C. UN NÉCESSAIRE ASSOUPLISSEMENT DES RÈGLES D'INDEMNISATION

1. Un besoin d'assouplissement des critères de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dans le cadre du phénomène RGA

En raison des profondes difficultés qui affectent la reconnaissance et la prise en charge du risque RGA, l'article 161 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS », habilitait le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance des mesures de nature à améliorer la prise en charge de ce risque au sein du régime CatNat. Le Gouvernement a appliqué cette disposition à travers l'ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

Cette ordonnance a notamment prévu un assouplissement bienvenu des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en matière de risque RGA. En effet, en modifiant l'article L. 125-1 du code des assurances, l'ordonnance prévoit que l'état de catastrophe naturelle puisse être reconnu en présence d'une succession anormale d'épisodes de sécheresse d'une ampleur inférieure au seuil du critère météorologique.

Le Gouvernement vient par ailleurs de mettre en oeuvre, via une circulaire du ministère de l'Intérieur datée du 29 avril 2024, deux autres dispositions absolument indispensables visant à élargir et assouplir les conditions de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en présence du risque RGA. Ces deux dispositions visent d'une part à réduire la période de retour du critère météorologique, en le faisant passer de 25 à 10 ans, et d'autre part à assouplir les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturel pour les communes limitrophes du territoire d'une autre commune elle-même reconnue.

Comme elle a pu déjà l'écrire dans son rapport d'information de février 2023 portant sur le financement du risque RGA59(*), le rapporteur estime que ces assouplissements sont nécessaires. Notamment en augmentant de 10 à 15 % le nombre de communes reconnues, ils devraient permettre de limiter les incompréhensions et les contestations au stade de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

Le rapporteur note également que d'autres évolutions contenues dans cette même circulaire permettront d'accélérer la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle en cas de RGA. Il s'agit notamment de l'allongement de la durée de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à une année civile pleine mais également d'une remontée trimestrielle plutôt qu'annuelle des rapports météorologiques de Météo-France.

Cependant, au-delà de ces évolutions indispensables, et comme elle l'avait déjà souligné dans ce même rapport, le rapporteur rappelle l'absolue nécessité, en collaboration avec Météo-France, d'améliorer de façon substantielle la qualité et la précision de la mesure du critère météorologique permettant de caractériser le phénomène de RGA.

S'agissant de la phase postérieure à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle structurée autour de l'expertise d'assurance sur les dommages déclarés, l'ordonnance du 8 février 2023 a également60(*) fixé les principes d'un encadrement de l'activité des experts d'assurance chargés d'instruire les dossiers de sinistres relatifs au risque RGA. Cet encadrement doit se traduire par une homogénéisation des rapports d'expertise et un dispositif de sanctions. En raison du taux significatif de dossiers classés sans suite par les experts d'assurance, des incompréhensions et des contentieux suscités par cette situation insatisfaisante, le rapporteur avait déjà eu l'occasion de saluer cette évolution bienvenue dans son rapport d'information de février 2023. Un décret en Conseil d'État doit venir préciser les différentes composantes de ce nouvel encadrement. D'après les éléments obtenus par le rapporteur, ce décret serait sur le point d'être publié.

2. En matière de RGA, le périmètre et la liberté d'usage des indemnisations d'assurance ont été encadrés par l'ordonnance du 8 février 2023 

En modifiant l'article L. 125-2 du code des assurances, l'ordonnance du 8 février 2023 précitée a prévu de circonscrire les dommages résultants du phénomène RGA qui pourront faire l'objet d'une indemnisation au titre du régime CatNat. Elle réserve ainsi la garantie apportée par le régime aux seuls « dommages susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ».

Un décret du 5 février 202461(*) pris en Conseil d'État est venu préciser l'application de cette restriction du périmètre des dommages éligibles à la garantie du régime. L'article 2 du décret du 5 février 2024 crée un nouvel article R. 125-7 du code des assurances qui introduit une dérogation au principe d'exclusion prévu par l'ordonnance. Il stipule en effet que les dommages qui, au moment de la réalisation de l'expertise, n'apparaissent pas susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment sont néanmoins couverts par la garantie du régime dès lors qu'ils sont de nature à « évoluer défavorablement » et, à l'avenir, « à affecter la solidité du bâti ou à entraver l'usage normal des bâtiments ».

