B. UNE PRISE EN COMPTE RÉCENTE DE LA NÉCESSAIRE PROFESSIONNALISATION DE LA FONCTION ACHAT DANS LES UNIVERSITÉS

1. Une culture des enseignants-chercheurs qui demeure éloignée de l'achat public

Il est frappant de constater des visions différentes au sein des universités entre les acheteurs publics et les usagers de l'achat public que sont les enseignants-chercheurs. Les relations entre administration et enseignants chercheurs sont décrites par les représentants d'ADASUP comme « fluctuantes ». Selon ces derniers, les enseignants chercheurs « perçoivent souvent l'achat comme une contrainte administrative supplémentaire à leur métier, représentant un frein », alors qu'il peut également être perçu positivement « lorsque les résultats d'une mise en concurrence leur permettent d'acheter davantage qu'ils n'avaient prévu »15(*).

Il est vrai que les enseignants-chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique, alors même que, comme indiqué plus haut, les gestionnaires de laboratoire sont des ordonnateurs. Ainsi la Cour des comptes dans son rapport sur l'université de Lille II en 2017 indiquait-elle que « l'université n'a pas défini de règles internes et n'a pas produit de guides de l'achat à destination des gestionnaires des composantes. L'information dont ceux-ci disposent est insuffisante ». Dans son rapport sur l'institut national universitaire Champollion, également paru en 2017, la Cour indiquait que « aucune culture achat n'est diffusée, laissant la place à des achats hors marchés nombreux et discrétionnaires. La multiplicité des acteurs intervenant dans l'engagement des dépenses est notamment de nature à faire croître les achats de petit montant hors mise en concurrence sérieuse et formalisée » avant de conclure que « la normalisation de l'achat public et la diffusion des règles est urgente », face à des achats « en ordre dispersé ».

2. Une prise de conscience partielle des enjeux de performance de l'achat des universités

Le ministère de l'enseignement supérieur semble avoir pris progressivement conscience des lacunes de la fonction achat dans les universités. La DGESIP indique que des travaux ont été engagés en deux temps pour établir un diagnostic et mettre en place un plan d'action.

Dans un premier temps, en 2019-2020, les services du ministère ont établi un état des lieux sur la base d'un questionnaire adressé aux établissements. 49 d'entre eux avaient répondu à cette enquête, dont 28 universités et 21 écoles. Si cet état des lieux est une bonne chose, il démontre de nouveau le caractère extrêmement partiel des informations dont dispose le ministère. Les principaux constats recoupent en partie ceux énoncés plus haut dans le présent rapport : grande diversité des organisations et des volumes d'achat (4 universités sur 28 effectuant moins de 10 millions d'euros d'achats annuels mais 7 effectuant plus de 50 millions d'euros dont 2 universités plus de 100 millions d'euros) et nécessité de professionnalisation de la fonction achat.

Deuxième étape dans la phase de diagnostic, des travaux ont été conduits par la DAE et la DGESIP avec 5 universités en 2021 et 2022 (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Auvergne, Lorraine et Strasbourg) dans le cadre général du plan achat de l'État. Une première phase de diagnostic confiée aux cabinets McKinsey & Company et EPSA a permis d'évaluer la maturité de la fonction achat des opérateurs. Selon les résultats de l'analyse, ces cinq universités sont plutôt plus matures que la moyenne des opérateurs de l'État en termes d'organisation et de structuration de la fonction ainsi que de maîtrise des compétences et leviers achats. Elles sont en revanche en retrait sur les processus et outils ainsi que sur les achats responsables et innovants.

Il est cependant plus que regrettable que ces diagnostics, nécessairement coûteux par ailleurs, n'aient été suivis d'aucune transformation. La raison invoquée par le ministère est la fin du marché d'accompagnement de la DAE avec les cabinets McKinsey & Company et EPSA. Malheureusement, la suite devait concerner « la deuxième phase d'identification des actions d'économies et de transformation puis la troisième phase de mise en oeuvre ».

La création des directions des achats, comme indiqué plus haut, est cependant un signe positif vers une prise de conscience des enjeux, notamment budgétaires, liés aux achats publics. Le rapporteur spécial constate un mouvement de professionnalisation des achats dans de nombreuses universités. La Cour des comptes indique ainsi, à propos de Sorbonne université en 2018 que « la politique achat de l'université témoigne, depuis 2014, d'une volonté d'encadrement et de professionnalisation ; les progrès constatés dans ce domaine doivent être poursuivis ».

Les universités se concentrent toutefois sur les enjeux de sécurisation juridique des marchés, permettant de maintenir le nombre de contentieux relativement bas. Ainsi, sur les données des 34 universités transmises par la DGESIP, seuls 5 contentieux ont été signalés en 2023.

