E. L'ÉTAT DE LA CERTIFICATION DES FILIÈRES DE CARBURANTS D'AVIATION DURABLES

Tous les procédés certifiés par l'ASTM sont uniquement conçus pour la production de biocarburants, à l'exception notable du procédé FT-SPK. Celui-ci est singulier, dans la mesure où il peut être utilisé pour produire soit un e-carburant, soit un biocarburant. La réglementation ASTM distingue ce procédé des autres filières, en ce sens qu'elle ne spécifie pas le type de biomasse utilisable (lipidique, lignocellulosique ou sucres). Pour la filière FT, l'ASTM se limite à préciser que l'intrant doit être du gaz de synthèse, un mélange de monoxyde de carbone et d'hydrogène. Lorsque ce gaz est produit à partir de biomasse, il s'agit de la voie BtL (Biomass-to-Liquid). Lorsqu'il est issu de procédés industriels, il s'agit de la voie PtL (Power-to-Liquid).

Le tableau ci-après présente les sept filières actuellement certifiées par l'ASTM.

Abréviation

Procédé

Matière première

Taux d'incorporation maximal

TRL
(échelle de 1 à 9)*

FT-SPK

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene (BtL)

Lignocellulosique

50 %

7-8

FT-SPK

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene (PtL)

CO2 capté et H2 vert

50 %

5-6109(*)

HEFA-SPK

Synthesized paraffinic kerosene produced from hydroprocessed esters and fatty acids

Lipidique

50 %

8-9

SIP-HFS

Synthesized iso-paraffins produced from hydroprocessed fermented sugars

Lignocellulosique

10 %

5 (avec biomasse lignocellulosique)

FT-SPK/A

Fischer-Tropsch synthesized paraffinic kerosene with aromatics

Lignocellulosique

50 %

6-7

ATJ-SPK

Alcohol-to-jet synthetic paraffinic kerosene

Lignocellulosique

50 %

7-8

HH-SPK ou HC-HEFA

Synthesized paraffinic kerosene from hydroprocessed hydrocarbons

Huiles issues de l'algue Botryococcus Braunii

10 %

5

CHJ

Catalytic hydrothermolysis jet fuel

Lipidique

50 %

6

Sources pour les TRL : German Environment Agency110(*) et EASA111(*)

Sources : ASTM ASTM approves 7th annex to D7566 sustainable jet fuel specification : HC-HEFA - Green Car Congress

*TRL : en anglais Technology Readiness Level, qui peut se traduire par « niveau de maturité technologique »

F. LES DIFFÉRENTES FILIÈRES DE BIOCARBURANTS

Les biocarburants peuvent être classés selon trois grandes catégories de procédés : la voie oléochimique (HEFA, CHJ, HC-HEFA), la voie biochimique (ATJ, SIP) et la voie thermochimique (FT par BtL).

Tous ces procédés peuvent en théorie produire plusieurs types d'hydrocarbures : essence, diesel, naphta, kérosène, etc. ayant chacun un nombre moyen spécifique d'atomes de carbone. Ces hydrocarbures, dont le kérosène, doivent être séparés les uns des autres dans une colonne de distillation, en les chauffant et en les vaporisant, puis en les condensant en fonction de leur température d'ébullition.

1. La voie oléochimique

La voie oléochimique exploite des matières premières lipidiques. Le procédé HEFA-SPK comprend deux étapes principales. D'une part, l'hydrotraitement des huiles permet d'éliminer les atomes d'oxygène présents dans les chaînes lipidiques en ajoutant de l'hydrogène, afin d'obtenir des hydrocarbures. D'autre part, l'hydroisomérisation consiste en un traitement chimique destiné à améliorer les propriétés à froid des produits pour les rendre compatibles avec les contraintes d'utilisation du carburant dans l'aviation.

L'hydrotraitement des huiles bénéficie d'une grande maturité industrielle, puisqu'il est mis en oeuvre pour la production du biodiesel routier, produit depuis plus longtemps et en plus grande quantité que le carburant HEFA d'aviation. Par exemple, en 2018, sur 5 milliards de litres de biocarburants issus d'huiles produits dans le monde, 8 millions de litres seulement ont été commercialisés sous forme de carburants d'aviation durables, soit 0,16 %112(*).

