B. L'AMÉLIORATION DE L'AÉRODYNAMIQUE
La traînée est la force horizontale qui s'oppose à la poussée des moteurs : la réduire est essentiel pour consommer moins de carburant. Il existe deux traînées principales, chacune participant environ de la moitié de la traînée totale. La traînée induite est due à la différence de pression entre l'intrados (surface inférieure du profil de l'aile) et l'extrados (surface supérieure) générée par la portance ; celle-ci provoque des tourbillons marginaux en bout d'aile et oriente la force de portance locale légèrement vers l'arrière, d'où la création de traînées. La traînée de frottement est due au frottement de l'air (viscosité) contre les surfaces de l'avion en contact avec l'écoulement d'air.
Pour réduire la traînée, il est donc nécessaire de faire évoluer la voilure. Plusieurs pistes d'amélioration sont envisageables.
1. La réduction de la traînée induite
Théoriquement, la traînée induite serait nulle sur une aile infinie. De façon plus réaliste, l'allongement des ailes, c'est-à-dire le rapport de l'envergure sur la corde, est inversement proportionnel à la traînée induite.
Sur la dernière génération d'avions (Airbus A320neo et Boeing B737 Max), des winglets, c'est-à-dire des ailettes recourbées, ont été ajoutés en bout d'aile. Ils permettent de casser les tourbillons générés, ainsi que l'illustre la figure ci-après, ce qui réduit la traînée induite par la portance et conduit à diminuer la consommation d'environ 3 %.
Avec le projet Gulhyver (Gull signifiant goéland et hyver faisant allusion à l'hydrogène liquide) dévoilé au Salon du Bourget 2023, l'ONERA étudie des solutions de rupture pour réduire la traînée à l'horizon 2030-2035. L'institut envisage un nouvel avion monocouloir doté de moteurs de type Open Rotor alimentés en hydrogène, dont les ailes auraient un nouveau facteur de forme : elles seraient 20 fois plus longues que larges, alors qu'elles ne le sont que 11 fois sur un Airbus A320.
Ainsi que l'a expliqué Philippe Beaumier, directeur de l'aviation civile de l'ONERA, ce choix induit plusieurs contraintes. D'abord, des ailes plus allongées sont sujettes à des efforts mécaniques et à des déformations plastiques plus importants. C'est pourquoi l'ONERA envisage l'ajout de haubans pour les soutenir, comme sur la figure ci-après.
La sensibilité aux rafales de vent et la gestion des phénomènes liés aux frottements et aux vibrations restent à étudier. En effet, une aile trop souple peut subir des phénomènes de flottement et devenir difficile à contrôler. Les surfaces mobiles, ailerons, volets et spoilers, devront de ce fait être adaptées, et l'usage de matériaux composites sera sans doute nécessaire pour alléger la structure et la rendre plus manoeuvrable.
La NASA et Boeing ont dévoilé en février 2024 le projet de démonstrateur technologique X-66A qui reprend les grandes lignes du projet Gulhyver, avec un rapport d'allongement de la voilure de 19,55 et un haubanage, mais une motorisation classique, similaire à celle de l'Airbus A320neo. Ce type de voilure avait déjà fait l'objet d'études conjointes par le passé.
Projet Gulhyver
Source : ONERA
Projet X66-A
Source : Boeing
2. La réduction de la traînée de frottement
• La traînée de frottement peut être réduite en s'efforçant de garder un régime laminaire, c'est-à-dire avec un écoulement restant accroché à la surface de l'aile sur sa plus grande partie, au lieu d'un régime turbulent, comportant des tourbillons. Le régime laminaire permet en effet de diminuer la dépendance entre la vitesse et les frottements, ce qui réduit la traînée. Les ailes à laminarité étendue permettent de conserver le régime laminaire sur une grande partie de la corde : 60 % dans les cas les plus favorables, au lieu de 10 % à 20 % en temps normal.
Ces ailes sont notamment étudiées depuis 2008 au travers du projet BLADE (Breakthrough Laminar Aircraft Demonstration in Europe) piloté par Airbus, dans le cadre de l'initiative technologique européenne Clean Sky (ciel propre). Ce projet explore le comportement en vol des voilures laminaires, en vue d'une exploitation sur des avions de transport civils.
En 2017, un démonstrateur a effectué son premier vol. Il s'agissait d'un Airbus A340 dont les bouts d'aile ont été remplacés par deux tronçons inclinés vers le bas, formant un angle de 20 degrés avec le fuselage, contre 30 degrés pour le reste de la voilure. La partie arrière est plus épaisse que la partie avant et très lisse, afin de retarder au maximum l'arrivée de l'écoulement turbulent. Le projet BLADE a conduit à une réduction de la traînée globale de 8 % et à un gain de consommation de carburant de 5 %46(*).
