B. LES ÉMISSIONS D'UN AVION
1. Combustion du kérosène
Les moteurs d'avion à turbine utilisent des carburants à base de kérosène. Celui-ci a une densité assez élevée, même à température ambiante, et un fort pouvoir calorifique, de l'ordre de 43 mégajoules par kilogramme, rendant son utilisation très intéressante à bord des aéronefs.
En aviation civile, le carburant à base de kérosène le plus répandu est le Jet A1, conforme à la norme internationale des carburants d'aviation Aviation Fuel Quality Requirements for Jointly Operated Systems ou AFQRJOS. Il est composé en majorité d'hydrocarbures saturés, constitués de chaînes d'atomes de carbone et d'hydrogène liés par des liaisons simples, et contient au maximum 25 % d'hydrocarbures insaturés aromatiques, constitués de molécules cycliques présentant des liaisons doubles, particulièrement stables. Il inclut aussi certains composés qui placent sa température de gel à -47°C, appropriée pour l'aviation, car à 11 000 mètres d'altitude la température est proche de -56,5°C.
La formule moyenne du kérosène est C10H22 (la chaîne carbonée pouvant inclure de 9 à 13 atomes de carbone). Dans un turboréacteur d'avion, la combustion du kérosène a lieu par la réaction qui suit :
2 C10H22 (l) + 31 O2 (g) 20 CO2 (g) + 22 H2O (g) (l) : état liquide ; (g) : état gazeux
Cette réaction produit du dioxyde de carbone et de la vapeur d'eau, pour respectivement 72 % et 27,6 % de la composition des produits de combustion. Comme la réaction est imparfaite et qu'elle a lieu dans l'air, d'autres composés sont produits en bien plus faibles quantités : des oxydes d'azote (NOx) à hauteur de 0,3 %, du monoxyde de carbone (CO) à hauteur de 0,04 %, des oxydes de soufre (SOx) à hauteur de 0,02 %, des hydrocarbures imbrûlés à hauteur de 0,01 %, des particules de suie à hauteur de 0,0004 %, et du protoxyde d'azote (N2O) dans une proportion inférieure.
Les oxydes d'azote sont formés par oxydation de l'azote de l'air aux fortes valeurs de température et de pression en sortie de chambre de combustion survenant lors des phases de décollage et de montée.
Le monoxyde de carbone et les hydrocarbures imbrûlés résultent de la combustion incomplète du kérosène lors de certaines phases de vol effectuées à puissance réduite.
Les oxydes de soufre proviennent de l'oxydation du soufre contenu dans le kérosène lors de la combustion.
Les suies sont les résidus solides des gaz d'échappement, formés par la condensation des composés aromatiques non brûlés lors de la combustion : leur production augmente lors des phases à haut régime, le décollage et la montée, et dépend aussi de la teneur du carburant en composés aromatiques.
Le protoxyde d'azote est produit lors de la combustion à basse température, c'est-à-dire à haute altitude.
2. Émissions de gaz à effet de serre
Les gaz à effet de serre absorbent et réémettent le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre réchauffée par le rayonnement solaire. Certains sont présents naturellement dans l'atmosphère (vapeur d'eau, CO2, etc.). Ils rendent possible la vie sur Terre en maintenant la température à 15° C en moyenne. Mais l'augmentation de leur concentration dans l'atmosphère, due aux activités humaines, déséquilibrant le bilan énergétique du système climatique, est le facteur principal du réchauffement climatique. Le CO2, le méthane et le protoxyde d'azote émis lors de la combustion du kérosène sont tous des gaz à effet de serre.
Le kérosène conventionnel génère en fait des gaz à effets de serre tout au long de son cycle de vie : extraction, transport, raffinage, puis combustion. Il est donc important de ne pas considérer seulement les émissions générées par le vol, mais celles associées au cycle de vie du kérosène. L'intérêt de certaines solutions présentées par la suite, par exemple les biocarburants, réside dans le fait que le CO2 émis lors de la combustion a été capté en amont, dans l'air ou par photosynthèse.
De même, pour les avions électriques, qui n'émettent pas de CO2 en vol, l'impact carbone de l'électricité doit être pris en compte dans la mesure des émissions de gaz à effet de serre. L'analyse en cycle de vie permet d'évaluer de la manière la plus exhaustive possible l'impact environnemental d'un avion.
Source : ADEME, « Détail des émissions de CO2eq par kg de kérosène consommé »
Le kérosène émet 3,75 kilogrammes de CO2 par kilogramme consommé, dont 16 % pour sa production et sa distribution et 84 % pour sa combustion. Les autres gaz à effet de serre émis, méthane et protoxyde d'azote, ont un pouvoir réchauffant (PRG) supérieur à celui du CO2 : 28 fois plus élevé pour le méthane et 273 fois plus élevé pour le protoxyde d'azote. Même s'ils sont émis en bien plus faible quantité, le bilan du kérosène est rehaussé à 3,825 kilogrammes de CO2eq par kilogramme consommé lorsqu'ils sont pris en compte.
90 % des émissions liées aux vols commerciaux ont lieu pendant la phase de croisière et 9 % pendant les phases d'atterrissage et de décollage (en anglais, Landing and Take-off cycle ou LTO). Enfin, 1 % des émissions est dû à l'utilisation des groupes auxiliaires de puissance.
