C. L'ACTION INTERNATIONALE EN MATIÈRE DE TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
L'objet même de la commission d'enquête fait référence à la manière dont l'État s'assure du respect par TotalEnergies de ses obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France. La commission s'est donc intéressée au rôle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, au rôle de nos ambassadeurs dans les pays où TotalEnergies développe des projets importants ainsi qu'aux missions exercées par certaines institutions françaises exerçant à l'international.
1. Le soutien aux entreprises françaises du ministère de l'Europe et des affaires étrangères
La direction de la diplomatie économique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères contribue à la définition et à la mise en oeuvre coordonnée de la diplomatie économique de la France.
D'après l'arrêté relatif à son organisation203(*), « elle pilote le suivi sectoriel des entreprises à l'export. Elle coordonne les travaux des personnalités chargées de fédérer les secteurs prioritaires à l'export et apporte son soutien aux directions géographiques qui appuient l'action des représentants spéciaux pour la diplomatie économique. Elle assure la tutelle des opérateurs intervenant en matière de diplomatie économique. Elle soutient le développement international des entreprises françaises et participe au renforcement de l'attractivité de la France, notamment afin de faire connaître à l'étranger les atouts de la France et de ses territoires et d'attirer les investissements, les compétences et les projets internationaux en France. Elle contribue à l'analyse économique de la mondialisation ainsi qu'à la définition, au niveau européen et international, de sa régulation et de sa gouvernance. »
Elle comprend une sous-direction du commerce extérieur et de la politique économique, une sous-direction des secteurs stratégiques et une sous-direction des sanctions, des normes économiques et de la lutte contre la corruption.
En particulier, la sous-direction des secteurs stratégiques assure le suivi sectoriel des entreprises et participe à la concertation interministérielle sur certains grands contrats dans les secteurs dits stratégiques.
Cette sous-direction comprend un pôle « énergie », composé, selon Mme Hélène Dantoine, directrice de la diplomatie économique204(*), de sept collaborateurs travaillant sur le nucléaire civil, les minéraux stratégiques et la transition écologique, les entreprises des secteurs pétrolier et gazier, les énergies renouvelables, la géopolitique de la transition énergétique sur certaines zones géographiques et d'autres sujets connexes comme les nouveaux systèmes énergétiques, les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, les batteries, les réseaux électriques intelligents, l'électrification, l'interconnexion électrique, l'hydrogène décarboné et la géopolitique de la transition énergétique.
L'action de la diplomatie économique à l'égard des entreprises s'exerce en faveur d'entreprises qui la sollicitent et non en fonction d'orientations de politiques étrangères, de politiques climatiques, énergétiques ou économiques, a indiqué la directrice lors de son audition.
Selon Hélène Dantoine, « il est de bonne pratique que notre soutien ne se concrétise qu'en réponse à la demande d'une entreprise, sans excéder sa volonté, et dans des termes bien pesés par celle-ci. En principe, nous ne prenons pas l'initiative : ce serait une erreur de notre part d'aider une entreprise qui ne nous a rien demandé, parce que l'on ne peut préjuger de ses intentions et parce qu'il est important de ne pas s'immiscer dans son approche commerciale de manière intempestive ou maladroite. »
Le soutien apporté aux entreprises peut se matérialiser par :
- le partage d'analyse sur la situation politique, économique et sociale d'un pays ;
- une mise en contact d'entreprises avec des ambassades ;
- l'organisation de réunions sur certains sujets spécifiques ;
- des alertes occasionnelles sur des législations susceptibles de concerner les entreprises ;
- l'accompagnement de délégations d'investisseurs étrangers désireux de mieux connaître l'offre française ;
- l'organisation de séminaires et de réunions permettant aux administrations et aux entreprises de se rencontrer et de s'informer sur des sujets d'intérêts communs - agriculture, métaux critiques, santé à l'export, infrastructures numériques, etc.
- l'entreprise de démarches occasionnelles et autonomes pour valoriser l'offre française à l'étranger : selon Hélène Dantoine, « il nous arrive d'engager des démarches - de manière autonome, mais en toute impartialité - pour valoriser l'offre française à l'étranger. Dans l'hypothèse où plusieurs entreprises françaises seraient en concurrence pour l'obtention d'un même marché, nous valorisons l'offre française dans son ensemble. » ;
- le soutien des entreprises par le biais de la cotutelle de Business France qui contribue avec la Team France Export, à informer les entreprises sur les marchés étrangers et à les préparer à la projection de leurs activités à l'étranger.
