II. LA PRÉVENTION DOIT ÊTRE AU CoeUR DU RÉGIME D'INDEMNISATION DES CATASTROPHES NATURELLES

A. DES RÈGLES À RENFORCER AFIN DE PRÉVENIR EFFICACEMENT LE PHÉNOMÈNE DE RGA POUR LES NOUVELLES CONSTRUCTIONS

En France, historiquement, les études de sol préalables à la construction de maisons individuelles n'étaient pas obligatoires. Par ailleurs, les règles de l'art, si elles intégraient bien des mesures liées au phénomène de RGA, n'étaient pas appliquées de façon systématique par les constructeurs. Face à ces insuffisances manifestes et alors que l'ampleur du phénomène de RGA ne faisait que s'amplifier, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « Élan », est venue renforcer le cadre normatif national existant.

En introduisant une nouvelle sous-section au sein du code de la construction et de l'habitation63(*), l'article 68 de la loi Élan avait ainsi pour objet d'imposer de nouvelles normes de construction plus exigeantes afin de limiter la vulnérabilité des nouvelles constructions de maisons individuelles au phénomène de RGA.

Cet article renvoyait notamment à un décret et à un arrêté la définition des zones exposées au risque de RGA. Cette définition a ainsi été précisée par le décret n° 2019-495 du 22 mai 2019 relatif à la prévention des risques de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols argileux et par un arrêté du 22 juillet 202064(*). Les zones considérées comme exposées au risque RGA et pour lesquelles l'encadrement renforcé des règles de construction prévues par la loi Élan s'appliquent sont celles pour lesquelles la carte d'exposition au phénomène RGA réalisée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) évalue l'aléa à un niveau moyen ou fort.

L'article 68 de la loi Élan prévoyait aussi l'obligation de réaliser une étude géotechnique préalable avant la vente d'un terrain constructible dans les zones exposées au risque RGA. L'article L. 112-21 du code de la construction et de l'habitation dispose ainsi que « en cas de vente d'un terrain non bâti constructible, une étude géotechnique préalable est fournie par le vendeur ». Cette obligation a pour objectif de responsabiliser le vendeur et d'informer l'acheteur d'un terrain constructible.

Le décret du 22 mai 2019 précité ainsi qu'un arrêté du 22 juillet 2020 sont venus préciser le contenu de l'étude géotechnique préalable exigée lors de la vente d'un terrain constructible. Il s'agit d'un diagnostic du sol assez sommaire de type « G1 » dont le coût moyen était évalué à 500 euros en 2019 par la DHUP. Ce type d'études ne permet pas de dimensionner les fondations de la construction. Seule une étude de type « G2 » est en mesure de déterminer la profondeur nécessaire des fondations au regard de l'exposition du site au phénomène de RGA. D'après l'article R. 112-6 du code de la construction et de l'habitation, cette étude doit permettre « une première identification des risques géotechniques d'un site et la définition des principes généraux de construction permettant de prévenir le risque de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols ». Des professionnels du financement ont attiré l'attention du rapporteur sur le renchérissement significatif du coût d'édification d'une maison si les études réalisées par le constructeur révèlent la nécessité de creuser plus profondément. Ce surcoût peut remettre en cause l'intégralité du projet, les futurs propriétaires n'ayant pas la capacité de lever plus d'emprunt. Ils se retrouvent alors avec un terrain sur lequel ils ne peuvent édifier leur projet de logement.

L'article 68 de la loi Élan prévoyait aussi un renforcement de l'encadrement normatif au moment de la construction d'une nouvelle maison. L'article L. 112-23 du code de la construction et de l'habitation prévoit ainsi que le maître d'ouvrage d'une construction en zone exposée au risque RGA doit faire le choix entre deux options :

- la première consiste à réaliser et suivre les recommandations de construction d'une étude géotechnique de conception de type « G2 »65(*) pour un coût estimé entre 1 500 et 2 500 euros ;

- la seconde consiste à respecter de façon forfaitaire des techniques particulières de construction définies par voie réglementaire.

Les techniques particulières de construction prévues à l'article L. 112-23 du code de la construction et de l'habitation ont été précisées par l'arrêté du 22 juillet 2020 relatif aux techniques particulières de construction dans les zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols. L'article 2 de cet arrêté prévoit ainsi des fondations renforcées d'une profondeur d'au moins :

- 80 centimètres en zone d'exposition moyenne au risque RGA ;

- 1,20 mètre en zone d'exposition forte.

Au-delà des dispositions législatives et réglementaires issues de la loi Élan, les normes de construction volontaires considérées comme l'expression écrite des règles de l'art66(*) prévoient quant à elles, en amont de la construction d'une maison en zone exposée, la réalisation d'une étude géotechnique de conception de type « G2 PRO », c'est-à-dire plus poussée qu'une simple étude « G2 » et dont le coût se situe entre 2 500 et 5 000 euros.

