II. UN DISPOSITIF DONT LES MÉTAMORPHOSES ONT ACCRU L'EFFICIENCE

A. UN RISQUE D'EFFETS D'AUBAINE GLOBALEMENT ÉCARTÉ APRÈS LA PREMIÈRE PHASE DE LA CRISE SANITAIRE

1. Durant la crise sanitaire : des effets d'aubaine qui, sans pouvoir être prouvés, ne peuvent pas non plus être écartés

La Cour des comptes s'est rapidement montrée critique vis-à-vis de l'utilisation des crédits du FNE-formation. Dans son rapport sur l'utilisation des dépenses publiques pendant la crise sanitaire de juillet 202130(*), la Cour relevait « une portée limitée du FNE-Formation », et notait que les incitations à la formation étaient « plus opportunistes que susceptibles de conjurer les effets de la crise ».

Un premier examen par la Cour des comptes avait en effet permis de relever que, malgré le succès quantitatif du dispositif, « les formations ont plus largement profité aux salariés les plus qualifiés » - ce qui tend à rejoindre le constat des rapporteurs spéciaux - « dans des secteurs d'activité moins menacés que d'autres », par exemple dans des secteurs tertiaires potentiellement moins fragilisés, comme les activités juridiques, comptables ou de gestion.

Dans ces secteurs, la Cour note qu'il n'est pas exclu, en particulier dans la période pendant laquelle le FNE-Formation pouvait prendre en charge 100 % des frais des coûts pédagogiques des actions réalisées, que le dispositif « ait déclenché une forme d'effet d'aubaine consistant à proposer aux salariés, aux frais de l'État, des formations ne présentant pas nécessairement le caractère décisif qui aurait justifié leur prise en charge à 100 %. »

Enfin, les données arrêtées au 31 octobre 2020 et transmises par les Opco à la Cour des comptes indiquent que, durant ses premiers mois de mobilisation dans le cadre de la crise sanitaire en 2020, le FNE-Formation avait financé de très nombreuses formations en langue, communication, marketing voire bureautique, et que seuls 17 % des crédits conventionnés à cette date avaient permis de financer des formations certifiantes.

La Cour concluait que « l'ouverture du recours au FNE-Formation ne paraît pas avoir répondu aux effets de la crise sur l'emploi, tout en suscitant des effets d'aubaine. » Renvoyant à ces constats, elle a en outre estimé, dans son rapport sur la formation professionnelle des salariés31(*), que « même si le phénomène est difficile à mesurer, le FNE-Formation de crise a pu engendrer un effet d'aubaine » pendant la crise sanitaire.

Les interrogations sur les effets d'aubaine potentiellement suscités par le dispositif avaient été relayées par les milieux politiques, notamment la ministre du travail, à l'époque Élisabeth Borne, et par la presse32(*).

2. Un dispositif qui veille de plus en plus à susciter des effets de levier

Les administrations entendues par les rapporteurs spéciaux sont convenues que les alertes de la Cour des comptes devaient être prises au sérieux. La direction du budget a ainsi indiqué que « la forte augmentation des crédits dédiés au dispositif peut effectivement interroger sur l'existence d'un effet d'aubaine, notamment d'un effet de substitution par rapport aux efforts des entreprises via leur plan de développement des compétences (PDC), à la mobilisation d'enveloppes conventionnelles et volontaires ou au financement du plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés (PDC-50) par France compétences. »

Toutefois, la même direction a insisté sur la difficulté de démontrer qu'un tel effet d'aubaine a bien été suscité, au travers par exemple d'un désengagement des entreprises. Or, une diminution significative de consommation sur le PDC-50 n'a pas été observée par les administrations, et aucune étude ne conclut en ce sens.

La DGEFP relève quant à elle que les règles d'encadrement européen excluent une prise en charge à 100 % - hors la période où le régime temporaire a été appliqué durant la crise sanitaire. De même, en vertu des mêmes règles, tout cofinancement public est exclu. Dans ces conditions, l'administration estime que « le FNE-Formation agit alors comme un levier d'investissement dans la formation, permettant d'amplifier l'appel des entreprises aux fonds privés ».

À rebours de l'effet d'aubaine, le FNE-Formation a ainsi été progressivement repensé pour produire de véritables effets de levier, pour inciter les entreprises à investir elles-mêmes, éventuellement en complément de fonds publics ou conventionnels, dans le développement des compétences, avec un potentiel impact « bénéfique sur le plan budgétaire à moyen-terme » selon la direction du budget.


* 30 Les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation, communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale, juillet 2021, pp. 127-129.

* 31 Cour des comptes, La formation professionnelle des salariés. Après la réforme de 2018, une stratégie nationale à définir et un financement à stabiliser, juin 2023, p. 95.

* 32 Le Monde, «  Le FNE-Formation, une aide aux contours nébuleux pour les entreprises fragiles », 7 janvier 2022, modifié le 1er avril 2022.

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