N° 726

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur,

Par Mme Vanina PAOLI-GAGIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a présenté les conclusions de ses travaux de contrôle sur la performance économique des achats des universités.

I. UNE COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE MAL CONNUE MALGRÉ DES MONTANTS CONSÉQUENTS

A. UN PILOTAGE NATIONAL LIMITÉ FACE À DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT AUTONOMES

La commande publique dans les universités est régie par les règles générales applicables à l'État et ses opérateurs au sein du code de la commande publique. À ce titre, elle est tenue par l'ensemble des principes généraux auxquels sont soumis les acheteurs publics.

Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche est responsable de la politique d'achat du ministère en administration centrale et déconcentrée, mais ne l'est pas des achats des opérateurs de son périmètre, universités comme établissements de recherche. Si les textes réglementaires confient au ministère de tutelle un rôle de contrôle de la légalité et de la performance des achats, force est toutefois de constater un écart entre les textes et la réalité. En effet, le secrétariat général commun aux ministères de l'éducation, des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche n'a pas les moyens matériels d'assurer un contrôle sur l'ensemble des opérateurs de l'État dont les trois ministères ont la tutelle (une trentaine d'agents pour les achats des trois ministères).

En outre, s'agissant du cas particulier des universités, la généralisation de l'autonomie des établissements depuis la loi LRU1(*) a été déclinée au travers de la mise en oeuvre, à partir de 2007, du principe d'autonomie budgétaire et financière des universités. Du fait de cette autonomie, le ministère de l'enseignement supérieur n'assume pas de rôle de pilote des achats des universités, chacune étant libre dans la limite des règles de la commande publique. Le ministère ne tient pas directement compte de l'évolution du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités.

B. FAUTE DE SYSTÈMES D'INFORMATION ADAPTÉS, L'OPACITÉ ET LA COMPLEXITÉ DE L'ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS DES UNIVERSITÉS

Les textes réglementaires prévoient que les universités dépassant un montant de 10 millions d'euros d'achats rendent compte de leurs résultats à la direction des achats de l'État (DAE) et à leur autorité de tutelle à qui ils transmettent également une programmation pluriannuelle de leurs achats. Pourtant, la DAE indique que sur la programmation 2023 à 2026, un peu moins de 60 % des universités et assimilés soumis à l'obligation de déclaration de la programmation quadriennale de leurs achats ont transmis les éléments demandés. Une situation similaire a été signalée au rapporteur spécial par l'observatoire économique de la commande publique (OECP), rattaché au ministère de l'économie et des finances. Selon eux, près d'un quart des déclarants ne transmettraient pas leurs données, une forte incertitude demeurant sur le nombre et le type de marchés non transmis.

Ces remontées d'informations sont pourtant d'autant plus capitales qu'il n'existe pas de système d'information « achat » commun à tous les établissements et permettant d'agréger leurs données au niveau national.

C. UN COÛT TOTAL DE LA COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE ESTIMÉ À AU MOINS PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS, MAIS DONT LE MONTANT PRÉCIS RESTE MECONNU

La gouvernance multiple et l'absence de suivi consolidé effectué par le ministère entraînent d'extrêmes difficultés à reconstituer le coût global des achats publics dans l'enseignement supérieur. La DAE estime à environ 2,5 milliards d'euros le volume annuel des achats des universités et assimilés. En outre, le montant total des achats publics est extrêmement variable selon les universités. D'après les données de la DGESIP, il est ainsi en 2023 de 15 millions pour l'université de Nîmes, de 22 millions pour l'université d'Avignon et de 457,4 millions d'euros pour l'université Paris Saclay. Il est également extrêmement variable selon les années, le lancement de gros projets, en particulier immobiliers, entraînant un sursaut ponctuel qui ne reflète pas le niveau moyen des achats.

Répartition des dépenses par familles d'achats en 2023

Source : commission des finances d'après la DGESIP

Les informations transmises par la DGESIP mettent en avant un quasi-doublement du montant total entre 2017 et 2023, sous l'effet une hausse régulière accentuée entre 2021 et 2022. Deux facteurs principaux contribuent à la hausse des dépenses constatée depuis 2021. D'une part, les universités ont largement bénéficié de financements supplémentaires dans le cadre des plans de relance et de France 2030. D'autre part, la forte inflation constatée en 2022 et 2023 a entraîné un renchérissement des achats qui contribue à l'augmentation globale du montant de la commande publique dans les universités. Son impact précis est cependant extrêmement difficile à déterminer.

II. UNE PROFESSIONNALISATION TARDIVE ET INACHEVÉE DE LA FONCTION ACHAT DANS LES UNIVERSITÉS

Une des spécificités de l'achat public des universités est la multiplicité et la diversité des structures internes ordonnatrices, au-delà des seules directions financières ou achats de l'administration des universités. En outre, universités et organismes de recherche sont mêlés au sein des unités mixtes de recherche (UMR). Les UMR ont le choix de recourir à la commande au niveau de l'établissement de recherche ou de l'établissement d'enseignement supérieur, en fonction de leur intérêt.

Cette organisation complexifie le recensement et l'analyse des achats publics. L'université de Bordeaux dénombre environ 200 prescripteurs. Ils sont plus de 250 à l'université de Strasbourg. Celle d'Aix-Marseille compte 100 équivalents temps plein (ETP) prescripteurs et 400 ETP chargés des commandes d'achats. Le total de ces marchés, dont la gestion échappe donc complètement à la direction centrale, est pour l'université de Lorraine de 20 millions d'euros sur les 121 millions d'euros d'achat en 2023 (soit 16 % des achats de l'université).

Seules les universités les plus importantes ont mis en place une direction des achats n'étant ni rattachée aux directions financières, ni aux directions juridiques. Cette organisation a un impact sur la conception de la fonction achats et surtout sur la façon dont les enjeux de maîtrise budgétaire sont plus ou moins pris en compte aux côtés des enjeux juridiques et intégrés en amont de la construction des budgets.

En outre, les directions « achat » des universités ont aujourd'hui davantage de mal à recruter des acheteurs publics. Problématique qui concerne, il est vrai, l'ensemble de la fonction publique. Conséquence de ces problématiques d'attractivité, nombre d'universités ont des postes non pourvus, tandis qu'un fort renouvellement des équipes vient fragiliser l'ensemble des procédures d'achat. Ces tensions salariales apparaissent inquiétantes et ont nécessairement des impacts sur les achats et leur performance.

III. UN RECOURS GÉNÉRALISÉ AUX CENTRALES D'ACHAT

Les universités disposent de quatre modes d'achat : le passage de leurs achats en propre ; le recours aux accords-cadres de la DAE ; la mutualisation de leurs achats avec une ou plusieurs autres universités par le biais de groupements de commandes et enfin le recours à une centrale d'achat. Deux centrales se partagent plus des deux-tiers des achats des universités. La première est l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1985. Il s'agit d'une centrale d'achat généraliste qui regroupe la moitié des achats passés par les universités. L'UGAP estime que le montant total des achats des universités via sa centrale d'achats s'élève en 2023 à 158 millions d'euros.

Répartition des achats entre plateformes de mutualisation

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

L'UGAP ne perçoit pas de subvention pour charges de service public. Elle se rémunère par une marge prélevée sur les marchés mis à disposition des opérateurs publics ainsi que par une contribution des fournisseurs. Pour les établissements publics d'enseignement supérieur, ce taux de marge varie en 2023 entre 2,6 % pour les véhicules et 6,3 % pour le mobilier. Le taux moyen était de 4,07 % en 2023, contre 4,56 % en 2021.

L'UGAP estime à environ 12 % du coût total des commandes le bénéfice du recours à sa centrale d'achats, sans que ces chiffres n'apparaissent incontestables. Si l'UGAP simplifie considérablement les procédures, la qualité parfois critiquable des prestations et achats et son manque de transparence sont soulignés par de nombreux acteurs.

Évolution des commandes auprès de l'UGAP dans l'enseignement supérieur

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de l'UGAP

IV. ARTICULER L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS AVEC UN PILOTAGE NATIONAL AXÉ SUR LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS

A. UN RENFORCEMENT DE LA FORMATION À LA PERFORMANCE DE L'ACHAT PUBLIC POUR L'ENSEMBLE DES PERSONNELS DES UNIVERSITÉS

Les enseignants chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique, alors même que les gestionnaires de laboratoire sont des ordonnateurs. Peu d'universités ont mis en place des actions approfondies de formation à destination de leurs personnels. Les personnels non administratifs semblent ainsi les oubliés de la formation sur la commande publique, alors même qu'ils sont directement concernés.

B. LES CLAUSES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES : UNE INTÉGRATION EN COURS DANS LES MARCHÉS, À ACCÉLERER ET APPROFONDIR IMPÉRATIVEMENT

Les données fournies, dans la limite des universités ayant déclaré leurs achats auprès de l'observatoire économique de la commande publique (OECP), indiquent un renforcement progressif de la prise en compte des enjeux environnementaux dans les achats des universités. Ainsi, en 2019, 20 % des clauses des marchés passés par les universités avaient un caractère environnemental, contre 32 % en 2022. En volume, les clauses environnementales ne représentent cependant que moins de 30 % des marchés. S'agissant des clauses sociales, elles sont moins présentes dans les marchés que les clauses environnementales. Ainsi, 10,6 % des clauses de marchés passés en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

S'agissant plus précisément des marchés fourniture d'énergie, la proportion de marchés contenant au moins une clause liée aux enjeux environnementaux est extrêmement faible (1,5 million d'euros sur les 93,3 millions d'euros déclarés en 2022 auprès de l'OECP).

Part des clauses sociales et environnementales
dans les marchés des universités déclarés auprès de l'OECP

(en %)

 

 

Clauses
sociales

Clauses environnementales

2019

sur le nombre total de clauses

6,7

20,2

sur le montant total

12,6

27,8

2020

sur le nombre total de clauses

7,6

22,0

sur le montant total

15,2

37,1

2021

sur le nombre total de clauses

10,7

29,0

sur le montant total

23,4

43,3

2022

sur le nombre total de clauses

10,6

32,7

sur le montant total

19,8

29,2

Source : commission des finances d'après l'OECP

Les universités sont donc encore loin des objectifs fixés par la DAE aux opérateurs de l'État pour 2024 prévoyant de systématiser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les marchés, soit 80 % des marchés de plus de 40 000 euros hors taxe comportant au moins une considération environnementale.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de petites et moyennes entreprises (PME). Mais il est impossible, faute de cartographie globale, de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales.

C. ACCROÎTRE L'IMPLICATION DE L'ÉTAT DANS LE CONTRÔLE DE LA COMMANDE PUBLIQUE DES UNIVERSITÉS

Si l'autonomie est souhaitable en matière pédagogique et de gestion, force est de constater le caractère parfois vague et insuffisamment documenté, faute notamment d'outils informatiques adéquats, du pilotage effectué par le ministère, y compris sur les volets budgétaires. Il semble primordial que la tutelle exerce un contrôle plus approfondi des achats des universités.

Un des objectifs des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) porte sur l'amélioration du pilotage de l'établissement. À ce titre, des engagements peuvent théoriquement être pris. À l'heure actuelle, les contrats d'objectif, de moyens et de performance comportent très peu d'éléments en matière de performance des achats. Ce n'est le cas que dans une seule université et sur un point très spécifique : le contrat de l'université de Clermont-Ferrand prévoit l'intégration d'une clause environnementale dans la plupart des marchés.

Au regard des enjeux financiers et de l'étroitesse marges de manoeuvres budgétaires, cela semble très insuffisant. Les objectifs de performance des achats des universités doivent devenir systématiques dans les COMP. La mise en place d'indicateurs d'économies d'achat devrait ainsi être intégrée dans l'ensemble des contrats, de même que des indicateurs sur les achats responsables ou la mise en place d'une direction des achats ou d'un système d'information achat.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Améliorer le respect des obligations légales et règlementaires de transmission des achats à la direction des achats de l'État (DAE) et à l'observatoire économique de la commande publique (OECP) (DAE, ministère de l'enseignement supérieur).

Recommandation n° 2 : Prévoir au niveau national des systèmes d'information robustes permettant de lier les données d'exécution budgétaire et les informations sur les achats passés par les universités (Direction générale de l'enseignement supérieur - DGESIP, DAE).

Recommandation n° 3 : Encourager la mise en place d'un système d'information achat dans toutes les universités et établissements d'enseignement supérieur (ministère de l'enseignement supérieur, DAE, universités).

Recommandation n° 4 : Désigner dans toutes les universités un référent « performance de l'achat » (universités).

Recommandation n° 5 : Intégrer des objectifs de satisfaction qualité des opérateurs et détailler davantage ceux ayant trait à la performance économique dans le contrat d'objectifs et de performance de l'UGAP (ministère de l'économie et des finances, ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur).

Recommandation n° 6 : Encourager le développement de mutualisations entre les établissements d'enseignement supérieur (universités, ministère de l'enseignement supérieur).

Recommandation n° 7 : Déployer activement des actions de sensibilisation et de formation aux enjeux de performance de l'achat public auprès des personnels des universités (universités).

Recommandation n° 8 : Renforcer la place des enjeux environnementaux et sociaux dans les achats des universités (universités).

Recommandation n° 9 : Intégrer systématiquement dans les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) des indicateurs relatifs aux achats publics des universités et en particulier à la performance de ces achats (ministère de l'enseignement supérieur).

I. UNE COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE MAL CONNUE MALGRÉ DES MONTANTS EN JEU CONSÉQUENTS

A. UN PILOTAGE NATIONAL LIMITÉ FACE À DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT AUTONOMES

1. L'autonomie des établissements se traduit par un rôle réduit du ministère de l'enseignement supérieur dans leurs achats

La commande publique dans les universités est régie par les règles générales applicables à l'État et ses opérateurs au sein du code de la commande publique. À ce titre, elle est tenue par l'ensemble des principes généraux auxquels sont soumis les acheteurs publics, publicité et mise en concurrence en premier lieu. Les universités sont soumises aux mêmes seuils et aux mêmes procédures que l'État.

Les universités sont ainsi placées sous le régime du décret du 3 mars 20162(*).

Le pilotage des achats publics de l'enseignement supérieur par l'administration centrale relève selon les textes de plusieurs acteurs. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est responsable de la politique d'achat du ministère en administration centrale et déconcentrée. En revanche, il n'est pas directement responsable des achats des opérateurs de son périmètre, universités comme établissements de recherche.

L'article 8 du décret de 2016 précité confie aux secrétaires généraux des ministères, en l'occurrence le secrétaire général commun au ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse ; au ministère des sports et au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, un rôle de contrôle de la mise en oeuvre de la politique des achats de l'État par les établissements publics de l'État. Ce contrôle est avant tout un contrôle de légalité. Il intègre néanmoins théoriquement une dimension économique : l'article 10 du décret de 2016 prévoit que « le secrétaire général du ministère de tutelle veille à ce que l'organisation des achats de chaque établissement public ou organisme [...] intègre des objectifs d'économie et de performance ».

