TRAVAUX EN COMMISSION
Audition de Mme Barbara
Pompili,
ministre de la transition écologique
(Mercredi 24
novembre 2021)
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, pour échanger sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et, plus généralement, sur la très riche actualité de notre politique énergétique nationale.
Rejeté hier par le Sénat, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 intervient dans un contexte très particulier pour le secteur de l'énergie, avec un vif débat sur l'évolution des prix à court terme, mais aussi du mix, à plus long terme.
Notre commission se réjouit que la politique énergétique du Gouvernement ait gagné ces derniers jours en rationalité, avec les annonces du Premier ministre sur le « bouclier tarifaire », et celles du Président de la République sur le « retour en grâce » de l'énergie et de l'hydrogène nucléaires. Pour autant, notre commission déplore le caractère tardif et limité de ces annonces.
Il est regrettable que le Gouvernement ait attendu le début de l'hiver pour agir contre la flambée des prix des énergies. Dès juin 2020, notre commission, dans son plan de relance, avait alerté sur « un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de “flamber” » . Nous avions même proposé, puis défendu par un amendement budgétaire, en juillet et novembre 2020, une revalorisation du chèque énergie.
En réponse à cette alerte, l'ancienne ministre de l'énergie avait indiqué : « les factures d'énergie ne vont pas augmenter » !
Or la situation s'est, depuis lors, considérablement dégradée. Les litiges se multiplient entre consommateurs et producteurs : confronté à une hausse de son activité de 15 % en douze mois, le Médiateur national de l'énergie (MNE) n'est plus en mesure de respecter les délais réglementaires.
Certains fournisseurs font défaut, à l'image de E. Leclerc énergies, alors que les fournisseurs de secours et de recours pour le secteur du gaz, prévus par la loi « Énergie-Climat », ne sont pas encore opérationnels.
Madame la ministre, comptez-vous renforcer le « bouclier tarifaire » pour faire face à cette flambée des prix ? Allez-vous relever les effectifs du MNE ? Quand les fournisseurs de secours et de recours seront-ils opérationnels ?
Il est tout aussi regrettable que le Gouvernement ait attendu six mois avant la fin du quinquennat pour revaloriser l'énergie nucléaire. Nous l'avions proposé, dès la loi « Énergie-Climat » de 2019, dans la résolution que nous avons adoptée en mars 2021, et dans la loi « Climat et résilience » en août dernier. Si notre commission avait accepté la loi « Énergie-Climat », c'est notamment parce qu'elle permettait de reporter de dix ans les arrêts de réacteurs existants : c'était un premier pas utile à la revalorisation de la filière !
Or, quelques semaines après l'adoption de ce texte, le Gouvernement avait annoncé l'abandon du démonstrateur Astrid, qui portait en lui la promesse du réemploi des déchets nucléaires comme combustibles.
C'est tout à fait contradictoire car on ne peut pas relancer l'énergie nucléaire sans investir dans la gestion des déchets. Ce n'est d'ailleurs pas responsable sur le plan environnemental - auquel nous portons tous une grande attention !
J'observe que Réseau de transport d'électricité (RTE), dans son scénario à 50 % d'énergie nucléaire, plaide pour renforcer l'effort de recherche et développement (R&D) en direction de la « fermeture du cycle du combustible » .
Madame la ministre, allez-vous revenir sur l'abandon du démonstrateur Astrid ? Un tel effort de R&D sera-t-il repris pour améliorer le recyclage des combustibles, la gestion des déchets, mais aussi la sûreté des installations ?
Notre commission avait aussi proposé, dans sa résolution de mars 2021, de « préserver la prédominance du nucléaire au sein de notre mix » .
En réponse, le ministre chargé des transports a affirmé : « Nous avons fait le choix de ramener progressivement la part du nucléaire de 70 % à 50 % du mix électrique d'ici à 2035 » .
Là encore, la position du Gouvernement est contradictoire car on ne peut pas revaloriser l'énergie nucléaire sans consolider sa place dans notre mix. Ce n'est, à l'évidence, pas logique sur le plan énergétique.
