EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni le 30 mai 2024 pour examiner le rapport sur « La décarbonation du secteur de l'aéronautique » présenté par M. Jean-François Portarrieu, député, et M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteurs.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'ordre du jour de la réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de ce matin comporte l'examen de deux rapports. Le premier est relatif à la décarbonation du secteur aéronautique. Nos collègues Jean-François Portarrieu et Pierre Médevielle se sont fortement investis dans l'élaboration de ce rapport, à travers de nombreuses auditions et des déplacements. Je les remercie pour leur implication.

Le sujet de la décarbonation du secteur aéronautique a de nombreuses dimensions, technologiques, industrielles, économiques, environnementales et de R&D. Les rapporteurs vont nous en présenter les grandes lignes, ainsi que leurs conclusions et leurs recommandations.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Les réponses à l'enjeu de la décarbonation du secteur aéronautique sont très attendues, par les acteurs directement concernés - industriels, notamment -, comme par nos concitoyens usagers de l'aérien. Nous attendons votre éclairage sur la trajectoire, les enjeux, mais aussi la faisabilité des perspectives envisagées, au regard des connaissances scientifiques et technologiques actuelles.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La belle aventure aérienne commencée à la fin du 19e siècle continue ; elle a de beaux jours devant elle. Le réchauffement climatique génère néanmoins des questions sociétales. Nous assistons à des campagnes de bashing contre certains transports aériens.

Nous essaierons d'être précis et concis pour vous présenter nos premiers constats sur les avancées technologiques et le développement industriel et opérationnel permettant la décarbonation du secteur aéronautique, avant de vous faire part de nos principales recommandations.

La consommation de kérosène par passager et par kilomètre s'est réduite de 80 % depuis les années 1970. Des efforts sont donc déjà engagés en matière de décarbonation. Des appareils tels que l'A321neo représentent une nouvelle génération d'avions.

Le transport aérien de passagers et de marchandises est indispensable aux échanges mondiaux et régionaux, mais aussi à notre développement économique et à la cohésion territoriale. Ce constat vaut pour la plupart des pays, notamment les plus étendus et les plus peuplés. Nous rentrons des États-Unis où le réseau ferroviaire est pratiquement inexistant ; les gens y prennent l'avion comme nous prenons le bus. Le trafic aérien continuera donc de croître, dans des proportions difficilement imaginables, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

Du fait de la concurrence économique, le secteur aérien a toujours cherché à réduire sa consommation de carburant fossile, et donc ses émissions de CO2. Toutefois, cette baisse a été plus que compensée par la croissance du trafic. À ce jour, le secteur aérien est directement responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l'équivalent des émissions d'un pays comme l'Allemagne. Avec la croissance du trafic et la décarbonation d'autres secteurs, cette part risque d'augmenter fortement si rien n'est fait. Tous les acteurs du secteur ont parfaitement conscience de cet enjeu et sont pleinement mobilisés dans ce projet de décarbonation.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Une première solution de décarbonation consiste à électrifier le transport aérien, sur le modèle du transport terrestre. Cette électrification se heurte cependant à une difficulté majeure : en masse, la densité énergétique des batteries électriques est 48 fois plus faible que celle du kérosène. Cette densité augmentera à moyen terme, mais restera limitée. À cette échéance, l'avion 100 % électrique se cantonnera donc très vraisemblablement au transport de quelques passagers sur de courtes distances.

Les premiers avions électriques seront des biplaces destinés à la formation des pilotes et à la voltige, à l'image du modèle intégral que développe Aura Aéro à Toulouse.

Les taxis volants constituent un autre exemple d'application. Nous devrions en voir voler à l'occasion des Jeux olympiques. Toutefois, ces appareils devraient surtout remplacer le transport terrestre et ne contribueront donc pas significativement à la décarbonation de l'aéronautique.

Pour s'affranchir de cette limite, une solution consiste à associer propulsions électrique et thermique. Cette hybridation permet de combiner avantageusement les deux modes, par exemple en décollant et en atterrissant en mode électrique et en limitant l'usage de la motorisation thermique au vol en régime de croisière, lorsque l'avion consomme moins.