En second rang, le responsable ministériel des achats (RMA) des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche pilote et anime la fonction d'achats. Aux termes du décret, il « transmet à la direction des achats de l'État tout élément utile pour apprécier le respect de la politique des achats de l'État, des stratégies interministérielles ainsi que l'efficacité et l'efficience des achats du ministère ».

Force est toutefois de constater un écart entre les textes et la réalité. D'une part, le secrétariat général des ministères n'a pas les moyens matériels d'assurer un contrôle sur l'ensemble des opérateurs de l'État dont les trois ministères ont la tutelle. Ainsi, la sous-direction des achats au sein du service de l'action administrative et des moyens (SAAM) ne dispose que d'une trentaine d'agents pour les achats des trois ministères, et sans que ce nombre n'ait augmenté au fur et à mesure des évolutions des règles de la commande publique.

Il est vrai que la faiblesse des ressources des administrations centrales pour analyser et synthétiser les données relatives aux achats des établissements publics, toujours plus nombreux, dont ils assurent la tutelle n'est pas une spécificité du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Cependant, ces moyens limités se combinent aux spécificités de l'organisation de l'enseignement supérieur. En effet, s'agissant du cas particulier des universités, la généralisation de l'autonomie des établissements depuis la loi LRU3(*) a été déclinée au travers de la mise en oeuvre, à partir de 2007, du principe d'autonomie budgétaire et financière des universités. Du fait de cette autonomie, le ministère de l'enseignement supérieur n'assume pas de rôle de pilote des achats des universités, chacune étant libre dans la limite des règles de la commande publique.

Le rapporteur spécial est ainsi frappé de l'absence de connaissance systématique de la direction générale de l'enseignement supérieur (DGESIP) non seulement sur le montant des achats, mais également sur l'organisation de la commande publique au sein des universités. Ainsi, les réponses transmises par l'administration au rapporteur spécial indiquent que « la DGESIP n'est pas en capacité de répondre précisément à toutes les questions, s'agissant en particulier de celles portant sur l'organisation interne de la fonction achat de chaque université ou la nature et le volume de leurs achats ».

L'administration centrale du ministère de l'enseignement supérieur assure faire « de la question de l'optimisation des achats un sujet de dialogue avec les établissements », mais reconnaît qu'elle « ne dispose pas d'une vision agrégée et exhaustive de la situation de toutes les universités ». Elle procède essentiellement à des collectes spécifiques et ponctuelles de données au travers d'enquêtes demandées aux universités.

2. Le rôle de la direction des achats de l'État demeure essentiel

La direction des achats de l'État (DAE) est l'administration la plus directement impliquée dans le pilotage de la fonction achat des établissements.

La DAE a un rôle d'animation et de contrôle. Elle définit les indicateurs et les tableaux de bord des achats transmis par les établissements publics dont le volume annuel d'achat est supérieur à 10 millions d'euros. En outre, les textes réglementaires prévoient que les universités rendent compte de leurs résultats à la direction des achats de l'État et à leur autorité de tutelle à qui ils transmettent également une programmation pluriannuelle de leurs achats4(*). Un recensement de ces achats est effectué par la DAE au travers d'une application informatique spécifique. Enfin, le comité des achats des établissements publics de l'État, présidé par le directeur des achats de l'État, comprend des représentants des universités. Ce comité est notamment chargé de formuler toute proposition de nature à améliorer les modalités, l'efficacité et l'efficience des achats.

Plus largement, la DAE a un rôle d'organisation des achats via la mise à disposition des marchés qu'elle négocie pour l'ensemble des directions et opérateurs de l'État. 79 universités et établissements d'enseignement supérieur ont signé la convention permanente de groupement de commandes mise en place par la DAE. Ce faisant, les établissements d'enseignement supérieur représentent près de la moitié des opérateurs de l'État ayant adhéré à cette convention.

Ces établissements peuvent donc bénéficier des 76 marchés interministériels en cours d'exécution ou en préparation, sur des segments d'achats larges (énergie, immobilier et informatique ou services). Les universités adhèrent ainsi à l'ensemble de la gamme de marchés proposés au travers des accords-cadres de la DAE.

Répartition des adhésions des universités aux accords-cadres
de la DAE par segments d'achats

Source : commission des finances d'après les données de la DAE

Il convient de noter que les achats spécifiques aux universités ou établissements de l'enseignement supérieur, matériels de recherche en premier lieu, ne sont pas couverts par des supports de la DAE.

B. UN COÛT TOTAL DE LA COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE MÉCONNU MAIS ESTIMÉ À PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS

1. Le montant global de la commande publique universitaire : mal chiffré, important, en forte hausse
a) Faute de données nationales consolidées, un coût budgétaire compris entre 2,5 et 10 milliards d'euros

Cette gouvernance multiple et l'absence de suivi consolidé effectué par le ministère entraînent d'extrêmes difficultés à reconstituer le coût global des achats publics dans l'enseignement supérieur.

La DAE estime à environ 2,5 milliards d'euros le volume annuel des achats des universités et assimilés, auxquels s'ajoutent 1,4 milliard d'euros pour les établissements publics scientifiques et techniques (EPST)5(*). Ce montant n'est qu'une estimation établie « en croisant diverses sources d'information disponibles et en interrogeant ponctuellement des établissements », dès lors que la DAE, pas plus que le ministère de l'enseignement supérieur, n'ont accès au détail des cartographies des achats des établissements publics.

Cette estimation paraît déjà importante, et conduirait à ce que les universités représentent 1,4 % du montant total de la commande publique.

Les montants fournis par la DGESIP, évalués à partir d'une extraction des comptes correspondant à des dépenses relevant de la commande publique, sont cependant d'une toute autre ampleur. L'administration aboutit à un montant total annuel en 2022 et 2023 compris entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros pour les seules universités. Cela représenterait 5,6 % du montant total de la commande publique en 2023.

Montant total des achats des universités sur la base des données de la DGESIP

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

Il convient de noter un quasi-doublement du montant total entre 2017 et 2023, sous l'effet d'une hausse régulière accentuée entre 2021 et 2022 du fait de la forte inflation. En effet, le montant transmis pour 2017 serait davantage proche de 5 milliards d'euros, soit une hausse de 63 % en 6 ans.

Les données sont toutefois partielles pour certaines années pour trente universités. En extrapolant à partir des données fournies et en complétant pour les années manquantes, le rapporteur spécial estime que le montant total des achats, si l'on accepte la véracité des données transmises par la DGESIP, serait de 9,5 milliards d'euros en 2023.

Ces estimations doivent être prises avec une extrême prudence. Le rapporteur spécial ne saurait que s'étonner de certaines valeurs paraissant aberrantes dans les données fournies par la DGESIP. Ainsi, les valeurs transmises pour l'université d'Aix-Marseille évoluent d'une année sur l'autre du simple au triple et atteignent, à en croire les données transmises par la DGESIP au rapporteur spécial, plus d'un milliard d'euros certaines années, ce qui est manifestement en décalage avec les dépenses réelles de l'université.

Les montants estimés par l'Observatoire économique de la commande publique sont près de dix fois moins élevés. Ils ne comprennent cependant pas l'ensemble des achats et ne sont pas basés sur les données relatives à l'exécution des marchés, de sorte qu'ils ne constituent pas non plus une référence fiable. En revanche, on remarque que les évolutions tendancielles sont les mêmes que celles observées par la DGESIP, à savoir une forte hausse des montants des achats des universités en 2021 et 2022.

Montants des marchés publics recensés pour les universités
par l'observatoire économique de la commande publique

(en millions d'euros)

Exercice de recensement

Montant des marchés

2019

292,18

2020

436,77

2021

1 072,96

2022

745,72

Source : commission des finances d'après l'observatoire économique de la commande publique

Le principal constat est donc surtout l'absence de connaissance précise et fiable, dès lors que les montants vont du simple au triple selon les administrations interrogées. Au vu de l'importance des montants en jeu, le rapporteur spécial est surpris de l'absence de connaissances plus précises, découlant, comme cela sera développé ci-dessous, de l'absence de système d'information consolidé.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche procède néanmoins à des enquêtes. Ainsi, en 2019-2020, un questionnaire avait été adressé à 49 établissements (28 universités et 21 écoles), permettant essentiellement de constater de grandes variations des volumes d'achats déclarés par les établissements.

Ces enquêtes n'ont cependant pas d'impact mécanique en termes budgétaires, ne serait-ce que parce que le ministère ne tient pas directement compte de l'évolution du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités. L'administration se borne à indiquer que « dans l'exercice de leurs rôles de tutelle financière et de contrôle budgétaire, la DGESIP et les rectorats s'assurent de la soutenabilité budgétaire des établissements et, de facto, de leurs capacités à honorer ces dépenses potentielles ». Le rapporteur spécial s'interroge néanmoins sur le dimensionnement de ce contrôle, condamné à rester superficiel, faute de transmission automatique des données.

À titre d'exemple, en 2021 et 2022, la DAE et la DGESIP ont conduit des travaux avec 5 universités (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Auvergne, Lorraine et Strasbourg) dans le cadre général d'un plan achat de l'État. L'un des deux objectifs de ce plan était de produire des économies budgétaires pour les opérateurs ; l'autre, de développer les achats innovants et responsables. L'analyse préalable de la fonction achats des universités a été confiée aux cabinets McKinsey et EPSA. Cependant, « la deuxième phase d'identification des actions d'économies et de transformation puis la troisième phase de mise en oeuvre ont été repoussées compte tenu de la fin du marché d'accompagnement de la DAE avec les cabinets McKinsey et EPSA »6(*). Il est regrettable de ne pas être parvenu au bout de la démarche, même si cette étude ne portait que sur 5 universités.

En outre, le montant total des achats publics est extrêmement variable selon les universités. D'après les données de la DGESIP, il est ainsi en 2023 de 15 millions d'euros pour l'université de Nîmes, de 22 millions d'euros pour l'université d'Avignon et de 457,4 millions d'euros pour l'université Paris Saclay. Il est également extrêmement variable selon les années, le lancement de gros projets, en particulier immobiliers, entraînant un sursaut ponctuel qui ne reflète pas le niveau moyen des achats. Ainsi, les achats de l'université d'Aix-Marseille (et modulo les réserves énoncées plus haut sur la fiabilité de ces chiffres) s'élèvent en 2023 à 605,4 millions d'euros, contre seulement 239,3 millions d'euros en 2021.

b) Des effets de l'inflation difficiles à mesurer mais qui expliquent partiellement la hausse des dépenses depuis 2021

Deux facteurs principaux contribuent à la hausse des dépenses constatées depuis 2021.

D'une part, les universités ont largement bénéficié de financements supplémentaires dans le cadre des plans de relance et de France 2030. Ainsi, plus d'un milliard d'euros a été prévu afin de financer les investissements dans l'immobilier dans l'enseignement supérieur.

À titre d'exemple, l'université Jean Monnet (UJM) de Saint Etienne signale que l'année 2021 a été marquée par le lancement des marchés de travaux de grosses opérations, y compris de rénovation énergétique, financées pour partie par le plan de relance. En conséquence, le nombre de marchés passés en 2021 par l'UJM est supérieur de près d'un tiers au nombre moyen de marchés constatés en moyenne sur 2022-2023 (119 marchés passés en 2019 contre 54 en 2023).

L'augmentation des dépenses d'achat public entre 2021 et 2022 est également liée à un aspect conjoncturel, à savoir le lancement tardif des investissements prévus par les contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027 du fait de la crise sanitaire.

D'autre part, la forte inflation constatée en 2022 et 2023 a entraîné un renchérissement des achats qui contribue à l'augmentation globale du montant de la commande publique dans les universités. Son impact précis est cependant extrêmement difficile à déterminer, notamment s'agissant de la distinction entre l'effet volume et l'effet prix, une diminution de la consommation d'énergie pouvant par exemple atténuer l'effet de l'inflation. La DGESIP considère que l'effet de l'inflation n'est pas dominant dans la hausse observée depuis 2021, celle-ci résultant majoritairement de la hausse du volume d'achats.

L'examen des indices de révision des prix intégrés dans les marchés constitue un indice de l'inflation. L'agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE), qui propose aux établissements une plateforme d'achats mutualisés, a ainsi indiqué au rapporteur spécial avoir fait évoluer en 2023 ses tarifs de maintenance des solutions informatiques qu'elle propose entre 3 % et 9 %. L'AMUE signale notamment que peu des clauses de révision de prix prévues dans les contrats cadres ont été activées, ce qui va dans le sens des éléments transmis par la DGESIP. En outre, l'augmentation du prix des fluides a été partiellement contenue, en particulier du fait de renouvellement tardif de certains marchés d'électricité. La DGESIP signale cependant que d'autres universités ayant adhéré à des marchés de la DAE avec des fournisseurs défaillants ont été amenées à basculer pendant quelques mois sur un marché provisoire conclu au plus fort de la hausse des prix.

Au-delà des enjeux liés à l'énergie, la DGESIP indique au rapporteur spécial ne pas avoir mesuré l'impact de l'inflation sur les achats généraux et les marchés immobiliers des universités. Là encore, au vu du poids des achats liés au parc immobilier des universités et alors que les fournitures de travaux ont été particulièrement exposées à l'inflation, il est regrettable de ne pas disposer de données précises sur ce point. L'indice des coûts de la construction a ainsi progressé de 8,9 % en 2022 et de 3,39 %en 2023. À titre d'exemple, le ministère de la Culture estime pour ses opérateurs une pression inflationniste de l'ordre de 5,3 % pour le fonctionnement courant en 2022 et de 4,9 % en 2023.

2. Un nombre important de marchés concentrés sur les bâtiments

La DGESIP a également procédé à une enquête sur le nombre de marchés passés annuellement par les universités. 34 d'entre elles ont répondu. Le nombre global de marchés conclus dans l'année pour ces 34 universités est d'environ 3 000 au cours des dernières années, auxquels s'ajoutent les marchés mutualisés avec d'autres universités, ceux passés par l'intermédiaire d'une centrale d'achats et au travers des accords-cadres de la DAE.

Nombre total de marchés passés en propre
par les 34 universités ayant répondu à l'enquête de la DGESIP

Note : hors marchés subséquents et centrales d'achats

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

Les achats de matériels spécifiquement dédiés à la recherche scientifique ne représentent qu'une part extrêmement minoritaire (2 % du montant total) des achats des universités. En revanche, les dépenses liées à l'immobilier représentent plus des deux-tiers des achats (dont 40 % pour la construction, 4 % pour l'achat de terrains et 27 % d'entretien des bâtiments, y compris l'entretien général). Les achats généraux (y compris les services d'entretien, de gardiennage, les déplacements et les achats de consommables, y compris alimentaires) pèsent à hauteur de 40 % du montant total des achats des universités. Les dépenses informatiques et les dépenses énergétiques (fluides) représentent chacune environ 5 % des achats publics des universités.

