, de nouvelles formes de construction plus sobres et respectueuses des enjeux d'adaptation au changement climatique et de protection de la biodiversité5(*).

2. Des modalités de fixation des objectifs de réduction de l'artificialisation trop rigides qui échouent à prendre en compte les réalités territoriales

ð L'article 191 de la loi Climat-résilience a fixé des objectifs très ambitieux de réduction de l'artificialisation des sols (« zéro artificialisation nette » en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme d'artificialisation sur la période 2021-2031 par rapport à la décennie 2011-2021). Ces objectifs, directement inspirés des propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), ont malheureusement été définis sans véritable étude d'impact.

La France est d'ailleurs le seul pays de l'Union européenne à avoir fixé dans la loi de tels objectifs chiffrés de réduction de l'artificialisation, et ce alors même que son taux d'artificialisation est très inférieur à celui de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, et comparable à celui de l'Italie6(*).

ð Ces objectifs ont d'une part été déterminés de façon arithmétique, sans aucune prise en compte des réalités et dynamiques locales. Le raisonnement selon lequel l'artificialisation constatée pendant la décennie 2011-2021 permettrait de refléter les dynamiques à l'oeuvre dans les territoires et pourrait sur ce fondement être arbitrairement réduite de moitié, est doublement fautif. Au niveau local d'abord, il ne permet pas de prendre en compte les problématiques et contraintes locales. Les spécificités des territoires ruraux, des communes littorales ou de montagne ont ainsi été ignorées, et les communes vertueuses, qui avaient déjà volontairement réduit leur consommation d'espace avant 2021, ont été lourdement pénalisées. Cette injustice doit être corrigée.

D'autre part, déterminer une enveloppe globale d'artificialisation pour l'avenir, uniquement par référence aux dynamiques passées, ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par le volontarisme d'élus dont les efforts ont permis par exemple, d'implanter sur leur territoire une usine ou d'attirer de nouveaux habitants. Ce constat vaut aussi bien au niveau local qu'au niveau national, les politiques publiques en faveur de la réindustrialisation et du développement des énergies renouvelables accroissant par définition le besoin de foncier dans des proportions difficiles à anticiper avant 2021.

Le résultat de ce calcul technocratique et « au doigt mouillé » est sans appel : 60 % des élus estiment qu'en raison du « ZAN », ils ne disposeront pas de suffisamment de foncier pour répondre aux besoins de leur territoire, en particulier (plus de la moitié) pour la réalisation des projets économiques7(*).

Cette lacune avait été identifiée dès l'origine par le Sénat, qui est parvenu à la corriger en partie dans le cadre de la loi du 20 juillet 2023 en introduisant notamment une garantie de développement communal de 1 hectare et des dispositions spécifiques en faveur des communes littorales, et à ses décrets d'application qui, sur la demande insistante du Sénat, ont complété les critères de territorialisation des enveloppes d'artificialisation devant être obligatoirement pris en compte à l'échelle régionale, pour tenir compte des efforts de réduction déjà réalisés, des enjeux de revitalisation et des particularités géographiques locales, ainsi que des enjeux de maintien et de développement des activités agricoles. Toutefois, ces critères sont peu coercitifs et de fait, 75 % des élus ayant participé à la consultation en ligne organisée par le groupe de suivi estiment qu'ils ne sont pas correctement pris en compte dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) en cours d'élaboration.

Pour le groupe de suivi, le principe même de la fixation d'un objectif à l'échelon national, décliné ensuite territorialement de manière descendante, pose une difficulté de principe.

ð Le groupe de suivi relève une autre incohérence dommageable à l'atteinte de l'objectif de préservation de la qualité des sols, à savoir l'approche binaire et donc sans nuance retenue par la loi Climat-résilience, et à sa suite le décret « Nomenclature » du 27 novembre 2023, entre surfaces artificialisées et surfaces non artificialisées. Cette approche réductrice ne permet pas de prendre en compte la diversité des qualités et des propriétés des sols et, partant, leur capacité à rendre des services écosystémiques et leurs potentiels agronomiques.

Source : groupe de suivi sur l'artificialisation des sols du Sénat

Lorsqu'on sait qu'il faut au moins 200 ans (et jusqu'à plusieurs milliers d'années) pour former un centimètre de sol8(*), on mesure à quel point la notion de « désartificialisation » est trompeuse, laissant penser à tort que la destruction et la dégradation des sols induites par leur artificialisation est réversible : un sol désartificialisé recouvrera certes sa perméabilité et apportera à nouveau des bénéfices pour la biodiversité, mais ne retrouvera ses qualités agronomiques et écologiques qu'au terme d'un très long processus.

Bien que l'approche par la qualité des sols implique une appréhension complexe et dynamique des sols en tant que milieux, nécessitant en particulier la mise en place de nouvelles méthodologies robustes pour diagnostiquer leur état, il n'apparaît pas souhaitable de persévérer dans une approche éloignée de la réalité pédologique selon laquelle tous les sols se valent. C'est d'ailleurs l'angle retenu par la future directive européenne sur la santé des sols9(*), qui prolonge et approfondit la première stratégie en faveur des sols de l'Union européenne de 2006, dont l'adoption conduira à sa transposition en droit national ces prochaines années. À terme, on pourrait même imaginer qu'un meilleur ciblage de la protection des terres permette de desserrer la contrainte surfacique du « ZAN », au profit d'une consommation d'espaces dont la conservation apparaîtrait moins prioritaire au regard de leur potentiel écologique, pour un bilan environnemental équivalent.

ð De manière plus générale, le groupe de suivi déplore que la stratégie de réduction de l'artificialisation ait été élaborée « en silo », ce qui s'illustre notamment par son insuffisante articulation avec les autres objectifs environnementaux et climatiques de la France. Si la préservation des sols permet de maintenir leur potentiel de séquestration de carbone, mais aussi de réduire substantiellement les émissions de gaz à effet de serre induites par le secteur de la construction en encourageant les requalifications de bâtiments existant, mettre en oeuvre trop rigoureusement et sans discernement cette stratégie constituerait sans aucun doute un frein à la réalisation d'autres politiques publiques de décarbonation et de préservation de l'environnement, comme le déploiement d'industries « vertes », d'infrastructures de production ou de transport d'énergies renouvelables ou encore le développement de modes de transports décarbonés.

Les souplesses et aménagements prévus dans les textes en vigueur (exemption, dans certaines configurations, pour la production d'énergie photovoltaïque, possibilité de mutualiser à l'échelle nationale les surfaces artificialisées nécessaires aux projets industriels d'intérêt majeur pour la transition écologique ou appartenant aux secteurs des technologies favorables au développement durable, etc.) sont manifestement insuffisants. Si les grands projets (gigafactories, Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest...) sont de manière générale assez bien identifiés, c'est plus rarement le cas des projets de moindre envergure (petites lignes de chemin de fer, postes électriques de moins de 220 kV, sous-traitants d'industries « vertes »...), pourtant essentiels tant au dynamisme des territoires qu'à l'atteinte de nos engagements nationaux en matière de transition verte.

3. Les premières avancées obtenues par le Sénat plébiscitées

En réponse à tous ces blocages, les avancées obtenues par le Sénat via la loi du 20 juillet 2023 (report du calendrier de modification des documents de planification et d'urbanisme, outils de concertation et de gouvernance, mutualisation au niveau national de l'artificialisation induite par les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE), garantie de développement communal d'un hectare, prise en compte du recul du trait de côte, droit de préemption et sursis à statuer, décompte de l'artificialisation en net dès 2021) sont unanimement saluées et plébiscitées par les élus locaux et les acteurs - même si certaines pourraient encore être approfondies ou retravaillées. La version définitive de la loi du 20 juillet 2023 s'éloigne en effet significativement, sur certains points, de l'intention première du Sénat, du fait de la nécessité de composer avec une Assemblée nationale plus rétive à procéder à des aménagements de la loi Climat-résilience. Comme attendu, ces concessions faites par le Sénat ont aujourd'hui des effets délétères.

Le groupe de suivi constate notamment que l'élaboration de la liste des PENE entre l'État et les régions n'a pas toujours répondu aux standards de concertation et de transparence qui pouvaient être attendus dans le cadre d'un dialogue territorial primordial pour l'acceptabilité politique et sociale du « ZAN ». La liste finale des projets figurant dans l'arrêté fait ainsi l'impasse sur plusieurs projets pourtant structurants, tant pour les territoires concernés qu'au niveau national.

La consultation en ligne des élus locaux menée par le groupe de suivi a en outre montré que les nouveaux outils d'urbanisme créés par cette loi « ZAN 2 » demeuraient mal connus des élus, plus de la moitié des répondants n'ayant, par exemple, pas connaissance du sursis à statuer ou du droit de préemption « ZAN », ce qui freine leur capacité à faire échec aux dynamiques locales obérant l'atteinte de la trajectoire foncière qu'ils ont définie.

B. DES DIFFICULTÉS DE MISE EN oeUVRE PERSISTANTES

1. Une loi difficilement intelligible, dont les paramètres ont tardé à être explicités

ð Le groupe de suivi n'a cessé de recueillir des témoignages des difficultés éprouvées par les élus locaux à comprendre et s'approprier les obligations nouvelles qui leur incombent en matière de réduction de l'artificialisation des sols et le rôle respectif des différentes strates de collectivités territoriales. Les nouvelles définitions et métriques introduites par la loi Climat-résilience d'août 2021 nécessitaient un accompagnement pédagogique qui a fait cruellement défaut, des explicitations et des « modes d'emploi » que l'État a tardé à mettre à leur disposition, alors même que la période de référence pour atteindre le premier objectif de réduction de moitié de l'artificialisation d'ici 2031 a débuté dès la promulgation de la loi, en août 2021.

Les retards dans la publication des décrets d'application de la loi Climat-résilience n'ont en outre pas permis aux collectivités de s'approprier leur contenu suffisamment en amont des prises de décision concernant la territorialisation des enveloppes d'artificialisation, ni de mettre en place une véritable stratégie de développement et d'aménagement du territoire tenant compte de ces nouveaux paramètres.

La publication en novembre 2023 de la seconde version du décret précisant les éléments de territorialisation des enveloppes d'artificialisation à prendre en compte au niveau régional a par exemple rendu nulle et non avenue une partie des discussions et réflexions engagées préalablement, ce qui a naturellement été source d'incompréhension et d'amertume pour de nombreux élus locaux.

Le Gouvernement n'a pas « corrigé le tir » pour les textes d'application de la loi « ZAN 2 » : alors que cette dernière a été votée en juillet 2023, l'arrêté fixant la liste des PENE qui ne seront pas imputés à l'enveloppe d'artificialisation régionale n'a été publié qu'en juin 2024, à peine six mois avant la date limite de modification des Sraddet, fixée en novembre 2024...

Ces retards ont en outre fragilisé la qualité du dialogue avec les élus locaux, dont certains ont eu l'impression de se voir imposer des contraintes nouvelles au dernier moment, de manière très descendante.

Plus fondamentalement, le groupe de suivi relève de réelles lacunes de compréhension de certains concepts clefs pour la mise en oeuvre de la stratégie de réduction de l'artificialisation. Plus des deux tiers des élus ayant participé à la consultation en ligne organisée par le groupe de suivi ont ainsi indiqué éprouver des difficultés à déterminer quelles opérations seraient classées comme consommatrices d'Enaf. De même, plus des deux tiers des répondants n'ont pas connaissance du passage, prévu par la loi Climat-résilience, d'une comptabilisation en consommation d'Enaf à une comptabilisation en artificialisation réelle à compter de 2031.