Ce même article R. 125-7 dresse par ailleurs une liste de biens qui, en principe, sont exclus du champ de la garantie : « les dommages survenus sur les constructions constitutives d'éléments annexes aux parties à usage d'habitation ou professionnel, tels que notamment les remises, les garages et parkings, les terrasses, les murs de clôture extérieurs, les serres, les terrains de jeux ou les piscines et leurs éléments architecturaux connexes, sauf lorsque ces éléments font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert ».

Dans son rapport d'information de février 2023 précité, le rapporteur avait souligné toutes ses réserves à l'égard de la disposition de l'ordonnance du 8 février 2024 qui revient, pour des raisons de financement du régime, à exclure du champ de l'indemnisation des dommages considérés comme « esthétiques » dans la mesure où ils ne seraient pas susceptibles de remettre en cause la solidité et l'utilisation normale du bâtiment.

La première de ces réserves renvoyait au risque juridique associé à la notion floue et difficilement objectivable de dommages « susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ». Les précisions apportées par le décret du 5 février 2024, tout aussi floues, ne lui semblent pas résoudre cette difficulté. L'interprétation de ces notions sera vraisemblablement de nature à générer de nombreux contentieux.

La seconde réserve pointée en février 2023 par le rapporteur renvoyait de façon plus large au fait que le fait de circonscrire les dommages éligibles à la garantie CatNat était attentatoire aux principes mêmes qui définissent le régime et tout particulièrement à sa logique assurantielle. En effet, selon ce principe le versement de la surprime devrait ouvrir le droit à une indemnisation en cas de dommage lié à un phénomène qualifié de catastrophe naturelle, quelle que soit la nature de ce dommage. Le rapporteur craint que cette mesure, motivée par le seul enjeu, plus que légitime par ailleurs, d'équilibre financier du régime, ne génère de l'incompréhension ainsi qu'un fort sentiment d'iniquité pour les sinistrés concernés. En effet, comme ils se sont toujours acquittés de la surprime, ces derniers étaient légitimement en droit d'attendre une indemnisation, y compris pour des dommages non susceptibles d'affecter la solidité ou de remettre en cause l'usage du bâtiment d'habitation.

L'ordonnance du 8 février 2023 a aussi prévu, toujours en modifiant l'article L. 125-2 du code des assurances, l'obligation, pour les sinistrés victimes du risque RGA, d'utiliser le montant de l'indemnisation pour réparer les dommages occasionnés sur leur habitation : « l'indemnité due par l'assureur doit être utilisée par l'assuré pour réparer les dommages consécutifs aux mouvements de terrain différentiels ».

L'application stricte d'une telle règle priverait d'indemnisation un sinistré qui, plutôt que de réparer son habitation sur place, préférerait s'installer ailleurs, dans une zone moins exposée au risque RGA notamment. Dans son rapport d'information de février 2023 précité, le rapporteur avait souligné à quel point cette disposition serait inéquitable dans la mesure où, parfois, la décision de démolir une habitation sinistrée est beaucoup plus pertinente que d'engager de lourds travaux de réparation, notamment si cette dernière présente un mauvais diagnostic thermique.

Le rapporteur a noté que le décret du 4 février 2024 précité est venu apporter une dérogation à ce principe en prévoyant que dans l'hypothèse où le montant des travaux nécessaires est supérieur à la valeur vénale du bien, le sinistré pourra disposer librement de l'indemnisation, le cas échéant pour déménager ailleurs. Un nouvel article R. 125-6-1 du code des assurances prévoit ainsi désormais que « si le montant des travaux de réparation permettant la remise en état effective du bien est supérieur à la valeur de la chose assurée au moment du sinistre, cette obligation d'utilisation de l'indemnité ne s'applique pas ».

Le principe général de liberté d'utilisation des indemnités d'assurance

1. Un principe de libre affectation de l'indemnité d'assurance :

En matière d'utilisation des indemnités d'assurance, le principe général est celui de leur libre affectation. Le sinistré peut en disposer librement, il n'est pas tenu de l'employer pour réparer son bien endommagé. Ce principe a été établi et maintes fois réaffirmé par la jurisprudence de la Cour de Cassation.