Répartition des dépenses par familles d'achats sur le montant total des achats effectués par les universités en 2023

Source : commission des finances d'après la DGESIP

Là encore, il convient de prendre ces données avec de grandes précautions. En particulier, il est impossible de déterminer la répartition des dépenses par destination (fonctionnement, enseignement, activités de recherche).

Le nombre de marchés passés est extrêmement variable selon les universités et les années. À titre d'exemple, pour les seules universités situées en région Auvergne-Rhône-Alpes, près de 1 000 marchés ont été passés ou remis en jeu sur la seule année 2023.

Nombre total de marchés des universités d'Auvergne Rhône-Alpes en 2023

Université

Nombre total de marchés passés

Nombre de marchés remis en jeu

Université Claude Bernard Lyon 1

151

nc

Université Clermont Auvergne

185

73

Université Grenoble Alpes

167

82

Université Savoie Mont-Blanc

63

44

Université Jean Monnet (UJM)

54

33

Université Jean Moulin Lyon 3

81

nc

Total

701

232

Note : Les données de l'université Lumière Lyon 2 n'ont pas été transmises- hors marchés subséquents

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

C. FAUTE DE SYSTÈMES D'INFORMATION ADAPTÉS, L'OPACITÉ ET LA COMPLEXITÉ DE L'ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS UNIVERSITAIRES

1. À l'échelon national, des remontées d'information incomplètes

Comme indiqué plus haut, les textes réglementaires prévoient que les universités dépassant un montant de 10 millions d'euros d'achats rendent compte de leurs résultats à la direction des achats de l'État et à leur autorité de tutelle à qui ils transmettent également une programmation pluriannuelle de leurs achats7(*). Un recensement de ces achats est effectué par la DAE au travers d'une application informatique spécifique, dénommé AppachWeb.

Il convient cependant de noter que ne sont demandés aux établissements dans ce recensement que le nombre de marchés conclus l'année précédente et le volume des achats. D'autres éléments liés à la performance des marchés ne sont pas demandés aux universités. Si les universités recensaient sur AppachWeb l'intégralité des informations demandées par la DAE, cela constituerait déjà un fondement solide à l'évaluation de la performance des marchés. Or, la DAE l'indique clairement au rapporteur spécial : « ces indicateurs sont à prendre avec précaution, plusieurs universités ne renseignant pas dans AppachWeb le volume annuel de leurs achats comme le prévoit pourtant l'outil », et, pourrait-on ajouter, les textes réglementaires8(*). Le directeur des achats de l'État a écrit aux dirigeants des différents établissements publics, dont les présidents d'université, en janvier 2024, afin de leur rappeler leurs obligations.

La DAE indique ainsi au rapporteur spécial que sur la programmation 2023 à 2026, un peu moins de 60 % des universités et assimilés soumis à l'obligation de déclaration de la programmation quadriennale de leurs achats ont transmis les éléments demandés.

Une situation similaire a été signalée au rapporteur spécial par l'observatoire économique de la commande public (OECP), rattaché au ministère de l'économie et des finances. L'OECP est chargé du recensement économique des contrats de la commande publique. Il collecte uniquement les données sur la passation et la contractualisation des marchés, et non celles concernant le détail du prix unitaire ou de l'exécution des marchés, de sorte que leurs données ne permettent pas réellement d'évaluer la performance des achats. En outre, seuls les marchés de plus de 90 000 euros sont théoriquement soumis aux obligations déclaratives. En l'absence de sanction, l'OECP a indiqué au rapporteur spécial que de nombreux établissements publics ne respectaient pas leurs obligations de transmission des données. Selon eux, près d'un quart des déclarants ne transmettraient pas leurs données, une forte incertitude demeurant sur le nombre et le type de marchés non transmis.

Une première étape consiste donc à faire respecter par les établissements leurs obligations de déclaration de leurs achats auprès de l'État.

Recommandation n° 1 : améliorer le respect des obligations légales et règlementaires de transmission des achats à la direction des achats de l'État (DAE) et à l'observatoire économique de la commande publique (OECP) (DAE, ministère de l'enseignement supérieur).

De son côté, l'Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) n'a pas accès au nombre de marchés passés par les universités, y compris pour les titulaires des accords-cadres mis à disposition par l'agence : « le seul moyen pour disposer rapidement de l'information sur le nombre de marchés serait d'effectuer une enquête auprès des établissements ».

La DGESIP, pourtant autorité de tutelle des universités, l'indique tout aussi clairement : « il n'existe pas un système d'information achat commun à tous les établissements et permettant d'agréger leurs données au niveau national ».

Ce constat d'une insuffisance structurelle de consolidation des données au niveau national ne constitue pas une surprise pour le rapporteur spécial. Dans son rapport présenté en 2023 sur les financements liés à la loi Orientation et réussite des étudiants9(*), il avait émis des constats proches : « le ministère ne dispose que d'une vision très limitée des dispositifs mis en place par les universités, essentiellement sur la base d'enquêtes. En conséquence, le rapporteur spécial insiste sur le fait que le ministère doit considérer le renforcement de l'efficience des crédits alloués, et donc de leur suivi, comme un axe prioritaire d'amélioration de sa gestion ».

Les enjeux informatiques étaient également bien identifiés : le rapporteur spécial indiquait dans ce même rapport que le suivi budgétaire « ne pouvait passer que par le déploiement d'un système informatique interopérable entre les rectorats, l'administration centrale et les établissements, qui fait encore défaut. Ce grand chantier informatique, toujours repoussé et qui sera de grande ampleur, tant financière que par sa durée et les changements que cela impliquera pour l'ensemble des établissements, devient néanmoins incontournable ».

Le rapporteur spécial reprend donc les constats et recommandations formulées dans ses travaux précédents. L'autonomie des universités sans création simultanée de systèmes d'information consolidés apparaît a posteriori comme une erreur stratégique, ayant entraîné un dessaisissement de l'État, qui n'a désormais plus les moyens de contrôler ses opérateurs ni l'exécution détaillée des moyens publics qu'il leur accorde.

Améliorer la transparence des données liées à la commande publique dans les universités constitue donc un enjeu crucial. La DAE a indiqué avoir engagé une réflexion sur la construction d'un système d'information « achats », permettant de connaître le montant des marchés passés par les établissements et leur exécution. Cette première étape serait déjà positive. Néanmoins, sans mise en place de mécanismes d'obligation d'inscription des données, il conviendra d'être prudent sur le fait qu'une nouvelle application ne reproduise pas les limites des applications existantes, AppachWeb en premier lieu.

Recommandation n° 2 : prévoir au niveau national des systèmes d'information robustes permettant de lier les données d'exécution budgétaire et les informations sur les achats passés par les universités (Direction générale de l'enseignement supérieur - DGESIP, DAE).

2. À l'échelon des universités, une absence d'intégration des systèmes d'information qui rend la consolidation complexe

Le plus problématique est que le manque de système d'information consolidé au niveau national reflète l'absence de véritable système d'information achat au sein de chacune des universités.

La Cour des comptes relève souvent cet aspect dans ses observations sur les différentes universités. Ainsi sur l'université de Montpellier en 202310(*) : « les outils et l'organisation de la chaîne de l'achat ne permettent pas à ce jour un suivi satisfaisant au niveau du service marchés. Surtout, ces dispositifs ne permettent pas à l'université de disposer d'une vision précise de ses dépenses [...]. Il en résulte une absence de vision globale sur les achats et, en conséquence, une stratégie inaboutie pour améliorer la performance et prévenir les risques financiers et juridiques ». La Cour recommande ainsi l'élaboration d'une cartographie des achats permettant à l'université « d'identifier plus facilement des pistes d'optimisation et de mutualisation ». La Cour souligne en outre que l'université de Montpellier n'a pas garanti le respect des règles de mise en concurrence pour une proportion représentant entre 15 % et 22 % du nombre annuel de marchés de l'université.

Faute de systèmes adaptés, les universités sont très limitées s'agissant du pilotage de leurs achats. L'association des directeurs achats des établissements d'enseignement supérieur (ADASUP), entendue par le rapporteur spécial, indique ainsi que, dans le cadre de la programmation pluriannuelle à laquelle sont tenues les universités ayant un budget achat annuel supérieur à 10 millions d'euros, un recensement des besoins annuels est effectué mais sans exhaustivité du fait notamment d'un « manque d'information ou d'anticipation des prescripteurs ». En outre, le travail de compilation effectué à cette occasion est fastidieux car « réalisé à la main sur la base d'extractions du système d'information financier et de compilation de données non centralisées »11(*).

Les efforts doivent donc porter en priorité sur cet aspect. Plusieurs universités semblent d'ailleurs avoir pris conscience des enjeux et commencent à mettre en place de réels outils de pilotage. La DGESIP souligne que certaines universités se sont déjà dotées d'un système d'information dédié aux achats permettant le suivi de la passation et de l'exécution des marchés, et donc un pilotage interne des achats plus précis. Plus largement, le développement de systèmes d'information achat interconnectés avec les systèmes d'information financière des universités doit être systématisé.

Recommandation n° 3 : encourager la mise en place d'un système d'information achat dans toutes les universités et établissements d'enseignement supérieur (ministère de l'enseignement supérieur, DAE, universités).

II. UNE CULTURE INSUFFISANTE DES ACHATS PUBLICS ET DE LA PERFORMANCE DE LA COMMANDE PUBLIQUE AU SEIN DES UNIVERSITÉS

A. UNE PROFESSIONNALISATION TARDIVE ET INACHEVÉE DES FONCTIONS ACHATS DANS LES UNIVERSITÉS

1. Au sein des universités, un éclatement des ordonnateurs selon les spécificités de l'organisation des structures de recherche qui complexifie le pilotage

Une des spécificités de l'achat public des universités est la multiplicité et la diversité des structures internes ordonnatrices, au-delà des seules directions financières ou achats de l'administration de l'université. En outre, universités et organismes de recherche sont mêlés au sein des unités mixtes de recherche (UMR). Les UMR ont le choix de recourir à la commande au niveau de l'établissement de recherche ou de l'établissement d'enseignement supérieur, en fonction de leur intérêt.

L'ordonnateur en comptabilité publique

L'article 10 du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable (GBCP) du 7 novembre 2012 dispose que » les ordonnateurs prescrivent l'exécution des recettes et des dépenses ».

Ministres, exécutifs locaux ou des établissements publics sont les ordonnateurs principaux. Dans le cas des universités, il s'agit donc des présidents, avec délégation aux directeurs financiers. Les ordonnateurs secondaires sont délégataires de crédits de la part des ordonnateurs principaux. Dans les universités, il s'agit entre autres des directeurs de laboratoires.

Les ordonnateurs remplissent une fonction de décideurs financiers. Eux seuls sont habilités à apprécier l'opportunité d'une dépense et à constater l'existence d'une recette.

Source : Site internet Vie publique

Cette organisation complexifie le recensement et l'analyse des achats publics. La Cour des comptes, dans son rapport de 2023 sur l'université d'Orléans, indique ainsi qu'on dénombre au sein de l'université une soixantaine de gestionnaires financiers, répartis dans les différentes composantes et les différents pôles géographiques12(*). La Cour est explicite sur les difficultés qui en découlent en matière de performance de l'achat : « la multiplication de ces gestionnaires de dépenses, sur qui la direction centrale n'a aucune autorité hiérarchique ou fonctionnelle et ne disposent pas tous du même niveau de compétences, engendre des pratiques disparates, qui compliquent la tâche menée au niveau central, par l'agent comptable et les services centraux de l'université. [...] Si la volonté des autorités centrales de mettre en place les outils permettant d'optimiser la commande et la dépense et de diffuser les bonnes pratiques est incontestable, il est à redouter que la tâche s'avère compliquée dans une université fortement décentralisée, pour ne pas dire éclatée ».

L'université de Bordeaux dénombre environ 200 prescripteurs. Ils sont plus de 250 à l'université de Strasbourg. Celle d'Aix-Marseille compte 100 équivalents temps plein (ETP) prescripteurs et 400 ETP chargés des commandes d'achats.

Les montants dont la gestion est décentralisée aux directeurs de laboratoire ou autres structures sont en outre conséquents. Ainsi, pour l'université de Lorraine, comme d'ailleurs pour celle d'Aix-Marseille, d'après les informations transmises au rapporteur spécial, mis à part dans le cas des marchés transversaux communs à toute l'université, l'intégralité des achats inférieurs à 40 000 euros sont réalisés par les différentes composantes. Le total de ces marchés, dont la gestion échappe donc complètement à la direction centrale, est pour l'université de Lorraine de 20 millions d'euros sur les 121 millions d'euros d'achat en 2023 (soit 16 % des achats de l'université). À l'université Paris Cité, comme à celle de Strasbourg, les différentes composantes disposent d'une autonomie pour les achats d'un montant inférieur à 90 000 euros.

2. Une organisation de la fonction achat très variable selon les établissements

Les directions centralisées n'ont donc pas la main sur l'intégralité des achats des établissements. Mais l'organisation centrale est elle-même très variable selon les établissements, en fonction du degré de maturité de la fonction achats de l'université.

Le plus souvent, les achats ne sont pas rattachés à une direction spécifique mais intégrés à la direction des finances, signe d'une faible reconnaissance d'une fonction achat indépendante. Seules les universités les plus importantes ont mis en place une direction des achats n'étant ni rattachée aux directions financières, ni aux directions juridiques. En l'absence d'emplois spécifiquement dédiés, la fonction d'approvisionneur est généralement assurée en pratique par les gestionnaires.

Cette organisation a un impact sur la conception de la fonction achats et surtout sur la façon dont les enjeux de maîtrise budgétaire sont plus ou moins pris en compte aux côtés des enjeux juridiques et intégrés en amont de la construction des budgets.