« Une loi bien écrite n'a pas besoin de 160 pages d'explication de texte. »10(*)

Une démarche pédagogique et uniforme de la part des services de l'État est également attendue concernant les conditions d'application de la garantie de développement communal (notamment dans les régions et SCoT comportant beaucoup de communes bénéficiaires), ainsi que les modalités de mise en oeuvre des politiques de réduction de l'artificialisation pour les communes dépourvues de document d'urbanisme, soumises de ce fait au règlement national d'urbanisme (RNU).

Là encore, cette complexité nourrit le sentiment d'une réforme technocratique, imposée verticalement en méconnaissance des réalités de terrain.

2. Un accompagnement défaillant des collectivités par l'État

ð Le groupe de suivi prend acte des efforts de pédagogie déployés par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), et relayés par les services déconcentrés de l'État (circulaire du 31 janvier 2024, guide et fascicules explicatifs détaillés à destination des élus et des techniciens, déploiement d'une offre de formation en ligne et en présentiel, y compris à l'utilisation de l'outil OCS GE11(*)...).

Il constate néanmoins que l'application de la réforme et la compréhension de ses concepts clefs par les services déconcentrés de l'État demeurent très hétérogènes, nourrissant chez les élus défiance et inquiétude quant à leur capacité à atteindre les objectifs fixés par la loi.

De même, l'accès des collectivités à leurs propres données de consommation demeure insatisfaisant, des écarts de comptabilisation très significatifs étant fréquemment observés entre les données locales, quand elles existent, et les données fournies par l'État (outils MonDiagArtif et Observatoire de l'artificialisation).

ð De manière plus générale, de nombreux élus ont fait part aux membres du groupe de suivi de l'absence regrettable de dialogue avec les services de l'État. En dépit de la circulaire du 31 janvier 2024, plus de 80 % d'entre eux ne constatent aucune inflexion concrète sur le terrain, et plus de 90 % ne connaissent pas le référent « ZAN » nommé par l'État dans leur département12(*).

Le groupe de suivi déplore également les cas de zèle manifestement excessif des services de l'État qui lui ont été rapportés, dans l'évaluation du rapport de compatibilité entre les plans locaux d'urbanisme (PLU(i)) et les schémas de cohérence territoriale (SCoT), sur le fondement d'une prise en compte anticipée des objectifs « ZAN », en minorant exagérément les prévisions de croissance démographique et en déconsidérant les efforts des collectivités pour attirer activités et nouveaux habitants. Une telle attitude est extrêmement décourageante pour les élus, confrontés à des injonctions contradictoires : faire vivre leurs territoires et cesser toute artificialisation au motif de leur dynamisme insuffisant lors de la décennie passée.

Un approfondissement du dialogue est absolument nécessaire pour assurer l'acceptabilité de la politique de réduction de l'artificialisation des sols, non seulement auprès des élus, mais aussi auprès du grand public : il est essentiel que les élus comme l'administration soient en mesure d'expliquer cette politique, faute de quoi le « ZAN » pourrait conduire à une crise analogue à celle des « gilets jaunes ».

ð Le groupe de suivi appelle les pouvoirs publics à mettre fin au manque persistant d'appréhension et de compréhension par les services de l'État des réalités locales, ainsi qu'au déficit d'anticipation des besoins des territoires. Les services de l'État ne semblent raisonner que par projection des dynamiques démographiques et économiques passées, sans prendre en compte les recompositions territoriales à l'oeuvre, à différentes échelles, ni anticiper les effets de politiques d'attractivité volontaristes tant au niveau national (efforts en faveur de la réindustrialisation par exemple) qu'au niveau local. Ce phénomène est aggravé par le fait que, dans plusieurs territoires, les élus interrogés ont fait état d'une « distribution » des enveloppes d'artificialisation aux collectivités locales par les services déconcentrés de l'État, en flagrante contradiction avec le processus de territorialisation en cours au niveau régional.

À l'échelle nationale également, l'État refuse de jouer son rôle d'aménageur et de stratège en participant à l'effort de rééquilibrage du territoire national, alors qu'une mise en oeuvre raisonnée des objectifs de protection des sols pourrait devenir un atout pour de nombreux territoires en déprise, peu attractifs ou riches en friches.

ð Enfin, malgré le travail d'accompagnement de qualité effectué par les différents opérateurs de l'État (Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Cerema, Banque des territoires...), le soutien en ingénierie fourni n'est pas à la hauteur des enjeux, obligeant trop souvent les collectivités à recourir à de coûteux services de conseil privés. L'ANCT, dont la vocation est précisément d'accompagner les collectivités dépourvues d'ingénierie, n'a manifestement pas les moyens humains et financiers pour se mettre au service de l'ensemble des collectivités, qui tirent pourtant les plus grands bénéfices de l'appui de ses services.

II. LA FEUILLE DE ROUTE : SOUTENIR VÉRITABLEMENT LES COLLECTIVITÉS FACE À L'IMMINENCE DE L'ÉCHÉANCE 2031, RENDRE COMPATIBLE LA STRATÉGIE DE RÉDUCTION DE L'ARTIFICIALISATION AVEC LES GRANDS DÉFIS ÉCOLOGIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

Quoique critique vis-à-vis de la politique de réduction de l'artificialisation des sols telle qu'initiée et promue par le Gouvernement, le groupe de suivi relève également un profond besoin de stabilité normative à long terme, tant de la part des élus que des professionnels de l'aménagement et des acteurs économiques, qui ont déjà consenti des efforts considérables pour répondre aux nombreuses prescriptions de la loi Climat-résilience.

En conséquence, il propose une action en deux temps, visant :

- pour la période 2021-2031, à renforcer l'accompagnement des collectivités en financement et en ingénierie et à opérer des modifications ciblées pour répondre aux grandes priorités nationales ;

- pour la période postérieure à 2031, à dessiner une trajectoire de réduction de l'artificialisation et des modalités de mise en oeuvre soutenables, élaborées depuis les territoires (approche « bottom-up »).

A. POUR 2021-2031 : OUTILLER LES COLLECTIVITÉS POUR LUTTER CONTRE L'ARTIFICIALISATION TOUT EN RÉPONDANT À L'URGENCE DE LA CRISE DU LOGEMENT ET DE LA RÉINDUSTRIALISATION (T4 2024)

1. Engager l'État et ses opérateurs à passer des incantations aux actes

Le nouveau contexte politique et social actuel, depuis les élections législatives anticipées, démontre un profond sentiment d'abandon chez nombre de nos concitoyens, le groupe de suivi invite, plus que jamais, les services de l'État à mettre en accord leurs actes avec les paroles, en :

- garantissant une véritable souplesse dans la mise en oeuvre des politiques de lutte contre l'artificialisation, notamment par le biais d'une application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l'enveloppe d'artificialisation mentionnée dans la circulaire ministérielle du 31 janvier 2024, lors du contrôle de légalité des documents d'urbanisme13(*).

L'ensemble des maires et présidents d'EPCI devront être informés officiellement de cette possibilité et de son opposabilité aux services préfectoraux ;

- invitant les services déconcentrés en charge de l'urbanisme et de l'aménagement à compléter leurs actions de formation à destination des élus par un accompagnement sur mesure sur le terrain, qui prenne en compte les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés les élus et aménageurs.

Cela pourrait par exemple prendre la forme d'un guichet unique auquel pourraient s'adresser les élus pour obtenir, dans un délai raisonnable, des informations précises et circonstanciées permettant d'éclairer les problèmes touchant à l'artificialisation des sols auxquels ils sont confrontés à l'occasion de la modification de leur document d'urbanisme, mais aussi de toute opération d'aménagement. Les « référents ZAN » nommés au sein des préfectures pourraient devenir, par une meilleure identification, les points de contact privilégiés pour bénéficier de ce service d'accompagnement dédié. Le recensement des questions les plus courantes et la mise à disposition de « foires aux questions » (FAQ) librement accessibles ne sauraient en effet suffire. La charge de la complexité ne saurait reposer uniquement sur les élus locaux : l'État doit prendre la part qui lui revient au titre des stratégies qu'il élabore et défend. Le groupe de suivi estime aussi qu'afin d'éviter le risque d'interprétations divergentes, une « FAQ » unique devrait être élaborée au niveau national, pour former une doctrine harmonisée sur la mise en oeuvre des textes législatifs et réglementaires en vigueur.

2. Réduire le coût de la sobriété foncière

Depuis l'examen de la loi Climat-résilience d'août 2021, le Sénat fait le constat de l'absence persistante de réflexion sur le financement de la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols et sur les effets pervers de la fiscalité locale, par essence artificialisante. Alors que la mobilisation des friches et la requalification des bâtiments existants et, de manière plus générale, la densification, conduisent à des coûts de construction supérieurs aux projets reposant sur de l'artificialisation nouvelle, aucune étude fiable ne permet actuellement de quantifier ces surcoûts ni, a fortiori, d'élaborer les mécanismes idoines d'incitation à la réduction de l'artificialisation pour l'ensemble des parties prenantes (collectivités, aménageurs, particuliers...). Or, pour ne pas inciter les collectivités territoriales à la consommation de nouveaux espaces, il faut impérativement que le coût d'artificialisation d'un sol naturel soit plus élevé que le coût de recyclage d'un sol déjà « artificialisé », ce qui est très loin d'être le cas actuellement.

Prenant acte de ce paradoxe, la commission des finances du Sénat a lancé une mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », dont les conclusions seront publiées dans les prochaines semaines et pourraient être traduites dans le prochain projet de loi de finances. Le groupe de suivi s'appuiera naturellement sur ces initiatives pour neutraliser les puissants effets pervers de la fiscalité locale.

3. Lever temporairement et de manière ciblée la contrainte « ZAN » pour faire face à l'urgence de la crise du logement et de la crise climatique

Au printemps 2024, le groupe de suivi a proposé dans les textes en discussion au Sénat14(*) des modifications ciblées de la réglementation relative à l'artificialisation des sols, visant à éviter que cette dernière n'entre en contradiction avec d'autres politiques publiques stratégiques, telles que celles relatives à la transition écologique, à la réindustrialisation ou à l'accès au logement.

Il s'agissait, d'une part, d'exempter du décompte de l'artificialisation, jusqu'en 2031, l'emprise foncière de l'ensemble des implantations industrielles, afin d'accompagner le mouvement de relocalisation et de reconquête de la souveraineté industrielle. Cette mesure aurait d'ailleurs principalement bénéficié aux activités industrielles « vertes », contribuant à l'atteinte de nos objectifs climatiques, compte tenu du ciblage sur ces industries des autres mécanismes d'attractivité mis en oeuvre au niveau national. Cet ajustement est d'autant moins préjudiciable à l'atteinte de l'objectif final d'absence d'artificialisation à l'horizon 2050 que les implantations industrielles ne représentent qu'une part marginale des surfaces nouvellement artificialisées (4 %).

D'autre part, le groupe de suivi a proposé d'exclure temporairement (jusqu'en 2031) du décompte de l'artificialisation des sols, sous certaines conditions, les constructions nouvelles de logements sociaux, pour les communes faisant face à la rareté du foncier.

Sans certitude, à ce stade, quant à la reprise de ces textes par le nouveau Gouvernement, le groupe de suivi plaide donc pour que ces mesures soient réintroduites dans le prochain véhicule législatif pertinent, et formulera des propositions en ce sens.