Les avions hybrides en cours de développement pourront transporter quelques dizaines de passagers sur plusieurs centaines de kilomètres, à un coût par passager probablement nettement inférieur à celui des avions actuels. Il s'agit d'une piste pour développer le transport aérien régional.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Qu'en est-il de l'hydrogène dans l'aviation ? Selon des représentants d'Airbus, les contraintes techniques pour les gros porteurs sont actuellement insurmontables.

En masse, et contrairement aux batteries, la densité énergétique de l'hydrogène est trois fois supérieure à celle du kérosène. Malheureusement, en volume, sa densité énergétique est trois mille fois inférieure. Aussi, l'hydrogène devrait être utilisé sous forme gazeuse, compressé à très haute pression (700 bars) ou sous forme liquide, refroidi à très basse température (en dessous de - 250°C). Quelle que soit sa forme, son stockage nécessite des réservoirs lourds et encombrants.

Compte tenu des contraintes de volume et de poids des réservoirs, les avions à hydrogène pourront difficilement franchir des distances supérieures à 2 000 kilomètres.

L'hydrogène peut être utilisé de deux manières. Il peut d'abord alimenter une pile à combustible générant de l'électricité pour entraîner un moteur électrique ; il n'émet alors que de l'eau. Dans un avion électrique de ce type, les batteries sont remplacées par de l'hydrogène. La capacité d'emport et le rayon d'action s'en trouvent accrus. Ensuite, au prix d'adaptations techniques, l'hydrogène peut être brûlé dans un turboréacteur en remplacement du kérosène. Il émet alors de la vapeur d'eau et, sous certaines conditions, des oxydes d'azote.

La conception d'un avion à propulsion hydrogène pose diverses difficultés techniques. Il impose tout d'abord d'intégrer des réservoirs lourds et encombrants dans l'appareil et de confiner de manière sécurisée une petite molécule très fuyarde. L'enjeu est aussi dans la distribution au sein de l'avion. Enfin, l'exploitation d'une telle flotte nécessiterait que l'hydrogène puisse être distribué dans de grands aéroports, mais aussi dans ceux vers lesquels des avions sont susceptibles d'être déroutés.

A priori, aucun de ces obstacles n'est insurmontable. Mais les résoudre demandera du temps, tout comme la certification des avions à hydrogène.

Plusieurs start-up françaises et étrangères sont engagées dans cette voie. Un prototype vole déjà. Airbus a présenté en 2021 son initiative « Zéro émission », qui prévoit l'étude de trois modèles d'avion à hydrogène.

L'hydrogène se révèle ainsi être une option techniquement complexe mais qui ne doit pas être écartée - surtout pour les avions de petite ou moyenne capacité. Une start-up canadienne a développé un avion à turbo-propulsion de type ATR dans lequel, pour positionner les réservoirs à hydrogène, elle a supprimé dix rangées de sièges. L'enjeu est de vérifier les contraintes en termes de sécurité.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En résumé, les technologies électriques hybrides et à base d'hydrogène sont prometteuses pour décarboner une partie de l'aviation, mais pas les vols long-courriers, qui génèrent plus des deux tiers des émissions de CO2 dans le monde. Pour décarboner ces liaisons, plusieurs solutions sont identifiées.

La consommation des gros porteurs pourrait être réduite d'environ un tiers en améliorant leur efficacité (en réduisant leur masse, en perfectionnant leur aérodynamisme, en optimisant le rendement thermique et propulsif des moteurs) et en améliorant les opérations en vol et au sol (optimisation des trajectoires, développement du vol en formation, électrification des fonctions utilisées au sol).

La principale mesure consiste à remplacer le kérosène d'origine fossile par des carburants d'aviation durables (CAD ou SAF, pour « Sustainable Aviation Fuels »). Il en existe deux grandes catégories : les biocarburants et les carburants de synthèse. Les premiers sont essentiellement d'origine végétale tandis que les seconds sont fabriqués à partir d'hydrogène produit par électrolyse et de carbone capturé dans l'air ou en sortie d'installation industrielle.