L'action de l'État en matière de diplomatie économique ne fait pas l'objet de lignes directrices spécifiques qui seraient moins-disantes ou mieux-disantes que les orientations fixées par le Gouvernement en matière de politique énergétique et de politique étrangère.
Selon Hélène Dantoine : « La France n'a pas une doctrine en matière de diplomatie économique qui diffère de notre politique en matière climatique ou en matière de droits de l'homme ; la diplomatie économique n'est pas à l'origine d'un moins-disant dans ces domaines : nous ne soutiendrions pas des projets illicites, c'est-à-dire contraires aux orientations que le Parlement a votées, si une entreprise française risquait de perdre un marché ou de ne pas l'obtenir face à une entreprise étrangère. »
Entre fin février 2022 et fin février 2024205(*), TotalEnergies a envoyé une demande de soutien au ministère : selon Hélène Dantoine, « l'entreprise sollicitait notre appui pour un projet d'énergies renouvelables au Kazakhstan. » Cette initiative est mentionnée dans les déclarations de représentation d'intérêts de TotalEnergies auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Selon Hélène Dantoine, cette demande a été traitée par l'ambassade de France au Kazakhstan et son service économique en lien avec la Direction de l'Europe continentale du ministère.
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est en effet appuyé par un important réseau diplomatique, au sein duquel les ambassadeurs sont fortement mobilisés sur les questions économiques. Hélène Dantoine a notamment indiqué à la commission d'enquête que « les ambassadeurs peuvent consacrer 30 % à 40 % de leur temps à des questions économiques ».
Auditionné par la commission d'enquête, Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des affaires étrangères, a détaillé le rôle des ambassadeurs au service de la diplomatie économique de la France. « J'ai responsabilisé les acteurs de terrain, à l'étranger, en demandant par exemple l'implication personnelle de chacun de nos ambassadeurs sur des dossiers économiques prioritaires, et en France, pour développer la culture de l'exportation au sein des PME, en intégrant les régions dans la gouvernance de Business France. Nous avons ainsi pu augmenter le nombre de primo-exportateurs. »206(*)
Il a également mentionné des interactions directes du ministre avec des dirigeants d'entreprises : « S'agissant des grands contrats, il fallait défendre notre rang, dans l'aéronautique, les transports, l'énergie, et essayer de conquérir de nouveaux marchés, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine en particulier. Cela nécessitait un lien permanent avec de grands groupes tels qu'Airbus, Thales, la RATP, ADP ou Total, entre autres. J'avais, une fois par an, un entretien en tête-à-tête avec les patrons de ces différents groupes. Ce format permettait d'éviter les fuites et un fonctionnement trop bureaucratique. Cette méthode a donné satisfaction aux uns et aux autres. »
À l'inverse, dans le domaine énergétique, l'action d'autres établissements publics, à l'instar de Bpifrance Assurance Export ou de l'Agence française de développement dont le soutien aux entreprises est plus ciblé, répond à des orientations sectorielles spécifiques, détaillées ci-après.
2. La fin de l'octroi des garanties publiques à l'exportation aux entreprises actives dans les secteurs du pétrole et du gaz
Filiale de Bpifrance, Bpifrance Assurance Export gère les garanties publiques à l'exportation au nom, pour le compte et sous le contrôle de l'État.
Bpifrance Assurance Export est l'opérateur de l'octroi de ces garanties qui figurent au bilan de l'État. Elle agit en subsidiarité du marché de l'assurance-crédit privé pour garantir des commandes effectuées aux exportateurs français. Cette intervention économique est encadrée par l'Arrangement de l'OCDE de 1978207(*) : la garantie publique à l'exportation ne peut être octroyée que dans le cas où au moins 20 % des biens ou services sont produits en France.
Cette activité apporte des revenus à l'État : selon François Lefebvre, directeur général, « l'assurance-crédit dégage depuis vingt-cinq ans des excédents annuels, de l'ordre de 400 millions d'euros cette année, qui sont intégralement reversés au bénéfice de l'État ».
Les décisions les plus importantes d'octroi de garanties publiques à l'export sont prises par le ministre après délibération d'une commission des garanties : dans ce cadre, Bpifrance Assurance Export a un rôle de conseil auprès du ministre et de la commission. Pour des décisions dont les montants sont inférieurs, Bpifrance Assurance Export intervient directement en délégation de l'État.