B. POUR L'APRÈS-2031 : RENDRE LA STRATÉGIE DE LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION COMPATIBLE AVEC LES ENJEUX CLIMATIQUES, SOCIÉTAUX ET DE SOUVERAINETÉ (T1 2025)

1. Les évolutions nécessaires dont le calibrage doit être affiné

· Le mode de comptabilisation de l'artificialisation (Enaf/artificialisation réelle)

Avant la loi Climat-résilience d'août 2021, c'était la consommation d'Enaf qui faisait office d'indicateur de mesure de l'artificialisation des sols. Le Gouvernement considérant cette définition imparfaite15(*), l'article 192 de la loi Climat-résilience a créé une définition légale de l'artificialisation des sols, désormais entendue comme « l'altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d'un sol [...] ainsi que de son potentiel agronomique » (la comptabilisation en Enaf étant néanmoins conservée, à titre transitoire, pour la décennie 2021-2031). Sur cette base, le caractère artificialisé ou non d'un sol pourra être déterminé automatiquement grâce à l'intelligence artificielle, à partir de la base de données de description de l'occupation du sol OCS GE, développée par le ministère de la transition écologique et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN). Cet outil devrait être opérationnel pour tout le territoire à compter de 2025.

Pour le groupe de suivi, cette approche soulève plusieurs difficultés majeures.

Premièrement, le changement de mode de comptabilisation de l'artificialisation génère de graves incertitudes parmi les élus, en particulier pour l'élaboration des nouveaux documents d'urbanisme - ce problème a été relevé par plus de 80 % des répondants à la consultation en ligne organisée par le groupe de suivi -, qui devront prendre en compte deux métriques dont le suivi ne conduit pas aux mêmes résultats en termes d'artificialisation.

Deuxièmement, la comptabilisation en artificialisation réelle ne permet pas aux collectivités de piloter l'artificialisation et de suivre en temps réel son avancée sur leur territoire : alors qu'il est relativement aisé d'additionner ou soustraire des surfaces de parcelles (classées nominalement en Enaf ou non Enaf), le calcul de l'artificialisation au réel nécessiterait des mesures sur le terrain ou des retraitements complexes d'images aériennes ou satellitaires loin d'être à la portée d'une commune ne disposant pas d'expertise en système d'information géographique. Cette complexité est accrue par les seuils d'observations de l'artificialisation fixés par le décret « Nomenclature » de novembre 2023, qui oblige à ne prendre en compte que les bâtiments de 50 m² ou plus et, pour les autres types de surfaces, les ensembles contigus de 2 500 m² ou plus.

La notion de contiguïté implique d'ailleurs que, contrairement à l'objectif de simplification et de clarification initialement affiché par le Gouvernement16(*), au moment de l'examen de la loi Climat-résilience, une même opération artificialisante ou désartificialisante située en-deçà de ces seuils peut être comptabilisée ou non comme de l'artificialisation ou de la désartificialisation, selon la nature des surfaces voisines. Contrairement aux arguments défendus par le ministère de la transition écologique, l'outil OCS GE ne mesure en aucun cas l'artificialisation réelle, mais une approximation jugée acceptable, sur la base de conventions préétablies, tout comme le fait la comptabilisation de la consommation d'Enaf.

Troisièmement, le maintien de la comptabilisation en Enaf aurait l'avantage - comme c'est du reste le cas actuellement - de ne pas comptabiliser l'artificialisation des bâtiments agricoles (la présence, le projet de création ou la création de bâtiments agricoles sur une parcelle n'affectant pas sa qualité d'Enaf), levant ainsi le risque de leur voir préférer l'utilisation du foncier pour la construction de logements ou d'autres activités économiques, fiscalement plus rémunératrices ou mieux acceptées par les riverains. En effet, la lutte contre l'artificialisation des sols n'a de sens que si elle permet le maintien effectif d'activités agricoles sur les terrains préservés et assure la souveraineté agricole de notre pays.

Le maintien de la comptabilisation en Enaf au-delà de 2031 devra toutefois être assorti d'un minutieux travail de correction des écarts observés entre les fichiers fonciers locaux et les données fiscales à partir desquelles sont élaborées les bases du Cerema. La quasi-totalité des élus locaux interrogés ont en effet fait état d'importantes divergences.

Les critères de territorialisation précisés dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales sont diversement mis en oeuvre, l'ultime recours, pour les collectivités s'estimant lésées, demeurant le contentieux, procédure lourde, coûteuse et incertaine.

Le groupe de suivi entend donc centrer sa réflexion, dans les prochains mois, sur la manière :

- de mieux prendre en compte les spécificités des territoires à besoins et contraintes particuliers, notamment les territoires ruraux, de montagne ou littoraux, ou soumis à des risques naturels, ou bien dans lesquels la protection de tout ou partie du bâti au titre du code du patrimoine limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation. Il pourrait notamment être envisagé d'inclure dans la loi des mécanismes de surcote de droit, sur le modèle de la garantie de développement communal. Ce mécanisme de surcote pourrait notamment valoriser les projets contribuant au rééquilibrage ou au désenclavement territorial, à différentes échelles. Le cas échéant, le calibrage de ces mécanismes devra soigneusement éviter tout effet de bord préjudiciable à leur mise en oeuvre et à leur acceptabilité par les autres collectivités ;

- d'introduire des nouveaux critères de territorialisation ou des modalités d'application différenciée des objectifs de réduction de l'artificialisation, qui pourraient tenir compte par exemple des différentiels de densité ou des dynamiques de peuplement et d'activité sur la période très récente, ainsi que de besoins dûment justifiés par les territoires, notamment en termes de logement.

Pour l'heure, le groupe de suivi estime que la seule manière de prendre réellement en compte les besoins des territoires serait de substituer à la logique de mise en oeuvre centralisatrice et surplombante actuellement à l'oeuvre une démarche ascendante, en invitant chaque collectivité à planifier son développement territorial « sous contrainte ZAN » en justifiant les besoins en foncier nécessaires à son développement et son dynamisme, sans enveloppe limitative préétablie. Il s'agirait donc, ainsi que le propose l'AMF dans son étude, de procéder par évaluation préalable des capacités des communes et intercommunalités de contribuer à l'atteinte d'un objectif national, compte tenu de leurs contraintes propres17(*). Afin d'éviter une dévastatrice « guerre du ZAN » préjudiciable à la cohérence territoriale, une condition importante serait qu'une consommation significative d'espace, si elle est dûment justifiée, ne pénalise pas la collectivité voisine en grevant sa propre enveloppe d'artificialisation, comme c'est pourtant le cas actuellement.

Plus ponctuellement, le groupe de suivi se penchera sur les modalités de mutualisation de la garantie de développement communal, pour laquelle des cas de blocage ont été identifiés. Il pourrait s'agir d'assouplissement ponctuel, à la discrétion des maires des communes bénéficiaires, sans remettre aucunement en cause le principe même de la garantie.

Le groupe de suivi abordera également la question du développement et du renforcement des outils d'aménagement et de l'ingénierie en faveur de la sobriété foncière. S'il apparaît de prime abord que l'enjeu est davantage l'appropriation par les élus et les professionnels de l'aménagement et de la construction des outils existants, le groupe de suivi approfondira sa réflexion quant à l'élaboration de nouveaux outils - étant entendu que certains d'entre eux, comme l'appropriation des biens sans maître et des biens en état d'abandon, réclamée de longue date et de manière récurrente par les élus, se heurtent à l'obstacle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires.

2. Des pistes de réforme plus structurantes à expertiser

· Le calendrier de modification des documents d'urbanisme

La loi du 20 juillet 2023 a permis d'allonger de neuf mois le délai de modification des Sraddet, désormais fixé à novembre 2024. Ce report était indispensable pour permettre aux régions de prendre en compte les différents facteurs de territorialisation et appliquer les dégrèvements.

Cette loi a également allongé de six mois le délai de modification des documents d'urbanisme pour y intégrer les objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi Climat-résilience, à février 2027 pour les SCoT et février 2028 pour les PLU(i).

Selon l'étude menée par la FedeSCoT précitée, seulement 40 % des SCoT et 27 % des PLU(i) sont en cours de révision, anticipant sur la territorialisation des enveloppes d'artificialisation effectuée dans les documents de rang supérieur - même si selon un récent sondage réalisé par l'AMF, 60 % auraient déjà au moins entamé les travaux préparatoires, sans attendre la publication des documents modifiés18(*).

Face à l'inquiétude des élus à l'approche de la date butoir de modification des documents d'urbanisme - renforcée par les réductions d'enveloppes causées arithmétiquement par le mécanisme des PENE et des parts régionales réservées - il convient de s'interroger désormais sur l'opportunité de repousser :

- à nouveau le calendrier de modification des documents d'urbanisme pour y inclure les objectifs de réduction de l'artificialisation ;

- ou la période de référence pour l'atteinte des objectifs de réduction de l'artificialisation.

Si le sursis à statuer et le droit de préemption « ZAN » introduits par la loi du 20 juillet 2023 ont donné aux élus des outils pour endiguer la « ruée » vers une artificialisation d'aubaine, avant la modification des documents d'urbanisme, le fait que cette dernière interviendra alors qu'il ne subsistera plus que le tiers de la période laissée aux collectivités pour atteindre leurs objectifs décennaux de réduction de l'artificialisation soulève une interrogation : les collectivités dont les documents d'urbanisme n'étaient pas calibrés avant 2021 pour réduire drastiquement l'artificialisation pourront ainsi, malgré elles, se retrouver en situation de dépasser leur enveloppe et d'être pénalisées, alors même qu'elles auraient, dans les faits, très peu artificialisé sur la période 2011-2021.

Pour éviter cet écueil, le groupe de suivi pourrait ainsi recommander de décaler la période de référence, dont la temporalité reste à affiner, afin que les collectivités puissent anticiper et programmer la réduction de l'artificialisation et élaborer des projets d'aménagement pertinents de ce point de vue, traduits dans leurs documents d'urbanisme, les Enaf n'étant plus simplement considérés comme des espaces libres à construire.

Des dispositions transitoires devraient le cas échéant être prévues afin d'éviter un phénomène de « ruée vers l'artificialisation », avant l'entrée en vigueur de règles plus strictes.

· Les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE)

La première liste des PENE, publiée le 9 juin 2024, représente plus de 11 870 hectares, sur les 12 500 hectares disponibles pour le territoire national sur la période 2021-2031. Si l'ensemble de cette surface n'a pas vocation à être artificialisée dans l'année à venir, il demeure probable que ce forfait sera dépassé avant 2031.

Cette enveloppe non limitative apparaît donc largement une fiction. Dès lors, ne serait-il pas plus pertinent et plus transparent de s'interroger à nouveau sur la pertinence d'une exclusion totale du décompte de l'artificialisation des grands projets structurants, d'envergure nationale ou européenne, a fortiori ceux dont la réalisation revêt un caractère d'urgence ? À l'heure où la nécessité de simplifier les procédures est unanimement identifiée comme une attente forte des Français, il devient difficilement défendable que la question de l'artificialisation puisse retarder l'installation d'entreprises, mais aussi d'infrastructures stratégiques ou de services publics : il n'est pas admissible, par exemple, que la construction d'un hôpital, ou même la détermination de sa localisation, soit dépendante au premier chef des enveloppes foncières artificiellement limitées par la loi Climat-résilience d'août 2021.

En outre, le principe même du double filtre de l'éligibilité des projets par rapport à une liste fixée dans la loi, et de l'inscription de chaque projet individuellement sur un arrêté ministériel, est source de complexité, d'allongement des délais et d'insécurité juridique, pour les collectivités comme pour les porteurs de projets et rassemble tous les ingrédients d'une compétition malsaine entre les territoires quant à leur capacité à défendre leur cause auprès des administrations centrales. Une simplification de ce mécanisme doit être envisagée.

· Le « ZAN », un leurre ?

Plus fondamentalement, le groupe de suivi entend s'interroger sur les objectifs et la trajectoire pour la période postérieure à 2031. La loi Climat-résilience pose en effet un objectif extrêmement ambitieux de « zéro artificialisation nette » à l'horizon 2050, mais sans déterminer de trajectoire de réduction de l'artificialisation après 2031. En instaurant une trajectoire trentenaire mal calibrée et impossible à tenir à fiscalité constante, cette mesure défendue par la Convention citoyenne pour le climat, qui a rendu ses travaux en juin 2020 constitue en réalité un « cadeau empoisonné » pour le législateur, les élus locaux et l'ensemble des acteurs de l'urbanisme.