L'arrêt n° 81-13 080 de la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation du 16 Juin 1982 affirme notamment que « l'assuré qui a droit au règlement de l'indemnité n'est pas tenu de l'employer à la remise en état de l'immeuble endommagé, ni de fournir des justifications particulières ». Cet arrêt a été confirmé depuis par de nombreuses décisions.

2. Quelques exceptions au principe de libre affectation de l'indemnité d'assurance :

La principale exception de nature législative au principe de libre affectation concerne l'assurance dommages ouvrages. Elle se fonde sur les dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances. Cette assurance est destinée à couvrir les dommages dont sont présumés responsables les constructeurs d'un ouvrage. Pour ce type d'assurance, les indemnités reçues de l'assureur doivent impérativement être affectées à la réparation de la construction.

L'article L. 121-17 du code des assurances prévoit quant à lui une forme d'obligation d'utilisation de l'indemnité d'assurance dommages bien délimitée. Cette obligation ne vaut qu'en cas de prise d'un arrêté communal et dans la seule limite des montants nécessaires à la réalisation des mesures de remises en état prescrites par cet arrêté. Cette interprétation de l'article L. 121-17 a été confirmée par plusieurs arrêts récents de la Cour de Cassation. Un arrêt du 18 avril 201962(*) précise à ce titre que « l'étendue de l'obligation d'affectation des indemnités (...) est limitée au montant de ces indemnités nécessaire à la réalisation des mesures de remises en état prescrites (...) par un arrêté du maire ».

Certains contrats d'assurance peuvent inclure des clauses dites « d'utilisation de l'indemnisation ». Ces clauses visent à contraindre l'assuré à utiliser l'indemnité pour réparer ou remplacer le bien sinistré. Le Juge accepte ce type de clauses à condition qu'elles ne remettent pas en cause le principe général de libre affectation. L'exemple le plus répandu de ce type de clauses concerne « l'indemnité différée » en cas d'indemnisation « en valeur à neuf ». Dans cette hypothèse, le sinistré reçoit une première indemnité dite « immédiate » qui correspond à la valeur des biens endommagés et devant être remplacés, de laquelle est déduit un pourcentage correspondant à leur vétusté. Dans un deuxième temps, à condition qu'il justifie avoir réparé ou remplacé les biens endommagés, l'assuré reçoit alors une seconde indemnité dite « complémentaire » ou « différée » qui correspond à la valeur de la vétusté des biens sinistrés.

Source : commission des finances du Sénat

Cependant, le rapporteur considère que cette dérogation est bien trop limitée et qu'il convient de rétablir, y compris dans le cadre du phénomène de RGA, le principe de libre utilisation de l'indemnité d'assurance qui prévalait à l'ordonnance du 8 février 2023.

Le rapporteur a néanmoins bien conscience des effets indésirables, relevant de l'aléa moral notamment, qui peuvent résulter de ce principe. Il s'agit notamment de cas de figures dans lesquels des propriétaires vendraient ou mettraient en location des biens sinistrés qui n'auraient pas été remis en état selon les prescriptions de l'expertise. Pour éviter ces phénomènes, les propriétaires qui feraient le choix d'utiliser leur indemnisation pour déménager ailleurs devraient avoir l'obligation de céder leur bien à titre gracieux à la commune sur le territoire duquel il se trouve. Dans un deuxième temps, le fonds Barnier pourrait être mobilisé pour participer au financement des opérations de démolition et de remise en état des terrains concernés.

Recommandation : rétablir le principe de libre utilisation des indemnités d'assurance pour l'ensemble des sinistres provoqués par des catastrophes naturelles.


* 59 Rapport d'information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine Lavarde fait au nom de la commission des finances sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti.

* 60 En insérant dans le code des assurances les articles L. 125-2-1 à L. 125-2-4.

* 61 Décret n° 2024-82 du 5 février 2024 relatif aux conditions d'indemnisation des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

* 62 Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13.371.

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