Je rappelle que le président-directeur général (PDG) d'EDF a indiqué à notre commission, il y a quelques jours, qu'il faut s'attendre, d'ici à 2050, à une augmentation annuelle de 2 % de l'électricité, et non de 1 % comme envisagé par RTE : autrement dit, le scénario à 50 % d'énergie nucléaire de RTE pourrait ne pas suffire.
Madame la ministre, quelle est votre position sur ce sujet ? Va-t-on revenir sur l'objectif de réduction de la production d'énergie nucléaire à 50 % d'ici à 2035, inscrit à l'article L.100-4 du code de l'énergie ?
Enfin, alors que la loi « Climat et résilience » était muette sur l'énergie nucléaire, notre commission a introduit l'unique article la concernant, fixant des conditions strictes aux prochains arrêts de réacteurs existants. Ce ne fut pas simple, puisque vous vous étiez vous-même fortement opposée à cet article en séance publique ; je crois me souvenir qu'il fut qualifié de « ni fait ni à faire »...
À nouveau, nous évoluons en pleine contradiction : on ne peut pas annoncer de nouveaux réacteurs en fermant ceux qui existent. Dès lors que ces réacteurs sont fonctionnels au regard des règles de sûreté, ce n'est pas rationnel sur un plan budgétaire. C'est même franchement un non-sens !
Je relève que RTE, dans son scénario à 50 % d'énergie nucléaire, estime nécessaires non seulement la construction de 14 réacteurs pressurisés européens (EPR) et de 4 gigawatts de small modular reactor (SMR), mais aussi la prolongation des réacteurs existants au-delà de soixante ans.
Madame la ministre, allez-vous revenir sur les arrêts de réacteurs annoncés ? Combien d'EPR ou de SMR allez-vous développer ? Selon quel calendrier, pour quel coût et avec quel financement ?
J'espère que notre audition sera l'occasion de clarifier les intentions du Gouvernement sur tous ces sujets cruciaux, car ils conditionnent la relance de notre économie, sa pérennité, sa souveraineté, mais aussi sa décarbonation.
En matière d'énergie, a fortiori nucléaire, le « en même temps » n'est tout simplement pas possible, car toute ambiguïté dans les choix de production finit toujours par se payer, l'hiver venu, sur la facture des consommateurs.
La matière est trop engageante pour être laissée à l'improvisation, puisque les investissements nécessaires se chiffrent en dizaines d'années et en milliards d'euros.
Je vous laisse répondre à ces questions, puis nos collègues vous interrogeront, à commencer par Daniel Gremillet, rapporteur sur les crédits « Énergie ».
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique . - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Sénat a décidé hier de rejeter l'article d'équilibre du PLF pour 2022. Par conséquent, mon budget ne sera pas examiné en séance publique - j'en prends acte.
Cette audition me permet toutefois de vous présenter les grandes lignes du PLF pour 2022 qui concernent mon ministère. Je m'attarderai en particulier sur notre budget en matière d'énergie, car c'est un moteur essentiel de la transition écologique et énergétique que mon Gouvernement porte. Avec ce budget, nous faisons le choix de nous projeter résolument dans l'avenir avec, à l'horizon, le projet de faire émerger une société en capacité de répondre aux grands défis de notre temps : l'écologie, bien sûr, mais aussi l'indépendance énergétique, industrielle et technologique, pour être pleinement maîtres de nos choix en matière d'énergie, d'écologie et au-delà.
Je tiens d'abord à souligner que ce projet de loi de finances est historique en matière d'environnement. Cette année, le budget de mon ministère s'élève à près de 49,9 milliards d'euros ; c'est un niveau jamais atteint auparavant.
Je suis fière que ce Gouvernement ait mis des moyens à la hauteur de nos ambitions pour la transition écologique dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la protection de la biodiversité, qui aura bénéficié d'une augmentation de 107 millions d'euros depuis 2018 - soit + 80 % -, de la politique de prévention des risques et de santé environnementale, qui franchit cette année le cap historique de 1 milliard d'euros avec une hausse de 82 millions d'euros, ou encore du coup de frein mis aux baisses d'effectifs de mon ministère, limitée à 0,6 % pour 2022, soit 350 emplois en moins, contre 1 200 en 2021. En bref, ce budget 2022 mise résolument sur l'écologie.