S'agissant de la nécessité de prendre en compte la qualité des sols, le « ZAN » semble n'être en réalité qu'un sigle vide de sens, impropre à protéger réellement nos sols, et notamment leurs qualités agronomiques et écologiques : si tel est réellement l'objectif, son aboutissement devrait en réalité, compte tenu du temps nécessaire à la régénération des sols, être le « zéro artificialisation brute ». Formulées ainsi, la démesure et l'incongruité de l'objectif apparaissent clairement.

Dès lors, comment concilier sobriété foncière, développement territorial, protection des sols, préservation de la biodiversité et des activités agricoles ? Le groupe de suivi estime qu'il ne pourra pas faire l'économie de cette question : le vote de l'article 191 de la loi Climat-résilience n'a-t-il pas cruellement manqué de concertation avec les élus locaux ? Ne faudrait-il pas, plutôt qu'un objectif chiffré à la fois contraignant et illusoire, réaffirmer un objectif général de sobriété foncière ambitieux mais moins coercitif, et orienter en ce sens les choix d'aménagement du territoire et d'urbanisme, grâce à des outils financiers, fiscaux et juridiques permettant d'atteindre cet objectif sans sacrifier les autres priorités de l'action publique locale ?

Les travaux du groupe de suivi se poursuivront à l'automne 2024 et se matérialiseront par des propositions de nature législative au premier semestre 2025.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 octobre 2024, la commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances ont examiné conjointement le rapport d'information de M. Jean-Baptiste Blanc sur le suivi de la mise en oeuvre de la stratégie de réduction de l'artificialisation, issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, les commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des finances sont réunies aujourd'hui - et je remercie respectivement le président Longeot et le président Raynal de leur présence - pour examiner le rapport d'information établi par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, avec Guislain Cambier, sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de réduction du rythme de l'artificialisation des sols fixés dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience ».

Ce rapport est issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, créé en février dernier. Ce groupe de suivi, commun à nos trois commissions, est présidé par Guislain Cambier ; son rapporteur est Jean-Baptiste Blanc.

Je remercie nos deux collègues d'avoir pris à bras-le-corps ce sujet hautement inflammable. Nous n'avons de cesse de l'évoquer au sein de notre commission : que l'on aborde la crise du logement ou les freins à la réindustrialisation, la pénurie de foncier est toujours citée parmi les facteurs bloquants - même si, je dois le dire, le « ZAN » (« zéro artificialisation nette ») a parfois bon dos.

La mise en oeuvre rigide des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi « Climat et résilience » a aggravé cette situation ; les souplesses introduites, sur l'initiative du Sénat, par la loi du 20 juillet 2023, n'ont pas réglé tous les problèmes. Aussi, l'acronyme « ZAN » est aujourd'hui devenu un repoussoir pour bon nombre d'élus locaux, mais également pour les acteurs de l'aménagement et de la construction et, plus largement, pour les acteurs du monde économique. Tel est le constat dressé dans ce rapport.

De surcroît, le rapport présente un bilan raisonné des difficultés et blocages que posent le cadre législatif et réglementaire en vigueur et son application par les services de l'État.

Il liste également, sans tabou, les pistes d'évolution pour redessiner la route vers une sobriété foncière soutenable pour tous ; certaines sont techniques, d'autres sont plus structurantes. Je laisserai au président Guislain Cambier et au rapporteur Jean-Baptiste Blanc le soin de vous les présenter.

Nous avons tous accueilli avec soulagement la volonté du Premier ministre Michel Barnier, exprimée dans sa déclaration de politique générale, d'assouplir le « ZAN » - un peu de bon sens, enfin ! Il est certain que la vigilance constante du Sénat, qui n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme, n'y est pas pour rien. Nous espérons pouvoir entamer maintenant une phase de dialogue réellement constructif avec le Gouvernement, auquel, je n'en doute pas le groupe de suivi aura toute sa part, dans la lignée de ce rapport.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - À l'été 2021, l'ambitieux édifice législatif de la loi « Climat et résilience » a fait entrer la sobriété foncière dans une nouvelle dimension. Le législateur a posé les jalons d'une trajectoire inédite de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, en deux temps : d'abord, un effort de réduction de moitié des consommations des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) à l'échelle nationale pour la première décennie ; ensuite, l'absence d'artificialisation nette d'ici à 2050, à un rythme et selon des modalités que le législateur aura à définir ultérieurement.

Depuis lors, le compteur a commencé à tourner et les élus locaux ont essuyé les plâtres du « ZAN », bien que l'objectif de sobriété foncière soit unanimement partagé. Les collectivités ont dû se mettre en ordre de marche pour appliquer une stratégie arithmétique, aveugle aux spécificités et aux dynamiques territoriales, aux efforts passés et à la qualité des sols. L'État ne s'est donné ni la peine ni les moyens d'en faire un laboratoire d'expérimentation de la transition écologique. Au reste, comment pouvait-on espérer que cette stratégie, mal expliquée, soit bien comprise ? Sans outils juridiques et fiscaux spécifiques, la gestion économe de l'espace « façon ZAN », si je puis dire, pénalise les finances locales et porte en elle le germe d'un aménagement du territoire déséquilibré et en décalage avec les besoins des territoires.

Le Sénat a tenté d'apporter de la souplesse et des correctifs au travers de la loi du 20 juillet 2023, dont il est à l'initiative, sans pour autant parvenir à apaiser toutes les craintes et à tracer un chemin partagé vers la sobriété foncière. En raison des incertitudes et des incompréhensions qu'il suscite, le « ZAN » est devenu le nouveau symbole du centralisme et des politiques décidées à Paris, sans écouter les territoires qui doivent les mettre en oeuvre.

Dans ce contexte plus que délicat, le groupe de suivi a échangé avec les acteurs qui « font le ZAN », pour recenser les difficultés persistantes, identifier les besoins et les attentes des élus locaux et cartographier les blocages normatifs. Les évolutions qu'ils vous présenteront ont été élaborées sans tabou ni volonté de faire table rase ; elles sont inspirées, je le sais, de la volonté d'engager les acteurs sur la voie étroite qui permettra de réussir le « ZAN ».

Je tiens à les féliciter, car la tâche est loin d'être aisée. Nous sommes en effet à un moment charnière : alors que les défis écologiques sont de plus en plus prégnants, la tentation de défaire les normes environnementales n'a jamais été aussi forte. Mme la présidente Estrosi Sassone l'a rappelé, le Premier ministre s'est dit prêt, lors de sa déclaration de politique générale, à « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ZAN » : pour y parvenir, il trouvera au Sénat une boîte à idées, des bonnes volontés et surtout des solutions construites avec les territoires !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Notre commission des finances suit la question de l'objectif de zéro artificialisation nette depuis plusieurs années, au travers de l'engagement de notre rapporteur spécial des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme, Jean-Baptiste Blanc.

Comme tous les parlementaires, dans nos territoires, nous sommes interrogés sur le « ZAN ». Le sujet revient régulièrement dans nos débats ; pourtant, le Gouvernement n'a, jusqu'à présent, rien proposé de concret dans les projets de loi de finances successifs en matière de financement de la réduction de l'artificialisation.

C'est pourquoi nous avons demandé, dès 2022, au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de réaliser une enquête sur la fiscalité locale dans la perspective du « ZAN », à la suite d'un premier rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc relatif aux outils financiers mobilisables pour atteindre cet objectif. Le rapport du CPO a notamment recommandé d'étendre les conditions d'application de la taxe sur les logements vacants, ce qui a été fait dans la loi de finances pour 2023.

Ce travail se poursuit cette année au travers de la mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », pilotée par Jean-Baptiste Blanc et Hervé Maurey.

Les travaux de nos différentes commissions doivent bien sûr être coordonnés, c'est pourquoi il est important que soient présentées aujourd'hui les conclusions du groupe de suivi réunissant nos trois commissions, qui précèdent nécessairement celles qui sont relatives au financement du « ZAN ».

C'est toutefois un travail au long cours, voire, si j'ose dire, une démarche itérative : le Premier ministre a annoncé un assouplissement du « ZAN » dans sa déclaration de politique générale, mais dans le même temps la situation financière de la France est particulièrement dégradée, si bien que le nouveau gouvernement prévoit d'exercer une pression forte sur les dépenses de l'État et sur celles des collectivités territoriales.

Nous en saurons plus demain soir avec la publication du projet de loi de finances, mais je ne vous cache pas que l'équation économique du « ZAN » risque d'être difficile à établir. Aussi est-il probable que nous devions, plusieurs fois encore, sur le métier, remettre l'ouvrage...

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols. - Sans revenir sur sa genèse, je rappelle, à la suite de Mme la présidente Estrosi Sassone, que le Sénat a décidé, au début de l'année 2024, d'instituer un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, sous l'égide de la commission des affaires économiques, de celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et de celle des finances. C'est un honneur d'en être le président et de travailler aux côtés de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, dont je salue la constante implication sur ce sujet.

Lorsque ce groupe de suivi a commencé ses travaux en février 2024, le cadre législatif et réglementaire nous semblait stabilisé, surtout après l'adoption de la loi d'initiative sénatoriale du 20 juillet 2023 ; nous pensions qu'il nous faudrait surtout veiller à sa bonne compréhension par les collectivités et à sa mise en application pragmatique et bienveillante par les services déconcentrés de l'État.

Cependant, le rapport que nous vous présentons aujourd'hui dément cette intuition de départ et constate, au contraire, la persistance de blocages qui ne sont pas solubles dans le droit en vigueur. Au fur et à mesure que les territoires modifient les documents de planification et d'urbanisme et entament les concertations pour répartir les enveloppes foncières, la complexité de la démarche révèle de nouvelles difficultés et met au jour des particularités ou des spécificités locales qui se heurtent à une stratégie rigide, comptable et, il faut bien le dire, désespérante pour les territoires.

En effet, malgré les adaptations et assouplissements permis par la loi du 20 juillet 2023, dite « ZAN 2 », nous constatons tous, dans nos territoires, que persistent les difficultés liées à la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi « Climat et résilience ». La territorialisation des enveloppes foncières s'avère dans la pratique très délicate à mettre en oeuvre : tous les territoires ne font pas face aux mêmes dynamiques démographiques et économiques et n'ont pas les mêmes préférences et priorités de développement local. La logique arithmétique et descendante qui a présidé à la fixation des enveloppes menace de gripper les perspectives de certains territoires, notamment ruraux. L'inquiétude continue de sourdre chez les élus locaux, dont certains découvrent avec effarement les réelles et nombreuses implications du « ZAN » dans leur territoire.

Pour élaborer ce rapport, nous avons entendu plus de soixante-dix acteurs du « ZAN » : élus locaux, représentants de l'État et de ses opérateurs, mais aussi acteurs économiques et associatifs, urbanistes, universitaires, etc. Nous avons aussi mené, le rapporteur et moi-même, de nombreux entretiens dans un format resserré, notamment à l'occasion de nos déplacements sur le terrain. Nous avons reçu de nombreuses contributions écrites ; nous avons également adressé un questionnaire aux associations d'élus, qui l'ont relayé auprès de leurs adhérents ; nous avons enfin pu tirer profit des réponses de plus de 1 400 élus locaux à la consultation en ligne organisée sur le site du Sénat.