Fin 2023, l'Union européenne a adopté des mandats d'incorporation de ces CAD. Un premier objectif vise l'incorporation de 6 % de CAD dans le kérosène à horizon 2030 pour tous les vols au départ de l'Europe, puis 20 % en 2035 et 70 % en 2050.

Les ressources françaises en matières premières de biocarburants devraient couvrir l'essentiel des besoins de l'aviation française jusqu'en 2030-2035. Le complément indispensable sera fourni par les électro-carburants.

La France dispose de deux atouts. D'une part, elle est l'un des rares pays d'Europe à disposer d'une électricité suffisamment décarbonée pour produire utilement des électro-carburants. Sur leur cycle de vie, les électro-carburants français seront dix fois moins émetteurs de gaz à effet de serre que le kérosène. D'autre part, plusieurs entreprises françaises sont en pointe dans le domaine des électrolyseurs, indispensables à la production d'hydrogène décarboné.

En revanche, la France reste significativement en retrait sur les technologies de capture de carbone en comparaison des États-Unis ou de l'Allemagne.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - J'en viens à nos recommandations.

Nous préconisons tout d'abord de reconnaître l'importance du secteur aéronautique pour le développement économique et industriel du pays.

Il convient également de bâtir une filière de carburants d'aviation de synthèse associant l'ensemble des acteurs concernés, depuis la recherche jusqu'à l'utilisation, en passant par la production.

Pour rattraper notre retard, il est important d'intensifier la R&D et l'innovation sur la capture de CO2, tout en maintenant les efforts sur les technologies d'électrolyse.

Il est essentiel de confirmer rapidement le développement des nouveaux moyens de génération d'électricité décarbonée, impératifs pour produire des CAD en grands volumes d'ici 2040.

Enfin, il apparaît indispensable d'exonérer les installations industrielles de production de CAD, et tous les projets contribuant à la décarbonation, des obligations du zéro artificialisation nette (ZAN).

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - En matière de recherche et d'innovation, nous préconisons de renforcer la coopération entre les acteurs de l'innovation dans le secteur aéronautique sur les sujets de décarbonation, en s'appuyant sur les filières de formation et de recherche françaises. Lors de la visite des laboratoires du MIT, à Boston, nous avons été surpris de constater la porosité entre le monde industriel et le monde de la recherche.

Par ailleurs, si les financements publics sont jugés globalement satisfaisants, les financements privés restent sous-dotés. Il n'existe pas de fonds privé dédié à l'aéronautique, par exemple.

Nous estimons également indispensable de poursuivre le soutien à la recherche et à l'innovation dans le domaine des technologies d'électrification de l'aviation.

Il nous semble souhaitable d'initier des coopérations entre les concepteurs d'avions électriques civils et le secteur de la défense pour explorer les applications militaires de ces technologies. Cette pratique est courante aux États-Unis.

Enfin, nous préconisons de développer la recherche sur les effets « non-CO2 » de l'aviation sur le réchauffement climatique. L'importance de ces effets reste difficile à évaluer. Il nous apparaît opportun par exemple d'approfondir les travaux sur les traînées de condensation pour mieux comprendre le phénomène et en atténuer les effets.

Vous l'aurez compris : il n'existe pas de solution universelle à la décarbonation de l'aviation. À ce stade, aucune solution ne doit être écartée.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - S'agissant des infrastructures, j'insiste sur deux de nos quatre préconisations.

Nous estimons que le contrôle aérien doit s'adapter aux impératifs de décarbonation pour éviter les congestions, réduire les temps d'attente en vol et optimiser les trajectoires, tout en intégrant les données météorologiques en temps réel.

Nous pensons également utile d'anticiper le développement de l'aviation régionale décarbonée en prévoyant l'adaptation des aéroports des villes de taille moyenne à l'essor d'une aviation régionale basée sur les nouvelles technologies électriques ou hydrides, sans oublier les aéroports plus petits.

La décarbonation représente un tournant majeur pour l'aéronautique. Nous sommes convaincus que la France peut en profiter pour renforcer sa position dans le secteur, sous réserve de prendre les mesures nécessaires pour accélérer l'innovation, soutenir les investissements et adapter les infrastructures.