En France, la production industrielle de carburants d'aviation durables est entièrement basée sur le procédé HEFA. Le groupe TotalEnergies l'exploite dans la bioraffinerie de La Mède. Rouverte en 2019, cette installation traite des huiles végétales brutes, des huiles usagées et des graisses animales. TotalEnergies prévoit que les huiles de seconde génération, plus durables, représenteront 75 % des intrants dès 2024. Initialement orientée vers la production de biocarburants pour le transport routier, avec une capacité de production annuelle de 500 000 tonnes, la raffinerie a étendu ses activités aux biocarburants aériens en 2021.

Par ailleurs, à partir de 2025, TotalEnergies va reconvertir la raffinerie de Grandpuits-Gargenville, située en Île-de-France, pour la production de biocarburants, en utilisant également le procédé HEFA. Cette reconversion vise une production annuelle de 285 000 tonnes de CAD113(*). La raffinerie du Havre, la plus importante en France, produira pour sa part 90 000 tonnes de carburants d'aviation durables. Au total, TotalEnergies ambitionne d'atteindre une production de 500 000 tonnes de CAD en France en 2028.

Le procédé CHJ inclut une étape liminaire d'hydrothermolyse catalytique des huiles : les matières lipidiques réagissent avec de l'eau à haute pression et haute température. Ce prétraitement à l'eau permet d'utiliser moins d'hydrogène pour l'étape d'hydrotraitement, ce qui réduit la consommation totale d'énergie. Les carburants CHJ contiennent plus d'aromatiques que les carburants HEFA, ce qui les rapproche des carburants conventionnels. Cependant, ce procédé est encore peu mature.

Le procédé HC-HEFA reproduit les étapes du procédé HEFA à partir d'une algue appelée Botryococcus braunii. Cette micro-algue présente une croissance très rapide et un haut potentiel de production d'hydrocarbures. Cependant, les biocarburants issus des algues sont encore à un stade précoce de développement en termes de maturité technologique. Pionnière dans la production de carburants d'aviation durables à partir de micro-algues, la société japonaise IHI Corporation a commencé ses recherches dans ce domaine en 2011. Après une décennie de développement, IHI a franchi une étape majeure en juin 2021, en réalisant le premier vol d'un avion utilisant un mélange de carburant dérivé de biomasse forestière et de micro-algues.

En France, les recherches sur la production de biocarburants à partir de microalgues sont menées notamment au sein des laboratoires du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et du CNRS. De plus, l'IMT Atlantique pilote le projet européen COCPIT (scalable solutions optimisation and decision tool creation for low impact SAF production chain from a lipid-rich microalgae strain, en français : optimisation de solutions extensibles à large échelle et création d'un outil d'aide à la décision pour concevoir une chaîne de production de biocarburants durables depuis une souche de microalgues oléagineuses) visant à mettre au point un nouveau biocarburant certifié pour l'aviation à base de microalgues.

2. La voie biochimique

La voie biochimique exploite le processus chimique de fermentation des sucres en alcools. Le procédé ATJ-SPK traite habituellement des cultures de sucres, comme la canne, la betterave ou l'amidon de maïs. Toutefois, ces intrants ne répondent pas aux critères fixés par la réglementation ReFuel EU, ce qui impose d'utiliser de la biomasse ligno-cellulosique. Les étapes de traitement sont les suivantes : le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique, qui consiste à casser les polymères de cellulose pour les transformer en molécules de glucose ; la fermentation, qui transforme le glucose en alcool (isobutanol ou éthanol selon les cas) ; la déshydratation ; l'oligomérisation ; enfin, l'hydrogénation, qui transforme les alcools en hydrocarbures.

Schéma fonctionnel de la voie de conversion ATJ-SPK

L'étape de fermentation des sucres en alcools est bien maîtrisée industriellement car elle est déjà utilisée pour la production de bioéthanol routier. De même, la troisième étape de formation d'hydrocarbures est très bien adaptable aux raffineries conventionnelles, au prix de quelques modifications.

Mais le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique est une phase limitante, car la dépolymérisation de la cellulose en glucose est rendue difficile par la résistance de la cellulose aux solvants traditionnels. L'hydrolyse enzymatique est la voie privilégiée aujourd'hui, même si son industrialisation implique d'améliorer les rendements par des catalyseurs et milieux spécifiques ainsi que de minimiser le coût des cultures enzymatiques.

En France, le projet Futurol, associant l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l'ARD (Agro-industrie recherches et développements), a été lancé en 2008 pour réaliser le démonstrateur d'un procédé de production de bioéthanol de deuxième génération à partir de biomasse ligno-cellulosique, comme les résidus agricoles et les cultures énergétiques (miscanthus). En 2020, une première industrielle a été annoncée par Axens, chargé de la commercialisation du procédé, avec la société croate INA pour la production de 55 000 tonnes d'éthanol de deuxième génération114(*).