Au moment de ce premier point d'étape, je voudrais remercier les membres du groupe de suivi de leur esprit constructif et de leur volonté, au-delà des logiques partisanes, d'apporter des solutions pragmatiques et de l'espoir à nos élus et à nos concitoyens. Je tiens bien sûr à adresser mes remerciements aux trois présidents de commission, qui ont pris le temps d'échanger avec nous sur le sujet : leur constante vigilance nous est précieuse, car elle conforte la légitimité de nos travaux.

Je ne m'appesantirai pas sur les constats, nous les connaissons tous : nous avons veillé à les objectiver dans notre rapport sous la forme d'une « cartographie des récifs, des écueils et des bancs de sable ». Je rappellerai simplement que, depuis le début, le ver est dans le fruit : les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols de la loi « Climat et résilience » ont été fixés de façon arithmétique et statique, sans aucune prise en compte des réalités territoriales et des dynamiques locales. D'une part, le rythme de réduction de moitié en une décennie a été fixé au doigt mouillé, sans véritable étude d'impact, ce qui est d'autant plus grave qu'aucune autre stratégie nationale à mettre en oeuvre par les territoires n'a jamais défini un effort aussi significatif en un laps de temps aussi court. D'autre part, déterminer une enveloppe globale d'artificialisation uniquement par référence aux dynamiques passées ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par des changements de circonstances et de nouveaux besoins, comme le développement des infrastructures nécessaires à la transition écologique ou la réindustrialisation.

Cette démarche fait également fi du volontarisme d'élus qui, même si leur territoire était, hier, peu dynamique, se démènent pour implanter une usine ou attirer de nouveaux habitants ; dit autrement, le « ZAN » prolonge pour l'avenir les trajectoires du passé, dans une logique résolument fataliste. Les collectivités vertueuses sont pénalisées et leurs perspectives de développement sont à présent bloquées - c'est un malus pour celles qui ont « fait le ZAN » avant l'heure ; nous ne pouvons pas nous y résoudre !

Pendant ce temps, l'État a choisi la facilité : il a troqué son rôle de stratège et d'aménageur - véritable abdication - contre un rôle de comptable et de courtier. Quand nous voulons parler projets de territoires à toutes les échelles, le ministre et les préfets, eux, sortent leurs calculatrices et leurs tableurs Excel et nous répondent en pourcentages. Comment s'étonner, dès lors, de l'incompréhension et des appréhensions des élus ? Du reste, nos concitoyens commencent également à se rendre compte des implications très concrètes du « ZAN » sur le prix des logements, sur l'attractivité et l'activité économiques, sur leur cadre de vie... Et ce sont les territoires de la France dite périphérique, ceux qui ont déjà - et encore récemment - manifesté le plus leur défiance à l'égard de l'action politique - lors de la crise des gilets jaunes, mais aussi dans les urnes -, qui seront les plus affectés ! Si nous voulons éviter que le « ZAN » ne devienne le ferment de nouvelles contestations, il est de notre devoir d'entendre et de prendre au sérieux ces mécontentements pour y apporter des remèdes... Il nous faut rendre possible cet objectif !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Face aux constats étayés qui viennent d'être présentés et qui synthétisent fidèlement les auditions et les échanges que nous avons menés, nous proposons une action en deux temps.

En ce qui concerne la période avant 2031 d'abord, pour laquelle un objectif est inscrit dans la loi, le « - 50 % », nous avons identifié trois leviers d'intervention.

Le premier consiste à mettre la pression sur l'État pour une application non pas homogène, mais cohérente de la réforme dans les territoires, avec des instructions claires fixées aux services déconcentrés afin que l'on ne dise pas une chose à l'un et son contraire à l'autre, et que toutes les collectivités soient traitées avec équité. Nous demandons, en particulier, que les instructions pour davantage de souplesse qui ont été données par l'ancien ministre Béchu dans la circulaire du 31 janvier 2024 soient systématiquement appliquées, avec la marge des 20 % de dépassement autorisé, sans nécessiter de justification spécifique lors du contrôle de légalité des nouveaux documents d'urbanisme. Cela n'appelle pas de modification législative.

Le deuxième levier, ayant vocation à être actionné pendant cette première période et également pour la suite, est celui du coût de la sobriété foncière et de l'instauration de mécanismes d'incitation à la réduction de l'artificialisation. La mission d'information de la commission des finances, dont Hervé Maurey et moi-même sommes les rapporteurs, rendra ses conclusions prochainement.

Le troisième levier consiste à prévoir des modifications ciblées de la réglementation afin de donner de l'air aux collectivités et leur permettre de gérer les injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises.

Sur ce point, le projet de loi de simplification de la vie économique va finalement poursuivre son chemin législatif. L'amendement exemptant l'industrie du décompte du « ZAN », que nous avions fait adopter en juin, pourrait donc - je l'espère - prospérer : c'est essentiel, car réindustrialiser sans foncier est une équation impossible à résoudre.

L'avenir de la loi logement est plus incertain ; il nous faudra trouver un moyen de réintroduire l'exception « ZAN » pour les communes en déficit de logement social. Face à l'urgence de la crise du logement, il faudra d'ailleurs sans doute réfléchir à des assouplissements plus globaux. Le Gouvernement semble disposé à avancer sur le sujet, ce dont je me réjouis : nous participerons naturellement à la réflexion commune.

En ce qui concerne le long terme maintenant, pour la période après 2031, nous avons deux niveaux de réflexion.

Le premier est d'ordre technique : il s'agit, sans toucher à l'objectif final, de faciliter l'application de la stratégie de réduction de l'artificialisation à moyen terme. Pour cela, nous avons là aussi identifié trois leviers.

Il s'agit, d'abord, des outils d'aménagement et d'ingénierie en faveur de la sobriété foncière, qui devront être encore amplifiés et renforcés à mesure que le « ZAN » montera en puissance.

Il s'agit, ensuite, de l'introduction de nouveaux critères obligatoires de territorialisation, comme les différentiels de densité, les dynamiques de peuplement et d'activité, mais aussi, comme l'a proposé notre collègue Jean-Claude Anglars, la protection du bâti au titre du code du patrimoine, qui limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation du fait des restrictions aux démolitions.

Plus structurellement, nous voulons passer d'une démarche descendante à une logique ascendante : pour mieux prendre en compte l'ensemble de ces critères de territorialisation, il faudra inverser la logique d'attribution des enveloppes foncières, cesser de vouloir faire rentrer les projets des territoires dans une enveloppe déterminée a priori mais, au contraire, partir des besoins des territoires - lesquels devront bien sûr être étayés et justifiés. Pour réussir le « ZAN », nous devons accomplir cette révolution copernicienne.

Il s'agit, enfin, d'une réforme d'aspect technique, mais dont la portée va bien au-delà : nous proposons de conserver, au-delà de 2031, la comptabilisation de l'artificialisation en consommation d'Enaf, un mode de comptabilité avec lequel les élus sont familiers et qui permet, en outre, de ne pas inclure l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles actuels et futurs, ce qui serait en cohérence avec les objectifs de protection des activités agricoles et de souveraineté alimentaire. Dans ce cadre, nous devrons bien sûr réfléchir à des garde-fous pour ne pas voir nos campagnes bétonnées par des mégafermes industrielles.

Notre deuxième niveau de réflexion est sans doute plus disruptif. Jusque-là, le Sénat s'est efforcé d'assouplir le « ZAN » en restant dans le cadre posé par la loi « Climat et résilience ». Nous pensons qu'il faut se demander, sans tabou, si nous avons légiféré, comme le préconisait Portalis, avec « sagesse, justice et raison », si ces mesures, pour utiles qu'elles aient été, n'ont pas été élaborées dans un moment où le législateur s'est « livré à des idées absolues de perfection » et si le cadre élaboré à l'été 2021 n'est pas en train de muer en carcan.

Puisque je viens de convoquer Portalis, je médite sur une maxime qu'il a rédigée : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. [...] S'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. » On croirait ces préceptes inspirés par une critique raisonnée du « ZAN », plus de deux siècles avant sa mise en oeuvre...

Nous avions déjà envisagé, dans la loi « ZAN 2 », de nous extraire - de manière ponctuelle - du cadre rigoureux de la loi « Climat et résilience », en sortant complètement les grands projets de l'enveloppe nationale, mais la mutualisation entre régions avait été le prix à payer pour une commission mixte paritaire conclusive. Les concessions étant le lot des régimes bicaméraux, nous nous sommes rangés à cette solution...

À l'usage, les régions nous disent que ce n'est pas satisfaisant ; cela nourrit un sentiment d'injustice. En outre, cela ne vaut, pour l'instant, que jusqu'en 2031. Or ces grands projets ont besoin de visibilité à plus long terme. Ne faudrait-il pas réinterroger l'idée d'une exclusion totale et définitive de ces projets, en particulier les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE), du décompte « ZAN » ? Est-il souhaitable de continuer avec un État ne disposant pas de compte foncier et dont les projets sont portés par les enveloppes des territoires ? Question rhétorique, mais lourde de sens...

Plus largement, faut-il sortir de l'enveloppe certains projets ou conserver le cap et la trajectoire de la sobriété foncière, mais en ne fixant plus ces enveloppes limitatives qui font le désespoir de certains élus locaux, ce qui constituerait un fort témoignage de confiance aux territoires pour déterminer les projets qui justifient vraiment d'artificialiser ? Nous n'avons pas la réponse, mais la question mérite d'être posée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce matin montre clairement le niveau de préoccupation que ce sujet provoque dans les territoires et chez les élus. Nous ne pouvons que rappeler notre incompréhension devant l'absence de réelle étude d'impact au moment de la présentation du projet de loi « Climat et résilience » : il est essentiel que les choix du législateur soient éclairés par toute l'information dont dispose l'État. D'autres missions et études sont en cours pour compléter le rapport qui vient de nous être présenté ; c'est essentiel tant ce sujet est complexe et ses implications multiples. En fait, aujourd'hui, personne ne s'y retrouve !

M. Christian Redon-Sarrazy. - Ce rapport rejoint le constat que le Sénat fait depuis plusieurs mois : le « ZAN » a été défini comme un objectif arithmétique qui ne prend pas en compte les contextes territoriaux. Nous avons essayé d'assouplir le dispositif avec la loi « ZAN 2 », mais d'autres textes, plus sectoriels - industrie verte, logement... -, ont percuté nos propositions.

Il n'y a aucun dialogue entre l'État et les collectivités : les élus locaux se plaignent d'un État qui n'utilise que sa calculatrice et ne fournit pas un accompagnement suffisant.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause l'objectif de lutte contre l'artificialisation, mais il nous faut proposer des avancées, y compris en termes de fiscalité. La mise en oeuvre de cet objectif doit se faire avec les habitants et les élus, et en cohérence avec les priorités du pays : la réindustrialisation, le logement, la souveraineté agricole... Nous devons avoir en tête la santé des sols, mais nous ne devons pas accentuer les fractures territoriales ou sociales.

Ce rapport doit nous permettre d'ouvrir un dialogue, ce qui est nécessaire. C'est un sujet au long cours pour lequel nous avons besoin d'ingénierie et d'un accompagnement des territoires.

M. Ronan Dantec. - Nous avons finalement deux rapports pour le prix d'un ! Notre mission, au sein du groupe de suivi, était de prendre en compte les réelles difficultés d'application du « ZAN », même après la loi « ZAN 2 », pour mettre cette mesure au service de l'aménagement et du rééquilibrage du territoire et de l'agriculture - la première victime de la consommation de foncier.

Certaines propositions du rapport sont intéressantes, par exemple celle relative à la comptabilisation en Enaf, pour simplifier l'application - je porte cette proposition depuis le début -, mais on sent une sorte de « chapeau général » de remise en cause de l'objectif...

