B. UNE ATTEINTE INÉGALE DES PUBLICS VISÉS

1. La taille de l'entreprise et son secteur d'activité sont insuffisamment pris en compte dans l'attribution des crédits du FNE-Formation
a) Les petites entreprises (TPE-PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) pourraient être davantage ciblées

Si le FNE-Formation tient compte de la taille des entreprises en prévoyant une prise en charge progressive dont le montant est plus élevé pour les petites entreprises que pour les plus grandes, de nombreuses grandes entreprises figurent parmi les bénéficiaires du dispositif. Alors que les petites entreprises ont des besoins particuliers, la part relativement importante des grandes entreprises parmi les bénéficiaires du FNE-Formation interroge.

En effet, le FNE-Formation bénéficie, depuis quatre ans, majoritairement aux entreprises de moins de 250 salariés, avec une proportion d'environ 60 % en moyenne. Ainsi, la représentation parmi les bénéficiaires du dispositif des entreprises allant de 1 à 250 salariés n'est pas négligeable. Cette proportion souligne le besoin qu'ont les petites structures de recevoir une aide pour bénéficier de formations.

Si la part des actions de formation financées au bénéfice d'entreprises de moins de 250 salariés reste globalement stable ces dernières années, cette part a diminué pour les entreprises de moins de 11 salariés, passant de 16,9 % à 9,5 % des actions financées entre 2020 et 2023. Cette baisse a été compensée en partie par une augmentation des demandes des entreprises embauchant entre 50 et 250 salariés, passée de 24,0 % à 28 % en quatre ans. Toutefois, la proportion des actions financées au bénéfice d'entreprises de plus de 250 salariés a augmenté. Elle est passée de 37,8 % en 2020 à 42,6 % en 2023. Ces entreprises représentent une part importante des bénéficiaires du FNE-Formation, alors même qu'elles ne semblent pas constituer le coeur de cible dudit dispositif, en raison de leur taille et de leurs moyens. Ces dernières n'ont en principe pas de problème à financer elles-mêmes la formation de leurs salariés.

Entreprises bénéficiaires du FNE-Formation
selon la taille de leurs effectifs

Note : sont exclues les actions pour lesquelles la donnée n'a pas été renseignée (15,8 % en 2023).

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Les différents Opco notent que les entreprises de plus de 50 salariés ne bénéficient plus que de rares dispositifs d'aide à la formation. En effet, le Plan de développement des compétences (PDC-50), financé par les Opco, est, depuis la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018, réservé aux entreprises de moins de 50 salariés. Ainsi, depuis 2018, les entreprises de plus de 50 salariés ne bénéficie d'aucun dispositif collectif de formation professionnelle des salariés - à l'exception du FNE-Formation.

Dès lors, le FNE-Formation apparaît comme le principal dispositif incitant les entreprises de plus de 50 salariés à investir dans la formation de leurs salariés.

b) Un ciblage sur l'industrie qui pourrait être accentué

Concernant les secteurs d'activité des entreprises bénéficiaires, celui de l'industrie demeure assez nettement le principal bénéficiaire du dispositif depuis 2021. Toutefois, les montants dédiés à ce secteur d'année en année montrent une grande instabilité et suivent une tendance baissière. Ainsi, de 2020 à 2021, la somme dédiée à l'industrie a été multipliée par trois, avant d'être diminuée d'un tiers en 2022, pour être cette fois divisée par deux en 2023.

Répartition des fonds du FNE-Formation par OPCO

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Par ailleurs, d'après un rapport25(*) de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), et de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), les moyens accordés au secteur industriel dans le cadre du FNE-Formation sont cruciaux, en particulier pour les entreprises de moins de 50 salariés, en raison des besoins de développement que connaît ce secteur à l'aune de l'objectif de réindustrialisation. Selon les rapporteurs spéciaux, ces moyens devraient être stabilisés afin de sécuriser les financements en faveur de ce secteur, dont le développement est sources d'externalités positives pour le reste de l'économie.

Outre l'Opco 2i, représentant des entreprises des secteurs inter-industriel, le FNE-Formation est également beaucoup mobilisé par l'Opco Akto, représentant les entreprises à forte intensité de main d'oeuvre, qui a également largement fait appel au dispositif, notamment en 2020 lors de la crise sanitaire. Les secteurs de la construction (Opco Constructys) et de la mobilité (Opco Mobilités) semblent bénéficier de la réorientation du dispositif vers les transitions écologiques et énergétiques.