Cependant, le résultat n'a pu être obtenu que pour une vitesse optimale inférieure à celle de l'Airbus A340 (Mach 0,75 au lieu de 0,82). Le profil laminaire serait donc adapté à des avions un peu moins rapides et au rayon d'action plus faible, de type moyen-courrier. Par ailleurs, il est nécessaire de garantir l'écoulement laminaire en toutes circonstances, même avec de petites déformations, par exemple résultant d'insectes écrasés sur la voilure, ce qui implique de poursuivre les recherches.
L'étude des ailes à laminarité étendue fait partie intégrante du projet européen Large Passenger Aircraft Innovative Aircraft Demonstrator Platform coordonné par Airbus qui s'est déroulé de janvier 2020 à avril 2024 dans le cadre de l'initiative Clean Sky 2.
Démonstrateur d'Airbus A340 à voilure laminaire
Source : Airbus
En termes d'architecture, l'intégration motrice permettrait une réduction de la consommation de carburant. En effet, la configuration plaçant les moteurs sous les ailes, utilisée depuis 50 ans, pourrait évoluer.
Depuis 2015, dans le cadre du projet NOVA, l'ONERA étudie une intégration partielle du moteur à l'arrière du fuselage, comme sur la figure ci-après. Cette intégration permet une ingestion de couche limite (Boundary Layer Ingestion) : la poussée est produite à partir d'un écoulement situé juste à l'arrière de l'avion, à une vitesse plus faible, qui permet un meilleur rendement propulsif et une réduction de consommation de carburant de 3 % à 4 %47(*).
De plus, l'intégration de la motorisation dans l'architecture de l'avion pourrait réduire la formation des traînées de condensation du fait de l'écartement accru des sorties moteurs par rapport aux extrémités des ailes, où naissent les tourbillons de sillage propices à la formation de cirrus de condensation lorsqu'il piégent la vapeur rejetée par les moteurs48(*).
• L'intégration motrice peut également être appliquée à une aile volante à fuselage intégré, configuration radicalement différente de celle des aéronefs actuels. Inventée en Allemagne dans les années 1920, le concept d'aile volante à fuselage intégré a été repris dans les années 1990 par la NASA ainsi que par les avionneurs McDonnell Douglas et Boeing dans le cadre de deux démonstrateurs (BWB-17 et X-48), puis par Airbus, en 2019, pour son démonstrateur MAVERIC (Model Aircraft for Validation and Experimentation of Robust Innovative Controls), avec une perspective de réduction de la consommation de 20 % par rapport aux avions actuels.
Démonstrateur Airbus Maveric
Source : Airbus
Cette architecture améliore la performance aérodynamique, réduit le poids de l'aéronef et est la plus efficace en termes de capacité d'emport. Elle permet de transporter plus de carburant pour une même taille d'avion49(*). Elle permettrait une diminution de masse de 15 %50(*) et une augmentation de l'efficacité énergétique allant jusqu'à 25 %51(*).
Cependant, cette architecture présente plusieurs inconvénients significatifs : une résistance réduite aux efforts de pressurisation par rapport à un fuselage cylindrique, des problèmes de stabilité et de contrôle, une plus faible portance imposant une augmentation de l'envergure, une évacuation d'urgence moins simple des passagers et des emplacements réduits pour les hublots.
Malgré ces inconvénients, les atouts de l'aile volante à fuselage intégré rendent ce concept attractif. Ainsi, en parallèle d'Airbus, la start-up américaine JetZero développe une aile volante à fuselage intégré en trois variantes : un avion de 200 passagers, un avion-cargo et un avion-citerne. La forme de l'avion se prête si bien à cette dernière application que l'armée de l'air américaine a accordé 235 millions de dollars à cette société pour développer un démonstrateur grandeur nature, afin de valider les performances du concept.
Une revue récente de la littérature scientifique sur l'ingestion de couche limite montre que la réduction de consommation de carburant pour une aile volante à fuselage intégré pourrait aller jusqu'à 50 % sur de moyennes distances52(*).
* 46 Airbus teste la première voilure laminaire d'un avion commercial, Les Echos, 1er octobre 2017
* 47 Référentiel Supaéro
* 48 F.G Noppel, Contrail and Cirrus Cloud Avoidance Technology, octobre 2017
* 49 Iwanizki M. et al., Conceptual design studies of unconventional configurations, 3AF Aerospace Europe Conference 2020, février 2020, Bordeaux.
* 50 R. H. Liebeck, Design of the blended wing body subsonic transport, Journal of Aircraft, 41(1), 2004.
* 51 A. Abbas, J. de Vicente, and E. Valero., Aerodynamic technologies to improve aircraft performance, Aerospace Science and Technology, 28(1):100- 132, 2013.
* 52 N. G.M Moirou et al., Advancements and prospects of boundary layer ingestion propulsion concepts, Progress in Aerospace Sciences, Volume 138, 2023