III. AMÉLIORER LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS : ARTICULER L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS AVEC UN PILOTAGE NATIONAL PLUS COHÉRENT

A. FAIRE DES ACHATS UN RÉEL ET PUISSANT INSTRUMENT DE POLITIQUE POUR LES UNIVERSITÉ

1. Un nécessaire renforcement de la formation à la performance de l'achat public pour l'ensemble des personnels des universités

Dès lors qu'un grand nombre d'acteurs sont impliqués dans le processus d'achat dans les universités, l'intégration des enjeux liés à la performance implique de mobiliser non seulement les directions des achats (et financières et juridiques selon l'organisation), mais également l'ensemble des directions métiers. La professionnalisation de l'achat passe par la sensibilisation des instances de direction, et, au-delà, des enseignants chercheurs, aux enjeux de l'achat notamment en tant que source d'économies budgétaires.

Les directions métiers sont en effet les mieux placées pour juger de l'opportunité de l'achat. Elles ne doivent cependant pas être les seules juges, mais bénéficier de l'appui et de la formation prodigués par les directions des achats.

Le rapporteur spécial constate que peu d'universités ont mis en place des actions approfondies de formation à destination de leurs personnels. La DGESIP indique avoir instauré depuis 2016 un parcours à destination des responsables achats des établissements, à l'instar de ceux proposés aux cadres supérieurs en charge des principales fonctions supports des universités et écoles d'enseignement supérieur. Cette formation aborde à la fois le contexte réglementaire, son actualité, la construction, la mise en oeuvre et l'évaluation d'une politique d'achats mais également les objectifs de performance achat, intégrant les notions d'achat durable et responsable : « la politique d'achats est pensée dans ce cadre comme un des leviers pour atteindre les objectifs de la stratégie globale de l'établissement »22(*). Si cette initiative est souhaitable, de telles formations ne devraient pas être réservées aux seuls chargés d'achats, dans la mesure où les universités comptent fréquemment plusieurs centaines d'ordonnateurs.

Les personnels non administratifs semblent ainsi les oubliés de la formation sur la commande publique, alors même qu'ils sont directement concernés. Ainsi la Cour des comptes indiquait-elle en 2019 dans son rapport sur l'université Lille III : « selon le directeur des affaires financières, la procédure générale d'achat de l'université est connue par les composantes et mise en ligne sur le portail de l'université. Une note de rappel des procédures achat/marchés est envoyée en général deux fois par an et une formation est donnée aux personnels qui souhaitent s'y inscrire, soulignant ainsi le caractère facultatif de cette formation ».

La DAE propose au travers de l'institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) des formations achat certifiantes. 92 agents des universités ont été certifiés à l'issue d'une formation proposée par l'IGPDE, issus de 20 universités. En 2023, 27 agents ont été formés sur les enjeux relatifs à la commande publique et aux achats responsables issus de 19 universités. Ces chiffres restent faibles au regard du public potentiellement concerné. En outre, seules 23 universités ont adhéré à l'accord cadre interministériel « formations certifiantes » sur l'achat public, ce qui est loin de couvrir la majorité des établissements.

Recommandation n° 7 : déployer activement des actions de sensibilisation et de formation aux enjeux de performance de l'achat public auprès des personnels des universités (universités).

2. Les clauses environnementales et sociales : une intégration en cours à approfondir impérativement

La Cour des comptes a souligné dans son dernier rapport23(*) le « bilan mitigé » de la prise en compte des questions environnementales dans la politique d'achats : « la moitié des établissements ont fixé des règles liées à la transition écologique dans leurs politiques d'achat, mais seulement 14 % d'entre eux le font systématiquement », alors même que la loi dite « Climat et résilience »24(*) a fixé à 2026 au plus tard l'obligation d'intégrer dans tous les marchés publics une clause environnementale.

Le rapporteur spécial a interrogé l'observatoire économique de la commande publique (OECP) sur ce point. Les données fournies, dans la limite des universités ayant déclaré leurs achats auprès de l'OECP, indiquent un renforcement progressif de la prise en compte des enjeux environnementaux dans les achats des universités. Ainsi, en 2019, 20 % des clauses des marchés passés par les universités avaient un caractère environnemental, contre 32 % en 2022. En volume, les clauses environnementales ne sont présentes que dans moins de 30 % des marchés.

S'agissant des clauses sociales, elles sont moins présentes dans les marchés que les questions environnementales. Ainsi, 10,6 % des clauses de marchés passés en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

Part des clauses sociales et environnementales dans les marchés des universités déclarés auprès de l'OECP

(en %)

 

 

Clauses sociales

Clauses environnementales

2019

sur le nombre total de clauses

6,7

20,2

sur le montant total

12,6

27,8

2020

sur le nombre total de clauses

7,6

22

sur le montant total

15,2

37,1

2021

sur le nombre total de clauses

10,7

29

sur le montant total

23,4

43,3

2022

sur le nombre total de clauses

10,6

32,7

sur le montant total

19,8

29,2

Source : commission des finances d'après l'OECP

Concernant plus précisément les marchés conclus pour la fourniture d'énergie, la proportion de marchés contenant au moins une clause liée aux enjeux environnementaux est extrêmement faible (1,5 million d'euros sur les 93,3 millions d'euros déclarés en 2022 auprès de l'OECP). La part des questions environnementales est d'ailleurs en net recul entre 2021 et 2022, alors même que le nombre de marchés énergétiques déclarés par les universités auprès de l'OECP a doublé sur la même période et que le montant total concerné a plus que triplé.

