F. L'HYBRIDATION, NOUVELLE PERSPECTIVE POUR L'AVIATION RÉGIONALE
1. Une réponse aux limites actuelles du 100 % électrique
Les avions électriques étant, en l'état actuel des technologies, bridés à la fois dans leur capacité d'emport et leur rayon d'action, la propulsion hybride électrique cherche à s'affranchir de ces limitations, en associant une motorisation thermique à la motorisation électrique.
L'ajout d'une motorisation thermique permet en particulier de bénéficier de la densité énergétique massique très élevée du carburant d'aviation, mais elle génère des émissions et du bruit. Il est envisageable de minimiser cet inconvénient en faisant appel en priorité à la motorisation électrique dans certaines phases du vol, par exemple lors de l'atterrissage et du décollage.
2. Les architectures propulsives hybrides
En pratique, l'hybridation électrique peut prendre plusieurs formes, suivant les caractéristiques recherchées.
Une configuration hybride en série comprend une turbine qui alimente, via un générateur et un convertisseur de puissance, un pack de batteries et un ou plusieurs moteurs électriques assurant la propulsion. Le principal avantage de cette configuration est qu'elle permet à la turbine d'être en permanence dans des conditions de fonctionnement optimales, ce qui présente un avantage substantiel en termes de consommation de carburant et de maintenance. Son principal inconvénient est que le ou les moteurs électriques assurent seuls la propulsion et doivent donc être spécifiés pour délivrer la puissance maximale nécessaire à l'avion, ce qui se traduit par un supplément de poids78(*).
Configuration hybride en série
Dans une configuration hybride en parallèle, une boîte de transmission permet d'entrainer l'hélice soit avec une turbine, soit avec un moteur électrique, soit avec les deux. La turbine peut aussi assurer la charge de la batterie, le moteur électrique fonctionnant alors comme un générateur. Plus complexe que la précédente, cette configuration génère moins de pertes de conversion, mais oblige la turbine à tourner dans des conditions non optimales.
Configuration hybride en parallèle
Une configuration turboélectrique comprend une ou plusieurs turbines chacune associée à un générateur qui alimente directement un ou plusieurs moteurs électriques. La conversion de l'énergie thermique à l'énergie électrique induit une perte de rendement, mais permet de profiter des avantages d'une propulsion distribuée. Toute l'énergie utilisée provient du carburant alimentant les turbines.
Configuration turboélectrique
Une configuration partiellement turboélectrique est similaire à la précédente, mais la turbine entraine également directement une hélice, en parallèle des moteurs électriques.
Une configuration série-parallèle partiellement hybride reprend le principe de la configuration partiellement turboélectrique en lui adjoignant un pack de batteries qui augmente le poids de l'ensemble, mais permet le vol sans utiliser la turbine.
Chacune de ces configurations est plus complexe qu'une chaîne de propulsion 100 % électrique qui ne comporte qu'un pack de batteries et un ou plusieurs moteurs électriques.
3. Une option adaptée aux vols régionaux
À l'occasion de leur séjour aux États-Unis, les rapporteurs ont pu constater l'absence de remise en cause du transport aérien, qui s'explique facilement par la nécessité de ce mode de transport pour relier des destinations parfois éloignées de plusieurs milliers de kilomètres.
Ils ont été plus surpris de mesurer l'importance du développement de l'aviation régionale dans ce pays, qui résulte probablement de la multiplicité des liaisons possibles entre des villes situées à des distances plus réduites.
Ce maillage représente sans aucun doute un atout non négligeable pour l'économie américaine, en permettant de répartir largement les activités économiques sur le territoire tout en assurant une communication aisée, par exemple entre une usine et un siège social situé à quelques centaines de kilomètres.
Les compagnies qui assurent ces liaisons exploitent à la fois des avions monocouloirs transportant plusieurs dizaines de passagers, comme l'ATR-72, et des avions plus petits, par exemple de 9 passagers seulement. La rentabilité des vols n'est pas toujours assurée, si bien que leur maintien nécessite une aide financière des autorités locales.
Ces compagnies s'intéressent de très près aux avions hybrides électriques - certaines en ont précommandé jusqu'à une centaine - car ils présentent plusieurs caractéristiques qui les rendent particulièrement bien adaptés aux liaisons régionales.
Leur premier atout concerne la consommation de carburant et les émissions de CO2, qui pourraient se trouver significativement diminuées sur des vols courts. L'ampleur de ce gain en consommation et en émissions dépendra évidemment des performances des aéronefs et de leur adaptation aux distances parcourues. Mais le prix des billets pourrait s'en trouver nettement diminué, tout comme l'impact des vols sur l'environnent.
Pour les liaisons les plus courtes, il est même envisageable que les vols puissent s'effectuer entièrement en mode électrique, la propulsion thermique apportant simplement le supplément de rayon d'action exigé par la certification pour faire face à l'attente au-dessus d'un aéroport ou à un déroutement. Pour les liaisons plus longues, l'énergie électrique évite d'utiliser le carburant sur une partie du vol et permet d'exploiter les moteurs thermiques de façon optimale.