Lorsqu'il existe une direction des achats, celle-ci n'a pas toujours de levier sur la performance de l'achat. Ainsi, à l'université de Grenoble Rhône Alpes, la direction des achats est décrite comme la « gardienne des règles de la commande publique », mais l'appréciation de la pertinence de l'achat est laissée à chaque direction ou unité prescriptrice. C'est ce qu'indique ADASUP : « même dans les universités ayant mis en place une direction achat, le regard sur la fonction demeure souvent limité à la seule passation des marchés publics. D'où des équipes réduites sur ces missions et les missions du référentiel métiers achat sont peu ou pas couvertes, ou dispersées dans d'autres directions »13(*). En outre, le périmètre de compétences des directions achats peut être plus ou moins réduit (il est fréquent que les achats immobiliers, voire informatiques, soient traités par d'autres directions) : par exemple, à l'université Clermont Auvergne, la direction des achats pilote uniquement les achats de fournitures et de services. Le reste des achats de l'université sont répartis entre, d'une part, la direction du patrimoine et de l'énergie pour les achats de travaux, de maintenance bâtimentaire et d'énergie ainsi que les achats de fournitures et services liés à la flotte automobile et à la reprographie et, d'autre part, la direction du budget et des finances pour le suivi d'exécution des marchés d'assurances, de téléphonie fixe, de reprographie et le contrôle de gestion de la fonction achats.

Enfin, souvent pour des raisons de systèmes d'information inexistants, les directions des achats n'assurent pas le suivi budgétaire, à l'exception signalée par ADASUP de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour.

Le nombre d'agents mobilisés est également variable. On dénombre 21 agents à la direction des achats de l'université de Bordeaux (dont 11 acheteurs). L'université de Strasbourg indique avoir 10,5 ETP dans son département des achats et marchés (auxquels s'ajoutent 4,5 ETP pour les marchés immobiliers et informatiques dans les directions compétentes). La direction de la commande publique de l'université d'Aix-Marseille comporte 18 ETP, la direction des achats de l'université de Lille (intégrée à la direction générale aux affaires financières) 16 ETP.

Par ailleurs, conséquence d'une insuffisante professionnalisation persistante de l'achat dans les universités, les rapports de la Cour des comptes sont fréquemment critiques sur l'exercice de la fonction achats dans les établissements.

Ainsi, la Cour indique concernant l'université de Polynésie en 2023 : « l'université ne dispose néanmoins d'aucun contrôle interne structuré ni de procédures formalisées d'achats et de commande publique. Ces éléments constituent une réelle zone de risque pour l'établissement ». Dans son rapport sur l'université Toulouse III en 2022, elle souligne que : « l'université n'a pas mis en place de politique de pilotage de ses achats. [...] L'achat public n'est donc pas piloté ». Dans son rapport sur l'université de Lille III en 2019, la Cour relève que « l'organisation de la fonction achat est insuffisamment structurée. [..] L'université a admis lors de l'instruction l'existence d'un « point faible persistant du sous-dimensionnement du service marchés ».

Les constats effectués par le rapporteur spécial au cours de ces travaux vont dans le même sens. En particulier, les différents directeurs des achats auditionnés soulignent le manque d'optimisation découlant de la multiplicité des gestionnaires qui passent commande et des difficultés qu'ont les directeurs des achats à se prononcer sur l'opportunité du besoin formulé par les directeurs de laboratoires, alors même que sans contrôle de l'opportunité, il n'existe pas de contrôle de la performance.

3. Des enjeux spécifiques : les matériels de recherche

Si, dans leur majorité, les achats des universités diffèrent peu de ceux des autres opérateurs de l'État, il convient cependant de tenir compte des achats spécifiquement liés aux activités de recherche.

Ces achats présentent des particularités qui imposent un traitement spécifique. Du fait d'un nombre de fournisseurs limités, et du besoin de maintenir des conditions expérimentales déterminées, les fournisseurs sont souvent en situation de monopole ou de quasi-monopole. En outre, pour certains produits spécifiques, le besoin apparaît au fur et à mesure des travaux des laboratoires.

Afin de tenir compte des particularités de ces achats, le code de la commande publique prévoit des dérogations aux règles générales de la commande publique. Ainsi, l'article R. 2100-1 du code de la commande publique prévoit que « pour leurs achats destinés à la conduite de leurs activités de recherche, les établissements publics ayant dans leurs statuts une mission de recherche appliquent les règles relatives aux acheteurs autres que l'État, ses établissements publics à caractère autre qu'industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissement publics et leurs groupements ». Les universités peuvent donc passer pour ces achats par une procédure adaptée, par laquelle l'acheteur définit librement les modalités de passation du marché14(*). Elles peuvent donc, aux termes de l'article R. 2131-13 du même code « choisir librement les modalités de publicité adaptées en fonction des caractéristiques du marché, notamment le montant et la nature des travaux, des fournitures, ou des services en cause ».

La procédure adaptée permet ainsi concrètement de computer les seuils de passation des marchés au niveau des unités de recherche (et notamment des UMR) et de moduler les obligations de publicité.

Les obligations de mise en concurrence sont souvent vues par les chercheurs comme des contraintes administratives inutiles et pénalisantes. Cette perception se reflète dans les suggestions formulées auprès du rapporteur spécial par les représentants de Sorbonne Université, demandant que l'achat lié aux activités de recherche soit intégralement exclu de l'application des dispositions du code de la commande publique. Outre que cette exclusion poserait sans doute des difficultés au regard du droit européen, les dérogations existantes (quand elles sont connues, ce qui, au vu de certaines auditions ne semble pas toujours être le cas) permettent déjà une souplesse appréciable. Ainsi la DGESIP indique-elle dans ses réponses au rapporteur spécial que « les laboratoires de recherche peuvent avoir tendance à appliquer à tous leurs achats les assouplissements prévus par la réglementation, alors que davantage de mise en concurrence ou de mutualisation pourrait parfois être recherchée, dans l'acquisition notamment de produits récurrents ou de gros matériels techniques très onéreux ».

La computation des seuils d'achat pour les activités de recherche au niveau des laboratoires, que certaines universités voudraient voir consacrée au niveau législatif, conduit à un fractionnement de ces achats et ne doit pas entraîner un contournement des règles de l'achat public.

S'agissant des modalités d'achats, les universités ne peuvent faire appel à la DAE qui ne couvre pas le domaine des équipements scientifiques, à l'exception des petits équipements et consommables de laboratoires en lien avec l'UGAP. Elles ont fréquemment recours à des centrales d'achats spécifiques (cf. infra), en particulier celle du CNRS et de l'AMUE, qui proposent des accords-cadres spécifiques pour les matériaux scientifiques.

B. UNE PRISE EN COMPTE RÉCENTE DE LA NÉCESSAIRE PROFESSIONNALISATION DE LA FONCTION ACHAT DANS LES UNIVERSITÉS

1. Une culture des enseignants-chercheurs qui demeure éloignée de l'achat public

Il est frappant de constater des visions différentes au sein des universités entre les acheteurs publics et les usagers de l'achat public que sont les enseignants-chercheurs. Les relations entre administration et enseignants chercheurs sont décrites par les représentants d'ADASUP comme « fluctuantes ». Selon ces derniers, les enseignants chercheurs « perçoivent souvent l'achat comme une contrainte administrative supplémentaire à leur métier, représentant un frein », alors qu'il peut également être perçu positivement « lorsque les résultats d'une mise en concurrence leur permettent d'acheter davantage qu'ils n'avaient prévu »15(*).

Il est vrai que les enseignants-chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique, alors même que, comme indiqué plus haut, les gestionnaires de laboratoire sont des ordonnateurs. Ainsi la Cour des comptes dans son rapport sur l'université de Lille II en 2017 indiquait-elle que « l'université n'a pas défini de règles internes et n'a pas produit de guides de l'achat à destination des gestionnaires des composantes. L'information dont ceux-ci disposent est insuffisante ». Dans son rapport sur l'institut national universitaire Champollion, également paru en 2017, la Cour indiquait que « aucune culture achat n'est diffusée, laissant la place à des achats hors marchés nombreux et discrétionnaires. La multiplicité des acteurs intervenant dans l'engagement des dépenses est notamment de nature à faire croître les achats de petit montant hors mise en concurrence sérieuse et formalisée » avant de conclure que « la normalisation de l'achat public et la diffusion des règles est urgente », face à des achats « en ordre dispersé ».

2. Une prise de conscience partielle des enjeux de performance de l'achat des universités

Le ministère de l'enseignement supérieur semble avoir pris progressivement conscience des lacunes de la fonction achat dans les universités. La DGESIP indique que des travaux ont été engagés en deux temps pour établir un diagnostic et mettre en place un plan d'action.

Dans un premier temps, en 2019-2020, les services du ministère ont établi un état des lieux sur la base d'un questionnaire adressé aux établissements. 49 d'entre eux avaient répondu à cette enquête, dont 28 universités et 21 écoles. Si cet état des lieux est une bonne chose, il démontre de nouveau le caractère extrêmement partiel des informations dont dispose le ministère. Les principaux constats recoupent en partie ceux énoncés plus haut dans le présent rapport : grande diversité des organisations et des volumes d'achat (4 universités sur 28 effectuant moins de 10 millions d'euros d'achats annuels mais 7 effectuant plus de 50 millions d'euros dont 2 universités plus de 100 millions d'euros) et nécessité de professionnalisation de la fonction achat.

Deuxième étape dans la phase de diagnostic, des travaux ont été conduits par la DAE et la DGESIP avec 5 universités en 2021 et 2022 (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Auvergne, Lorraine et Strasbourg) dans le cadre général du plan achat de l'État. Une première phase de diagnostic confiée aux cabinets McKinsey & Company et EPSA a permis d'évaluer la maturité de la fonction achat des opérateurs. Selon les résultats de l'analyse, ces cinq universités sont plutôt plus matures que la moyenne des opérateurs de l'État en termes d'organisation et de structuration de la fonction ainsi que de maîtrise des compétences et leviers achats. Elles sont en revanche en retrait sur les processus et outils ainsi que sur les achats responsables et innovants.

Il est cependant plus que regrettable que ces diagnostics, nécessairement coûteux par ailleurs, n'aient été suivis d'aucune transformation. La raison invoquée par le ministère est la fin du marché d'accompagnement de la DAE avec les cabinets McKinsey & Company et EPSA. Malheureusement, la suite devait concerner « la deuxième phase d'identification des actions d'économies et de transformation puis la troisième phase de mise en oeuvre ».

La création des directions des achats, comme indiqué plus haut, est cependant un signe positif vers une prise de conscience des enjeux, notamment budgétaires, liés aux achats publics. Le rapporteur spécial constate un mouvement de professionnalisation des achats dans de nombreuses universités. La Cour des comptes indique ainsi, à propos de Sorbonne université en 2018 que « la politique achat de l'université témoigne, depuis 2014, d'une volonté d'encadrement et de professionnalisation ; les progrès constatés dans ce domaine doivent être poursuivis ».

Les universités se concentrent toutefois sur les enjeux de sécurisation juridique des marchés, permettant de maintenir le nombre de contentieux relativement bas. Ainsi, sur les données des 34 universités transmises par la DGESIP, seuls 5 contentieux ont été signalés en 2023.

Nombre de contentieux relatifs à l'achat public dans les universités ouverts par année

(sur les 34 universités ayant répondu
à l'enquête de la DGESIP)

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

La DAE a suggéré la désignation systématique dans les universités d'un responsable achat ayant expressément dans ses missions l'amélioration de la performance des achats de l'établissement au-delà de la seule sécurisation juridique des procédures. Le rapporteur spécial considère que cette proposition va dans le bon sens et contribuerait, ne serait-ce que dans les plus grandes universités, à l'amélioration de la gouvernance des universités.

Recommandation n° 4 : désigner dans toutes les universités un référent « performance de l'achat » (universités).

3. De grandes difficultés d'attractivité s'agissant du recrutement d'acheteurs publics dans les universités

Le renforcement de la prise en compte de la performance de l'achat public dans les universités se heurte également à des difficultés de gestion des ressources humaines. En effet, les directions achat des universités ont aujourd'hui davantage de mal à recruter des acheteurs publics, problématique qui concerne il est vrai l'ensemble de la fonction publique. Toutefois, dans un contexte général de pénurie d'acheteurs publics, les universités font face à la concurrence d'autres opérateurs de l'État et surtout des collectivités territoriales, dans lesquelles les rémunérations sont plus élevées.

ADASUP indique ainsi que la différence de rémunération offerte entre une collectivité et une université peuvent atteindre 30 %. Sorbonne université va dans le même sens en soulignant les régimes indemnitaires bien plus favorables offerts aux acheteurs publics d'autres administrations.

Conséquence de ces problématiques d'attractivité, on constate, dans les fonctions achats des universités, d'importantes vacances de postes ainsi qu'un fort renouvellement des équipes pouvant fragiliser l'ensemble des procédures d'achat. L'université de Lille indique ainsi que le poste de directeur de la commande publique est vacant et que le recrutement est pour le moment infructueux, alors même que cette direction lance 200 à 250 procédures de marchés par an et suit l'exécution de 1 000 marchés.

Ces tensions salariales apparaissent inquiétantes et ont nécessairement des impacts sur les achats et leur performance.

Face à la pénurie d'acheteurs publics, « bien installée » selon Sorbonne universités, les universités sont tenues de mettre en oeuvre une priorisation des achats. L'université Clermont d'Auvergne indique ainsi que le sous-dimensionnement en termes de ressources humaines de sa direction des achats a conduit à reporter de 2023 à 2024 le lancement de procédures.

En conséquence, les universités doivent prêter une attention particulière à ces profils spécifiques. Certaines universités ont mis en avant la fonction d'acheteur public, allant dans le sens d'une valorisation et d'une professionnalisation de la fonction. L'amélioration de la fonction achat dans les universités implique de passer d'une simple logique de sécurisation juridique des marchés, qui demeure le principal impératif dans de nombreux établissements, à une logique d'analyse du besoin et de participation à la performance budgétaire de l'université. Le métier doit donc devenir une véritable interface entre les composantes des universités et les fournisseurs, lesquels ont un rôle dans l'approvisionnement comme dans l'animation du réseau des ordonnateurs de l'établissement.

Les intervenants entendus par le rapporteur spécial soulignent également que le métier d'acheteur public dans les universités est insuffisamment mis en avant dans la classification des emplois au sein du référentiel des emplois-types de la recherche et de l'enseignement supérieur (REFERENS). Actuellement, le référentiel compte une catégorie « chargé d'achat public », rattaché à l'administration générale et non à la fonction financière, et ne permet pas de couvrir la diversité des missions et des métiers effectués dans les directions des achats des universités. À titre de comparaison, le référentiel des métiers de la fonction publique (RMFP) recense 13 métiers différents au sein du domaine « achat ».