Nombre de contentieux relatifs à l'achat public dans les universités ouverts par année

(sur les 34 universités ayant répondu
à l'enquête de la DGESIP)

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

La DAE a suggéré la désignation systématique dans les universités d'un responsable achat ayant expressément dans ses missions l'amélioration de la performance des achats de l'établissement au-delà de la seule sécurisation juridique des procédures. Le rapporteur spécial considère que cette proposition va dans le bon sens et contribuerait, ne serait-ce que dans les plus grandes universités, à l'amélioration de la gouvernance des universités.

Recommandation n° 4 : désigner dans toutes les universités un référent « performance de l'achat » (universités).

3. De grandes difficultés d'attractivité s'agissant du recrutement d'acheteurs publics dans les universités

Le renforcement de la prise en compte de la performance de l'achat public dans les universités se heurte également à des difficultés de gestion des ressources humaines. En effet, les directions achat des universités ont aujourd'hui davantage de mal à recruter des acheteurs publics, problématique qui concerne il est vrai l'ensemble de la fonction publique. Toutefois, dans un contexte général de pénurie d'acheteurs publics, les universités font face à la concurrence d'autres opérateurs de l'État et surtout des collectivités territoriales, dans lesquelles les rémunérations sont plus élevées.

ADASUP indique ainsi que la différence de rémunération offerte entre une collectivité et une université peuvent atteindre 30 %. Sorbonne université va dans le même sens en soulignant les régimes indemnitaires bien plus favorables offerts aux acheteurs publics d'autres administrations.

Conséquence de ces problématiques d'attractivité, on constate, dans les fonctions achats des universités, d'importantes vacances de postes ainsi qu'un fort renouvellement des équipes pouvant fragiliser l'ensemble des procédures d'achat. L'université de Lille indique ainsi que le poste de directeur de la commande publique est vacant et que le recrutement est pour le moment infructueux, alors même que cette direction lance 200 à 250 procédures de marchés par an et suit l'exécution de 1 000 marchés.

Ces tensions salariales apparaissent inquiétantes et ont nécessairement des impacts sur les achats et leur performance.

Face à la pénurie d'acheteurs publics, « bien installée » selon Sorbonne universités, les universités sont tenues de mettre en oeuvre une priorisation des achats. L'université Clermont d'Auvergne indique ainsi que le sous-dimensionnement en termes de ressources humaines de sa direction des achats a conduit à reporter de 2023 à 2024 le lancement de procédures.

En conséquence, les universités doivent prêter une attention particulière à ces profils spécifiques. Certaines universités ont mis en avant la fonction d'acheteur public, allant dans le sens d'une valorisation et d'une professionnalisation de la fonction. L'amélioration de la fonction achat dans les universités implique de passer d'une simple logique de sécurisation juridique des marchés, qui demeure le principal impératif dans de nombreux établissements, à une logique d'analyse du besoin et de participation à la performance budgétaire de l'université. Le métier doit donc devenir une véritable interface entre les composantes des universités et les fournisseurs, lesquels ont un rôle dans l'approvisionnement comme dans l'animation du réseau des ordonnateurs de l'établissement.

Les intervenants entendus par le rapporteur spécial soulignent également que le métier d'acheteur public dans les universités est insuffisamment mis en avant dans la classification des emplois au sein du référentiel des emplois-types de la recherche et de l'enseignement supérieur (REFERENS). Actuellement, le référentiel compte une catégorie « chargé d'achat public », rattaché à l'administration générale et non à la fonction financière, et ne permet pas de couvrir la diversité des missions et des métiers effectués dans les directions des achats des universités. À titre de comparaison, le référentiel des métiers de la fonction publique (RMFP) recense 13 métiers différents au sein du domaine « achat ».

Fiche métier du chargé des achats et des marchés dans le référentiel
des emplois-types de la recherche et de l'enseignement supérieur (REFERENS)

Source : REFERENS, ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Typologie des métiers liés à la fonction achat dans le référentiel
des métiers de la fonction publique (RMFP)

Famille d'emplois

Intitulé de l'emploi

Encadrement

Responsable achats

Encadrement

Responsable achats - marchés publics

Encadrement

Responsable marchés publics

Performance

Acheteuse polyvalente / Acheteur polyvalent

Performance

Acheteuse / Acheteur informatique

Performance

Acheteuse / Acheteur travaux, immobilier, énergies

Performance

Acheteuse spécialisée / Acheteur spécialisé

Performance

Acheteuse / Acheteur projet

Performance

Conseillère / Conseiller en ingénierie d'achat

Réglementation

Contrôleuse / Contrôleur de gestion achat

Réglementation

Assistante / Assistant achats marchés

Performance

Approvisionneuse / Approvisionneur expert - Gestionnaire des contrats et marchés publics

Réglementation

Juriste marchés publics

Source : commission des finances d'après le RMFP, ministère de la transformation et de la fonction publique

Il serait par conséquent souhaitable de donner davantage de visibilité à ces métiers et d'aligner, au moins en partie, les métiers disponibles sur REFERENS et ceux présentés dans le RMFP.


* 15 Réponses d'ADASUP au questionnaire du rapporteur spécial.

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