Nous vous remercions de votre attention.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Merci pour la présentation de ce rapport sur lequel j'ouvre à présent le débat.

M. Philippe Bolo, député. - Vos recommandations limiteront le CO2 émis par les appareils en vol, mais nécessiteront de construire des infrastructures nouvelles et des avions nouveaux qui généreront des émissions de CO2 nouvelles. La balance globale est-elle positive ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'hybridation et l'électrification permettront de développer les transports régionaux avec un bilan positif.

Pour les gros porteurs, un important travail a été conduit pour incorporer les carburants durables. Les SAF coûtent toutefois plus cher que le kérosène. Cette hausse des coûts se répercutera sur le prix des billets.

In fine, les émissions par avion se réduisent mais, compte tenu de l'augmentation du trafic aérien, le bilan global ne pourra pas être positif.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La décarbonation de l'aéronautique ne passe pas uniquement par l'avion en vol. Nous nous sommes intéressés aux efforts déployés par le groupe ADP pour décarboner le secteur de l'aéronautique au sol. Nous avons aussi regardé le cycle de vie d'un avion. Airbus s'emploie à verdir sa production. Entre deux programmes de l'A320, les émissions de CO2 ont été réduites de 25 à 30 % sur la totalité du cycle.

À l'échelle mondiale, environ 23 000 avions sont équipés de turboréacteurs, dont 6 500 seulement sont postérieurs à 2017. Les appareils en vol sont donc majoritairement des appareils d'ancienne génération. Les flottes se renouvellent mécaniquement ; les compagnies n'ont pas d'autre choix. Ces changements sont vertueux puisque les avions nouveaux sont beaucoup plus sobres.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Nous comprenons bien qu'il n'existe pas de solution miracle. La sagesse doit nous conduire à interroger la croissance du trafic aérien. Après une stabilisation pendant le covid, celui-ci reprend fortement. Les gains réalisés sur les émissions de gaz à effet de serre seront balayés par cette croissance. Selon l'association négaWatt, l'atteinte de la neutralité carbone implique de revenir au trafic aérien des années 1990, ce qui n'est pas la tendance actuelle.

Selon certains, les traînées de condensation multiplient quasiment par trois l'impact du secteur sur le réchauffement climatique. Cette estimation peut être exagérée. Nous avons besoin d'études poussées sur le sujet.

En France, deux millions d'hectares sont déjà consacrés aux biocarburants. À terme, nous devrons choisir entre nous nourrir ou produire davantage de biocarburants pour l'aviation qui, pour une grande part, est une aviation de loisirs. Même si le secteur est nécessaire à l'économie, nous devons nous interroger sur ces faits.

Le tourisme de masse pose de sérieux problèmes. Nombre de villes dans le monde sont saturées. Ce développement ne peut pas perdurer encore plusieurs décennies.

Grâce à la maintenance, la durée de vie des avions est plus longue. L'évolution de l'aviation ne produira donc des effets que dans de nombreuses années. L'unique solution est de limiter la croissance du trafic aérien, voire tendre vers une décroissance du secteur.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'impact des traînées de condensation sur le changement climatique est difficile à évaluer. Ces traînées ne contiennent pas de CO2, mais des oxydes d'azote et de soufre. Nous avons évoqué le sujet avec Isae-Supaéro et avec le MIT. La portance ou encore l'augmentation de la voilure sont étudiées. Des catalyseurs positionnés à la sortie des réacteurs sont expérimentés. Un système d'open rotor est aussi à l'étude. Quoi qu'il en soit, ce phénomène n'est pas celui qui a le plus d'impact sur le réchauffement climatique.

La croissance du trafic aérien doit être regardée avec humilité. La France est dotée d'un très bon réseau de trains à grande vitesse. Aux États-Unis, l'avion fait partie intégrante des déplacements. La clientèle demandeuse de vols a augmenté en Inde, au Pakistan et dans toute l'Asie du Sud-Est. Cette demande amènera une croissance du trafic aérien. Dès lors que nous aurons du mal à enrayer ce phénomène, nous devons travailler à des solutions de décarbonation.

