B. LA FIN DU BOUCLIER GAZ DOIT ÊTRE L'OCCASION DE DÉFINIR UNE STRATÉGIE EN CAS DE NOUVELLE HAUSSE DU PRIX DU GAZ
1. L'annonce de la fin du bouclier gaz au second semestre 2023 est précipitée
Le 19 juin dernier, lors des assises des finances publiques, le ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, a annoncé la fin du bouclier tarifaire gaz dès juillet 2023. La faculté qui avait été ouverte en loi de finances de prolonger le bouclier tarifaire au second semestre ne sera donc pas utilisée.
Cette annonce tranche avec une déclaration de la Première ministre Élisabeth Borne du 26 avril, selon qui les boucliers tarifaires gaz et électricité seraient maintenus jusqu'à la fin de l'année 2023. Ce retournement soudain interroge, alors que les fondamentaux du marché du gaz n'ont pas évolué de manière significative entre avril et juin 2023. En outre, la date de l'annonce de Bruno Le Maire, quelques jours avant la date de fin du bouclier tarifaire gaz, soulève également des questions.
La justification donnée est que la mesure ne serait plus « nécessaire », étant donné que les prix du gaz ne sont plus assez élevés pour déclencher le bouclier, et qu'il est prévu qu'ils le restent ainsi pour le reste de l'année 2023 et en 2024. Toutefois, il est possible de répondre l'inverse : pourquoi alors s'empresser de supprimer un dispositif qui, dans le meilleur des cas, ne coûte rien, et qui, dans le pire des cas, représente une sécurité face à une nouvelle poussée des prix du gaz ?
En effet, plusieurs personnes entendues par le rapporteur spécial ont indiqué que si, en effet, il est prévu que les prix du gaz restent à un niveau relativement bas, ces prévisions sont dans le même temps entourées de nombreuses incertitudes, notamment d'ordre géopolitique. Il ne peut pas être garanti que les prix du gaz resteront à un niveau « raisonnable » durant le reste de l'année 2023.
Plusieurs personnes auditionnées ont également évoqué leur souhait de voir le bouclier gaz maintenu en 2023, essentiellement pour des questions de visibilité.
En outre, Engie a souligné que la suppression du bouclier gaz pourrait induire une distorsion entre les clients qui relèvent du bouclier tarifaire gaz, et ceux qui relèvent de la mesure d'aide au chauffage collectif : « cela permettra en particulier d'éviter une possible distorsion avec les clients collectifs pour lesquels un Bouclier collectif gaz existe sur l'ensemble de l'année 2023. »65(*). Il faut en effet rappeler que le décret du 30 décembre 2022 a déjà étendu la mesure d'aide au chauffage collectif au gaz pour l'ensemble des consommations de l'année 2023.
En réalité, l'annonce du 19 juin 2023 illustre une nouvelle fois l'impression d'impréparation qui caractérise les dispositifs mis en place pour soutenir les consommateurs : une décision soudaine, sans indications réelles sur les mesures à suivre.
Le rapporteur spécial ne recommande toutefois pas de conserver le bouclier tarifaire gaz. En effet, dès le moment où sa suppression a été annoncée pour juillet 2023, annoncer à présent sa conservation ne ferait qu'ajouter une nouvelle couche de confusion pour les acteurs de l'énergie. Pour autant, il reste très regrettable que cette mesure n'ait pas fait l'objet de concertations.
2. Il est indispensable de prévoir de manière anticipée des réponses en cas de remontée des prix du gaz
Il est donc nécessaire, pour ne pas reproduire les erreurs de la mise en oeuvre du bouclier tarifaire, de définir dès maintenant des réponses face à une éventuelle remontée des prix du gaz.
Il s'agit de sortir de la logique où un dispositif ad hoc serait mis en place en réaction à une forte hausse des prix de l'énergie, dans la précipitation, avant d'être entièrement supprimé lorsque ceux-ci sont redescendus, comme si les prix du gaz n'allaient plus jamais connaître de bouleversements. Il convient en revanche de s'interroger sur plusieurs scénarios de remontée des prix, et pour chacun d'eux de définir en amont la réponse la plus adaptée.
Certes, la mise en place d'un dispositif permanent de protection face à l'augmentation des prix de l'énergie pourrait conduire à des distorsions de marché. Toutefois, il ne fait guère de doutes que si les prix devaient augmenter au même niveau qu'en 2022, un nouveau mécanisme serait immédiatement remis en place.
En réalité, il convient surtout de s'assurer que les réponses apportées puissent maintenir un signal-prix, c'est-à-dire qu'elles ne se contentent pas de donner des prix fixes, mais qu'elles permettent des évolutions reposant sur des fondamentaux de marché. Le signal-prix est important à la fois pour éviter les distorsions de marché, et pour encourager une réduction de la consommation d'énergie. Il est en effet indispensable de maintenir une incitation aux économies d'énergie, dans un objectif de transition énergétique.
Recommandation : définir une stratégie en cas de nouvelle hausse des prix du gaz qui permette de maintenir un signal-prix
3. Une protection doit être maintenue pour les structures qui ont signé des contrats de fourniture de gaz à des montants élevés pour une maturité supérieure à un an
Le cas des structures qui ont signé des contrats à un prix élevé et pour des durées longues doit faire l'objet d'un traitement spécifique. Ce phénomène ne concerne pas tant les ménages individuels, dont les contrats ne durent pas plusieurs années mais davantage les structures collectives.
Pour rappel, les structures qui, au cours du second semestre 2022, ont souscrit à des contrats à prix très hauts bénéficient d'une aide complémentaire, selon laquelle la facture est prise en charge à 75 % par l'État dès lors qu'elle dépasse de 30 % le niveau du TRV tel qu'il aurait évolué sans les mesures de gel. Cette aide a toutefois la même temporalité que le mécanisme d'aide au chauffage collectif au gaz, c'est-à-dire qu'elle est prévue pour durer toute l'année 2023, et qu'il n'y aucune garantie qu'elle soit maintenue.
Or, si la maturité du contrat signée est supérieure à un an, le risque est important que ces structures ne soient plus couvertes par aucune mesure d'aide, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur leur fonctionnement. Il importe donc de prévoir des dispositifs pour les structures qui se retrouveraient dans une telle situation.
Recommandation : dans le cadre de la reconduction des dispositifs dédiés à l'habitat collectif en 2024, en gaz comme en électricité, prévoir un traitement particulier pour les structures qui ont signé en 2022, des contrats de fourniture à des tarifs très élevés pour une maturité supérieure à un an.
* 65 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.