Or le « ZAN » est un progrès très important pour préserver l'agriculture. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et en même temps supprimer des hectares de terre agricole - plus de 20 000 hectares de surface agricole utilisée (SAU) ont été supprimés par an entre 2015 et 2022 et cela ne diminue pas. Nous avons donc besoin du « ZAN » et du plafond du - 50 % à l'horizon 2031. Remettre en cause le « ZAN » revient à mettre en cause notre agriculture.

La semaine dernière, Nantes Métropole a délibéré en faveur de 30 hectares d'urbanisation supplémentaire pour une zone artisanale, contre l'avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et du monde agricole. Supprimer le « ZAN » constituerait en réalité un cadeau fait aux métropoles qui continueront de grignoter les zones maraîchères ou les grandes zones céréalières du bassin parisien. Il y a là une contradiction majeure !

Ma question est donc simple : est-ce que vous entendez garder le plafond de 125 000 hectares en 2031, quitte à être beaucoup plus volontaristes en matière d'aménagement du territoire, pour que ces hectares bénéficient d'abord aux villes moyennes désindustrialisées et au monde rural ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le débat est vif !

Mme Nathalie Goulet. - La question de l'insuffisance de l'étude d'impact me fait m'interroger sur la raison pour laquelle nous avons été si peu nombreux à ne pas voter ce texte ! Finalement, on veut aujourd'hui mettre une rustine sur un mauvais texte ; on pourrait aussi imaginer une refonte complète de l'objectif et de la méthode.

Il y a des incohérences profondes, de principe, pour le monde rural : sans logements ni habitants, il ne peut pas y avoir de ruralité ! Il y a aussi des incohérences concrètes : je pense, par exemple, au fait que les méthaniseurs ne sont pas comptabilisés dans le « ZAN » alors que d'autres infrastructures le sont. Nous devons apporter davantage de cohérence, car ce sont toutes ces incompréhensions qui provoquent un rejet viscéral de cette stratégie dans les territoires les plus ruraux.

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce que nous vous avons présenté est un rapport d'information, pas une proposition de loi, monsieur Dantec. Le rapport dit clairement - et je le répéterai autant de fois qu'il faudra - que l'ensemble des remontées de terrain montre que l'objectif instauré par le « ZAN » est partagé et a été intégré par les élus et acteurs locaux, qui ne remettent pas en cause l'objectif, mais la méthode et le rythme de mise en oeuvre, voire l'acronyme lui-même qui fait maintenant office de repoussoir... Mais il faut en garder l'esprit !

Pour paraphraser Marc Aurèle, on est souvent injuste par omission : c'est ce qui se passe pour les méthaniseurs. Cela montre que nous manquons de définitions.

Il faudra donc bien faire évoluer le texte de la loi « Climat et résilience » - sans tout réécrire, car cette loi a produit des effets positifs, les élus locaux ont déjà changé leur manière d'aménager le territoire et diminué leur consommation foncière - pour être plus précis, afin d'en permettre une application plus réaliste, avec les territoires.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nos travaux ont permis d'identifier deux défauts majeurs du « ZAN » : il n'est pas territorialisé ; il n'est pas financé. Une lettre - sidérante ! - du précédent ministre de l'économie et des finances montre bien que l'État n'a pas intégré ce problème du coût du « ZAN ».

Nous avons tout fait pour rendre la territorialisation effective - avec la garantie rurale, les « PENE », la prise en compte des spécificités des territoires de montagne et littoraux, une nouvelle gouvernance, mis en place par la loi « ZAN 2 » - mais le fait est que cela ne marche pas, parce que c'est imposé à marche forcée, de manière arithmétique et descendante.

Nous nous interrogeons effectivement, monsieur Dantec, sur le - 50 %, mais nous ne proposons pas de l'abroger en l'état de nos réflexions. Les élus locaux ont intégré depuis longtemps la nécessité de sobriété, mais ils ne supportent plus le caractère descendant des politiques publiques, en particulier celle-là. Il faut adapter la règle au contexte territorial. Il nous faut concilier la sobriété foncière et les priorités des politiques publiques - le logement, la réindustrialisation, etc. Pour cela, nous devons faire sauter ces verrous intelligemment.

Nous n'en pouvons plus de ces trois lettres - « ZAN » - et de la manière dont les choses se mettent en place. Nous avons besoin d'outils et de financement pour accompagner les élus pour mieux aménager, densifier, construire la ville sur la ville, requalifier les friches, renaturer, protéger les terres agricoles. Je rappelle que le groupe de suivi a reçu 1 400 réponses dans le cadre de la consultation en ligne qu'il a initiée et elles vont très largement dans ce sens : une inquiétude des élus qui partagent l'objectif mais se le voient imposer par l'État sans l'accompagnement ni l'ingénierie adéquats.

Heureusement que la commission des finances a pris l'initiative de travailler sur le coût de la sobriété foncière !

M. Philippe Grosvalet. - Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! L'idée de sobriété foncière est aujourd'hui entendue... Mais elle est assez relative.

J'ai convaincu les maires de mon territoire de tendre vers l'objectif zéro artificialisation bien avant la loi « Climat et résilience », car le foncier disponible, dans mon territoire, en Loire-Atlantique, n'est pas infini, comme dans les autres territoires soumis à forte pression démographique.

Je soutiens donc, à terme, l'objectif « zéro », mais j'estime que le chemin pour y parvenir est compliqué et doit être différencié. Or le principe de subsidiarité n'a pas vraiment cours dans notre pays...

Si l'on est d'accord sur un objectif, reste à en définir la temporalité et la manière de le mutualiser dans un même territoire.

En Loire-Atlantique, par exemple, nous avons une métropole, un littoral, une sensibilité environnementale extrême, une agriculture dynamique et 17 000 habitants supplémentaires à loger chaque année.

En conséquence, quelle est l'échelle la plus pertinente pour appréhender le « ZAN », en tenant compte du principe de subsidiarité ? La loi actuelle n'est pas satisfaisante à cet égard. Il nous reste encore à définir l'espace géographique et politique le plus adapté pour atteindre cet objectif partagé, du territoire le plus petit - la commune - au plus grand.

M. Hervé Gillé. - Sur ce sujet complexe, il y a un risque d'instrumentalisation politique et de dérive populiste. Soyons responsables, mes chers collègues.

À mon sens, l'essentiel du sujet repose sur la différenciation territoriale, tous les territoires étant différents. C'est particulièrement vrai pour les outre-mer.

Par ailleurs, où devons-nous placer les arbitrages ? On ne peut s'arrêter à l'échelon communal. C'est a minima le niveau intercommunal qui doit être retenu, voire des schémas de cohérence territoriale (Scot), qui couvrent 60 % du territoire. Cela permettrait un dialogue et des arbitrages collectifs. Il faut de surcroît une bonne articulation aux niveaux départemental et régional, qui doit trouver sa traduction dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), selon le principe de subsidiarité : c'est bien en partant des territoires qu'il faut appréhender la mise en oeuvre du « ZAN », dont l'objectif est réaffirmé aujourd'hui. Or je ne trouve pas vraiment cela dans les conclusions du groupe de suivi.

Nous sommes néanmoins favorables à ce stade à vos conclusions, tout en réservant notre position sur le texte à venir.

M. Michel Canévet. - À mon sens, l'objectif du « ZAN » est contre-productif pour le développement et l'aménagement du territoire. Ne vaudrait-il pas mieux parler de réduction de l'artificialisation nette, le « RAN » ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce travail se traduira par des propositions législatives concrètes. Nous avons déjà pu faire avancer nos idées par amendements sur des textes concernant la simplification de la vie économique, le logement ou l'agriculture.

Parmi ces propositions, il y a des choses qui feront sans doute consensus sur la manière de comptabiliser ou d'établir des modalités de contractualisation avec les territoires. Mais il faudra préciser certains points. Qui met-on autour de la table ? Comment contrôle-t-on les efforts faits ? Chacune des strates de notre République doit être responsabilisée, y compris l'État.

Concernant le rythme, la borne de 2031 suscite beaucoup d'interrogations. En effet, les Sraddet vont être adoptés fin 2024 pour être déclinés ensuite dans tous les documents d'urbanisme en cascade. Vu les délais qui sont nécessaires, environ quatre ans, ils seront assez rapidement obsolètes, nonobstant les dynamiques qui auront pu se manifester. Aussi, nous allons rapidement mettre sur la table d'autres façons de comptabiliser et une proposition de rythme plus adapté.

Par ailleurs, dans la loi « Climat et résilience », nous avons mis en avant la biodiversité et la santé des sols, mais tous les sols ne se valent pas au regard de leurs potentiels agronomiques ou de leurs fonctionnalités écologiques. Or les textes actuels n'en tiennent pas compte.

Enfin, comment l'État accompagne-t-il les territoires pour reconquérir les friches ?

Vous le voyez, cette réglementation « ZAN » est beaucoup plus transversale qu'il n'y paraît. Il n'est pas question de refaire une nouvelle loi, mais nous devons nous attacher à éviter l'effet « tuyaux d'orgue ».

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Même notre collègue Dantec le dit, il faut revenir à la notion d'Enaf, qui me paraît moins complexe que l'artificialisation, mieux acceptée et comprise par les élus locaux. Cela permettrait de surcroît de lever les incertitudes concernant les bâtiments agricoles.

La définition de l'artificialisation est beaucoup trop idéologique. Ainsi, dans le décret « nomenclature », il est spécifié que les jardins des pavillons sont considérés comme artificialisés, pour inciter les élus à faire de la subdivision parcellaire.

Revenir aux Enaf nous permettrait peut-être d'avoir une approche plus ascendante pour réussir à relever le défi de la sobriété avec la pleine collaboration des élus locaux.

Il y a selon moi trois sujets sur la table : les bâtiments agricoles ; les « PENE » ; les énergies renouvelables, notamment avec le problème des méthaniseurs, mais pas seulement.

M. Jean-Marc Boyer. - Après avoir participé aux travaux du groupe de suivi et vous avoir entendu, j'ai envie de dire : tout ça pour ça !

Les élus locaux sont favorables à la sobriété foncière - ils l'appliquent d'ailleurs déjà -, mais ils ne veulent pas du « ZAN » tel qu'il leur est proposé. Pour moi, le « ZAN » est mort !

Or les services de l'État mettent aujourd'hui beaucoup de pression sur les élus locaux et font le « ZAN » par anticipation. Au lieu d'accompagner les collectivités dans leurs projets d'urbanisme, ils les contraignent en s'appuyant sur des avis de cabinets d'études qui se contentent de faire du copier-coller d'un territoire à l'autre.

Il y a urgence, car les communes et les intercommunalités préparent actuellement leurs documents d'urbanisme et les services de l'État font comme si la loi « ZAN » était pleinement appliquée. Je pense que mes collègues font la même expérience dans leur département. Si l'on temporise trop pour adopter des mesures, le rouleau compresseur des services de l'État va continuer son oeuvre et nous arriverons après la bataille.

Au nom de la libre administration des collectivités locales, ne faut-il pas que nous envoyions dès aujourd'hui un signal pour dire que le « ZAN » est suspendu dans l'attente d'un nouveau texte ? Le Sénat ne peut-il pas envoyer une motion aux ministres concernés pour qu'ils enjoignent aux préfets de surseoir à l'application de la loi ?

M. Sébastien Fagnen. - À l'issue des six mois de travaux du groupe de suivi sur la mise en oeuvre du « ZAN », le constat est clair : de grandes difficultés se font jour sur tous nos territoires. Comme le président du groupe de suivi l'a rappelé, on n'aménage pas le territoire avec un tableau Excel. La prise en compte de la géographie fait ainsi cruellement défaut. C'est là le péché originel de la loi.

Il s'agit non pas de faire passer le « ZAN » par pertes et profits, mais de le remettre à l'endroit avec une logique différente : nous devons partir des besoins des territoires, tout en respectant l'objectif originel.