Dès le 1er janvier 2021, la France a mis en oeuvre une trajectoire de cessation des garanties publiques aux crédits à l'exportation dans le domaine fossile, selon le calendrier suivant :
- à compter du 1er janvier 2025, pour l'exploration de gisements ou l'exploitation d'hydrocarbures liquides ;
- au plus tard à compter du 1er janvier 2035, pour l'exploration de gisements ou l'exploitation d'hydrocarbures gazeux dans le cadre de permis correspondants à des gisements encore non exploités.
Un cadre européen a ensuite été dessiné en 2022 pour mettre un terme aux soutiens publics aux crédits à l'exportation pour des projets dans le secteur des énergies fossiles.
Les conclusions du Conseil Ecofin du 15 mars 2022 annoncent ainsi l'intention des États de « déterminer dans leurs politiques nationales d'ici la fin de 2023, leurs propres délais fondés sur des données scientifiques pour mettre un terme à l'octroi d'un soutien public aux crédits à l'exportation pour des projets dans le secteur des énergies fossiles, à l'exception de circonstances limitées et clairement définies, conformes à une limitation du réchauffement à 1,5 °C et aux objectifs de l'accord de Paris ». La commission européenne a réalisé un questionnaire pour recenser ces mesures, dont les résultats ont été rendus publics le 25 avril 2024208(*).
Si les pays européens ont ainsi mis en place un calendrier de sortie des énergies fossiles dans le cadre des garanties publiques à l'export conformément aux conclusions du Conseil, la France est le seul pays européen à ce jour à avoir banni les garanties publiques à l'exportation aux projets d'énergies fossiles, en accélérant le calendrier prévu en loi de finances initiale pour 2021.
L'article 152 de la loi de finances pour 2023 prévoit ainsi la cessation des garanties publiques accordées aux crédits à l'exportation pour des projets en vue de l'exportation :
- de biens et de services pour des opérations ayant pour objet direct l'exploration, la production, le transport, le stockage, le raffinage ou la distribution de charbon ou d'hydrocarbures liquides ou gazeux ;
- de la production d'énergie à partir de charbon.
Des exceptions sont prévues pour les « opérations ayant pour effet de réduire l'impact environnemental négatif, d'améliorer la sécurité d'installations existantes ou leur impact sur la santé sans en augmenter la durée de vie ou la capacité de production, ou visant le démantèlement ou la reconversion de ces installations. »
Devant la commission d'enquête, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, a rappelé le caractère inédit de cette interdiction : « Une telle disposition est unique au monde : l'État français, via Bpifrance Assurance Export, est le seul État à avoir fait figurer cette interdiction dans la loi. Les mesures analogues prises par nos partenaires européens relèvent des politiques internes de leurs agences d'assurance-crédit. »
Depuis l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2023, Bpifrance Assurance Export a tiré les conséquences de cette interdiction.
Selon Nicolas Dufourcq, « L'assurance-crédit de Bpifrance a couvert, jusqu'au 31 décembre 2022, les unités de liquéfaction du gaz de Technip. À partir du 1er janvier 2023, l'assurance-crédit publique française sur compte d'État ne peut plus financer de projets gaziers à l'étranger, sauf exception [...]. Ainsi Technip se finance-t-il désormais auprès d'autres assureurs de crédits européens, qui sont nos concurrents - Euler Hermes, SACE, UK Export Finance, etc. »
3. La politique d'exclusion des énergies fossiles de l'Agence française de développement
L'Agence française de développement (AFD), établissement public, met en oeuvre la politique de développement de la France. Elle a pour objet de financer des acteurs publics dont les activités ne sont pas lucratives. Elle accorde principalement des prêts aux États, collectivités locales, établissements publics, fondations, mais aussi des subventions à des projets portés par des ONG françaises.
Via Proparco, sa filiale dédiée aux financements du secteur privé, elle accorde aux entreprises privées implantées dans ses pays d'intervention des prêts, participations ou garanties.
Les missions de l'Agence française de développement
Son mandat est fixé par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Il a été ensuite précisé par le conseil présidentiel du développement réuni au printemps 2023, puis par le comité interministériel de la coopération internationale du développement (CICID) de juillet 2023.
Un contrat d'objectifs et de moyens (COM) pluriannuel lie l'AFD à l'État. En vertu de l'article 1er de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, il est transmis aux commissions permanentes du Parlement avant sa signature. Le COM 2020-2022 n'a été transmis aux commissions des affaires étrangères des deux chambres qu'à la mi-juin 2021.