À l'inverse, les secteurs de la santé et de la cohésion sociale font assez peu appel au FNE-Formation. Ils sont en effet, aux dires de l'administration, plutôt positionnés sur d'autres dispositifs accompagnant des formations plus longues, comme la reconversion promotion par alternance (Pro-A).

2. Les salariés dont la formation devrait être jugée prioritaire ne représentent pas une part suffisante des bénéficiaires du FNE-Formation
a) Une sur-représentation des cadres parmi les bénéficiaires du FNE-Formation

Les données portant sur les catégories socioprofessionnelles des bénéficiaires du FNE-Formation suggèrent que l'accès au dispositif est pour le moins inégal. La catégorie des « ingénieurs - cadres » a cru ces dernières années en représentant 31,4 % des bénéficiaires en 2020, et jusqu'à 36,3 % en 2023. Une tendance similaire s'observe concernant l'accès au FNE-Formation des « techniciens et agents de maitrise » avec 10 points d'augmentation entre 2020 et 2023. Ces deux catégories cumulées représentaient en 2023 presque les deux tiers des bénéficiaires, en atteignant 63,7 %.

En revanche, la représentation des catégories professionnelles avec de moindres qualifications a suivi une trajectoire baissière depuis la crise sanitaire. Elles représentaient la moitié des bénéficiaires en 2020, mais seulement 36,1 % en 2023. La proportion d'employés ayant accès au FNE-Formation a été divisée par deux : elle était de 41,7 % en 2020, pour finalement représenter 20 % des bénéficiaires en 2023. Les ouvriers qualifiés font figure d'exception : leur proportion a été doublée. Ils représentaient 6 % des bénéficiaires en 2020 pour atteindre 12 % en 2023. Principal bémol, la proportion d'actions de formation en faveur d'ouvriers non qualifiés est toujours la plus faible, s'établissant à 3,2 % en 2020, jusqu'à 11,1 % en 2021, avant de décroître jusqu'à 4,1 % en 2023.

Cette faible proportion est source d'insatisfaction aux yeux des rapporteurs spéciaux. Les récents rapports budgétaires sur la mission « Travail et emploi »26(*) ont en effet témoigné d'un consensus entre les trois rapporteurs spéciaux, passés et présents, pour financer en priorité la formation des personnes dont les qualifications sont les plus faibles, étant entendu que c'est à ces niveaux que la « valeur ajoutée » d'une formation est la plus importante.

Évolution de la répartition des stagiaires par catégorie socio-professionnelle
entre 2020 et 2023

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Ces données mettent en exergue une forte surreprésentation des catégories les plus qualifiées, au détriment des travailleurs moins qualifiés. Selon l'Insee27(*), en 2021, les ouvriers et les employés représentaient 47% de la population active alors qu'ils ne constituent que 36,1 % des bénéficiaires en 2023. S'agissant des catégories qualifiées, les « ingénieurs-cadres » et « techniciens » constituent 46,3 % de la population en emploi tandis qu'ils représentent 63,7 % des bénéficiaires du FNE-Formation.

Les rapporteurs spéciaux déplorent que les catégories professionnelles bénéficiant de ce dispositif ne soient pas représentatives de la sociologie réelle du monde du travail.

b) Une diminution continue de la part des femmes parmi les stagiaires

Depuis 2020, la part des femmes bénéficiant d'une formation financée par le FNE-Formation est en baisse continue : les femmes salariées représentaient 44 % des stagiaires en 2020, puis 37,2 % en 2021, 36,9 % en 2022, et enfin à 34,2 % en 2023.

Part des femmes parmi les salariés bénéficiaires du FNE-Formation

(en unités et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Les rapporteurs spéciaux émettent l'hypothèse que ce décrochage de la part des femmes formées grâce au FNE-Formation, particulièrement sensible entre 2020 et 2021, pourrait s'expliquer par la résorption du chômage partiel après le « Grand confinement » de 2020, qui avait constitué une opportunité inédite pour les femmes de se former sur leur temps de travail. C'est en tout cas ce que semble suggérer certains travaux universitaires, qui indiquent par exemple que « l'augmentation de la part des femmes dans l'activité partielle par rapport aux crises précédentes (...) semble ainsi liée au caractère inédit, par sa soudaineté et son ampleur, de cette crise, et à la massification de l'usage de l'activité partielle. »28(*)

Il est possible qu'avec la fin des confinements et le retour en présentiel, le recours au FNE-Formation étant progressivement décorrélé de l'activité partielle, les femmes se soient trouvées désincitées à se former pour diverses raisons - contraintes professionnelles renouvelées, autocensure, etc.