Par ailleurs, il s'ajoute aux 30 milliards d'euros du Plan de relance qui sont consacrés à la transition écologique. Et l'ensemble de cet effort sera renforcé par le plan d'investissement « France 2030 », annoncé par le Président de la République le 12 octobre dernier, dont près de la moitié, soit 15 milliards d'euros, est également consacrée à l'écologie.
Enfin, vous le savez, ce projet de loi de finances poursuit le changement de paradigme opéré avec le « budget vert », qui nous permet de mesurer l'impact des recettes et des dépenses sur l'environnement.
Ce nouveau prisme de l'action publique sera utile pour mettre en oeuvre les transformations profondes qui nous attendent afin d'être au rendez-vous européen de la baisse d'au moins 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030, et d'atteindre in fine la « neutralité carbone » en 2050.
Je veux aujourd'hui vous détailler les grandes lignes de mon budget en matière de transition énergétique, la première des transformations que nous devons enclencher.
Pour nous mettre sur la trajectoire de la « neutralité carbone », nous disposons de trois piliers, d'importance égale ; le premier pilier de notre action vise la sobriété énergétique.
Notre objectif est fixé par la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : il s'agit de baisser de 40 % notre consommation d'énergie d'ici à 2050. Nous encourageons ainsi les travaux de rénovation thermique, avec le dispositif MaPrimeRénov', qui a reçu plus de 700 000 demandes cette année. Cette politique fonctionne et a trouvé son public. Elle doit encore être améliorée pour que tout le monde puisse y avoir accès, et je crois que ce que nous avons fait dans la loi « Climat et résilience » avec le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' » permettra d'améliorer son fonctionnement et l'efficacité des rénovations qui seront ainsi engagées.
C'est pourquoi le budget qui vous est présenté intègre 2 milliards d'euros pour MaPrimeRénov', à savoir trois fois le montant prévu avant la crise sanitaire.
Par ailleurs, en complément des crédits du PLF pour 2022, le Gouvernement encourage, dans le cadre de « France Relance », des projets de sobriété énergétique dans l'industrie et de réduction des émissions de CO 2 , à hauteur de 1,2 milliard d'euros en 2021 et 2022.
Enfin, le Gouvernement oeuvre pour la modernisation du parc automobile. Le bonus écologique et la prime à la conversion, qui devraient totaliser plus de 2 milliards d'euros sur 2021 et 2022, incitent ainsi les Français à acquérir des véhicules moins polluants.
Une dynamique s'est déjà amorcée, puisque, en octobre 2021, plus de 13 % des voitures immatriculées étaient des véhicules électriques, et près de 10 % des véhicules hybrides rechargeables.
Face à ce succès, le bonus pour les véhicules électriques et la prime à la conversion seront maintenus à leur niveau actuel au 1 er janvier prochain.
Aux côtés de la réduction de notre consommation d'énergie, le deuxième pilier de notre politique énergétique repose sur un développement soutenu des énergies renouvelables. Pourquoi ? Parce que, en tant que ministre chargée de l'énergie et de la transition écologique, mon premier objectif est de baisser nos émissions de GES en vue de la « neutralité carbone » en 2050 et au regard des objectifs du « Paquet climat européen ».
Mon second objectif est d'assurer la sécurité d'approvisionnement de nos concitoyens en énergie, notamment en électricité, pour subvenir à leurs besoins : c'est une évidence.
Pour baisser nos émissions, nous devons d'abord baisser notre consommation d'énergie qui émet des GES, c'est-à-dire d'énergies fossiles. C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord besoin de sobriété énergétique : plus nous faisons d'économies d'énergie, moins nous en avons besoin. Ensuite, nous devons passer de l'utilisation des énergies fossiles à l'utilisation de l'électricité, celle-ci étant beaucoup moins carbonée que dans d'autres pays. C'est le sens de la promotion des véhicules électriques, plutôt que thermiques, ou du chauffage électrique, plutôt qu'au gaz. C'est aussi le sens de notre travail sur le gaz vert, pour favoriser cette transition.