Un deuxième avantage concerne le bruit et la pollution qui pourraient être diminués dès lors que le décollage, l'atterrissage et le roulage au sol seraient effectués en mode électrique. Réduire les nuisances pourrait aussi autoriser une utilisation plus flexible des aéroports, notamment en termes de plages horaires d'exploitation, ce qui se traduirait à la fois par plus de souplesse pour les clients et une baisse de tarification pour l'accès aux aéroports.
Un troisième gain pourrait résulter de la capacité des avions hybrides électriques à décoller et à atterrir sur des pistes courtes, multipliant le nombre des aéroports accessibles. En effet, la motorisation électrique distribuée permet de concevoir des avions présentant une telle caractéristique. Accéder à un plus grand nombre d'aéroports peut conduire à réduire le coût d'accès à ceux-ci et permettre une plus grande proximité avec les clients potentiels.
Enfin, une automatisation poussée de ces avions d'avant-garde ayant une capacité en passagers réduite permettrait éventuellement, sous réserve de l'accord des autorités de certification, de réduire l'effectif des équipages, avec un seul pilote au lieu de deux, donc les coûts de personnel.
Ces évolutions pourraient bouleverser les coûts d'exploitation de l'aviation régionale et réduire ses émissions de gaz à effet de serre, incitant au développement de ces liaisons non seulement outre-Atlantique, mais aussi en Europe. L'arrivée de l'avion hybride électrique va très probablement transformer l'image de l'aviation régionale et ses usages.
Compte tenu de leur faible capacité, ces avions ne se substitueront pas au train, mais ils permettront d'effectuer des trajets directs entre des zones aujourd'hui mal interconnectées et de faciliter la mobilité intrarégionale dans des territoires enclavés. Par exemple, le trajet Toulouse-Clermont Ferrand, réalisé aujourd'hui en neuf heures avec le train, pourra être effectué en une heure trente avec un avion hybride.
Le développement de l'aviation régionale représentera un levier important pour accélérer la réindustrialisation du pays sur l'ensemble du territoire, non seulement en métropole mais aussi dans les DOM-TOM.
4. Des projets susceptibles d'aboutir prochainement
À l'horizon 2030, une nouvelle offre en matière d'avions hybrides électriques permettra de donner une nouvelle impulsion au développement de vols régionaux d'une dizaine à une vingtaine de passagers. En France, plusieurs entreprises sont impliquées dans le développement de ces aéronefs.
Fruit d'une collaboration initiée en 2019, avec le soutien du CORAC et de la DGAC, entre Safran, Daher et Airbus, le démonstrateur d'avion à propulsion hybride distribuée EcoPulse a pour objectif d'évaluer les avantages opérationnels de l'intégration de ce mode de propulsion. Présenté pour la première fois en 2023 au salon de Paris - Le Bourget, EcoPulse fonctionne avec six propulseurs électriques de 50 kilowatts. Son premier vol à propulsion hybride électrique a eu lieu le 29 novembre 2023, à Tarbes. En s'appuyant sur les acquis de ce démonstrateur, le groupe français Daher prévoit de commercialiser, à partir de 2027, un avion hybride de 6 places dans sa gamme TBM et un avion hybride de 10 places dans sa gamme Kodiak.
Pour sa part, la start-up française Voltaero développe un avion commercial hybride en trois versions : le Cassio 330 (5 sièges, limité à un rayon d'action de 200 kilomètres), le Cassio 480 (6 sièges) et le Cassio 600 (12 sièges avec un rayon d'action de 1 000 kilomètres).
Prototype du Cassio 330 de Voltaero
Les petites distances seraient effectuées intégralement en mode électrique, l'activation du moteur thermique intervenant après 200 kilomètres. Un premier prototype du Cassio 330 a réalisé un tour de France en juillet 2021. La production en série de ce modèle, équipé d'un moteur Safran, pourrait commencer à Rochefort fin 2025, après l'obtention de la certification.
En plus des avions destinés à la formation, Aura Aero conçoit un avion hybride électrique régional : ERA (Electric Regional Aircraft), qui pourra transporter 19 passagers dans un rayon allant jusqu'à 1 500 kilomètres, dont 300 kilomètres parcourus en tout électrique. Par rapport aux avions thermiques actuels de 19 places, l'avionneur toulousain espère réduire de 80 % les émissions et de 50 % les coûts en carburant et en maintenance.
Le premier vol de cet avion devrait intervenir en 2026 et son entrée en service en 2028. Aura Aero totalise déjà 500 précommandes de ce modèle, en majorité auprès de compagnies aériennes américaines. Safran Electrical & Power et Thales participent également au développement de cet appareil.
Design de l'ERA d'Aura Aero
Enfin, des avions à décollage vertical hybrides électriques permettraient d'exploiter des connexions intrarégionales même en l'absence d'aéroport. Ainsi, la start-up toulousaine Ascendance Flight Technologies développe un appareil hybride électrique à décollage vertical capable de transporter quatre passagers sur 400 kilomètres. En utilisant la batterie en phase de décollage et un carburant d'aviation durable en régime de croisière, les émissions de CO2 seraient réduites de 80 %. Le vol d'un prototype est prévu fin 2024 et la mise en service en 2027.
Design du VTOL d'Ascendance Flight Technologies
* 78 Rendón, M.A et al., Aircraft Hybrid-Electric Propulsion : Development Trends Challenges and Opportunities. J Control Autom Electr Syst 32, 1244-1268, (2021.