Par sa stratégie « Climat et Développement » (2017-2022), l'AFD s'est engagée à aligner son activité de financement sur l'Accord de Paris.
Cela a impliqué :
- d'évaluer l'impact sur le climat des financements octroyés par l'AFD. Selon Rémi Rioux209(*), « pour la seule année 2023, ce fut le cas de 62 % de nos financements, soit 7,5 milliards d'euros, et de 50 % des activités de notre filiale Proparco. » ;
- de s'assurer que les clients de l'AFD, dans le cadre de leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) par l'Accord de Paris, ont opté pour des trajectoires de long terme - à l'horizon 2050 - allant dans ce sens. Selon Rémi Rioux, « à cet égard, nous mettons toute une gamme d'outils à la disposition des gouvernements étrangers, y compris en matière de modélisation des trajectoires de développement et des trajectoires énergétiques, pour permettre leur optimisation à moyen et à long termes. »
Pour évaluer l'impact de son activité de financement, le Groupe AFD a développé une méthodologie spécifique de calcul de sa contribution aux Objectifs de développement durable (ODD)210(*).
Dans le cadre de l'ODD n° 13 qui vise à « Prendre d'urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions », la France s'est engagée à porter son financement en faveur du climat à 6 milliards d'euros par an pour la période 2021-2025, dont un tiers pour l'adaptation au changement climatique.
En 2022, le financement français au climat s'est élevé à 7,6 milliards d'euros, dont 2,6 milliards d'euros pour l'adaptation211(*). En 2023, sur les 7,5 milliards d'euros de financements en faveur du climat dans les pays en développement et en outre-mer français octroyés par l'AFD, dont 3 milliards dédiés à l'adaptation, 6,2 milliards contribuent à l'engagement de la France en matière de financement du climat à l'international conformément à son engagement pour la période 2021-2025 dans le cadre de la convention-cadre des Nations-Unies.
Le groupe AFD a également mis en place une stratégie de transition énergétique 2019-2022 qui fixe une liste d'exclusion pour les activités du groupe portant sur les énergies fossiles.
Renforcée en novembre 2021 puis en 2022, cette liste d'exclusion s'étend à toute intervention en faveur :
- de projets de construction, d'extension ou de rénovation de centrales de production d'électricité et de chaleur à partir d'énergies fossiles, à l'exception des projets de mini-réseaux alimentés par des centrales hybrides (couplant les énergies renouvelables et des combustibles fossiles) ;
- d'infrastructures associées à une unité de production, de stockage ou de transformation de ressources énergétiques fossiles (mines, unités de traitement, raffinerie, stockage, etc.) ou de production d'électricité à base d'énergie ;
- de projets d'exploration, de production ou de transformation, ou dédiés exclusivement au transport de charbon, gaz et pétrole (conventionnels et non conventionnels).
Selon Rémy Rioux, « cette liste d'exclusion est la plus forte qui existe - seule celle de la Banque européenne d'investissement (BEI) est d'un niveau comparable -, ce qui nous vaut parfois des critiques. »
La liste d'exclusion du groupe AFD inclut également tous les types d'activités que le Groupe se refuse à financer du fait de critères environnementaux ou sociaux, d'ordre éthique, réglementaire, ou découlant de la traduction des exigences normatives et de ses choix stratégiques : elle inclut une liste d'activités illégales mais aussi une liste d'activités non alignées avec les engagements du groupe AFD en matière de développement durable. Elle inclut, outre des exclusions dans le secteur énergétique, des exclusions dans le secteur des médias, dans le domaine de la biodiversité ou des droits humains212(*).
* 203 Arrêté du 28 décembre 2012 relatif à l'organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères.
* 204 Audition du 29 février 2024.
* 205 Audition d'Hélène Dantoine du 29 février 2024.
* 206 Audition du 25 mars 2024.
* 207 L'arrangement sur les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public élaboré dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) entré en vigueur en 1978.
* 208 Réponses au questionnaire de Bpifrance.
* 209 Audition du lundi 12 février 2024.
* 210 Réponses au questionnaire de l'AFD.
* 211 Agenda 2030.fr, ODD 13 - consulté le 18 mai 2024.
* 212 Liste d'exclusion du groupe AFD | AFD - Agence Française de Développement