Fiche métier du chargé des achats et des marchés dans le référentiel
des emplois-types de la recherche et de l'enseignement supérieur (REFERENS)

Source : REFERENS, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Typologie des métiers liés à la fonction achat dans le référentiel
des métiers de la fonction publique (RMFP)

Famille d'emplois

Intitulé de l'emploi

Encadrement

Responsable achats

Encadrement

Responsable achats - marchés publics

Encadrement

Responsable marchés publics

Performance

Acheteuse polyvalente / Acheteur polyvalent

Performance

Acheteuse / Acheteur informatique

Performance

Acheteuse / Acheteur travaux, immobilier, énergies

Performance

Acheteuse spécialisée / Acheteur spécialisé

Performance

Acheteuse / Acheteur projet

Performance

Conseillère / Conseiller en ingénierie d'achat

Réglementation

Contrôleuse / Contrôleur de gestion achat

Réglementation

Assistante / Assistant achats marchés

Performance

Approvisionneuse / Approvisionneur expert - Gestionnaire des contrats et marchés publics

Réglementation

Juriste marchés publics

Source : commission des finances d'après le RMFP, ministère de la transformation et de la fonction publique

Il serait par conséquent souhaitable de donner davantage de visibilité à ces métiers et d'aligner, au moins en partie, les métiers disponibles sur REFERENS et ceux présentés dans le RMFP.

C. UN RECOURS GÉNÉRALISÉ AUX CENTRALES D'ACHAT

1. Un marché oligopolistique largement dominé par trois centrales d'achat

Les universités disposent de quatre modes d'achat : le passage de leurs achats en propre ; le recours aux accords-cadres de la DAE ; la mutualisation de leurs achats avec une ou plusieurs autres universités par le biais de groupements de commandes et enfin le recours à une centrale d'achat.

Ce dernier cas présente de nombreux avantages, à la fois sur le plan procédural (le recours à la centrale d'achat, elle-même soumise aux procédures du code de la commande publique, dispense ses clients de toute mise en concurrence et publicité préalables) et économique (les tarifs d'une centrale d'achat sont supposés être avantageux du fait des économies d'échelles réalisées).

La centrale d'achat peut se voir confier des missions plus ou moins étendues par les acheteurs. Ces missions peuvent porter sur un achat unique répondant à un besoin ponctuel ou au contraire constituer le principal fournisseur de l'université pour les achats courants.

Les missions des centrales d'achat sont définies à l'article L. 2113-2 du code de la commande publique. Aux termes de cet article, une centrale d'achat est un acheteur qui a pour objet d'exercer de façon permanente, au bénéfice des acheteurs, au moins l'une de deux des activités d'achat centralisées, à savoir :

- l'acquisition de fournitures ou de services. La centrale a alors un rôle de grossiste ;

- la passation des marchés de travaux, de fournitures ou de services. La centrale a alors un rôle d'intermédiaire consistant à passer, pour le compte d'autres acheteurs, des marchés publics répondant à leurs besoins.

Les centrales d'achats dans le domaine de l'enseignement supérieur sont en nombre restreint. Si l'on ne tient pas compte des marchés passés par la DAE, deux centrales se partagent plus des deux-tiers des achats des universités.

La première est l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1985 et placé sous la double tutelle du ministre chargé du Budget et du ministre chargé de l'éducation nationale. Il s'agit d'une centrale d'achat généraliste. Elle regroupe la moitié des achats passés par les universités au travers d'une centrale d'achats.

La deuxième est l'agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur ou de recherche et de support à l'enseignement supérieur ou à la recherche (AMUE). Elle représente 28 % des achats passés par les universités au travers d'une centrale d'achats.

L'agence de mutualisation des universités et des établissements
d'enseignement supérieur

L'AMUE est un groupement d'intérêt public français créé en 1992, placé sous la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Son champ de compétence initial lors de sa création était limité à l'informatique de gestion des universités et écoles supérieures publiques. Il s'est progressivement élargi au cours des années 2008, en parallèle de l'autonomisation des universités. Aujourd'hui, ses missions sont plus largement d'organiser la coopération entre établissements et de servir de support aux actions communes de ses adhérents en vue d'améliorer la qualité de leur gestion.

L'AMUE comprend, d'une part, une centrale d'achat afin de mutualiser les achats des universités et, d'autre part, un réseau d'acheteurs qu'elle anime.

Les 181 membres de l'AMUE regroupent toutes les universités, les grands établissements, les instituts et écoles extérieurs aux universités, les établissements publics expérimentaux et la plupart des organismes de recherche (hors CNRS). L'AMUE estime à 220 le nombre d'établissements potentiellement adhérents.

Le budget de l'AMUE en 2023 s'est élevé à 33 millions d'euros en AE et 34 millions d'euros en CP. Le budget prévisionnel 2024 s'élève à 41 millions d'euros en AE et 42 millions d'euros en CP. L'AMUE fonctionne essentiellement par ses ressources propres (à 70 %), complétées par 9 millions d'euros de financements de l'État. Son principal poste de dépenses sont les dépenses de personnel et le paiement de prestataires pour des prestations de conseil et de service informatiques.

Le recours à la centrale d'achat est gratuit. Le modèle économique de l'AMUE repose essentiellement sur les redevances d'utilisation des logiciels de gestion qu'elle met à disposition des adhérents.

La centrale d'achats de l'AMUE ne mobilise cependant qu'un seul emploi. L'Agence déplore le manque de connaissances sur les dépenses réalisées à travers ses accords-cadres, car son mode de fonctionnement s'appuie sur le principe de « double option » : les membres ont le choix d'adhérer à l'accord-cadre et ils ont également la possibilité de le mobiliser ou non sans que l'AMUE n'aie d'information sur ce dernier aspect.

Source : commission des finances d'après l'AMUE

Si l'on intègre les mutualisations par la DAE, l'UGAP représente 36 % des achats mutualisés des universités, contre 20 % pour l'AMUE. L'UGAP reste le premier fournisseur d'achats mutualisés.

Répartition des achats entre plateformes de mutualisation

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

De façon plus marginale, les universités utilisent également la centrale d'achats du CNRS (centre national de recherche scientifique). Les textes réglementaires16(*) prévoient que peuvent recourir à la centrale d'achat du CNRS les pouvoirs adjudicateurs liés à la gestion et au fonctionnement du service public de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la valorisation de ses résultats et du transfert de technologie. Le CNRS peut conclure des accords-cadres ou des marchés publics et les mettre à disposition des autres établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche qui le souhaitent. De même, la centrale d'achat du centre national des oeuvres scolaires et universitaires (CNOUS) est accessible aux universités, essentiellement pour les achats alimentaires.

La DGESIP estime à 208 millions d'euros le montant total des achats mutualisés par les universités, soit un peu moins de 10 % du volume total d'achats sur la base de l'estimation globale de la DAE (2,5 milliards d'euros). 74 millions d'euros correspondent à des achats effectués par le biais de l'UGAP, 60 millions d'euros par la DAE et 41 millions d'euros par l'AMUE. Là encore, ces chiffres ne recouvrent que les universités ayant répondu à l'enquête de la DGESIP et ne reposent que sur une base déclarative. Il est vraisemblable que le volume total d'achats effectué par des centrales d'achats ou d'autres plateformes de mutualisation soit en réalité plus élevé. L'UGAP estime que le montant total des achats des universités par sa centrale d'achats s'élève en 2023 à 158 millions d'euros, soit deux fois plus que le montant transmis par la DGESIP (cf. infra).

Répartition des achats mutualisés en 2023 auprès des plateformes d'achats

(en millions d'euros et pour les universités ayant répondu à l'enquête de la DGESIP)

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

Toutes les universités n'ont cependant pas recours de manière identique aux centrales d'achat, sans qu'il ne soit réellement possible d'établir une corrélation avec la taille de l'université ou les personnels mobilisés sur les fonctions achat. Ainsi, selon France universités, « le recours aux centrales d'achat dépend de l'opportunité de chaque marché et de la capacité de l'établissement à lancer ses propres procédures. Selon la nature des achats, le recours aux centrales n'est pas toujours possible en raison de ladite nature du besoin (matériel scientifique, par exemple) ou des délais ou de la disponibilité (par exemple, les véhicules) »17(*).

L'UGAP a exprimé lors de son audition des craintes sur les conséquences d'une éventuelle concurrence entre les différentes centrales d'achat. Ces inquiétudes ne semblent toutefois pas vraiment être fondées, dans la mesure où les centrales d'achat publiques semblent complémentaires. L'UGAP semble davantage privilégiée pour les segments généraux, tandis que les autres centrales sont davantage spécialisées. L'AMUE indique ainsi que celle-ci « s'est toujours positionnée sur des segments pour lesquelles il n'y avait pas offre mutualisée satisfaisante, soit car trop spécifique soit car trop gourmande en frais de gestion ». La DAE va dans le même sens en indiquant que « l'AMUE et le CNRS proposent à leurs bénéficiaires des offres spécifiques à leurs activités qui ne sont pas proposées par l'UGAP (instrumentation scientifique, documentation scientifique, certification des comptes, déplacements et assistance - rapatriement des chercheurs en mission à l'étranger, etc.) ».

La DAE interprète le mouvement de développement des mutualisations des achats publics comme une réponse à la dispersion des pouvoirs adjudicateurs en France et à la spécialisation des achats dans certains secteurs, dont l'enseignement supérieur.

Le rapporteur spécial considère que l'existence de différentes centrales publiques d'achat constitue un point positif qui permet en tout état de cause aux universités de choisir leurs fournisseurs, d'autant plus que toutes les centrales d'achat ne se rémunèrent pas de la même façon. L'accès aux accords-cadres de l'AMUE est gratuit une fois payée l'adhésion à l'agence. L'UGAC se rémunère marginalement sur les contrats, comme cela sera développé plus bas. Cette diversité des marchés et des fonctionnements reflète celle du statut des diverses centrales d'achat publique. L'UGAP est un établissement public industriel et commercial (EPIC), le CNRS ou le CNOUS sont des établissements publics administratifs L'AMUE est un GIP. Enfin, certaines centrales d'achat du secteur public local sont des associations.

2. Un recours important à l'UGAP mais qui ne peut être systématique

L'UGAP est la plus ancienne centrale d'achats spécialisée sur les établissements d'enseignement et la première en volume. Elle propose dans son catalogue l'accès à un ensemble de consommables et de prestations dans des domaines très variés : prestations intellectuelles, consommables médicaux, mobilier pour enfant, matériels informatiques, gardiennage, véhicules...

Le montant de la commande des universités auprès de l'UGAP est en hausse tendancielle, malgré un très léger repli entre 2022 et 2023. Entre 2021 et 2023, le volume d'achats des universités auprès de l'UGAP a augmenté de 27 millions d'euros, soit une hausse de 20 %.

Évolution des commandes auprès de l'UGAP dans l'enseignement supérieur

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de l'UGAP

Ainsi, les achats auprès de l'UGAP effectués par les établissements d'enseignement supérieur concernent en premier lieu les matériels informatiques et les services (gardiennage et entretien). Viennent ensuite le matériel médical et les consommables médicaux (pour les centres hospitalo-universitaires notamment) et la fourniture de mobilier. L'UGAP ne propose plus de solution relative aux déplacements professionnels depuis 2023.

Répartition des achats dans l'enseignement supérieur auprès de l'UGAP
par familles d'achats en 2023 par rapport au montant des achats

Source : commission des finances d'après les données de l'UGAP

Il existe toutefois des cas où les universités ne sont pas en capacité d'avoir recours aux prestations de l'UGAP, notamment du fait des délais ou de la disponibilité des offres. Ainsi, l'université de Polynésie française a indiqué avoir effectué une demande à l'UGAP en 2023 pour adhérer au nouveau marché de voyages, qui a été refusée, l'université n'étant pas considérée comme prioritaire.

L'UGAP est un EPIC. Il ne perçoit pas de subvention pour charges de service public. Il se rémunère par une marge prélevée sur les marchés mis à disposition des opérateurs publics ainsi que par une contribution des fournisseurs.

La grille tarifaire de l'UGAP est complexe et dépend du produit et du client. Pour les collectivités, le taux de marge varie en fonction de leur situation : la marge baisse quand un partenariat est conclu du fait d'un volume d'affaire garanti avec cette collectivité, la marge est en revanche plus élevée si la collectivité est un client occasionnel.

Taux de marge prévus par les conventions UGAP pour les collectivités

Source : UGAP

En tant qu'EPIC, la tutelle de l'UGAP est théoriquement assurée par le ministère de l'économie et des finances (direction du budget et DAE) et par le ministère de l'éducation nationale. Cette tutelle est cependant très relative, dans la mesure où les ministères sont présents au conseil d'administration de l'établissement, mais que celui-ci ne se prononce pas sur la définition des taux de marge. Pour l'État et ses opérateurs, la DAE négocie avec l'UGAP un accord tarifaire18(*), dont bénéficient les universités. Ces taux sont révisés régulièrement, sous réserve d'avoir conclu une convention spécifique.

Pour les établissements publics d'enseignement supérieur, ce taux de marge varie en 2023 entre 2,6 % pour les véhicules et 6,3 % pour le mobilier. Le taux moyen était de 4,07 % en 2023, contre 4,56 % en 2021.

Taux de marge moyens appliqués par l'UGAP pour les établissements publics d'enseignement supérieur

(en %)

 

2021

2022

2023

Informatique

4,64 %

4,16 %

3,94 %

Médical

4,11 %

3,73 %

3,57 %

Mobilier

7,60 %

7,35 %

6,33 %

Services

3,22 %

3,04 %

3,71 %

Véhicules

2,86 %

3,25 %

2,67 %

Total général

4,56 %

4,06 %

4,07 %

Source : commission des finances d'après l'UGAP

La question du gain final apporté aux universités par le recours à l'UGAP se pose. La DAE indique ne pas disposer d'une estimation sur ce point mais souligne ne pas avoir eu de difficulté avec la qualité des prestations fournies par l'UGAP. Les retours entendus par le rapporteur spécial des différents opérateurs faisant appel à l'UGAP sont cependant très variables. France universités souligne la facilité du recours à l'UGAP pour des produits sur catalogue mais indique à l'inverse que l'exécution des marchés de l'UGAP pour les prestations peut s'avérer complexe et la qualité des prestataires inégale. S'agissant plus précisément des prix, France universités considèrent que ceux-ci ne sont pas toujours avantageux, selon la durée des marchés et la marge de l'UGAP. L'association des directeurs achats des établissements d'enseignement supérieur va dans le même sens et considère que la tarification de l'UGAP « est plus ou moins attractive selon les segments. Il est à noter que les prestations de services, notamment informatiques et intellectuelles sont onéreuses car de nombreux intermédiaires interagissent sur ces segments »19(*).

Enfin, la majeure partie des acteurs auditionnés met en avant un manque de transparence de l'UGAP, notamment car les universités (ou le ministère de l'enseignement supérieur lui-même) n'ont pas accès aux contrats entre l'UGAP et leurs fournisseurs.