Selon Total et d'autres producteurs d'énergie, les solutions d'avenir devraient reposer sur la production de carburants à base d'hydrogène et sur la capture de CO2. Nous devons nous tourner vers cette filière.

La production de biocarburants s'accompagne d'un enjeu d'acceptation sociale. Nous avons interrogé les filières qui estiment que la production d'oléo-protéagineux ne couvrira pas les besoins. Nous devons donc nous orienter vers des SAF de synthèse.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Votre recommandation relative à la réorganisation du contrôle du trafic aérien semble rapidement applicable puisqu'elle ne demande pas de grandes transformations technologiques. Savez-vous évaluer son impact sur les émissions de CO2 ? Cette mesure est-elle applicable à l'échelle nationale ou suppose-t-elle une coopération internationale ?

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La direction générale de l'aviation civile (DGAC) et la Federal Aviation Administration (FAA) américaine considèrent qu'en affinant le calcul des trajectoires, on pourrait réduire les émissions de CO2 d'environ 5 %. Outre le vol en formation, le calcul de l'altitude peut avoir un effet. Cela fait écho à la question des traînées de condensation, qui peuvent très probablement être réduites en modifiant l'altitude de l'avion. D'après les experts, l'intelligence artificielle pourrait permettre des améliorations rapides en la matière. Selon une étude, des variations de quelques dizaines de mètres de l'altitude peuvent influer sur la formation des traînées de condensation, qui sont fonction de l'humidité de l'air et du dégagement thermique de l'avion.

Je crois beaucoup au calcul des trajectoires. Il impliquerait de faire évoluer la conception du contrôle aérien. Une somme de petits efforts peut produire des effets conséquents.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Vous êtes-vous interrogés sur les alternatives aux avions telles que les dirigeables ? Il existe en Gironde le programme de dirigeable géant « Flying Whales » qui vise le transport de fret dans certaines zones difficiles.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Non, nous n'avons pas étudié ce sujet. La portance est certainement la force la moins étudiée, exception faite de réflexions sur l'élargissement des ailes. Le délestage et l'aérodynamique retiennent également peu l'attention des opérateurs. L'essentiel de l'innovation et de la recherche porte sur la propulsion.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Ce n'était pas l'objet du rapport, mais on peut s'interroger sur les émissions du transport maritime... Les dirigeables pourraient être envisagés pour le transport aérien de marchandises.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Nous sommes convaincus que nous entrons dans un nouveau paradigme de l'aviation, qui comptera une grande diversité d'aéronefs, une gamme plus étendue d'avions et des modes de propulsion variés. Aujourd'hui, il n'existe pas d'alternative aux turboréacteurs et aux turbopropulseurs. Nous allons certainement vers la sortie d'un aspect très monolithique de l'aviation.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - ATR était en difficulté jusqu'à développer des avions à turbopropulseurs consommant 40 % de moins qu'un jet de capacité équivalente. S'ils parviennent à faire voler ces avions avec de l'hydrogène, on pourra envisager un redéveloppement du transport aérien régional avec des appareils beaucoup plus vertueux.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - J'insiste sur un point : l'hydrogène est trois fois plus léger que le kérosène, mais quatre fois plus volumineux. Un long-courrier à hydrogène ne volera jamais.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Vous proposez l'exonération des exigences du ZAN pour les projets contribuant à la décarbonation. Comment pourrions-nous délimiter ce périmètre ?

Vous envisagez également une fiscalité incitative pour les carburants propres. Que suggérez-vous précisément ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - La plateforme de Toulouse-Blagnac a failli perdre la production de nouvelles chaînes d'Airbus A321 à cause du dispositif ZAN. Des surfaces étaient disponibles à proximité d'anciens bâtiments de production, mais la législation imposait de rendre la même surface dans un périmètre donné, ce qui était impossible. Légitimement, le site de Hambourg s'est proposé pour accueillir la chaîne de production. Nous sommes parvenus à exonérer ce projet des exigences du ZAN, compte tenu de son intérêt local, national et européen. Une problématique similaire se posera pour les projets de construction de plateformes de production d'hydrogène. Au regard de leur intérêt environnemental majeur - ils visent à décarboner l'aviation -, nous proposons de les exonérer du dispositif ZAN.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Il nous paraît souhaitable d'encourager les acteurs vertueux qui cherchent à innover pour la décarbonation du secteur, tout comme il nous paraît souhaitable de contraindre ceux qui sont en retard sur ces enjeux.