Il apparaît en outre que les femmes mettent en place une stratégie de recours à la formation spécifique29(*). Ainsi, les femmes ont plus tendance à se former en vue d'une promotion professionnelle, un changement d'entreprise, une mobilité géographique, tandis que les hommes ont majoritairement tendance à se former pour s'acculturer à leur poste, confirmer et valoriser leurs acquis. Le recours à la formation ne revêt donc pas la même finalité selon les sexes.

c) Une priorité donnée à la formation des seniors progressivement assumée

Les données sur l'âge des bénéficiaires du FNE-Formation, communiquées aux rapporteurs spéciaux, indiquent que la majorité des bénéficiaires appartient à la catégorie d'âge des 25-49 ans (environ 70 %). Cette catégorie décline néanmoins faiblement en passant de 71 % en 2020 à 2023 à 68 % des bénéficiaires. La proportion de stagiaires âgés de moins de 25 ans subit également une légère baisse entre 2020 et 2023, en diminuant de 11,1 % à 6,8 %. En parallèle, le taux de participants aux formations âgés de plus de 50 ans a augmenté, de 18 % à 24,8 % entre 2020 et 2023. Cette augmentation s'inscrit en cohérence avec les dernières évolutions du dispositif qui prévoient un ciblage prioritaire des seniors de plus de 50 ans afin de favoriser leur employabilité et leur maintien en emploi.

Répartition des stagiaires bénéficiant du FNE-Formation
par classe d'âge

(en unités et en pourcentage)

 

2020

2021

2022

2023

2023/2020

Tranche d'âges

Nombre d'actions

Répartition

Nombre d'actions

Répartition

Nombre d'actions

Répartition

Nombre d'actions

Répartition

Évolution répartition

- 25 ans*

42 971

11,1 %

28 995

6,9 %

34 739

7,1 %

17 897

6,8 %

- 38,7 %

25-29 ans

273 295

70,8 %

52 845

12,6 %

57 924

11,9 %

33 968

13,0 %

- 3,6 %

30-49 ans

242 945

57,8 %

281 895

57,7 %

145 179

55,4 %

50-54 ans

69 518

18,0 %

51 581

12,3 %

60 595

12,4 %

32 069

12,2 %

+ 38,0 %

55 ans et +

43 918

10,4 %

53 012

10,9 %

33 163

12,6 %

TOTAL

385 803

100,0 %

420 284

100,0 %

488 165

100,0 %

262 276

100,0 %

 

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

L'Opco OPCAPIAT se distingue à cet égard par la mise en place d'une modulation du taux de prise en charge des formations selon qu'elles sont ou non destinées à des seniors de plus de 55 ans. Le taux de cette valorisation est compris entre 5 et 10 % selon la taille de l'entreprise du bénéficiaire afin de respecter les exigences prévues par le RGEC.

Les rapporteurs spéciaux se félicitent de la priorité donnée aux formations à destination des seniors, public qui fait face à de multiples difficultés sur le marché du travail, dont un défi de renouvellement des compétences.


* 25 Rapport portant sur les tensions sur les effectifs et compétences dans l'industrie et dispositifs de formation associés - Juillet 2023 - IGF, IGAS, IGESR.

* 26 Emmanuel Capus et Daniel Breuiller, Annexe n° 32 « Travail et emploi » au Rapport général n° 771 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, déposé le 28 juin 2023 ; Emmanuel Capus et Ghislaine Senée, Annexe n° 32 « Travail et emploi » au Rapport général n° 128 (2023-2024) fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2023.

* 27 Insee, Enquête emploi 2021, Séries longues sur le marché du travail.

* 28 Calavrezo O., Hounkpevi L., Journeau F. et Robin Y. (2021), « L'utilisation de l'activité partielle en France pendant la crise de la Covid-19 : une analyse empirique sous l'angle du genre », Socio-économie du travail, 2020-2, n° 8.

* 29 Briard, Karine. « Formation et progression professionnelle : des logiques genrées selon les emplois occupés », Formation emploi, vol. 161, no. 1, 2023, pp. 39-60 ; Dares, Karine Briard, « Formation et progression professionnelle : quelles logiques pour les femmes et les hommes ? Une évaluation sur la période 2010 - 2015 », Juillet 2021, N° 248.

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