Clauses environnementales au sein des marchés conclus par les universités
dans le secteur de l'énergie déclarés auprès de l'OECP

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'OECP

Les données de la DAE sont légèrement plus encourageantes, mais ne se basent que sur la déclaration d'un peu moins de la moitié des universités (47 % de répondants). Sur cette proportion, 48 % des marchés comportaient des considérations environnementales et 22 % des considérations sociales.

Les universités sont donc encore loin des objectifs fixés par la DAE aux opérateurs de l'État pour 2024 découlant de la circulaire du 21 novembre 2023 relative aux engagements pour la transformation écologique de l'État. Celle-ci prévoit de systématiser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les marchés en ciblant pour 2024 que 80 % des marchés de plus de 40 000 euros hors taxe comportent au moins une considération environnementale.

La DGESIP reconnait d'ailleurs « l'insuffisante prise en compte par les universités des critères environnementaux dans la commande publique ». Cela est d'autant plus regrettable que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche souhaitait mettre l'accent sur la responsabilité environnementale des établissements d'enseignement supérieur. Il avait indiqué au rapporteur spécial son intention de développer dans les prochains mois une plateforme d'échange d'informations et de données sur les actions conduites en faveur de la transition écologique pour un développement soutenable permettant de suivre les schémas directeurs « développement durable - responsabilité sociétale et environnementale » des universités.

Le rapporteur spécial ne saurait trop insister sur le potentiel que représentent les achats des universités dans la prise en compte des considérations environnementales et sociales. Il apparaît prioritaire que les universités s'emparent pleinement des outils que constituent la mise en place de clauses environnementales et sociales pour faire de leur commande publique un véritable outil de leur politique.

Recommandation n° 8 : renforcer la place des enjeux environnementaux et sociaux dans les achats des universités (universités).

3. Une prise en compte balbutiante des achats innovants et locaux

La prise en compte des achats responsables doit aller au-delà des clauses sociales et environnementales, notamment pour permettre un renforcement de l'achat local.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de petites et moyennes entreprises (PME). Mais il est impossible, faute de cartographie globale, de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales. En outre, le cadre européen, transposé dans le code de la commande publique, rend complexe le choix d'un prestataire selon des critères géographiques. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, ADASUP souligne la prise de conscience de ces enjeux dans les universités, mais également les freins juridiques existants : « si la volonté existe, le code de la commande publique aide peu à sa satisfaction ».

Les universités ne sauraient trop être encouragées à accroître la part de leurs achats locaux, ce qui est parfois antagoniste avec le recours croissant à la mutualisation et en particulier aux centrales d'achat nationales.

En outre, les universités doivent selon le rapporteur spécial davantage s'emparer des dispositions destinées à favoriser les achats innovants.

Le cadre juridique relatif aux achats innovants

L'article L. 2172-3 du code de la commande publique définit ce qu'est un achat innovant : sont considérés comme innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en oeuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise. Sont considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou les services proposés par les jeunes entreprises innovantes (JEI).

L'article R. 2122-9-1 du code de la commande publique inscrit dorénavant la possibilité de passer des marchés innovants sans mise en concurrence ni publicité préalables pour les marchés de moins de 100 000 euros hors taxe. Il s'agissait initialement d'une expérimentation mise en place pour trois ans en 2018 et qui a été pérennisée par le décret du 13 décembre 2021 relatif aux achats innovants et portant diverses autres dispositions en matière de commande publique.

Source : commission des finances

Là encore, les données sont assez vagues, dans la mesure où la DAE indique qu'entre 4 % et 18 % des achats réalisés par des universités le sont auprès d'entreprises innovantes. ADASUP explique ne pas pouvoir fournir de chiffres plus précis du fait d'une difficulté de mise en oeuvre liée à une divergence entre la définition d'un achat innovant, assez large, et la méthode de calcul de la performance achat de l'achat innovant (basé sur une fiscalité de l'entreprise au crédit impôt recherche, qui est une donnée protégée par le secret fiscal).

En outre, là encore, le recours fréquent aux centrales d'achats complexifie la mise en oeuvre des nouvelles dispositions juridiques. Les centrales d'achat elles-mêmes doivent prêter une attention particulière afin de promouvoir l'achat innovant. L'AMUE a ainsi indiqué au rapporteur spécial avoir introduit dans l'un de ses accords-cadres une clause de renégociation afin de permettre de tenir compte d'évolution technologique, cette clause ayant « vocation à être intégrée dans tous les marchés à contenu technologique significatif ». Si cet exemple est encourageant, il ne doit constituer qu'un début.


* 22 Réponse de la DGESIP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 23 L'enseignement supérieur face au défi de la transition écologique, décembre 2023.

* 24 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

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