Les règles de construction prévues par la loi Élan constituent une dimension absolument déterminante pour immuniser les nouvelles constructions du risque RGA. Aussi est-il impératif de s'assurer de leur pertinence. Ce n'est qu'à cette condition qu'il sera possible d'éviter pour les nouvelles constructions les phénomènes de sinistralité massifs auxquels est aujourd'hui exposé le « stock » des maisons individuelles.

Après plus de cinq ans d'application, il est temps de réaliser un premier bilan des mesures qui ont été introduites par la loi Élan. Il est impératif que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires coordonne67(*) la réalisation d'une étude détaillée sur l'efficacité des règles de construction prévues par la loi Élan ainsi que sur les conditions de leur appropriation par les acteurs et de leur mise en oeuvre.

D'ores et déjà, il apparaît que les premières analyses sont très mitigées. Alors que l'épaisseur de la couche d'argile active est souvent de plusieurs mètres, d'après un sondage effectué en janvier 2022 par la Fédération française du bâtiment, un tiers des constructions post loi Élan seraient réalisées en optant pour la profondeur de fondations forfaitaire68(*), c'est à dire sans étude de sol.

Auditionnée par le rapporteur, la Direction générale du Trésor lui a notamment révélé que de premières maisons construites selon les normes prévues par la loi Élan commencent déjà à se fissurer. Cette information est particulièrement inquiétante et devra être précisément évaluée et documentée dans le cadre de l'étude appelée à dresser le bilan des règles introduites par cette loi.

S'agissant de la prévention du risque RGA à travers les règles de construction, l'exemple espagnol semble particulièrement éclairant. Les règles de construction qui prévalent en Espagne sont nettement plus exigeantes que les normes en vigueur en France ce qui, d'après l'analyse réalisée par le rapport précité de décembre 2023 dit « Langreney », « laisse présumer une fragilité de notre dispositif » et « conduit à s'interroger sur l'efficacité des mesures législatives sur les constructions neuves retenues en France ».

En effet, en Espagne, depuis 2000, il est obligatoire de réaliser une étude géotechnique avant toute nouvelle construction en zone exposée au risque RGA. Sans cette étude, il n'est pas possible de souscrire une assurance décennale, une condition indispensable à l'inscription au registre de la propriété. Toujours en Espagne, les règles de l'art en matière de construction prévoient, dans les zones exposées au risque RGA, des profondeurs de fondations de 3 mètres à 3,5 mètres, très supérieures aux règles en vigueur en France69(*).

En s'appuyant sur les premiers retours d'expérience liés à l'application des mesures prévues par la loi Élan ainsi que sur le modèle en vigueur en Espagne, le rapport « Langreney » recommande ainsi de « réaliser à très bref délai, une réévaluation de la loi Élan, pour aller probablement dans le sens d'un rehaussement de l'exigence d'étude de sol, ou, à défaut, la réalisation de fondations plus sécuritaires ». Le rapport préconise aussi que ces recommandations renforcées alimentent les documents techniques unifiés (DTU) et que les dispositifs de contrôle de l'application des mesures de construction soient renforcés.

Le renforcement des contrôles relatifs à l'application des règles de construction introduites par la loi Élan avait également été recommandé par la Cour des comptes dans un rapport de 2022 qu'elle avait consacré au phénomène de RGA70(*).

Des contrôles pourraient notamment être réalisés en amont lors de l'instruction du permis de construire par les mairies, avec l'appui si besoin des direction départementales des territoires, ainsi qu'en aval lors de la délivrance du certificat de conformité des travaux.

Pour que l'on ne se retrouve pas à constater à l'avenir des sinistres massifs sur le nouveau parc de maisons individuelles, le rapporteur considère que plusieurs mesures urgentes s'imposent :

- Prévoir la réalisation d'une véritable étude de sol de type G2 au moment de la cession d'un terrain constructible

Rendre obligatoire la réalisation d'une étude de sol approfondie avant la construction d'un bien, moyennant un cofinancement du fonds Barnier pour les ménages modestes ;

Augmenter la profondeur des fondations minimales réglementaires dans les zones exposées au phénomène de RGA ;

Renforcer les contrôles de l'application de ces règles de construction préventives.

Recommandation : renforcer les règles de construction en zones exposées au phénomène de RGA afin de prévenir la survenance de sinistres sur les maisons neuves.


* 63 Composée des articles L. 112-20 à L. 112-25.

* 64 Définissant les zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols argileux.

* 65 La précision du type et du contenu de cette étude géotechnique de conception a été apportée par le décret n° 2019-495 du 22 mai 2019 et un arrêté du 22 juillet 2020.

* 66 Notamment la norme NF DTU (document technique unifié) 13.11 relative aux fondations superficielles.

* 67 En particulier la direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR).

* 68 80 centimètres au minimum en zone d'exposition moyenne et 1,20 mètre en zone d'exposition forte.

* 69 Pour rappel, 0,80 mètre de profondeur minimale pour les zones d'exposition faible à moyenne
et 1,20 mètre pour les zones d'exposition forte.

* 70 « Sols argileux et catastrophes naturelles », Cour des comptes, février 2022.

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