C. FAUTE DE SYSTÈMES D'INFORMATION ADAPTÉS, L'OPACITÉ ET LA COMPLEXITÉ DE L'ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS UNIVERSITAIRES
1. À l'échelon national, des remontées d'information incomplètes
Comme indiqué plus haut, les textes réglementaires prévoient que les universités dépassant un montant de 10 millions d'euros d'achats rendent compte de leurs résultats à la direction des achats de l'État et à leur autorité de tutelle à qui ils transmettent également une programmation pluriannuelle de leurs achats7(*). Un recensement de ces achats est effectué par la DAE au travers d'une application informatique spécifique, dénommé AppachWeb.
Il convient cependant de noter que ne sont demandés aux établissements dans ce recensement que le nombre de marchés conclus l'année précédente et le volume des achats. D'autres éléments liés à la performance des marchés ne sont pas demandés aux universités. Si les universités recensaient sur AppachWeb l'intégralité des informations demandées par la DAE, cela constituerait déjà un fondement solide à l'évaluation de la performance des marchés. Or, la DAE l'indique clairement au rapporteur spécial : « ces indicateurs sont à prendre avec précaution, plusieurs universités ne renseignant pas dans AppachWeb le volume annuel de leurs achats comme le prévoit pourtant l'outil », et, pourrait-on ajouter, les textes réglementaires8(*). Le directeur des achats de l'État a écrit aux dirigeants des différents établissements publics, dont les présidents d'université, en janvier 2024, afin de leur rappeler leurs obligations.
La DAE indique ainsi au rapporteur spécial que sur la programmation 2023 à 2026, un peu moins de 60 % des universités et assimilés soumis à l'obligation de déclaration de la programmation quadriennale de leurs achats ont transmis les éléments demandés.
Une situation similaire a été signalée au rapporteur spécial par l'observatoire économique de la commande public (OECP), rattaché au ministère de l'économie et des finances. L'OECP est chargé du recensement économique des contrats de la commande publique. Il collecte uniquement les données sur la passation et la contractualisation des marchés, et non celles concernant le détail du prix unitaire ou de l'exécution des marchés, de sorte que leurs données ne permettent pas réellement d'évaluer la performance des achats. En outre, seuls les marchés de plus de 90 000 euros sont théoriquement soumis aux obligations déclaratives. En l'absence de sanction, l'OECP a indiqué au rapporteur spécial que de nombreux établissements publics ne respectaient pas leurs obligations de transmission des données. Selon eux, près d'un quart des déclarants ne transmettraient pas leurs données, une forte incertitude demeurant sur le nombre et le type de marchés non transmis.
Une première étape consiste donc à faire respecter par les établissements leurs obligations de déclaration de leurs achats auprès de l'État.
Recommandation n° 1 : améliorer le respect des obligations légales et règlementaires de transmission des achats à la direction des achats de l'État (DAE) et à l'observatoire économique de la commande publique (OECP) (DAE, ministère de l'enseignement supérieur).
De son côté, l'Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) n'a pas accès au nombre de marchés passés par les universités, y compris pour les titulaires des accords-cadres mis à disposition par l'agence : « le seul moyen pour disposer rapidement de l'information sur le nombre de marchés serait d'effectuer une enquête auprès des établissements ».
La DGESIP, pourtant autorité de tutelle des universités, l'indique tout aussi clairement : « il n'existe pas un système d'information achat commun à tous les établissements et permettant d'agréger leurs données au niveau national ».
Ce constat d'une insuffisance structurelle de consolidation des données au niveau national ne constitue pas une surprise pour le rapporteur spécial. Dans son rapport présenté en 2023 sur les financements liés à la loi Orientation et réussite des étudiants9(*), il avait émis des constats proches : « le ministère ne dispose que d'une vision très limitée des dispositifs mis en place par les universités, essentiellement sur la base d'enquêtes. En conséquence, le rapporteur spécial insiste sur le fait que le ministère doit considérer le renforcement de l'efficience des crédits alloués, et donc de leur suivi, comme un axe prioritaire d'amélioration de sa gestion ».
Les enjeux informatiques étaient également bien identifiés : le rapporteur spécial indiquait dans ce même rapport que le suivi budgétaire « ne pouvait passer que par le déploiement d'un système informatique interopérable entre les rectorats, l'administration centrale et les établissements, qui fait encore défaut. Ce grand chantier informatique, toujours repoussé et qui sera de grande ampleur, tant financière que par sa durée et les changements que cela impliquera pour l'ensemble des établissements, devient néanmoins incontournable ».