L'UGAP calcule quant à elle des gains achats. Elle estime à environ 12 % du coût total des commandes le bénéfice du recours à l'UGAP. Ce chiffre appelle deux réflexions : d'une part, la méthodologie de calcul de ces gains n'est pas publique. D'autre part, il intègre les gains liés à l'accès à la tarification partenariale, c'est-à-dire à l'accès aux tarifs négociés par la DAE et soumis à la conclusion d'une convention. En excluant l'impact de la tarification partenariale, le gain découlant du recours à l'UGAP ne serait que de 3,6 % du coût de la commande.

Montant total des commandes passées auprès de l'UGAP par les établissements d'enseignement supérieur en 2023 et gain estimé par l'UGAP

(en euros et en %)

 

Commandes Enregistrées

Gain Achat

Dont gain Procédure

Dont gain Exécution

Total Gain Recours

Gain Tarification Partenariale

Total Annuel des Gains

En % des Commandes Enregistrées

Médical

20 710 318

113 389

493 500

244 964

738 464

1 120 667

1 972 520

9,52 %

Mobilier

21 345 920

116 869

303 750

114 454

418 204

4 448 050

4 983 122

23,34 %

Informatique

50 127 640

274 449

933 500

1 600 358

2 533 858

3 427 536

6 235 847

12,44 %

Véhicules

4 833 925

26 466

112 250

76 244

188 494

199 020

413 979

8,56 %

Services

37 358 270

204 537

395 000

558 222

953 222

1 606 446

2 764 205

7,40 %

Total

134 376 073

735 709

2 238 000

2 594 241

4 832 241

10 801 719

16 369 673

12,18 %

Source : UGAP

L'AMUE ne dispose quant à elle pas non plus de chiffrage des gains fiable, ce qu'elle considère comme étant « clairement un objectif de la direction ». Cela suppose néanmoins un suivi fin, qui n'est pas possible en l'absence à l'heure actuelle de système d'information achat.

Le contrat d'objectifs et de performance conclu entre l'UGAP et l'État pour la période 2023-2026 prévoit un axe dédié à l'amélioration de la qualité de la prestation fournie par l'UGAP. Il prévoit en outre la mise en place, lors de la première année du COP, d'un groupe de travail entre l'UGAP et sa tutelle pour « trouver un indicateur adapté de mesure des gains achats ».

Recommandation n° 5 : intégrer des objectifs de satisfaction qualité des opérateurs et détailler davantage ceux ayant trait à la performance économique dans le contrat d'objectifs et de performance de l'UGAP (ministère de l'économie et des finances, ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur).

3. Au-delà des centrales d'achats, des mutualisations à encourager

La question du gain à la mutualisation va au-delà du seul sujet du recours à l'UGAP. La réglementation relative aux marchés publics permet aux établissements publics de mettre en place des procédures d'achats groupés, mais les universités ne se saisissent pas encore pleinement de cette possibilité. Contrairement au secteur hospitalier, où les mutualisations sont davantage développées, les universités ont tendance à avoir en premier lieu recours aux plateformes d'achats ou à leurs marchés propres, y compris entre établissements géographiquement proches.

La mutualisation entre établissements entraîne pourtant un bénéfice économique rapide. Ainsi, dans son rapport sur l'université Rennes I20(*), la Cour des comptes indique que la « mutualisation des achats a permis un gain financier estimé par l'université à 1,5 million d'euros de 2017 à 2019 ». Dans son rapport sur l'université de Pau21(*), la Cour considère que les gains apportés sur la période 2016-2019 sont de 0,9 million d'euros.

La mutualisation est particulièrement utile dans les segments d'achats n'étant pas couverts par les plateformes généralistes et spécifiques à certaines universités. La mutualisation permet, outre une réduction des coûts, une meilleure maîtrise des risques, mais également contribue au développement des échanges entre universités au travers d'un partage de méthodes et de bonnes pratiques.

À ce titre, elle constitue un levier d'amélioration de la performance économique des achats des universités qui gagnerait à être encouragé.

Lors de son audition, les représentants de Sorbonne universités n'ont pas indiqué autre chose : « la mutualisation représente l'un des leviers qui participent de l'efficacité de son activité d'achat ». Il existe d'ailleurs des exemples de mutualisation développées récemment et qui semblent fonctionner. Ainsi, un groupement de commande a été créé sur le site Lyon-Saint-Etienne. Ce réseau des Universités et Établissements des acheteurs (RUE) regroupe l'université Claude Bernard - Lyon 1 ; l'université Jean Moulin - Lyon 3 ; l'université Lumière - Lyon 2 ; l'université Jean Monnet - Saint-Etienne ; l'institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon et l'école normale supérieure (ENS) de Lyon. D'après les informations transmises au rapporteur spécial, les membres du réseau se réunissent une fois par mois afin d'identifier les projets d'achats communs de fournitures, de prestations de services ou de travaux. Ce type de mutualisation gagnerait à être développées dans d'autres établissements.

Recommandation n° 6 : encourager le développement de mutualisations entre les établissements d'enseignement supérieur (universités, ministère de l'enseignement supérieur).

III. AMÉLIORER LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS : ARTICULER L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS AVEC UN PILOTAGE NATIONAL PLUS COHÉRENT

A. FAIRE DES ACHATS UN RÉEL ET PUISSANT INSTRUMENT DE POLITIQUE POUR LES UNIVERSITÉ

1. Un nécessaire renforcement de la formation à la performance de l'achat public pour l'ensemble des personnels des universités

Dès lors qu'un grand nombre d'acteurs sont impliqués dans le processus d'achat dans les universités, l'intégration des enjeux liés à la performance implique de mobiliser non seulement les directions des achats (et financières et juridiques selon l'organisation), mais également l'ensemble des directions métiers. La professionnalisation de l'achat passe par la sensibilisation des instances de direction, et, au-delà, des enseignants chercheurs, aux enjeux de l'achat notamment en tant que source d'économies budgétaires.

Les directions métiers sont en effet les mieux placées pour juger de l'opportunité de l'achat. Elles ne doivent cependant pas être les seules juges, mais bénéficier de l'appui et de la formation prodigués par les directions des achats.

Le rapporteur spécial constate que peu d'universités ont mis en place des actions approfondies de formation à destination de leurs personnels. La DGESIP indique avoir instauré depuis 2016 un parcours à destination des responsables achats des établissements, à l'instar de ceux proposés aux cadres supérieurs en charge des principales fonctions supports des universités et écoles d'enseignement supérieur. Cette formation aborde à la fois le contexte réglementaire, son actualité, la construction, la mise en oeuvre et l'évaluation d'une politique d'achats mais également les objectifs de performance achat, intégrant les notions d'achat durable et responsable : « la politique d'achats est pensée dans ce cadre comme un des leviers pour atteindre les objectifs de la stratégie globale de l'établissement »22(*). Si cette initiative est souhaitable, de telles formations ne devraient pas être réservées aux seuls chargés d'achats, dans la mesure où les universités comptent fréquemment plusieurs centaines d'ordonnateurs.

Les personnels non administratifs semblent ainsi les oubliés de la formation sur la commande publique, alors même qu'ils sont directement concernés. Ainsi la Cour des comptes indiquait-elle en 2019 dans son rapport sur l'université Lille III : « selon le directeur des affaires financières, la procédure générale d'achat de l'université est connue par les composantes et mise en ligne sur le portail de l'université. Une note de rappel des procédures achat/marchés est envoyée en général deux fois par an et une formation est donnée aux personnels qui souhaitent s'y inscrire, soulignant ainsi le caractère facultatif de cette formation ».

La DAE propose au travers de l'institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) des formations achat certifiantes. 92 agents des universités ont été certifiés à l'issue d'une formation proposée par l'IGPDE, issus de 20 universités. En 2023, 27 agents ont été formés sur les enjeux relatifs à la commande publique et aux achats responsables issus de 19 universités. Ces chiffres restent faibles au regard du public potentiellement concerné. En outre, seules 23 universités ont adhéré à l'accord cadre interministériel « formations certifiantes » sur l'achat public, ce qui est loin de couvrir la majorité des établissements.

Recommandation n° 7 : déployer activement des actions de sensibilisation et de formation aux enjeux de performance de l'achat public auprès des personnels des universités (universités).

2. Les clauses environnementales et sociales : une intégration en cours à approfondir impérativement

La Cour des comptes a souligné dans son dernier rapport23(*) le « bilan mitigé » de la prise en compte des questions environnementales dans la politique d'achats : « la moitié des établissements ont fixé des règles liées à la transition écologique dans leurs politiques d'achat, mais seulement 14 % d'entre eux le font systématiquement », alors même que la loi dite « Climat et résilience »24(*) a fixé à 2026 au plus tard l'obligation d'intégrer dans tous les marchés publics une clause environnementale.

Le rapporteur spécial a interrogé l'observatoire économique de la commande publique (OECP) sur ce point. Les données fournies, dans la limite des universités ayant déclaré leurs achats auprès de l'OECP, indiquent un renforcement progressif de la prise en compte des enjeux environnementaux dans les achats des universités. Ainsi, en 2019, 20 % des clauses des marchés passés par les universités avaient un caractère environnemental, contre 32 % en 2022. En volume, les clauses environnementales ne sont présentes que dans moins de 30 % des marchés.

S'agissant des clauses sociales, elles sont moins présentes dans les marchés que les questions environnementales. Ainsi, 10,6 % des clauses de marchés passés en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

Part des clauses sociales et environnementales dans les marchés des universités déclarés auprès de l'OECP

(en %)

 

 

Clauses sociales

Clauses environnementales

2019

sur le nombre total de clauses

6,7

20,2

sur le montant total

12,6

27,8

2020

sur le nombre total de clauses

7,6

22

sur le montant total

15,2

37,1

2021

sur le nombre total de clauses

10,7

29

sur le montant total

23,4

43,3

2022

sur le nombre total de clauses

10,6

32,7

sur le montant total

19,8

29,2

Source : commission des finances d'après l'OECP

Concernant plus précisément les marchés conclus pour la fourniture d'énergie, la proportion de marchés contenant au moins une clause liée aux enjeux environnementaux est extrêmement faible (1,5 million d'euros sur les 93,3 millions d'euros déclarés en 2022 auprès de l'OECP). La part des questions environnementales est d'ailleurs en net recul entre 2021 et 2022, alors même que le nombre de marchés énergétiques déclarés par les universités auprès de l'OECP a doublé sur la même période et que le montant total concerné a plus que triplé.

Clauses environnementales au sein des marchés conclus par les universités
dans le secteur de l'énergie déclarés auprès de l'OECP

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après l'OECP

Les données de la DAE sont légèrement plus encourageantes, mais ne se basent que sur la déclaration d'un peu moins de la moitié des universités (47 % de répondants). Sur cette proportion, 48 % des marchés comportaient des considérations environnementales et 22 % des considérations sociales.

Les universités sont donc encore loin des objectifs fixés par la DAE aux opérateurs de l'État pour 2024 découlant de la circulaire du 21 novembre 2023 relative aux engagements pour la transformation écologique de l'État. Celle-ci prévoit de systématiser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les marchés en ciblant pour 2024 que 80 % des marchés de plus de 40 000 euros hors taxe comportent au moins une considération environnementale.

La DGESIP reconnait d'ailleurs « l'insuffisante prise en compte par les universités des critères environnementaux dans la commande publique ». Cela est d'autant plus regrettable que le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche souhaitait mettre l'accent sur la responsabilité environnementale des établissements d'enseignement supérieur. Il avait indiqué au rapporteur spécial son intention de développer dans les prochains mois une plateforme d'échange d'informations et de données sur les actions conduites en faveur de la transition écologique pour un développement soutenable permettant de suivre les schémas directeurs « développement durable - responsabilité sociétale et environnementale » des universités.

Le rapporteur spécial ne saurait trop insister sur le potentiel que représentent les achats des universités dans la prise en compte des considérations environnementales et sociales. Il apparaît prioritaire que les universités s'emparent pleinement des outils que constituent la mise en place de clauses environnementales et sociales pour faire de leur commande publique un véritable outil de leur politique.

Recommandation n° 8 : renforcer la place des enjeux environnementaux et sociaux dans les achats des universités (universités).

3. Une prise en compte balbutiante des achats innovants et locaux

La prise en compte des achats responsables doit aller au-delà des clauses sociales et environnementales, notamment pour permettre un renforcement de l'achat local.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de petites et moyennes entreprises (PME). Mais il est impossible, faute de cartographie globale, de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales. En outre, le cadre européen, transposé dans le code de la commande publique, rend complexe le choix d'un prestataire selon des critères géographiques. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, ADASUP souligne la prise de conscience de ces enjeux dans les universités, mais également les freins juridiques existants : « si la volonté existe, le code de la commande publique aide peu à sa satisfaction ».

Les universités ne sauraient trop être encouragées à accroître la part de leurs achats locaux, ce qui est parfois antagoniste avec le recours croissant à la mutualisation et en particulier aux centrales d'achat nationales.

En outre, les universités doivent selon le rapporteur spécial davantage s'emparer des dispositions destinées à favoriser les achats innovants.

Le cadre juridique relatif aux achats innovants

L'article L. 2172-3 du code de la commande publique définit ce qu'est un achat innovant : sont considérés comme innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en oeuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise. Sont considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou les services proposés par les jeunes entreprises innovantes (JEI).

L'article R. 2122-9-1 du code de la commande publique inscrit dorénavant la possibilité de passer des marchés innovants sans mise en concurrence ni publicité préalables pour les marchés de moins de 100 000 euros hors taxe. Il s'agissait initialement d'une expérimentation mise en place pour trois ans en 2018 et qui a été pérennisée par le décret du 13 décembre 2021 relatif aux achats innovants et portant diverses autres dispositions en matière de commande publique.

Source : commission des finances

Là encore, les données sont assez vagues, dans la mesure où la DAE indique qu'entre 4 % et 18 % des achats réalisés par des universités le sont auprès d'entreprises innovantes. ADASUP explique ne pas pouvoir fournir de chiffres plus précis du fait d'une difficulté de mise en oeuvre liée à une divergence entre la définition d'un achat innovant, assez large, et la méthode de calcul de la performance achat de l'achat innovant (basé sur une fiscalité de l'entreprise au crédit impôt recherche, qui est une donnée protégée par le secret fiscal).

En outre, là encore, le recours fréquent aux centrales d'achats complexifie la mise en oeuvre des nouvelles dispositions juridiques. Les centrales d'achat elles-mêmes doivent prêter une attention particulière afin de promouvoir l'achat innovant. L'AMUE a ainsi indiqué au rapporteur spécial avoir introduit dans l'un de ses accords-cadres une clause de renégociation afin de permettre de tenir compte d'évolution technologique, cette clause ayant « vocation à être intégrée dans tous les marchés à contenu technologique significatif ». Si cet exemple est encourageant, il ne doit constituer qu'un début.