Tout cela va entraîner une forte augmentation de la demande en électricité. Cette demande a été modélisée par RTE dans son dernier rapport, dont je vous recommande la lecture. Nous allons donc devoir développer la production d'électricité décarbonée, à savoir le nucléaire et les énergies renouvelables.
Le nucléaire ne pouvant pas être utilisé comme nouvelle source d'énergie dans l'immédiat - il faut quinze ans pour construire une centrale et la faire fonctionner -, nous avons décidé d'investir massivement dans les énergies renouvelables.
Ce choix est conforme aux objectifs ambitieux qui ont été fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Nous devons passer à 40 % d'électricité produite par les énergies renouvelables en 2030. Aujourd'hui, celles-ci représentent 25 % de notre électricité, contre 21 % encore en 2018.
Pour accélérer le développement indispensable des énergies renouvelables - de toutes les énergies renouvelables -, nous avons besoin d'investir : ce budget prévoit que 6,1 milliards d'euros leur seront consacrés en 2022.
Par ailleurs, pour l'année qui vient, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) verra sa subvention croître de 50 millions d'euros, ce qui lui permettra de poursuivre ses actions non seulement en matière de chaleur renouvelable, mais aussi d'économie circulaire, d'aides à la dépollution des sites pollués et à la réhabilitation des friches.
Parce qu'il s'agit d'une de nos priorités, le budget consacré au service public de l'énergie a augmenté, au total, d'un quart depuis le début du quinquennat ; il a doublé depuis 2012.
Enfin, le dernier pilier de notre politique énergétique, c'est le nucléaire. S'il est aujourd'hui largement majoritaire dans notre mix électrique, sa part a vocation à diminuer à mesure que les énergies renouvelables se développent, mais il restera un élément essentiel de notre mix électrique. Le Président de la République a annoncé que nous allions construire de nouveaux réacteurs nucléaires. L'objectif est de permettre, à partir de 2035, la poursuite de l'électrification des usages et le remplacement d'une partie des réacteurs existants qui arriveront en fin de vie.
Madame la présidente, nous souhaitons maintenir l'objectif de 50 % de nucléaire en 2035 pour des raisons assez simples. D'abord, nous avons un besoin d'investir dans les énergies renouvelables, faute de quoi nous aurons très rapidement des problèmes. Ensuite, nos réacteurs, qui ont tous été construits dans un laps de temps très court, sont vieillissants et devront être arrêtés quasiment en même temps ; nous devons donc les remplacer.
Comme l'ont très bien rappelé les récents rapports de RTE et de la Cour des comptes, nous allons être confrontés à un « effet falaise » si nous attendons la fin de vie de tous les réacteurs. Cela signifie que, si l'on ne programme pas les arrêts de réacteurs en les lissant, nous allons devoir tout arrêter en même temps et en gérer les conséquences, en termes de capacités de remplacement, de démantèlement des sites ou de besoins en personnels... Tout cela demande un minimum d'anticipation. Nous estimons donc plus prudent de prévoir un lissage de ces arrêts, plutôt que d'y procéder simultanément.
Par ailleurs, pour prolonger un réacteur au-delà de cinquante, puis de soixante ans, nous avons besoin de la validation de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Nous devons donc disposer de marges de sécurité, en anticipant un éventuel refus de l'ASN de prolonger tel ou tel réacteur.
L'ASN nous a d'ailleurs alertés sur le fait que le troisième scénario nucléaire de RTE, le scenario « N03 », comportait beaucoup d'incertitudes, notamment sur la possibilité de poursuivre au-delà de soixante ans un certain nombre de réacteurs. Cela pourrait être possible en théorie, sous réserve d'un examen réacteur par réacteur, pour un certain nombre de réacteurs mais pas pour tous, loin de là ! Nous devons donc être prudents et ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.
Le plan « France Relance » prévoit des investissements pour la sûreté nucléaire, les compétences des personnels ou la gestion des déchets. Le cycle des déchets est également intégré au plan « France 2030 ».