La société Aura Aéro a été fondée en 2017 ou 2018 par trois anciens salariés d'Airbus, qui ont choisi de créer leur start-up faute de pouvoir convaincre leur direction de l'époque. La société compte déjà 350 salariés. Elle a mis au point un avion de voltige et de formation des pilotes 100 % électrique et travaille désormais sur un avion de transport régional de 19 places. Ces appareils devraient être certifiés dans les prochains jours et mis en production en 2025 ou 2026. Aura Aéro enregistre 800 millions d'euros de précommandes pour cet avion. Elle a toutefois besoin de 40 000 mètres carrés pour installer son usine, ce qui n'est pas possible avec la loi ZAN. Une solution pourrait néanmoins être trouvée dans une zone d'activité de Toulouse Métropole qui n'est pas concernée par cette réglementation. Nous voyons tout de même les difficultés que la législation peut poser.

Le secteur aéronautique contribue pour environ 30 milliards d'euros à notre balance commerciale extérieure. Il nous paraît donc opportun d'être un peu discriminant et d'encourager les opérateurs vertueux tout en contraignant ceux qui ne font pas d'effort.

Mme Martine Berthet, sénatrice. - Nous voyons bien le paradoxe entre l'augmentation du prix des billets du fait de l'incorporation des SAF et l'augmentation du nombre de billets vendus.

Grâce à l'électrification et à l'hydrogène, des mesures semblent envisageables rapidement pour l'aviation régionale. À quel horizon ces transformations pourraient-elles avoir lieu ?

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - L'électrification de l'aviation régionale est pour demain. Outre Aura Aéro, plusieurs start-up françaises, mais aussi allemandes, sont positionnées sur le sujet. Safran, Airbus ou Thalès suivent de près le développement de ces sociétés, autrefois marginalisées.

L'enjeu est aujourd'hui de produire des e-carburants moins coûteux. Les SAF les mieux-disants se vendent deux à trois fois plus cher que le kérosène. Je pense toutefois que les développements en la matière seront rapides.

Je crois à ces carburants de synthèse. L'enjeu est de produire suffisamment d'électricité verte pour l'hydrolyse et la captation du carbone.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La quantité d'électricité décarbonée produite est un enjeu crucial. L'Académie de l'air et de l'espace anticipe que le besoin à horizon 2050 sera colossal et nécessitera un investissement d'environ 40 milliards d'euros par an. Le transport aérien représente 10 à 11 % de ces besoins en électricité, essentiellement pour les moyen- et long-courriers.

Selon moi, l'innovation viendra des petits avions. De petits avions électriques volent déjà. L'aviation régionale me semble promise à un bel avenir grâce à des appareils qui, rapidement, seront moins émetteurs de CO2. Comme pour les vaccins covid, l'innovation ne vient pas des grands acteurs, mais des start-up. L'aéronautique de demain est certainement en train de naître dans les laboratoires et les petites sociétés en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Chine.

À compter de 2025, la flotte mondiale renouvellera 2 500 avions par an, dont 400 à 500 seront produits par Comac, l'équivalent chinois d'Airbus. Jusqu'à présent, ses appareils ne sont pas certifiés en dehors de l'Asie du Sud-Est. La situation ne devrait toutefois pas durer. Face à cette menace, il nous paraît indispensable d'encourager les efforts de recherche et d'innovation pour que de petits avions électriques ou hybrides, bien plus vertueux, puissent voler.

À Toulouse, la société Ascendance Flight Technologies a conçu un petit aéronef pouvant transporter jusqu'à six passagers sur 300 à 400 kilomètres. Il n'a besoin que de quatre mètres carrés pour décoller et atterrir à la verticale. Les responsables d'Airbus sont intéressés par ces technologies, mais aussi inquiets face à cette nouvelle concurrence.