Pour rassurer Ronan Dantec, je dirai que le garde-fou est à Matignon, puisque Michel Barnier, dans sa déclaration de politique générale, a précisé qu'il n'y aurait de remise en cause ni de la philosophie ni de l'objectif. Nous jugerons sur pièces lors de l'examen de la proposition de loi qui naîtra de nos travaux. J'en profite pour saluer le travail de notre collègue Nicole Bonnefoy sur la qualité des sols, qui nous aura été d'une grande utilité.

J'insiste sur l'ingénierie, indispensable pour accompagner les élus des communes rurales. Sur la décennie 2011-2021, il faut savoir que la consommation foncière a porté avant tout sur l'habitat dit dispersé, selon la nomenclature du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Les élus ruraux se battent pour développer leur territoire, mais il ne faut pas les laisser seuls face aux acteurs économiques privés. Aussi, nous devons réarmer les services déconcentrés de l'État, pour qu'ils puissent aider les élus locaux à bâtir un modèle d'aménagement plus vertueux.

M. Grégory Blanc. - Je tiens à remercier Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc pour leur travail : ce rapport permettra en effet de lever un certain nombre d'incompréhensions.

Chacun d'entre nous est favorable à une réforme, dans la mesure où nous sommes tous conscients de la nécessité de nous préparer à une augmentation des températures de l'ordre de 4 degrés en France. Avec la mise en oeuvre du « ZAN » se pose dès aujourd'hui la question d'un changement des pratiques que ce soit en termes d'aménagement du territoire ou de construction. S'il faut reconnaître que la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols est une source de contraintes, convenons aussi - personne ne l'a fait ce matin - que le « ZAN » est une opportunité, et qu'il donne des perspectives en matière de développement économique.

J'aurai trois questions.

La première est d'ordre financier : il est nécessaire de se pencher sur une meilleure articulation entre les collectivités territoriales, en particulier entre les régions et les intercommunalités - je pense en particulier aux aménagements d'infrastructures d'intérêt général. Il faut repenser les modalités d'aménagement du territoire, alors qu'aujourd'hui, certains freinent manifestement toute réflexion à ce sujet : comment faire, selon vous, pour assurer davantage d'horizontalité à l'échelle des territoires ?

La deuxième part du constat d'une défaillance totale de l'État dans l'accompagnement des acteurs locaux : rien n'est prévu pour définir une stratégie à l'horizon 2050. Quel chemin emprunter pour engager cette transition ? C'est une problématique que vous ne semblez pas avoir esquissée dans votre rapport.

Ma dernière question est budgétaire : si l'on veut vraiment atteindre les objectifs fixés dans la loi, que ce soit en 2031 ou en 2050, il est nécessaire de dégager des moyens plus significatifs qu'aujourd'hui. Comment faire pour concrétiser cette ambition ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Je suis d'accord avec Grégory Blanc : je déplore que l'État n'ait pas développé de vision à long terme en matière d'aménagement du territoire. Le Gouvernement n'a effectivement dessiné aucune perspective claire depuis que nous l'y avons invité en février dernier.

Pour ce qui est de la mise en place du « ZAN », ce sont les régions qui sont aujourd'hui en première ligne, puisqu'elles doivent décliner cet objectif dans leurs Sraddet. Le ruissellement vers les échelons infrarégionaux que sont les intercommunalités et les communes est, quant à lui, en marche.

À l'évidence, la question de l'organisation du dialogue dans les territoires se pose. Ainsi, la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols est régulièrement critiquée pour son fonctionnement et sa composition ; de surcroît, la faiblesse des enveloppes régionales suscite de nombreuses réserves sur le terrain.

En réalité, le fond du problème tient à la lenteur de l'État pour fixer les règles, définir les nomenclatures et établir une doctrine quant aux objectifs assignés aux uns et aux autres. Ce que montre notre rapport, c'est que la méthode retenue ne fonctionne pas.

Dernière remarque, il manque à cette stratégie de réduction de l'artificialisation tout un volet financier et fiscal. La mise en concurrence des collectivités les unes avec les autres - ces dernières ont des projets de territoire plus ou moins aboutis - freine la création d'une sorte de « bourse des territoires », à toutes les échelles, qui permettrait de renaturer les espaces à un endroit, de construire à un autre endroit pour saisir les opportunités qui se présentent.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je tiens à rassurer Grégory Blanc : nous pointons bel et bien les défaillances de l'État dans notre rapport - il s'agit même d'un fil rouge, de même que nous déplorons l'impensé fiscal du « ZAN ».

Notre collègue a raison de souligner qu'il est indispensable d'avoir une vision prospective. Si nous décidons d'en finir avec cette démarche planificatrice, comme certains le souhaitent, il faudra définir une logique plus ascendante dans une perspective peut-être davantage contractuelle. Tout reste à imaginer, notamment les articulations entre les différents niveaux de collectivités. C'est même à mes yeux le principal travail que nous aurons à mener.

M. Yannick Jadot. - La question éminemment politique du « ZAN » est évidemment révélatrice de nos difficultés - crise du logement, désindustrialisation, inégalité entre territoires, etc. Mais, à mesure que nous y réfléchissons, le « ZAN » est aussi devenu un bouc émissaire.

Certes, de nombreux élus ont d'ores et déjà intégré la sobriété dans leur politique d'aménagement du territoire, mais il faut reconnaître que l'artificialisation des sols n'a pas baissé. Malgré l'effondrement du logement social, la crise de l'industrie, l'affaissement des services publics dans les territoires, elle se maintient à un niveau élevé.

Puisqu'il en est question, je partage l'avis de ceux qui déplorent le choix de l'appellation « zéro artificialisation nette » : celle-ci laissait effectivement entendre que l'objectif devait être atteint dès 2021. L'engagement du Premier ministre à maintenir cette ambition ne lève pas pour autant de bien légitimes inquiétudes, tant on sait que ce gouvernement n'aura vraisemblablement pas une espérance de vie telle qu'il sera toujours en place en 2050...

M. Laurent Duplomb. - On ne sait jamais !

M. Yannick Jadot. - Même si les écologistes sont de culture girondine, je suis en désaccord avec ceux qui pensent qu'il faut en finir avec la planification. Il faut certes partir des territoires, mais les mesures de mutualisation proposées dans le rapport sont bien trop faibles. Il faut cesser de prévoir des dérogations pour tout, c'est le plus sûr moyen de rendre le dispositif totalement inopérant.

M. Laurent Duplomb. - Il a raison : autant abroger la loi !

M. Yannick Jadot. - La lutte contre l'artificialisation des sols est indispensable. Inutile de rappeler que des inondations impressionnantes ont lieu partout dans notre pays. Personne ne peut plus prétendre aujourd'hui que c'est la faute des écologistes qui ne veulent pas que l'on cure les rivières !

De nombreux sénateurs sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - Si !

M. Yannick Jadot. - La vigueur de votre réaction prouve que vous avez fait de cette loi le bouc émissaire de tous nos maux. Une telle démagogie accentue la défiance vis-à-vis du monde politique et accroît le vote en faveur du Rassemblement national.

M. Cédric Chevalier. - Le « ZAN » peut effectivement être une opportunité pour nos territoires : les efforts qui sont demandés aux élus en termes de sobriété appellent une réflexion sur l'optimisation de la consommation foncière, autrement dit une analyse de bon sens.

Cela étant, le « ZAN », dans sa mise en oeuvre, est facteur d'injustice. En raison de son mode de calcul, les collectivités les plus vertueuses sont pénalisées.

M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !

M. Cédric Chevalier. - Beaucoup d'élus n'ont pas attendu le « ZAN » pour s'engager dans la sobriété foncière, tout simplement parce qu'ils sont conscients des enjeux et connaissent bien leur territoire. Demain, ceux-là, s'ils ont de nouveaux projets, seront pénalisés... Le rapport tient-il compte de cette injustice ?

Un certain nombre de clarifications sont par ailleurs nécessaires. Ainsi, une partie des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ont paru fin 2023, alors que le compteur était lancé depuis deux ans... Tout cela manque de cohérence.

Autre remarque : les échéances fixées pour l'approbation des documents d'urbanisme que sont les Scot et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) - respectivement en août 2026 et août 2007 - sont ubuesques. Le calendrier devrait vraiment être revu, car en résultera l'acceptabilité du « ZAN » par l'ensemble des élus locaux.

M. Christian Bilhac. - Je remercie le rapporteur et le président du groupe de suivi pour ce travail. Le « ZAN » est un sujet de préoccupation pour les élus.

On ne peut pas bâtir l'avenir sur des contre-vérités : on ne sauvera pas l'agriculture avec le « ZAN » - il ne faut pas rêver ! La consommation de surfaces agricoles augmente, non pas parce que l'on construit, mais parce que l'agriculture ne permet pas de faire vivre nos agriculteurs ! Ce n'est pas en stoppant l'urbanisation qu'on sauvera l'agriculture !

M. Laurent Duplomb. - Tout à fait !

M. Christian Bilhac. - Haro aux fausses bonnes idées !

Deuxième observation, la loi « ZAN » est censée s'appliquer à Paris comme dans le village de Saint-Michel-d'Alajou sur le plateau du Larzac. Cela ne peut pas fonctionner ! Comment voulez-vous que le maire d'une commune hyperrurale, qui n'a pas délivré de permis de construire depuis plus d'un an ou qui a près de 95 % de son territoire en zone naturelle ou agricole, réagisse lorsqu'on lui dit qu'il ne faut pas artificialiser ? Il vous regarde éberlué, parce qu'il ne peut pas le comprendre !

J'ai deux questions très simples : pourquoi ne pas exclure ces petites communes rurales du « ZAN » ? Comment faire pour dialoguer avec un État qui préfère l'oukase et l'injonction à la discussion ?

M. Daniel Salmon. - Dans certains territoires, les choses se passent plutôt bien. Ainsi, en Bretagne, les conférences des Scot ont permis d'aboutir à des compromis, lesquels ont conduit à l'élaboration d'une trajectoire régionale de mise en oeuvre de la stratégie de réduction d'artificialisation des sols.

Regardons les choses en face : la véritable problématique est celle du financement du « ZAN ». D'après vous, mes chers collègues, sera-t-il plus facile de financer notre dette écologique dans quelques années que le « ZAN » aujourd'hui ? Personnellement, je connais la réponse à cette question.

Enfin, l'acronyme « ZAN » n'est peut-être pas le bon, mais il est préférable au « zéro ambition nette », ce vers quoi nous nous orientons.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je vous remercie de toutes ces précisions qui permettent d'apporter des réponses aux interrogations multiples qui émergent des territoires.

Permettez-moi cependant de revenir sur quelques points.

D'abord, la maîtrise de l'artificialisation des sols existait bien avant le « ZAN ». Les nombreux élus locaux présents ici ce matin peuvent en témoigner : la plupart, si ce n'est la totalité, des Sraddet comportaient déjà un objectif en la matière.

La loi « ZAN » a fixé des objectifs plus ambitieux sans pour autant prévoir les financements y afférents. Comment accompagner les territoires dans une démarche vertueuse de meilleure maîtrise de l'artificialisation des sols, et ce de façon réaliste ? Si l'on tient compte de la situation actuelle, je crains que la plupart des acteurs des territoires soient incapables, à l'avenir, de financer la mise en oeuvre de cet objectif. Il est urgent que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales, se montre à l'écoute et aide les élus locaux à avancer sur ce sujet.

Monsieur le rapporteur, plusieurs de vos recommandations me semblent particulièrement judicieuses. Je pense à la comptabilisation en Enaf qui, de mon point de vue, doit continuer de s'appliquer après 2031. Il était également utile de rappeler la nécessité des aménagements prévus dans les textes, notamment les dispositifs d'assouplissement mis en place par l'ancien ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Le report de la mise en oeuvre de la mutualisation de la garantie de développement communal, qui suscite beaucoup de questions, est en outre essentiel. Enfin, l'État doit assumer sa politique : une première étape consisterait à extraire le compte foncier de l'État de l'enveloppe nationale dédiée à la consommation d'espaces.