Le rapporteur spécial reprend donc les constats et recommandations formulées dans ses travaux précédents. L'autonomie des universités sans création simultanée de systèmes d'information consolidés apparaît a posteriori comme une erreur stratégique, ayant entraîné un dessaisissement de l'État, qui n'a désormais plus les moyens de contrôler ses opérateurs ni l'exécution détaillée des moyens publics qu'il leur accorde.
Améliorer la transparence des données liées à la commande publique dans les universités constitue donc un enjeu crucial. La DAE a indiqué avoir engagé une réflexion sur la construction d'un système d'information « achats », permettant de connaître le montant des marchés passés par les établissements et leur exécution. Cette première étape serait déjà positive. Néanmoins, sans mise en place de mécanismes d'obligation d'inscription des données, il conviendra d'être prudent sur le fait qu'une nouvelle application ne reproduise pas les limites des applications existantes, AppachWeb en premier lieu.
Recommandation n° 2 : prévoir au niveau national des systèmes d'information robustes permettant de lier les données d'exécution budgétaire et les informations sur les achats passés par les universités (Direction générale de l'enseignement supérieur - DGESIP, DAE).
2. À l'échelon des universités, une absence d'intégration des systèmes d'information qui rend la consolidation complexe
Le plus problématique est que le manque de système d'information consolidé au niveau national reflète l'absence de véritable système d'information achat au sein de chacune des universités.
La Cour des comptes relève souvent cet aspect dans ses observations sur les différentes universités. Ainsi sur l'université de Montpellier en 202310(*) : « les outils et l'organisation de la chaîne de l'achat ne permettent pas à ce jour un suivi satisfaisant au niveau du service marchés. Surtout, ces dispositifs ne permettent pas à l'université de disposer d'une vision précise de ses dépenses [...]. Il en résulte une absence de vision globale sur les achats et, en conséquence, une stratégie inaboutie pour améliorer la performance et prévenir les risques financiers et juridiques ». La Cour recommande ainsi l'élaboration d'une cartographie des achats permettant à l'université « d'identifier plus facilement des pistes d'optimisation et de mutualisation ». La Cour souligne en outre que l'université de Montpellier n'a pas garanti le respect des règles de mise en concurrence pour une proportion représentant entre 15 % et 22 % du nombre annuel de marchés de l'université.
Faute de systèmes adaptés, les universités sont très limitées s'agissant du pilotage de leurs achats. L'association des directeurs achats des établissements d'enseignement supérieur (ADASUP), entendue par le rapporteur spécial, indique ainsi que, dans le cadre de la programmation pluriannuelle à laquelle sont tenues les universités ayant un budget achat annuel supérieur à 10 millions d'euros, un recensement des besoins annuels est effectué mais sans exhaustivité du fait notamment d'un « manque d'information ou d'anticipation des prescripteurs ». En outre, le travail de compilation effectué à cette occasion est fastidieux car « réalisé à la main sur la base d'extractions du système d'information financier et de compilation de données non centralisées »11(*).
Les efforts doivent donc porter en priorité sur cet aspect. Plusieurs universités semblent d'ailleurs avoir pris conscience des enjeux et commencent à mettre en place de réels outils de pilotage. La DGESIP souligne que certaines universités se sont déjà dotées d'un système d'information dédié aux achats permettant le suivi de la passation et de l'exécution des marchés, et donc un pilotage interne des achats plus précis. Plus largement, le développement de systèmes d'information achat interconnectés avec les systèmes d'information financière des universités doit être systématisé.
Recommandation n° 3 : encourager la mise en place d'un système d'information achat dans toutes les universités et établissements d'enseignement supérieur (ministère de l'enseignement supérieur, DAE, universités).
* 7Annexe 1 de l'arrêté du 18 décembre 2023 modifiant les annexes de l'arrêté du 10 mai 2016 modifié pris en application des articles 4, 7 et 10 du décret n° 2016-247 du 3 mars 2016 créant la direction des achats de l'État et relatif à la gouvernance des achats de l'État.
* 8 Réponses de la DAE au questionnaire du rapporteur spécial.
* 9 Orientation et réussite des étudiants : ouvrir la boîte noire des financements, rapport n° 790 déposé au nom de la commission des finances, juin 2023.
* 10 Observations définitives. L'université de Montpellier, exercices 2017 et suivants, Cour des comptes, septembre 2023.
* 11 Réponse d'ADASUP au questionnaire du rapporteur spécial.