Le secteur vit des bouleversements considérables.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Airbus, comme Boeing, est enfermé dans son modèle de carlingue. Imaginez le poids de la batterie d'un gros porteur électrique : l'avion aurait quasiment le même poids au décollage et à l'atterrissage, ce qui suppose de revoir l'ensemble de la structure, sa résistance et de certifier cet appareil nouveau.

Airbus avait créé un concept d'avion ZEROe dans lequel l'hydrogène était réparti dans l'ensemble de la carlingue. Leur approche a depuis évolué. Ils ont récemment présenté un modèle avec deux propulseurs à hélice. Je pense qu'Airbus parviendra à développer un moyen porteur à hydrogène.

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - La priorité d'Airbus est de produire chaque année 800 à 1 000 avions de la gamme A320 pour répondre aux commandes. Il s'agit d'une priorité industrielle de court terme tout à fait légitime.

Nous devons encourager et accompagner les entreprises innovantes. Les acteurs du secteur considèrent que la puissance publique est au rendez-vous, mais les financements privés n'arrivent pas, car les risques sont encore importants. La famille Dassault est actionnaire d'Ascendance Flight Technologies. Pour autant, il n'existe pas de fonds souverain privé.

Nous retrouverons en 2024 le volume de voyageurs de 2019, soit 4,5 milliards de passagers. Selon les projections, le secteur atteindra 10 milliards de passagers en 2050. Les flux devraient rester stables en Europe et croître de 2 à 2,5 % par an en Amérique du Sud et de 3,5 à 4 % dans le Sud-Est asiatique.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le transport aérien représente moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. L'ampleur du phénomène doit donc être relativisée. Depuis 1973, le trafic a augmenté de 1 236 % tandis que les émissions ont augmenté de 176 %. Des efforts importants ont donc été réalisés. La technologie, la recherche et le développement permettent des progrès notables.

Vous soulevez le sujet des liens entre le monde industriel et le monde de la recherche. Cette piste me paraît intéressante pour faire évoluer l'enseignement supérieur en France.

J'aurai l'occasion, avec Philippe Bolo, d'échanger prochainement avec le ministre compétent sur le dispositif ZAN. Je crains toutefois que la liste des exemptions finisse par être plus longue que la liste des interdictions, car le développement économique s'accompagne d'une consommation foncière.

Comment concevez-vous le vol en formation ?

M. Jean-François Portarrieu, député, rapporteur. - Le vol en formation est facile à modéliser, mais complexe à mettre en oeuvre. L'objectif est de mettre en formation plusieurs avions de provenances différentes mais ayant la même destination. Peu des personnes que nous avons rencontrées s'aventurent sur le sujet. Il semble que l'intelligence artificielle pourrait permettre des avancées rapides. L'un des freins réside dans la réglementation qui, en l'état, interdit la constitution de vols en formation. En la matière, je pense que nous avons tout intérêt à nous inspirer de la nature.

M. Pierre Médevielle, sénateur, rapporteur. - Le vol en formation peut être envisagée avec trois avions se suivant pour bénéficier des effets de l'aérodynamisme. Ce mécanisme est utilisé dans les courses cyclistes ou automobiles. Des enjeux législatifs et sécuritaires se posent néanmoins. En outre, le vol en formation suppose de revoir le contrôle aérien.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Votre rapport nous apprend que 80 % des trajets de plus de 900 kilomètres sont réalisés en avion. J'ai effectué un déplacement en Norvège en 2018. Compte tenu de la topographie du pays, le réseau ferré est quasiment inexistant. Les trajets intérieurs s'effectuent donc en avions électriques, sur de petites distances. Avec une capacité pouvant atteindre 2 000 kilomètres, les avions électriques pourraient couvrir tous les déplacements sur le territoire français.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je rappelle que ce rapport fait suite à une saisine des commissions des affaires économiques et du développement durable de l'Assemblée nationale. Il est d'usage d'en effectuer une présentation devant lesdites commissions. Je vous laisse définir les modalités de cette intervention.

L'Office adopte le rapport sur « La décarbonation du secteur de l'aéronautique » et autorise sa publication.

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