S'agissant du démonstrateur Astrid, l'objectif était d'aller encore plus loin dans le traitement et le recyclage du combustible nucléaire usé, afin de réduire notre consommation en uranium naturel. Ce projet avait été lancé en 2010 ; depuis lors, plusieurs éléments sont intervenus. Dans le cadre de la PPE, le Gouvernement, en lien avec la filière nucléaire, a acté que le besoin d'un démonstrateur industriel de ce type s'était éloigné de plusieurs décennies, sans pour autant être supprimé, parce que les ressources en uranium naturel sont aujourd'hui abondantes et disponibles à un prix qui devrait être stable jusqu'à la seconde partie du XXI e siècle, et parce que la recherche conduite depuis plus de vingt ans sur les déchets radioactifs montre que les réacteurs de 4 e génération ne conduisent pas à supprimer le besoin d'une solution de stockage de ces déchets. En clair, on ne ferme pas le cycle du combustible avec Astrid !
C'est pour ces raisons, mais aussi pour son coût de plusieurs milliards d'euros, que le démonstrateur Astrid a été suspendu en 2019. Pour autant, nous continuons à maintenir la stratégie de traitement et de recyclage à trois échelles de temps. Vous avez raison d'insister sur la gestion des déchets nucléaires, qui est l'un des problèmes du nucléaire.
Nous poursuivons, à court terme, l'usage du combustible MOX, avec une extension aux réacteurs de 1 300 mégawatts (MW), qui sont plus récents, à moyen terme, le multirecyclage en réacteur des générations actuelles et, à long terme, le multirecyclage en réacteur de 4 e génération.
Au-delà de la production énergétique, nous mobiliserons également 4 milliards d'euros pour construire les transports du futur, notamment les véhicules électriques, et pour produire, nous l'espérons, le premier avion bas carbone. Nous disposons d'une stratégie en faveur de l'hydrogène. L'objectif est d'opérer une transformation profonde et au long cours vers une France décarbonée et résiliente, à même de relever les défis de la transition écologique.
Enfin, je veux évoquer les mesures de soutien que le Gouvernement met en place pour accompagner nos concitoyens face à la hausse des prix de l'énergie. Pour soutenir nos concitoyens face à l'explosion des prix du gaz, le Gouvernement a décidé d'offrir un chèque énergie de 100 euros à près de 6 millions de ménages modestes. Par ailleurs, pour protéger l'ensemble des ménages, nous avons bloqué les tarifs réglementés du gaz à leur niveau du 1 er octobre 2021 et nous allons plafonner à 4 % l'augmentation des prix de l'électricité en baissant notamment, de manière provisoire, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). L'ensemble de ce « bouclier tarifaire » protégera efficacement nos concitoyens face à l'augmentation de leurs dépenses de chauffage cet hiver.
De même, face à la hausse récente des prix du carburant, le Gouvernement prévoit d'instaurer une indemnité inflation de 100 euros. Cette indemnité concernera toute personne gagnant moins de 2 000 euros nets par mois, soit 38 millions de Français. Je sais que le Sénat a fait le choix de retirer cette mesure, lors de son examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) la semaine dernière. Le dispositif que le Sénat propose à la place est, certes, moins coûteux, mais pour la raison simple qu'il concernera un nombre beaucoup plus restreint de Français. Ce dispositif laisse par exemple de côté les retraités et les travailleurs indépendants. Or l'objectif de mon Gouvernement - c'est aussi ma responsabilité de ministre chargée de l'énergie - est de protéger tous les Français face à ces hausses de prix, en ne laissant personne sans solution. Cette mesure a donc heureusement été réintégrée lors de la nouvelle lecture du PLFR à l'Assemblée nationale.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le voyez, l'écologie et la transition énergétique sont au premier rang de ce budget pour l'année 2022.
De grands défis se trouvent devant nous pour transformer notre mix, faire évoluer les pratiques, notamment industrielles, et réduire efficacement notre empreinte carbone. Mais, aujourd'hui, le Gouvernement prend ses responsabilités en mobilisant des moyens à la hauteur de notre ambition pour l'avenir, un avenir plus durable, plus résilient et plus juste.