Comparaison des émissions par passager.kilomètre selon le mode de transport
Source : Autorité de régulation des transports, d'après la base carbone de l'ADEME
3. Effets non-CO2
D'autres produits issus de la combustion, sans avoir pour impact direct un renforcement de l'effet de serre, ont néanmoins des effets notables, à plus ou moins long terme, sur le climat. Pour décrire leur effet, on utilise la notion de forçage radiatif, qui correspond à la différence entre le flux radiatif reçu et le flux radiatif émis par le système climatique terrestre21(*).
Le CO2 et les autres gaz à effet de serre augmentent le forçage radiatif, ce qui induit un réchauffement de l'atmosphère.
On distingue en pratique cinq effets non-CO2 : la formation de cirrus induits par les traînées de condensation, l'effet des NOx et de la vapeur d'eau sur les concentrations de gaz à effet de serre, les interactions aérosol-radiation et les interactions aérosol-nuage. Ils agissent sur le forçage radiatif de manière positive ou négative. Cependant, au total, l'effet réchauffant est supérieur à l'effet refroidissant.
Source : projet Climaviation
a) La formation des cirrus induits par les traînées de condensation
Les traînées de condensation sont des nuages fins et linéaires de particules de glace visibles derrière les aéronefs en vol, qui se forment par condensation de la vapeur d'eau issue de la combustion du carburant. Dans le cas des carburants à base de kérosène, cette condensation est fortement favorisée par la présence d'aérosols de combustion comme la suie, mais aussi de soufre et d'hydrocarbures imbrûlés. Si l'air est sec, les traînées se dissipent vite et leur effet est négligeable. Principalement en haute altitude (les avions passent 10 à 15 % du temps de leur régime de croisière dans de telles régions), si l'air est sursaturé d'humidité par rapport à la glace, les particules de glace de la traînée grossissent par déposition des molécules de vapeur d'eau ambiante et la traînée peut subsister, voire se développer en cirrus induits persistants, qui ont des effets complexes sur le forçage radiatif.
Les interactions aérosol-nuage sont les processus par lesquels les aérosols entraînent la formation des nuages, notamment lors des traînées de condensation. Les cristaux de glace qui constituent les cirrus se forment alors autour de ces aérosols. Dans une atmosphère avec une forte concentration en aérosols, les nuages se forment sur une plus grande quantité d'aérosols, formant des cristaux plus petits, ce qui retient plus les infrarouges la nuit, augmentant le forçage radiatif. On a cependant une estimation très incertaine des effets quantitatifs de ces interactions sur le forçage radiatif.
b) L'effet des NOx et de la vapeur d'eau sur les concentrations de gaz à effet de serre
Les NOx (NO, NO2) ont un effet à la fois positif et négatif sur le forçage radiatif, dû à une interaction complexe avec les autres gaz à effet de serre. Dans les basses couches de l'atmosphère, ce sont des polluants qui nuisent à la qualité de l'air. En haute atmosphère, ils agissent sur la chimie environnante, dans une interaction complexe avec l'ozone (O3) et le méthane (CH4).
À court terme, les NOx réagissent avec l'oxygène de l'air pour créer de l'ozone (O3), ce qui augmente le forçage radiatif, l'ozone étant un gaz à effet de serre. De manière concomitante, les NOx réduisent la durée de vie et l'abondance du méthane (CH4), ce qui réduit le forçage radiatif induit par le méthane. À long terme, cette réduction du méthane diminue la quantité d'ozone et de vapeur d'eau stratosphériques, ce qui induit un forçage radiatif négatif.
Néanmoins, la contribution des NOx à l'effet de serre constitue un terme de forçage positif, et donc une élévation de la température atmosphérique. Les NOx ont cependant un impact bien inférieur à celui du CO2.
c) Les interactions aérosol-radiation et aérosol-nuage
Les interactions aérosol-radiation sont dues aux particules fines émises lors de la combustion, notamment de la suie (aérosol) et des SOx (précurseurs d'aérosol, formant des aérosols de sulfate SO42- par oxydation dans l'atmosphère ambiante). Les deux types d'aérosols créent du forçage radiatif à partir des interactions aérosol-rayonnement : la suie absorbe le rayonnement à ondes courtes, ce qui entraîne un réchauffement net, et l'aérosol de sulfate diffuse le rayonnement à ondes courtes entrant, ce qui entraîne un refroidissement net.
De nombreuses incertitudes subsistent sur l'impact des différents effets non-CO2. C'est pourquoi des recherches supplémentaires demeurent nécessaires pour les quantifier.
4. Comparaison entre effets CO2 et effets non-CO2
Une différence notable entre les effets CO2 et non-CO2 concerne leurs échelles de temps. Alors que le CO2 demeure pendant des siècles dans l'atmosphère, les cirrus induits par les traînées de condensation subsistent quelques jours dans le pire des cas et les aérosols au plus un an. Ainsi, l'impact des effets CO2 est cumulatif et sur le long terme, alors que l'impact des effets non-CO2 dépend de la variation des émissions annuelles.
Source : Référentiel Supaéro
La variation des effets non-CO2 dépend fortement de la variation du trafic, comme le fait apparaître, sur le graphique précédent, la forte corrélation entre le trafic aérien et le forçage radiatif efficace ou RFE (en anglais, Effective Radiative Forcing ou ERF) lié à l'aviation, en sachant que le forçage radiatif efficace lié au CO2 reste stable dans le temps.
* 21 Définition issue du glossaire de l'AR5 du GIEC.