II. LA FEUILLE DE ROUTE : SOUTENIR VÉRITABLEMENT LES COLLECTIVITÉS FACE À L'IMMINENCE DE L'ÉCHÉANCE 2031, RENDRE COMPATIBLE LA STRATÉGIE DE RÉDUCTION DE L'ARTIFICIALISATION AVEC LES GRANDS DÉFIS ÉCOLOGIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

Quoique critique vis-à-vis de la politique de réduction de l'artificialisation des sols telle qu'initiée et promue par le Gouvernement, le groupe de suivi relève également un profond besoin de stabilité normative à long terme, tant de la part des élus que des professionnels de l'aménagement et des acteurs économiques, qui ont déjà consenti des efforts considérables pour répondre aux nombreuses prescriptions de la loi Climat-résilience.

En conséquence, il propose une action en deux temps, visant :

- pour la période 2021-2031, à renforcer l'accompagnement des collectivités en financement et en ingénierie et à opérer des modifications ciblées pour répondre aux grandes priorités nationales ;

- pour la période postérieure à 2031, à dessiner une trajectoire de réduction de l'artificialisation et des modalités de mise en oeuvre soutenables, élaborées depuis les territoires (approche « bottom-up »).

A. POUR 2021-2031 : OUTILLER LES COLLECTIVITÉS POUR LUTTER CONTRE L'ARTIFICIALISATION TOUT EN RÉPONDANT À L'URGENCE DE LA CRISE DU LOGEMENT ET DE LA RÉINDUSTRIALISATION (T4 2024)

1. Engager l'État et ses opérateurs à passer des incantations aux actes

Le nouveau contexte politique et social actuel, depuis les élections législatives anticipées, démontre un profond sentiment d'abandon chez nombre de nos concitoyens, le groupe de suivi invite, plus que jamais, les services de l'État à mettre en accord leurs actes avec les paroles, en :

- garantissant une véritable souplesse dans la mise en oeuvre des politiques de lutte contre l'artificialisation, notamment par le biais d'une application systématique de la tolérance de 20 % de dépassement de l'enveloppe d'artificialisation mentionnée dans la circulaire ministérielle du 31 janvier 2024, lors du contrôle de légalité des documents d'urbanisme13(*).

L'ensemble des maires et présidents d'EPCI devront être informés officiellement de cette possibilité et de son opposabilité aux services préfectoraux ;

- invitant les services déconcentrés en charge de l'urbanisme et de l'aménagement à compléter leurs actions de formation à destination des élus par un accompagnement sur mesure sur le terrain, qui prenne en compte les difficultés concrètes auxquelles sont confrontés les élus et aménageurs.

Cela pourrait par exemple prendre la forme d'un guichet unique auquel pourraient s'adresser les élus pour obtenir, dans un délai raisonnable, des informations précises et circonstanciées permettant d'éclairer les problèmes touchant à l'artificialisation des sols auxquels ils sont confrontés à l'occasion de la modification de leur document d'urbanisme, mais aussi de toute opération d'aménagement. Les « référents ZAN » nommés au sein des préfectures pourraient devenir, par une meilleure identification, les points de contact privilégiés pour bénéficier de ce service d'accompagnement dédié. Le recensement des questions les plus courantes et la mise à disposition de « foires aux questions » (FAQ) librement accessibles ne sauraient en effet suffire. La charge de la complexité ne saurait reposer uniquement sur les élus locaux : l'État doit prendre la part qui lui revient au titre des stratégies qu'il élabore et défend. Le groupe de suivi estime aussi qu'afin d'éviter le risque d'interprétations divergentes, une « FAQ » unique devrait être élaborée au niveau national, pour former une doctrine harmonisée sur la mise en oeuvre des textes législatifs et réglementaires en vigueur.

2. Réduire le coût de la sobriété foncière

Depuis l'examen de la loi Climat-résilience d'août 2021, le Sénat fait le constat de l'absence persistante de réflexion sur le financement de la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols et sur les effets pervers de la fiscalité locale, par essence artificialisante. Alors que la mobilisation des friches et la requalification des bâtiments existants et, de manière plus générale, la densification, conduisent à des coûts de construction supérieurs aux projets reposant sur de l'artificialisation nouvelle, aucune étude fiable ne permet actuellement de quantifier ces surcoûts ni, a fortiori, d'élaborer les mécanismes idoines d'incitation à la réduction de l'artificialisation pour l'ensemble des parties prenantes (collectivités, aménageurs, particuliers...). Or, pour ne pas inciter les collectivités territoriales à la consommation de nouveaux espaces, il faut impérativement que le coût d'artificialisation d'un sol naturel soit plus élevé que le coût de recyclage d'un sol déjà « artificialisé », ce qui est très loin d'être le cas actuellement.

Prenant acte de ce paradoxe, la commission des finances du Sénat a lancé une mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », dont les conclusions seront publiées dans les prochaines semaines et pourraient être traduites dans le prochain projet de loi de finances. Le groupe de suivi s'appuiera naturellement sur ces initiatives pour neutraliser les puissants effets pervers de la fiscalité locale.

3. Lever temporairement et de manière ciblée la contrainte « ZAN » pour faire face à l'urgence de la crise du logement et de la crise climatique

Au printemps 2024, le groupe de suivi a proposé dans les textes en discussion au Sénat14(*) des modifications ciblées de la réglementation relative à l'artificialisation des sols, visant à éviter que cette dernière n'entre en contradiction avec d'autres politiques publiques stratégiques, telles que celles relatives à la transition écologique, à la réindustrialisation ou à l'accès au logement.

Il s'agissait, d'une part, d'exempter du décompte de l'artificialisation, jusqu'en 2031, l'emprise foncière de l'ensemble des implantations industrielles, afin d'accompagner le mouvement de relocalisation et de reconquête de la souveraineté industrielle. Cette mesure aurait d'ailleurs principalement bénéficié aux activités industrielles « vertes », contribuant à l'atteinte de nos objectifs climatiques, compte tenu du ciblage sur ces industries des autres mécanismes d'attractivité mis en oeuvre au niveau national. Cet ajustement est d'autant moins préjudiciable à l'atteinte de l'objectif final d'absence d'artificialisation à l'horizon 2050 que les implantations industrielles ne représentent qu'une part marginale des surfaces nouvellement artificialisées (4 %).

D'autre part, le groupe de suivi a proposé d'exclure temporairement (jusqu'en 2031) du décompte de l'artificialisation des sols, sous certaines conditions, les constructions nouvelles de logements sociaux, pour les communes faisant face à la rareté du foncier.

Sans certitude, à ce stade, quant à la reprise de ces textes par le nouveau Gouvernement, le groupe de suivi plaide donc pour que ces mesures soient réintroduites dans le prochain véhicule législatif pertinent, et formulera des propositions en ce sens.


* 13 Cette marge de tolérance doit s'appliquer, aux termes de la circulaire, lorsque des cibles territorialisées d'artificialisation sont fixées dans le fascicule du Sraddet (rapport de compatibilité). Si tel n'est pas le cas, elle doit trouver à s'appliquer a fortiori aux objectifs inscrits dans le rapport, conformément au rapport de prise en compte.

* 14  Projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables (texte n° 573 (2023-2024), déposé au Sénat le 6 mai 2024) et projet de loi de simplification de la vie économique (texte n° 550 (2023-2024), déposé au Sénat le 24 avril 2024).

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