M. Daniel Gremillet , rapporteur sur les crédits « Énergie » . - Madame la ministre, je commencerai par le « bouclier tarifaire », qui est largement insuffisant face à la flambée des prix des énergies.
D'une part, l'attribution de 100 euros aux ménages via le chèque énergie ou l'indemnité inflation est l'équivalent d'un plein, pas une solution pour passer l'hiver !
D'autre part, alors que le Gouvernement reconnaît lui-même une hausse de 34 % des coûts de l'énergie pour les industriels, seule une avance de 150 millions d'euros est consentie aux énergo-intensifs, soit six fois moins que ce qui est nécessaire pour les sauver...
Enfin, les baisses de taxes intérieures sur la consommation de gaz (TICGN) ou d'électricité (TICFE) sont facultatives - activables par décret - et transitoires - inférieures à un an.
Allez-vous faire davantage pour les ménages et les entreprises ? Pourquoi ne pas prévoir une baisse de la fiscalité sur le gaz aussi importante que celle sur l'électricité ? Pourquoi ne pas s'engager vers une baisse massive de la fiscalité énergétique, comme l'ont fait l'Espagne ou l'Allemagne ? Je rappelle qu'avec 47 milliards d'euros en 2018, selon la Cour des comptes, la France est le champion européen en la matière.
Les plans de relance et d'investissement paraissent limités compte tenu de nos besoins de décarbonation. Le plan de relance est muet sur les énergies renouvelables et se termine cette année. Pourquoi ne pas y intégrer l'hydroélectricité, les biocarburants et le biogaz ? Quels crédits s'y substitueront l'an prochain ? Tous les acteurs, à commencer par ceux de la rénovation énergétique, ont besoin de visibilité. Et comment mieux mobiliser, dans le cadre du plan de relance, le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ) ? Seul un projet sur six est retenu, aux dires des élus locaux ! Concernant le plan d'investissement, seuls 3 % des crédits vont à l'énergie nucléaire. Ne peut-on pas allouer aux SMR un montant équivalent à celui qui est prévu aux États-Unis ou au Royaume-Uni ? Ne peut-on pas transformer le plan d'investissement en un véritable levier du nouveau nucléaire ? Cela supposerait de promouvoir, aux côtés des SMR, les EPR, les réacteurs de 4 e génération ou la « fermeture du cycle du combustible » .
Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer si les montants annoncés en faveur de l'hydrogène, des transports propres et des énergies renouvelables bénéficieront bien, respectivement, à l'hydrogène nucléaire, aux biocarburants et au biogaz ? Et pourquoi exclure la rénovation énergétique du plan d'investissement ?
Lors des auditions préparatoires à mon avis budgétaire, j'ai relevé plusieurs difficultés liées aux crédits « Énergie » de la mission « Écologie ».
MaPrimeRénov' rencontre des difficultés. Seules 55 000 primes ont été versées en 2020 et 295 000 en 2021, contre des objectifs de 200 000 et 500 000. Pis, seules 136 primes ont été versées aux propriétaires-bailleurs et 69 aux copropriétés. Enfin, 3 000 « bugs informatiques » ont été recensés. Pourquoi un si faible taux d'exécution pour les propriétaires-bailleurs et les copropriétés ? Ces « bugs informatiques » sont-ils résolus ?
La prime à la conversion et le bonus automobile sont également perfectibles. Seuls 185 000 primes et 100 000 bonus ont été versés en 2020, contre des objectifs de 250 000 et 110 000. De surcroît, seules 95 000 primes ont été versées cette année, soit moins que l'an passé. De nouvelles conditions restrictives doivent entrer en vigueur. Comment faire progresser la prime et le bonus ? Entendez-vous revenir sur le resserrement prévu ?