B. AUTONOMIE MAIS PILOTAGE NATIONAL DES ACHATS : ACCROÎTRE L'IMPLICATION DE L'ÉTAT DANS LE CONTRÔLE DE LA COMMANDE PUBLIQUE DES UNIVERSITÉS

1. Un renforcement nécessaire du contrôle de l'État

Le dialogue stratégique et de gestion (DSG) mis en oeuvre entre 2019 et 2022, qui visait à une répartition d'une partie des moyens accordés aux universités sur la base d'un dialogue entre le rectorat et les établissements d'enseignement supérieur, comportait une partie spécifiquement dédiée aux achats, pour identifier les améliorations envisageables pour dégager des marges de manoeuvre. Cette grille comportait une liste indicative des leviers d'économies achat, dont certains sont reproduits dans le tableau ci-après.

Exemples de propositions d'économies d'achats du ministère
auprès des universités dans le cadre du DSG pour 2022

Segment

Action

Abonnement et Documentation

Limiter les abonnements papiers et privilégier les abonnements numériques

Fournitures de bureau 

Questionner l'offre « fourniture de bureau » de l'UGAP

Limiter les commandes en dehors des marchés interministériels ou spécifiques ministères

Gardiennage

Remettre en concurrence les prestations attribuées à un marché UGAP

Voyages et déplacements 

Supprimer les voyages non essentiels

Aligner et appliquer la politique voyages sur les classes de confort les moins onéreuses

Energie (consommations électriques) 

Étude des fluctuations de la consommation de base en période d'inactivité (nuit, weekend...)

Actions d'efficacité énergétique pour baisser la consommation d'Energie, notamment via le dispositif des CEE

Prestations intellectuelles 

Favoriser les échanges entre ministères en matière de bonnes pratiques et de retours d'expériences en s'appuyant sur une mise en réseau des acteurs pour challenger les besoins, devis et offres et une plateforme de partage de livrables

Favoriser le recours aux ressources internes pour répondre aux besoins d'études et de prestations de conseil

Restauration et Alimentation

Mise en place d'accords-cadres interministériels de restauration collective

Véhicules légers

Professionnalisation de la gestion du parc

Source : commission des finances d'après les documents fournis par le ministère de l'enseignement supérieur

Si la démarche semble positive, le rapporteur spécial s'interroge sur le caractère peu contraignant de certaines des suggestions, alors que plusieurs des pistes d'économies semblent davantage relever du bon sens que d'un réel encadrement de la tutelle. À titre d'exemple, il est presque inquiétant de constater que le ministère sente nécessaire de suggérer aux universités de « professionnaliser la gestion du parc de véhicules » ou encore de « favoriser le recours aux ressources internes pour répondre aux besoins d'études et de prestations de conseil ».

De même, les questions posées par la tutelle aux universités dans le cadre du DSG restaient très génériques : « existe-t-il une démarche d'optimisation des achats » ; « quels sont les segments d'achats sur lesquels des marges de progression pourraient exister » et enfin « quelle est la stratégie de l'établissement en matière de dépenses énergétiques » ?

Si l'autonomie est plus que jamais souhaitable en matière pédagogique, et dans certains pans de leur gestion, le rapporteur spécial constate le caractère parfois vague et insuffisamment documenté, faute notamment d'outils informatiques adéquats, du pilotage effectué par le ministère, y compris sur les volets budgétaires. Le renforcement de l'autonomie, autre que pédagogique, des universités, ne doit pas signifier que l'État renonce aux moyens de contrôler l'utilisation des crédits qu'il alloue, quand bien même le ministère ne tient pas directement compte de l'évolution du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP).

Il semble primordial que la tutelle exerce un contrôle plus approfondi des achats des universités. Les universités doivent déjà élaborer divers documents de pilotage relatifs aux achats (programmation pluriannuelle et annuelle des achats et plan d'action achats annuel). Ces documents doivent constituer un réel instrument de contrôle et d'évaluation de la tutelle s'agissant de la performance des achats des universités.

La DAE a indiqué vouloir mettre en place à partir de 2024 un audit a posteriori aléatoire sur l'évaluation des prix obtenus et des prix de référence déclarés par les établissements publics, dont les universités, dans AppachWeb. Cette évaluation semble nécessaire au vu des lacunes observées supra dans les déclarations des universités sur ce logiciel.

2. Faire de la commande publique un axe structurant de la contractualisation État-universités

En loi de finances pour 202325(*), 35 millions d'euros étaient prévus pour la mise en place expérimentale des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) avec certaines universités. Ces contrats devraient à terme être généralisés en trois vagues en se substituant au dialogue stratégique et de gestion, pour un financement total de 300 millions d'euros environ lorsque tous les établissements seront concernés.

La première vague des COMP a concerné 17 contrats pour 34 établissements, pour une allocation prévisionnelle de plus de 110 millions d'euros sur trois ans. Ce montant correspond à une augmentation de la subvention pour charges de service public comprise entre 0,72 % et 1 % selon les établissements. Les COMP visent quatre objectifs de politiques publiques (adaptation de l'offre de formation, recherche, transition écologique pour un développement soutenable et bien-être et réussite des étudiants) ainsi que le renforcement des fonctions de pilotage.

Un des objectifs des COMP porte sur l'amélioration du pilotage de l'établissement. À ce titre, des engagements peuvent théoriquement être pris en matière de performance des achats. À l'heure actuelle, ce n'est le cas que dans une seule université et sur un point très spécifique : le contrat de l'université de Clermont-Ferrand prévoit l'intégration d'une clause environnementale dans la plupart des marchés. À ce titre, les COMP sont donc en retrait par rapport au dialogue stratégique et de gestion, qui laissait une plus large part aux économies achat.

Au regard des enjeux financiers et des marges de manoeuvre budgétaires, cela semble très insuffisant. Le rapporteur spécial considère que des objectifs de performance des achats des universités doivent devenir systématiques dans les COMP. La mise en place d'indicateurs d'économies d'achat devrait être intégrée dans l'ensemble des contrats, de même que des indicateurs sur les achats responsables ou la mise en place d'une direction des achats ou d'un système d'information achat.

Cette modification des COMP pourrait intervenir alors que ces contrats sont en outre appelés à prendre une nouvelle ampleur avec « l'acte II de l'autonomie » annoncé par le Président de la République lors de son discours du 7 décembre 2023 sur l'avenir de la recherche. La ministre de l'enseignement supérieur avait indiqué au printemps 2024 avoir choisi de lancer une expérimentation au sein de neuf établissements. Ces établissements pilotes devront signer un avenant à leur COMP, ce qui pourrait constituer une occasion pour y intégrer des indicateurs relatifs aux achats.

En outre, il est impératif que les financements finalement attribués tiennent compte de l'atteinte des objectifs fixés dans les COMP : il doit s'agir de financements réellement conditionnés à l'atteinte des cibles, afin que les contrats aient réellement un caractère incitatif et non celui d'une subvention déguisée, comme cela a pu être à craindre par le passé.

Recommandation n° 9 : intégrer systématiquement dans les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) des indicateurs relatifs aux achats publics des universités et en particulier à la performance de ces achats (ministère de l'enseignement supérieur).

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juillet 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial, sur l'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur.

M. Claude Raynal, président. - La dernière communication de la matinée est celle de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sur l'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - J'ai souhaité consacrer mon travail de contrôle budgétaire pour 2024 à la commande publique dans les universités. Ce sujet n'avait à ma connaissance jamais été documenté de façon synthétique, bien que la Cour des comptes consacre fréquemment quelques lignes aux achats publics dans ses rapports d'évaluation consacrés aux universités.

La commande publique est régie dans les établissements d'enseignement supérieur par les dispositions générales applicables à l'État et à ses opérateurs. En conséquence, mes travaux n'avaient pas pour enjeu le droit de la commande publique, mais la façon dont les universités gèrent leurs achats.

Mon premier objectif était de déterminer le montant global des achats effectués par les universités. Malheureusement, il est rapidement apparu que cet exercice serait loin d'être une formalité.

En effet, il n'existe pas de système d'information commun à tous les établissements permettant d'agréger les données relatives à leurs achats au niveau national. Cela ne constitue pas une surprise. Dans mon contrôle budgétaire portant sur la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), j'avais constaté à quel point le ministère souffrait d'un manque cruel de systèmes d'information aptes à consolider les données budgétaires au niveau national. Nous payons à mon sens aujourd'hui le péché originel d'avoir accordé l'autonomie aux universités sans avoir précédemment veillé à mettre en place des outils informatiques permettant au ministère d'exercer son rôle de tutelle. L'autonomie des universités est une bonne chose, mais elle ne doit pas déboucher sur une absence de contrôle.

En outre, les universités ne remplissent pas toujours leurs obligations réglementaires de transmission des informations relatives au montant et au volume de leurs achats à l'administration. La direction des achats de l'État (DAE) indique que seules 60 % des universités soumises à l'obligation de déclaration de la programmation de leurs achats ont transmis ces éléments à Bercy.

Dès lors, toute estimation du montant global des achats dans les universités ne peut être qu'approximative. La DAE estime que le total des achats des universités s'élève à 2,5 milliards d'euros par an. Cette évaluation paraît déjà importante : les universités représenteraient ainsi 1,4 % du montant total de la commande publique.

Le ministère de l'enseignement supérieur, quant à lui, évoque des montants annuels de l'ordre de 10 milliards d'euros. Mais ces chiffres doivent être pris avec la plus grande circonspection : les données de certaines universités sont manquantes, certaines valeurs paraissant aberrantes tandis que d'autres reflètent une évolution du simple au triple d'une année sur l'autre.

Dans ces conditions, il va sans dire que le ministère de l'enseignement supérieur n'est pas en mesure de tenir compte du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités.

Plus problématique encore, le manque de système d'information consolidé au niveau national reflète l'absence de véritable système d'information « achat » au sein de chacune des universités. Faute d'outils adaptés, les universités ont peu de leviers d'actions pour piloter leurs achats : les efforts doivent porter en priorité sur cet aspect.

Les universités ont recours de façon importante à des centrales d'achats, pour un volume total de près de 10 % du total de leurs achats. Deux centrales se partagent plus des deux tiers des achats mutualisés des universités. La première est l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), qui regroupe la moitié des achats passés par les universités, soit 158 millions d'euros par an.

Établissement public, l'Ugap s'est presque vantée de ne pas recevoir de subvention pour charges de service public. Elle se rémunère par une marge prélevée sur les marchés mis à disposition des opérateurs publics ainsi que par une contribution des fournisseurs. Pour les établissements publics d'enseignement supérieur, ce taux de marge varie en 2023 entre 2,6 % pour les véhicules et 6,3 % pour le mobilier.

Quel gain les universités retirent-elles du recours aux services de l'Ugap ? La DAE ne dispose pas d'estimation précise. Elle n'a toutefois pas identifié de difficultés quant à la qualité des prestations fournies par la centrale d'achats. Cela dit, les différents opérateurs y ayant recours ont des appréciations variables sur la qualité du service rendu, même si la plupart soulignent le gain de temps qui en découle. En tout état de cause, la majorité des personnes auditionnées met en avant un manque de transparence de l'Ugap.

J'en viens maintenant au sujet de l'organisation des achats au sein des universités elles-mêmes. L'une des spécificités de l'achat public universitaire est la multiplicité et la diversité des structures internes qui passent des achats, au-delà des seules directions financières des universités. Chaque directeur de laboratoire ou d'unité mixte de recherche (UMR) est compétent pour ses propres achats. Dans une même université, vous pouvez donc avoir plusieurs centaines de prescripteurs d'achats sur lesquels les directions financières ne disposent d'aucun droit de regard.

Cette organisation a évidemment un impact sur la conception de la fonction « achat » et surtout sur la façon dont les enjeux de maîtrise budgétaire sont plus ou moins pris en compte. Les enseignants-chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique ; celles-ci sont parfois perçues comme un frein à l'activité de recherche. Or la professionnalisation de l'achat passe par la sensibilisation des instances de direction, et, au-delà, des enseignants-chercheurs, aux enjeux de l'achat, notamment en tant que source d'économies budgétaires.

L'organisation centrale est elle-même très variable selon les établissements, en fonction du degré de maturité de la fonction achats de l'université. Le plus souvent, les achats ne sont pas rattachés à une direction spécifique, mais intégrés à la direction des finances, signe d'une faible reconnaissance d'une fonction achat indépendante. Il me semble nécessaire de promouvoir la création dans la plupart des universités d'une direction des achats.

Par ailleurs, les universités privilégient souvent davantage la sécurisation juridique de leurs achats afin d'éviter tout risque contentieux, au détriment du gisement d'économies que ceux-ci peuvent potentiellement représenter : cela explique en partie le recours fréquent aux centrales.

En outre, le renforcement de la prise en compte de la performance de l'achat public dans les universités se heurte également à des difficultés de gestion des ressources humaines. Lorsqu'elles recrutent des acheteurs publics, les universités font face à la concurrence d'autres opérateurs de l'État et surtout à celle des collectivités territoriales, qui offrent des rémunérations plus élevées - l'écart pouvant aller jusqu'à 30 %.

J'en viens maintenant à un sujet particulièrement important : l'intégration dans les marchés passés par les universités des clauses environnementales et sociales, ainsi que des clauses sur l'achat local ou innovant.

La loi Climat et résilience a fixé à 2026, au plus tard, l'obligation d'intégrer dans tous les marchés publics une clause environnementale. Nous en sommes encore loin. Les clauses environnementales ne sont présentes que dans 30 % à 50 % des marchés des universités, selon les sources. Le ministère reconnait d'ailleurs l'insuffisante prise en compte par les universités des critères environnementaux dans la commande publique. Par ailleurs, seules 10 % des clauses de marchés passés par les universités en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de PME. Faute de cartographie globale, il est toutefois impossible de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales. S'agissant des achats dits innovants, entre 4 % et 18 % des achats réalisés par des universités le sont auprès d'entreprises innovantes : là encore, la situation est floue. Les universités doivent s'emparer pleinement de ces clauses spécifiques pour faire de leur commande publique un véritable outil de leur politique ; c'est une priorité.

Vous l'aurez compris : le constat d'ensemble est loin d'être entièrement positif, alors que la commande publique des universités s'élève à 2,5 milliards d'euros - ou 10 milliards d'euros, selon les sources. Certes, nous observons des progrès et une prise de conscience dans les universités, mais cela ne suffit pas.

Je formule donc neuf recommandations. Plusieurs ont trait à l'organisation interne des universités, avec la création de directions des achats, de référents performance des achats ou de systèmes d'information interopérables.

D'autres ont trait au contrôle exercé par la tutelle. Il me semble en particulier que les contrats signés entre l'État et les universités devraient contenir des indicateurs sur la performance des achats, voire des objectifs chiffrés d'économies. La tutelle doit davantage s'emparer de cette question.