En juin 2023, LanzaJet, entreprise de production de biocarburants aériens et routiers à partir de biomasse de deuxième génération via le procédé ATJ-SPK, a conclu un accord avec Airbus pour accélérer la construction d'installations de carburants d'aviation durables utilisant sa technologie et la certification pour l'incorporation à 100 % de ces CAD.

Spécifique, la voie SIP-HFS exploite le potentiel de la farnésène, un hydrocarbure insaturé de la famille des terpènes. Le processus inclut : le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique pour sa transformation en sucres, la transformation des sucres en farnésène par des micro-organismes puis l'hydrotraitement (ajout d'hydrogène). Une fois hydrogénée, la farnésène devient du farnésane, un hydrocarbure incorporable directement dans les moteurs mais qui ne possède pas les mêmes caractéristiques que le kérosène, d'où un plafond d'incorporation de 10 %.

Le procédé a été inventé par la société américaine Amyris dans les années 2000, mais il n'est pas exploité à l'échelle industrielle pour l'aviation, ni même à l'échelle de démonstrateur. Après avoir investi depuis 2010 dans la farnésène renouvelable d'Amyris, TotalEnergies a formé avec cette dernière une coentreprise en 2013 : Total Amyris Biosolutions, qui détient la propriété intellectuelle du farnésène renouvelable, sans qu'aucun projet industriel ne soit lancé.

3. La voie thermochimique

La voie thermochimique repose sur le procédé FT-SPK par BtL. Elle est basée sur le prétraitement de la biomasse ligno-cellulosique, la gazéification de la biomasse - c'est-à-dire sa transformation à très haute température (entre 600 °C et 900 °C) en gaz de synthèse (mélange de monoxyde de carbone et d'hydrogène) - et le procédé Fischer-Tropsch115(*) qui permet de synthétiser des hydrocarbures par catalyse hétérogène du gaz de synthèse.

Le rendement du procédé est de 30 % pour la voie BtL116(*). Il est possible d'augmenter ce rendement à 60 % par apport d'hydrogène décarboné117(*). En effet, le rapport entre le carbone et l'hydrogène est de « 2:3 » pour la biomasse (de formule moyenne C6H9O4) alors qu'il est de « 1:2 » dans une chaîne d'hydrocarbure. L'hydrogène ajouté permet de rééquilibrer ce rapport et de maximiser le rendement de la réaction de Fischer-Tropsch. Ce mode de production est appelé PBtL (Power-Biomass to Liquid).

En France, le projet BioTJet basé sur la voie PBtL est piloté par Elyse Energy en partenariat avec IFP Énergies nouvelles, Avril et BioNext. Il a pour objectif l'implantation d'un site de production de carburants d'aviation durables à Lacq, à partir de résidus forestiers et d'hydrogène produit par électrolyse. Les partenaires espèrent une mise en service en 2028, avec une production annuelle de 75 000 tonnes de CAD118(*).

La voie FT-SPK/A consiste à ajouter des molécules aromatiques aux carburants d'aviation durables obtenus par la voie FT. Même si, pour le moment, une incorporation jusqu'à 50 % est permise, le but serait à terme de permettre une incorporation à 100 % de ces carburants d'aviation durables, très similaires au Jet A1 d'origine fossile.


* 109 Respectivement avec électrolyse haute température et avec électrolyse basse température.

* 110 Power-to-Liquids : Potentials and Perspectives for the Future Supply of Renewable Aviation Fuel, Umwelt Bundesamt, septembre 2016.

* 111 What are Sustainable Aviation Fuels ?, EASA, 2022.

* 112 Source : Académie des Technologies

* 113 TotalEnergies veut produire davantage de biocarburants pour les avions (bfmtv.com)

* 114 Biocarburants de 2e génération : une première industrielle pour la technologie française Futurol™ , IFPEN.

* 115 Procédé Fischer-Tropsch : (2n+1) H2 + n CO CnH(2n+2) + n H2O.

* 116 En comptant 50 % pour le rendement de conversion de la bioénergie en biocarburant et 60 % de sélectivité dans la coupe kérosène (source : Académie des Technologies).

* 117 En comptant 100 % pour le rendement de conversion de la bioénergie en biocarburant et 60 % de sélectivité dans la coupe kérosène.

* 118 Implantation de l'usine BioTJet à Lacq : BioTfueL® prend son envol | IFPEN.

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