D. PLUS LARGEMENT, AMÉLIORER NOS DISPOSITIFS DE PROTECTION DE NOS ACTIFS STRATÉGIQUES AU REGARD DES IMPÉRATIFS DE SOUVERAINETÉ
1. Renforcer le dispositif de contrôle des investissements étrangers en France
Il ressort des travaux menés par les rapporteurs que, malgré un renforcement progressif et continu du dispositif de contrôle des investissements étrangers en France (IEF) depuis son instauration, des faiblesses dans le contrôle persistent, à commencer par le manque de moyens humains alloués au bureau chargé des IEF à la direction générale du Trésor du ministère de l'Économie des Finances pour assurer une pleine applicabilité du dispositif.
Aujourd'hui, comme cela a été rappelé précédemment, cette politique demeure une « politique de chef de bureau » qui mériterait un portage politique plus appuyé et un rattachement administratif à plus haut niveau, car les moyens dédiés à ce contrôle ne sont pas à la hauteur des enjeux de souveraineté qui y sont traités.
Ainsi, contrairement aux services du ministère des Armées qui effectuent un contrôle plus resserré et systématique des IEF intéressant la défense nationale, aucune vérification systématique des engagements pris par les investisseurs n'est effectuée, aucun contrôle sur place ou sur pièce auprès des entreprises concernées n'est mené, ce qui est un « trou » particulièrement préjudiciable au sein de la maille du « filet » que devrait constituer le contrôle des IEF.
Par ailleurs, les rapporteurs regrettent qu'un contrôle plus systématique et plus approfondi ne soit pas effectué :
- lorsqu'un investisseur national ou un investisseur étranger se situant en deçà des seuils de contrôle parvient à réaliser un investissement grâce à la mobilisation de capitaux étrangers et à l'association de fonds d'investissement étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est supposé ou avéré ;
- lorsqu'une partie de la dette d'une entreprise est titrisée, c'est-à-dire convertie en capital par des détenteurs étrangers, surtout qu'une détention suffisante de capital pourrait conduire de tels acteurs étrangers à jouer un rôle dans la gouvernance d'entreprises d'une importance particulière pour la souveraineté et la défense nationales.
Recommandation n° 10 : renforcer les moyens alloués au contrôle des investissements étrangers en France afin de permettre une vérification plus resserrée et plus systématique, notamment pour :
- assurer enfin le suivi dans le temps des engagements des investisseurs dont l'autorisation d'investissement est assortie de conditions en confiant cette mission à la direction générale du Trésor ;
- mieux contrôler l'origine des fonds d'un investisseur se situant a priori en deçà des seuils, mais parvenant à réaliser son investissement grâce à des capitaux et à des fonds d'investissement et à étrangers dont le lien avec un gouvernement ou un organisme public étranger est avéré ou supposé ;
- mieux contrôler les détenteurs étrangers de la dette d'une entreprise qui décident, dans le cadre d'une procédure de traitement des difficultés, de convertir tout ou partie de leur dette en capital.
2. Envisager l'interdiction de la vente à découvert sur les entreprises cotées ayant des activités souveraines
Il ressort des travaux menés par les rapporteurs qu'Atos serait aujourd'hui l'entreprise « la plus shortée de France », c'est-à-dire la plus exposée au phénomène de vente à découvert, pratique consistant à vendre des titres que l'on ne détient pas en anticipant une baisse de leur valeur.
Comme cela a été rappelé supra, les fonds vendeurs à découvert représentent ainsi de l'ordre de 20 % du capital de l'entreprise, mais ce pourcentage pourrait être en réalité bien supérieure, car l'Autorité des marchés Financiers (AMF) ne rend publique l'information d'une vente à découvert que lorsque la position de l'intervenant atteint 0,5 % du capital de la société concernée. Par exemple, à la date du 23 avril 2024, il y avait 11 fonds d'investissement en vente à découvert positionné sur Atos, ce qui représentait près de 23 millions d'actions pour environ 44 M€, soit 20,55 % du capital du groupe.
Si la vente à découvert est une pratique légale, courante et ancienne, la situation d'Atos, dont la forte activité de vente à découvert est considérée comme l'un des facteurs de déstabilisation de l'entreprise, doit conduire à s'interroger quant à la pertinence d'autoriser la vente à découvert sur des sociétés cotées ayant des activités stratégiques et souveraines. De nombreuses parties prenantes internes et externes à l'entreprise se sont en effet exprimées en faveur d'une restriction, voire d'une interdiction, de cette pratique pour des entreprises comme Atos.
Recommandation n° 11 : envisager une restriction voire une interdiction de la vente à découvert sur des sociétés cotées ayant des activités sensibles et stratégiques intéressant directement la souveraineté et la défense nationales, a minima lorsque ces sociétés ont engagé une procédure de prévention ou de traitement de leurs difficultés, en plaidant, au niveau européen, pour une révision du règlement européen de 2012 sur la vente à découvert dans ce sens113(*).
* 113 Règlement (UE) n° 236/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d'échange sur risque de crédit.