Je ne serai pas plus longue sur ce sujet certes technique, mais qui, au-delà de son caractère parfois aride, soulève des questions beaucoup plus larges sur l'organisation des universités, sur la prise en compte des enjeux de performance des deniers publics, mais aussi sur l'impossibilité de disposer d'une vision d'ensemble en tant qu'élus de la nation. Faute d'outils de pilotage, l'État ne peut pas jouer son rôle de stratège.

Ce rapport a aussi été l'occasion de recueillir des témoignages de pratiques étranges dans le cadre d'achats publics, notamment en commandant plusieurs smartphones pour être sûr d'en recevoir au moins un. Il reste encore beaucoup à faire, car les inégalités sont manifestes entre les structures et les agents publics. Comment sortir de cette culture conduisant notamment certains à se prémunir d'une éventuelle privation de moyens à l'avenir ? Nous le constatons dans de nombreux domaines : notre pays souffre de ce type d'attitude. J'en appelle à vos initiatives.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail de Vanina Paoli-Gagin, qui pose une question essentielle : comment faire évoluer la culture de la dépense dans notre pays ? Cela me rappelle quelques souvenirs liés à l'examen du dernier projet de loi de finances. Les rapports examinés ce matin en témoignent : dépenser l'argent public efficacement n'est pas un gros mot.

Un principe de base anime tout ou partie de nos assemblées lorsque l'on aborde la question des moyens des universités : jamais moins. Il nous est impossible d'entrer dans le détail des dépenses et les demandes qui remontent aux parlementaires peuvent se résumer ainsi : toujours plus. J'appelle chacun à la modération.

Je suis étonné par les écarts existant entre les différentes estimations en matière de commande publique des universités : la variable s'élève entre 2 et 10 milliards d'euros. Or, souvent, les hauts responsables du secteur nous font la leçon sur la qualité de la dépense publique. En outre, ils n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme auprès des collectivités locales.

Je déplore l'absence de vision d'ensemble. Se mettre autour d'une table pour trouver des points de convergence est assez à la mode en ce moment. Pourquoi, d'ici à l'examen du prochain projet de loi de finances, ne pas essayer de traiter les sujets les plus irritants identifiés par les rapports de contrôle ? Ce serait déjà un pas dans la bonne direction. À la lecture de ce rapport, je constate que le chemin des économies n'est pas privilégié. Une partie de l'argent s'évapore : difficile de savoir dans ces conditions si certains crédits ne touchent pas réellement leur cible ou sont redondants.

Ces éléments sont particulièrement utiles pour le débat actuel. Nous devons nous en emparer pour formuler des propositions.

M. Michel Canévet. - Je remercie notre rapporteur spécial pour la qualité de ce rapport.

L'Ugap a été évoquée ; quelle est la seconde centrale d'achats ? L'importance de ces deux structures en matière de commande publique des universités est-elle similaire ?

Les dépenses relatives aux installations générales techniques et à l'entretien représentent, d'après la synthèse qui nous a été transmise, 27 % des dépenses en matière d'achat public universitaire. Comment se justifie ce montant élevé ?

La part des dépenses liées aux constructions s'élève à 40 %. L'amélioration thermique des bâtiments suppose sans doute des efforts considérables. Or les universités ne peuvent recourir à l'emprunt pour financer ces investissements. Dans ces conditions, comment peuvent-elles agir ?

M. Marc Laménie. - Les crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche représentent l'un des premiers budgets de l'État. J'ai été surpris des propos concernant des pratiques contestables concernant certains achats : pourquoi gaspiller ainsi de l'argent ? Et pourquoi faut-il toujours plus de moyens ?

Comment mettre en oeuvre la quatrième recommandation du rapport, la création d'un poste de référent achats dans chaque université ?

La mission « Recherche et enseignement supérieur » fait appel à de nombreux opérateurs de l'État. Combien de personnes travaillent dans le domaine de la commande publique ? Comment mettre en place une mutualisation ?

Mme Ghislaine Senée. - Nous partageons le constat : nous devons réorienter les achats et la commande publique vers davantage de sobriété, qui n'est pas synonyme de moins de croissance. L'exemple des smartphones est à cet égard édifiant : il faut mesurer l'impact de telles pratiques sur les ressources de la planète.

L'enseignement supérieur, qui regroupe les universités et les grandes écoles, forme notamment nos cadres et notre élite. Il faut trouver un juste milieu : d'une part, permettre à ces institutions de poursuivre leurs missions ; d'autre part, identifier des leviers d'amélioration de la performance. Nous devons mener ce travail collectivement, au-delà de nos sensibilités politiques. Comment répartir l'effort, tout en continuant à investir dans l'enseignement supérieur ? Comme cela a été souligné, une plus grande transparence est nécessaire en matière de commande publique.

Mme Christine Lavarde. - La Cour des comptes a-t-elle déjà émis des observations sur le sujet ?

Le nombre important d'acheteurs dans les universités s'explique sans doute par le fait que les UMR disposent chacune de leur propre budget : ne faudrait-il pas revoir cette règle et modifier la gouvernance des universités ? En vue de faciliter les mutualisations, les UMR devraient être placées sous l'autorité d'une entité supérieure, sans budget propre.

Ce constat, formulé pour les universités, vaut aussi pour les grandes écoles disposant d'UMR en leur sein.

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour ces constats, qui sont édifiants. La création d'une direction des achats au sein de chaque université ne risquerait-elle pas d'emboliser le niveau inférieur ? Certes, des contrôles sont nécessaires, mais nous devons veiller à maintenir l'agilité d'action des chercheurs.

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial. - La seconde centrale d'achat à laquelle les universités font appel est l'Agence de mutualisation des universités et établissements d'enseignement supérieur (Amue). L'Ugap regroupe 36 % des achats effectués au travers d'une centrale d'achat ou par des marchés mutualisés, contre 20 % pour l'Amue.

Comme vous l'avez indiqué, 27 % des dépenses portent sur les installations générales, à savoir notamment la sécurisation et l'entretien des bâtiments : ainsi, près d'un tiers des achats publics concernent des dépenses de fonctionnement, ce qui laisse peu de marges de manoeuvre pour mettre en place des dispositifs innovants et pose la question de l'efficacité de la dépense publique.

L'autonomie des universités nous empêche malheureusement de disposer de chiffres consolidés sur le nombre d'agents affectés à la commande publique. Cela varie selon les universités : on compte 10,5 emplois en équivalent temps plein à Strasbourg, 18 à Aix-Marseille ou encore 16 à Lille.

La Cour des comptes formule des observations à l'occasion de ses travaux université par université. Là encore, nous nous heurtons à cette logique de puzzle : la dissémination des données et l'incapacité à les consolider posent problème ; dans ces conditions, comment accomplir correctement notre rôle d'élus ? En réalité, nous ne savons pas exactement sur quoi nous nous prononçons, ce n'est pas normal.

Les UMR disposent souvent d'un budget mixte, relevant à la fois de l'université et d'autres établissements de recherche, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Cela complexifie la grille de lecture et renforce encore davantage l'impression de flou que j'évoquais au début de mon intervention.

Mme Vermeillet a posé une excellente question : le mieux est souvent l'ennemi du bien - en France, c'est un adage que nous connaissons bien !

Lorsqu'elles existent, les directions des achats des universités interviennent uniquement à partir d'un certain seuil, pour les achats d'un montant supérieur à 40 000 ou à 90 000 euros. Mon objectif n'est bien sûr pas d'emboliser le système : je ne souhaite pas que les chercheurs soient contraints de solliciter la direction des achats lorsqu'ils ont besoin de matériel courant. Cela dit, la présence de telles directions au sein des universités améliore la gestion de la commande publique.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'enseignement supérieur - Service de l'action administrative et des moyens (SAAM)

- Mme Guylaine BOURDAIS-NAIMI, sous-directrice des achats.

Ministère de l'économie

Direction des achats de l'État

- M. François ADAM, directeur ;

- M. Stéphane Morin, adjoint au directeur ;

- M. Olivier BÉRARD, chef Département analyse de données, performance et projets transverses.

Sous-direction du droit de la commande publique de la direction des affaires juridiques

- M. Raphaël ARNOUX, sous-directeur.

Agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur (AMUE)

- M. Simon LARGER, directeur ;

- M. Serge BOURGINE, directeur en charge de la centrale d'achat de l'Amue et de l'accompagnement/formation de la fonction Achats en établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Observatoire économique de la commande publique (OECP) rattaché au ministère de l'économie

- M. Adrien COULEON, économiste statisticien à la Sous-direction de la commande publique ;

- M. Yannick MÉTAYER, chef du Bureau Économie statistiques et techniques de l'achat public - Sous-direction de la commande publique.

Union des groupements d'achats publics (UGAP)

- M. Jérôme THOMAS, directeur général adjoint en charge des opérations commerciales.

Association des directeurs d'achats des établissements publics d'enseignement supérieur (ADASUP)

- Mme Nathalie CHANTILLON, présidente ;

- M. Thomas HAUVILLE, directeur des achats de Nantes Université ;

- Mme Giselle DESSIRIER, responsable achats de l'Université de Lyon 3.

Sorbonne Université

- M. Pascal FREY, vice-président RH, finance et numérique ;

- M. Marc LOUBET, directeur général de services adjoint en charge des moyens et ressources.

France Universités

- M. Jean-Marc OGIER, président de l'université de La Rochelle et président du conseil des personnels et moyens de France Universités ;

- M. Hervé BRANCHEREAU, président de l'Association des Directeurs financiers de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche ;

- M. Antoine GUERY, chargé de relations institutionnelles et parlementaires.

ANNEXE
LISTE DES UNIVERSITÉS AYANT RÉPONDU À L'ENQUÊTE
DE LA DGESIP À L'OCCASION DU PRÉSENT CONTRÔLE

Auvergne-Rhône-Alpes

Université Claude Bernard Lyon 1

Université Clermont Auvergne

Université Grenoble Alpes

Université Savoie Mont-Blanc

Université Jean Monnet (UJM)

Université Jean Moulin Lyon 3

Bourgogne-Franche-Comté

Université de Bourgogne

Université de Franche-Comté

Corse

Université de Corse

Grand-Est

Université de Lorraine

Université de Reims Champagne-Ardenne

Université de Strasbourg

Guadeloupe

Antilles

Hauts-de-France

Université de Lille

Île-de-France

Université Gustave Eiffel

Université Paris 8

Paris Dauphine (PSL)

Paris sciences et lettres

Sorbonne-Nouvelle

Université Paris Cité

Université Paris Panthéon-Assas

CY Cergy Paris Université

Université d'Evry Val d'Essonne

Université Paris Nanterre

MESR

Université de la Polynésie française (UPF)

Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC)

Nouvelle Aquitaine

Université Bordeaux Montaigne

Université de Bordeaux

Université de Limoges

Université de Poitiers

Occitanie

Université de Perpignan

Université de Nîmes

Provence-Alpes-Côte d'Azur

Avignon Université

Aix-Marseille Université (AMU)

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Faire davantage respecter les obligations légales et règlementaires de transmission des achats à la direction des achats de l'État (DAE) et à l'observatoire économique de la commande publique (OECP)

DAE, ministère de l'enseignement supérieur

2024

Loi (sanctions), textes réglementaires

2

Prévoir au niveau national des systèmes d'information robustes permettant de lier les données d'exécution budgétaire et les informations sur les achats passés par les universités

Direction générale de l'enseignement supérieur - DGESIP, DAE

2025

Loi (transmission des données), textes réglementaires

3

Encourager la systématisation de la mise en place d'un système d'information achat dans toutes les universités et établissements d'enseignement supérieur

Ministère de l'enseignement supérieur, DAE

2025

Textes réglementaires

4

Désigner dans toutes les universités un référent « performance de l'achat »

Universités

2024

Textes réglementaires

5

Intégrer des objectifs de satisfaction qualité des opérateurs et détailler davantage ceux ayant trait à la performance économique dans le contrat d'objectifs et de performance de l'UGAP

Ministère de l'économie et des finances, ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur

2024

Modification du contrat d'objectifs et de performance de l'UGAP

6

Encourager le développement de mutualisations entre les établissements d'enseignement supérieur

Universités, ministère de l'enseignement supérieur

2024

Recommandations des universités

7

Déployer activement des actions de sensibilisation et de formation aux enjeux de performance de l'achat public auprès des personnels des universités

Universités

2024

Formation

8

Renforcer la place des enjeux environnementaux et sociaux dans les achats des universités

Universités

2024

Clauses dans les marchés publics

9

Intégrer systématiquement dans les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) des indicateurs relatifs aux achats publics et en particulier à la performance des achats des universités

Ministère de l'enseignement supérieur

2024-2025 

Signature d'avenants aux COMP


* 1 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

* 2 Décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État modifié, s'agissant des établissements publics de l'État et des organismes soumis au décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique modifié.

* 3 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

* 4Annexe 1 de l'arrêté du 18 décembre 2023 modifiant les annexes de l'arrêté du 10 mai 2016 modifié pris en application des articles 4, 7 et 10 du décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État.

* 5 Réponses de la DAE au questionnaire du rapporteur spécial.

* 6 Réponses de la DGESIP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 7Annexe 1 de l'arrêté du 18 décembre 2023 modifiant les annexes de l'arrêté du 10 mai 2016 modifié pris en application des articles 4, 7 et 10 du décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État.

* 8 Réponses de la DAE au questionnaire du rapporteur spécial.

* 9 Orientation et réussite des étudiants : ouvrir la boîte noire des financements, rapport n° 790 déposé au nom de la commission des finances, juin 2023.

* 10 Observations définitives. L'université de Montpellier, exercices 2017 et suivants, Cour des comptes, septembre 2023.

* 11 Réponse d'ADASUP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 12 Observations définitives. L'université d'Orléans, exercices 2013-2021, Cour des comptes, juin 2023.

* 13 Réponse d'ADASUP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 14 Article L. 2123-1 du code de la commande publique.

* 15 Réponses d'ADASUP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 16 Décret n° 82-993 du 24 novembre 1982 portant organisation et fonctionnement du CNRS modifié par le décret n° 2015-1151 du 16 septembre 2015.

* 17 Réponses de France universités au questionnaire du rapporteur spécial.

* 18Accord signé le 31 mars 2020 entre la DAE et l'UGAP, modifié par avenant N° 1 le 31 mars 2021 et N° 2 le 12 août 2021

* 19 Réponses de l'UGAP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 20 Observations définitives. L'université de Rennes I, Cour des comptes, 2022.

* 21 Observations définitives. L'université de Pau, Cour des comptes, 2021.

* 22 Réponse de la DGESIP au questionnaire du rapporteur spécial.

* 23 L'enseignement supérieur face au défi de la transition écologique, décembre 2023.

* 24 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 25 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

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