Compte tenu de l'importance de ce sujet, il me semble indispensable que nous votions sur les recommandations du rapport d'information.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Monsieur Jadot, il est faux de dire que l'artificialisation n'a pas diminué : 21 000 hectares aujourd'hui contre 31 000 en 2011 !

M. Ronan Dantec. - Les chiffres ne bougent plus depuis 2015 !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nous sommes sur un plateau, après une forte diminution entre 2009 et 2015.

En ce qui concerne la planification, elle aurait pu fonctionner si nous y avions été associés. Je me permets de vous recommander la lecture de l'ouvrage Un nouveau contrat écologique : les auteurs insistent sur la nécessité d'associer toutes les parties prenantes pour atteindre l'objectif de sobriété foncière.

Monsieur Salmon, vous parlez de « zéro ambition nette », mais il faut aussi éviter le « zéro assouplissement net » !

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Il y avait urgence à engager ce travail du groupe de suivi, car l'horloge tourne. Nous vous avons présenté aujourd'hui le rapport, mais nous allons continuer à travailler sur le sujet. Il est nécessaire de faire preuve d'une vision plus « girondine », comme l'a dit M. Jadot, c'est-à-dire différente selon les territoires. Il faut faire confiance aux élus et fixer clairement les règles afin d'éviter les effets de bord, mais nous devons aussi rester fermes avec l'État.

La commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances adoptent le rapport d'information et en autorisent la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 13 février 2024

Table ronde

· Départements de France : M. Pascal COSTE, président du département de la Corrèze, et Mme Marylène JOUVIEN, chargée des relations avec le Parlement ;

· Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : M. Guy GEOFFROY, maire de Combs-la-Ville, président des maires de Seine-et-Marne et vice-président de l'AMF, et Mme Charlotte de FONTAINES, chargée des relations avec le Parlement ;

· Association des maires ruraux de France (AMRF) : M. Luc WAYMEL, membre, et Mme Adèle LABORDERIE, chargée de mission ;

· Fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (FédéScot) : M. Nicolas HASLÉ, membre du conseil d'administration et président du Scot du Grand Vendômois, et Mme Stella GASS, directrice ;

· Intercommunalités de France : M. Matthieu SCHLESINGER, maire d'Olivet, vice-président d'Orléans métropole, administrateur d'Intercommunalités de France, Mmes Carole ROPARS, responsable du pôle Aménagement, et Montaine BLONSARD, responsable des relations avec le Parlement ;

· Régions de France : Mme Laurence ROUÈDE, vice-présidente du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine.

Mardi 12 mars 2024

- Table ronde

· Département des Hautes-Pyrénées : M. Michel PÉLIEU, président ;

· Région Pays de la Loire : M. Antoine CHÉREAU, premier vice-président, président de la commission en charge des territoires ;

· Communauté urbaine de Caen la Mer : M. Joël BRUNEAU, maire de Caen et président de la communauté urbaine de Caen la Mer.

- Table ronde

· Communauté d'agglomération du Grand Chambéry : M. Thierry REPENTIN, président de Grand Chambéry ;

· Métropole de Lyon : M. Jérémy CAMUS, vice-président à l'agriculture, l'alimentation et aux enjeux de fonciers agricoles, Mme Anne BESNEHARD, directrice de la planification et des stratégies territoriales, et M. Thomas DUPONT, conseiller technique Urbanisme et espaces publics au cabinet du président ;

· Région Normandie : MM. Hervé MORIN, président, et Laurent MARY, directeur général adjoint Transports et aménagement du territoire.

Mardi 19 mars 2024

Table ronde

· Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes : M. Jean-Philippe DENEUVY, directeur ;

· Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) : Mme Annabelle FERRY, directrice Territoires et ville ;

· Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : M. Agnès REINER, directrice générale déléguée à l'appui opérationnel et stratégique ;

· Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires : M. Jean-Baptiste BUTLEN, sous-directeur de l'aménagement durable à la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP).

Mardi 2 avril 2024

- Table ronde

· Sénat : MM. Christian KLINGER, sénateur du Haut-Rhin, et Michel MASSET, sénateur de Lot-et-Garonne, auteurs d'un rapport d'information sur les difficultés d'accès au foncier économique, fait au nom de la délégation aux entreprises ;

· Afilog : M. Salvi CALS, directeur du développement France ;

· France industrie : M. Alexandre SAUBOT, président, et Mme Murielle JULLIEN, directrice des affaires publiques ;

· Groupe Airbus : MM. Florent QUEROL, directeur des relations institutionnelles d'Airbus Opérations, et Olivier MASSERET, directeur des relations institutionnelles ;

· Toulouse Métropole : Mme Agnès PLAGNEUX-BERTRAND, vice-présidente en charge de l'industrie de l'économie productive et adjointe au maire de Toulouse, en charge des relations avec les acteurs économiques.

- Table ronde

· Haropa Port : M. Stéphane RAISON, directeur général ;

· Union des ports de France (UPF) : M. Jean-Pierre CHALUS, président, et Mme Mathilde POLLET, responsable des affaires économiques et européennes ;

· SNCF : MM. Antoine de ROCQUIGNY, directeur immobilier, et M. Benoit CHEVALIER, directeur délégué aux grands projets amont et à l'adaptation au changement climatique de SNCF Réseau, et Mmes Mme Corinne ROECKLIN, responsable Environnement à la direction de la stratégie de SNCF Réseau, et Mme Laurence NION, conseillère parlementaire.

Mardi 7 mai 2024

Table ronde

· Institut de la transition foncière : M. Jean GUIONY, président, et Mme Louise BARBIER, chargée d'études et de plaidoyer ;

· Groupe Spirit : MM. Félix BERTOJO, co-président, et Jean-Marie MOREAU, directeur des partenariats publics, Mme Carmen BERTOJO, présidente de Spirit entreprises, et M. André de POMPIGNAN, président de Spirit Grands-Projets ;

· Agence d'urbanisme d'agglomération de Moselle (Aguram) : MM. Amaury KRID, urbaniste, responsable du pôle Observation foncière et planification, et Jean-Philippe STREBLER, urbaniste ;

· Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau) : Mmes Brigitte BARIOL-MATHAIS, déléguée générale, et Karine HUREL, déléguée générale adjointe ;

· Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (FNCAUE) : Mme Valérie CHAROLLAIS, directrice.

Mardi 21 mai 2024

Table ronde

· CDC habitat : M. Thierry LAGET, directeur général adjoint, et Mme Anne FREMONT, directrice des affaires publiques ;

· VLG conseil : M. Vincent LE GRAND, président ;

· Société d'études d'urbanisme et d'architecture (Seura) : M. David MANGIN, architecte et urbaniste, associé co-gérant ;

· Groupe Nexity : M. Jean-Luc PORCEDO, président de Nexity Transformation des territoires ;

· École urbaine de Sciences-Po : M. Jean-Marc OFFNER, urbaniste, directeur scientifique de 6t, président du conseil stratégique de l'école urbaine de Sciences-Po.

Mardi 4 juin 2024

Table ronde

· Chambres d'agriculture - France : MM. François BEAUPÈRE, vice-président, élu référent foncier et président de la chambre régionale d'agriculture des Pays de la Loire, Mickaël DIDAT, juriste foncier, et Étienne DUCROQUET, chargé affaires publiques en alternance ;

· Association des maires ruraux de France (AMRF) : M. Gilles NOËL, membre du bureau ;

· Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (FNSafer) : MM. Emmanuel HYEST, président, et Nicolas AGRESTI, directeur des études ;

· Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) : Mme Claire CHENU, directrice de recherche ;

· Mme Mayliss DESROUSSEAUX, maîtresse de conférences à l'École d'urbanisme de Paris, juriste spécialiste des sols ;

· Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema) : M. Joël AMOSSÉ, chercheur, écologue.

Mardi 18 juin 2024

Audition commune

· M. Ilian MOUNDIB, ingénieur spécialisé dans l'adaptation au changement climatique, membre du conseil scientifique de l'Institut Rousseau ;

· Mme Madeleine MASSE, architecte urbaniste, présidente fondatrice de l'agence d'architecture et d'urbaniste Atelier Soil.

Mardi 2 juillet 2024

- Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) : M. Antoine PELLION, secrétaire général à la planification écologique.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Association des élus du littoral (Anel)

- Collectif d'associations et de coordinations de défense du patrimoine foncier

- Communautés de communes Campagnes de l'Artois, Pays du Cambrésis et Pont du Gard

- Communes d'Aubussargues (Gard), Carpentras (Vaucluse), Le Barroux (Vaucluse), Liouc (Gard), Oppède (Vaucluse), La Roque-sur-Pernes (Vaucluse), Saint-Côme-et-Marejuols (Gard), Saint-Germain-des-Champs (Yonne), Saint-Pons-la-Calm (Gard) et Saint-Privat-de-Champclos (Gard)

- Enedis

- Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB)

- M. Charles Claron, doctorant en sciences économiques

- M. Elie Chomont, géomètre-expert

- M. Sylvain Grisot, urbaniste

- M. Timothée Hubscher, directeur planification et résilience des territoires de Citadia

- M. Vincent Fouchier, prospective et conseil en développement de la métropole Aix-Marseille-Provence

- Me Pierre Soler-Couteaux, professeur agrégé de droit public, avocat au Barreau de Strasbourg

- Nîmes Métropole

- Régions Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte-d'Azur

- RTE France

- Schémas de cohérence territoriale (Scot) de Cavaillon-Coustellet et Pays d'Apt Lubéron

- Syndicat des maisons de Cognac

- Voies navigables de France (VNF)


* 1 Étude d'impact de la loi Climat-résilience, p. 412.

* 2 Étude de la Fédération nationale des SCoT (FedeScot), mars-avril 2024.

* 3 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain.

* 4 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique.

* 5 AMF, Enquête nationale Mise en oeuvre du Zéro artificialisation nette. Des élus désorientés par la méthode qui demandent plus de cohérence pour atteindre l'objectif, juillet 2024, p. 6.

* 6 Sénat, Les politiques de réduction de l'artificialisation des sols, Étude de législation comparée n° 325, septembre 2023.

* 7 Étude de la FedeScot précitée.

* 8 Fresque du sol.

* 9 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance et à la résilience des sols (directive sur la surveillance des sols), COM(2023) 416 final.

* 10 Contribution d'élu local aux travaux du groupe de suivi.

* 11 Occupation du sol à grande échelle.

* 12 Résultats de la consultation en ligne des élus locaux menée en mai 2024 par le groupe de suivi.

* 13 Cette marge de tolérance doit s'appliquer, aux termes de la circulaire, lorsque des cibles territorialisées d'artificialisation sont fixées dans le fascicule du Sraddet (rapport de compatibilité). Si tel n'est pas le cas, elle doit trouver à s'appliquer a fortiori aux objectifs inscrits dans le rapport, conformément au rapport de prise en compte.

* 14  Projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables (texte n° 573 (2023-2024), déposé au Sénat le 6 mai 2024) et projet de loi de simplification de la vie économique (texte n° 550 (2023-2024), déposé au Sénat le 24 avril 2024).

* 15 Étude d'impact de la loi Climat-résilience, p. 414.

* 16 Ibid.

* 17 AMF, Enquête nationale Mise en oeuvre du « Zéro artificialisation nette ». Des élus désorientés par la méthode qui demandent plus de cohérence pour atteindre l'objectif, juillet 2024, p. 4.

* 18 AMF, enquête précitée, p. 5.

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