II. UNE ENTREPRISE MÉCONNUE, MAIS POURTANT AU CoeUR DES ENJEUX DE SOUVERAINETÉ DE NOTRE PAYS
A. L'ACTIVITÉ DE CALCUL HAUTE PERFORMANCE D'ATOS CONSTITUE UN MAILLON ESSENTIEL DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE FRANÇAISE
1. La fin des essais nucléaires a rendu nécessaire la structuration d'une filière nationale de calcul haute performance...
Depuis la fin des essais nucléaires en 1996, l'évaluation des performances des têtes nucléaires françaises repose quasi exclusivement sur un programme de simulation informatique.
Pour maintenir la crédibilité de notre dissuasion face à l'évolution des défenses adverses, il est impératif de disposer de capacités de calcul haute performance. Celles-ci permettent en effet de résoudre, avec un très haut degré de précision et dans des délais très courts, des équations complexes nécessaires à la modélisation du fonctionnement des armes.
La pérennité de la dissuasion française repose ainsi sur deux piliers :
- d'une part, disposer en permanence de capacités de calcul au plus haut niveau de performance ;
- d'autre part, maintenir une filière de calcul haute performance - ou high performance computing (HPC) - souveraine. L'histoire du programme nucléaire français rappelle l'importance de disposer d'une filière nationale de supercalculateurs. En effet, à ses débuts, le programme de simulation français reposait sur des calculateurs haute performance américains.
Or les États-Unis n'ont pas toujours fait preuve de diligence dans la livraison de ces matériels. En témoignent par exemple l'épisode de 1966-1967, avec le retrait de la France du commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui s'est traduit par la vente de technologies moins performantes, ou celui de 1981 avec l'alternance politique en France, qui a vu des retards dans la livraison de certains matériels américains.
À l'époque, la dépendance à l'égard des États-Unis, bien que problématique, ne remettait pas fondamentalement en cause la dissuasion française. Mais, depuis la fin des essais nucléaires et la nécessité de leur simulation, de telles contraintes ne sont plus compatibles avec l'impératif d'optimisation constante de notre dissuasion.
Cette circonstance a conduit l'État à mettre en place une stratégie nationale de calcul à haute performance. Depuis les années 2000, la France, par l'intermédiaire de la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a ainsi développé un partenariat avec la société Bull - laquelle a été rachetée par Atos en 2014 reposant sur un codéveloppement de supercalculateurs et un cofinancement des dépenses de recherche et développement (la part de l'État a cependant progressivement diminué, passant de 50 % à 20 % environ aujourd'hui). Au cours des sept dernières années, les dépenses en matière de recherche et développement ont ainsi atteint de l'ordre de 500 M€.
L'État doit donc s'attacher à préserver une filière nationale de fabrication de supercalculateurs. Cet impératif impose en particulier la plus grande vigilance afin qu'un tel actif ne puisse pas être cédé ni même contrôlé par une entreprise ou un acteur étranger et que tout acquéreur potentiel dispose d'une assise financière suffisante pour investir dans cette activité et en garantir ainsi la pérennité.
2. ... qui a soutenu l'émergence d'un champion français du secteur
Le partenariat entre l'État et Bull/Atos s'est avéré gagnant-gagnant, l'État disposant d'un acteur national sur une filière critique et Atos pouvant s'appuyer sur les commandes étatiques, et le très haut niveau de performance qu'elles impliquent - Atos a ainsi livré au CEA un supercalculateur dont la performance (jusqu'à 104 pétaflops12(*) et performance Linpack13(*) de l'ordre de 60 pétaflops) équivaut à celle atteinte par le 15e supercalculateur le plus puissant14(*) - pour développer son offre HPC à destination d'autres clients privés comme publics. Atos est à ce titre l'unique acteur européen présent sur ce marché.
L'usine Bull d'Angers, dans laquelle sont produits les supercalculateurs d'Atos, joue ainsi désormais à armes quasi égales avec ses concurrentes américaine (Hewlett Packard) et chinoise (Lenovo), lui permettant d'emporter d'importants contrats en Europe comme à l'international.
Au niveau français, Eviden a été retenu par le Grand équipement national de calcul intensif (GENCI) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour fournir une extension des capacités du supercalculateur Jean Zay, financée dans le cadre de France 203015(*).
Au niveau européen, Eviden, en consortium avec la société allemande ParTec, a conclu un contrat avec EuroHPC JU pour fournir le premier supercalculateur Exascale en Europe, qui sera exploité par le centre de recherche Jülich situé en Allemagne. L'enveloppe budgétaire globale de ce projet Jupiter (comprenant son exploitation sur six ans) est d'environ 500 M€16(*).
Au niveau international, Atos a indiqué avoir conclu un contrat de 19,4 M$ avec le Laboratoire national de calcul scientifique situé à Pétropolis au Brésil visant à « étendre la capacité de calcul de son supercalculateur “Santos Dumont ”. Basée sur l'architecture BullSequana XH3000 d'Eviden, cette extension permettra à Eviden de multiplier la capacité par 4, confirmant ainsi la position du supercalculateur comme le plus puissant d'Amérique latine dédié à la recherche universitaire »17(*).
* 12 Un pétaflop correspond à un million de milliards d'opérations par seconde.
* 13 Test de haute performance.
* 14 Communiqué de presse d'Atos du 17 avril 2024.
* 15 Communiqué de presse d'Atos du 28 mars 2024.