Le chèque énergie présente lui aussi des problèmes. Même en tenant compte de la revalorisation exceptionnelle annoncée cette année, son montant est inférieur aux anciens tarifs sociaux. Il en va de même du nombre de bénéficiaires. Plusieurs difficultés techniques n'ont pas été réglées : 30 000 personnes en situation d'intermédiation locative ne peuvent pas l'utiliser, les droits liés sont peu opérants en l'absence d'un système de télétransmission des données et le courrier d'accompagnement est très complexe. Le Gouvernement entend-il pérenniser la hausse exceptionnelle prévue cette année ? Compte-t-il régler ces difficultés techniques qui entravent la généralisation du dispositif ?
Autre point de préoccupation budgétaire : la situation de certains opérateurs de l'État.
Je ne reviendrai pas sur le MNE, évoqué à juste titre par notre présidente. En revanche, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) considère sa subvention comme insuffisante pour conduire ses opérations sur deux sites industriels et l'Ademe estime le niveau du fonds chaleur et de ses effectifs inadapté pour mettre en place les plans de relance et d'investissement. Qu'en pense le Gouvernement ?
Pour conclure, je souhaite évoquer notre politique énergétique nationale.
Hier, RTE a placé à nouveau la France en situation de « vigilance particulière » sur le plan de la sécurité d'approvisionnement pour début 2022 : pourquoi ne prévoir aucun crédit sur ce point dans le PLF pour 2022 ?
Aujourd'hui, notre commission et celle des affaires européennes ont dévoilé une proposition de résolution pour inclure l'énergie et l'hydrogène nucléaires à la « taxonomie verte » . Il nous semble en effet essentiel que la production d'énergie nucléaire soit assimilée à une activité durable, car ses émissions de GES ne dépassent pas 6 grammes par kilowattheure (kWh), selon l'Ademe.
Quelle est la position du Gouvernement ? À vous écouter, nous avons bien compris que les conditions de financement du nouveau nucléaire allaient déterminer le prix payé par les consommateurs, particuliers et professionnels.
Par ailleurs, toutes les réformes annoncées sont suspendues depuis juillet : la réorganisation d'EDF, la réforme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh), le contentieux sur les concessions hydroélectriques. Quand seront-elles reprises et quels en seront les contours ?
Pouvez-vous nous assurer que la réforme d'EDF ne sera pas présentée dans le cadre de la future « loi quinquennale » sur l'énergie, comme l'a suggéré la secrétaire d'État Bérangère Abba, il y a quelques semaines devant le Sénat ?
En préparation de cette « loi quinquennale », notre commission a prévu que le Gouvernement remette au Parlement trois rapports, respectivement sur l'extension du bilan carbone à tous les projets d'énergies renouvelables, sur l'augmentation des capacités installées de production d'hydroélectricité et sur la valorisation des externalités positives du biogaz. Ces rapports n'ont pas encore été remis : quand le seront-ils ?
M. Jean-Claude Tissot . - Madame la ministre, je vous poserai deux questions.
La première concerne le devenir du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui continue de subir une purge budgétaire et une baisse continue de ses effectifs. En effet, le budget pour 2022 prévoit une suppression de 40 équivalents temps plein (ETP), nouvelle baisse qui s'inscrit dans la spirale de suppression de 584 ETP depuis la création de cet établissement.
Pourtant, un rapport que vous avez commandé auprès du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) vous a alertée, en juillet dernier, sur la condition essentielle que représentait le maintien à leur niveau actuel des emplois et de la subvention pour charges de service public.
L'urgence climatique et la multiplication des aléas climatiques et des risques industriels nécessiteraient pourtant la mise en place d'une véritable politique de prévention des risques aux côtés des collectivités territoriales, avec des moyens humains adaptés et renforcés.
Ainsi, madame la ministre, quelles sont vos intentions concrètes pour le Cerema ? Ne pensez-vous pas qu'il est temps de réinvestir dans cet opérateur important pour lutter contre les effets du réchauffement climatique ?
Ma seconde question est relative au courrier que je vous ai adressé au début du mois de novembre sur la nécessaire réforme du code minier. Depuis que je suis sénateur, j'ai interrogé tous les ministres de l'environnement qui se sont succédé à ce sujet.
Nous avions déjà échangé sur cette question lors d'une audition relative au projet de loi « Climat et résilience », en mai dernier, et vous m'aviez indiqué vouloir mettre dans le dur de la loi des dispositions pour encadrer l'après-mines. Malheureusement, les problématiques de l'après-mines ont uniquement été abordées par des ordonnances. Cette absence de concertation sur un sujet aussi important pour de nombreux territoires est inquiétante. L'obsolescence du code minier mène à des problématiques très concrètes. Dans mon département de la Loire, à Saint-Priest-la-Prugne, la gestion de l'après-mines d'un site d'exploitation d'uranium est particulièrement difficile, car il n'existe pas de cadre législatif et réglementaire précis pour les anciens sites d'extraction d'uranium.
Madame la ministre, comptez-vous réellement entreprendre cette réforme du code minier ? Dans le cadre de vos pouvoirs réglementaires, pourriez-vous transmettre aux autorités compétentes une définition précise des normes à appliquer pour la gestion de l'après-mines des anciens sites d'extraction d'uranium ?
Mme Barbara Pompili, ministre . - Monsieur le rapporteur, la politique que nous menons sur la question des tarifs du gaz et de l'électricité comporte plusieurs étapes. La première est de répondre à l'urgence. C'est ce que nous avons fait avec le « bouclier tarifaire » et le chèque énergie. Nous n'avons pas laissé de côté les industriels, puisque nous avons reçu, avec la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, les représentants des industries énergo-intensives pour déterminer comment nous pouvions les aider en cette période compliquée.
Par ailleurs, nous prenons des mesures à moyen et long terme. Nous savons qu'il n'est pas bon de dépendre des fluctuations du marché de l'énergie et nous voulons en sortir, d'abord en aidant nos concitoyens à isoler leur logement pour baisser leur facture énergétique, ensuite en travaillant sur des mesures structurelles pour préparer la transition écologique.
Par ailleurs, le sujet est européen. Comme vous le savez, les prix de l'électricité sont aujourd'hui indexés sur les prix du gaz. Or, en France, nous sommes protégés par les tarifs réglementés et l'Arenh, ce qui n'est pas le cas de l'Espagne, que vous avez citée. C'est la raison pour laquelle ce pays a dû procéder à de fortes baisses de taxes, dont le niveau initial était par ailleurs très élevé.
Je travaille avec le ministre Bruno Le Maire pour revoir, au niveau européen, le market design des prix de l'énergie en Europe, en essayant de garder ce qui est positif, puisque le marché de l'énergie au niveau européen nous protège ; nous avons des interactions qui nous permettent de bien fonctionner. Nous allons plutôt tenter de réorienter les prix de détail sur le mix plus ou moins carboné des pays, pour que ceux qui font des efforts sur leur mix puissent être payés de retour. Les discussions sont longues mais nous pouvons aboutir.
Nous devons en outre nous débarrasser de cette idée préconçue selon laquelle notre pays serait celui qui taxe le plus l'énergie. C'est faux : nous nous situons aujourd'hui dans la moyenne européenne.
En ce qui concerne le chèque énergie, le problème d'intermédiation locative est a priori réglé depuis cette année. Parmi les 5,8 millions de bénéficiaires du chèque énergie, 80 % d'entre eux l'utilisent. Il fait partie des aides sociales les plus utilisées. Par ailleurs, il peut servir à payer d'autres factures. Tout le monde peut utiliser ce chèque ; ce n'est vraiment pas un problème. Si vous avez connaissance de quelques points de difficultés, monsieur le rapporteur, n'hésitez pas à me contacter ; nous trouverons des solutions.
L'indemnité inflation de 100 euros a été pensée pour combler la hausse des prix. Il serait impossible, du point de vue des finances publiques, de payer tous les pleins de nos concitoyens.
La TICGN est de 8 euros par mégawattheure. Ce n'est donc pas le levier que nous voulons utiliser.
Nous utilisons la TICFE de manière très encadrée, c'est-à-dire jusqu'à ce que les prix redeviennent normaux. Le but n'est pas de nous engager dans une politique de baisse des taxes sur des énergies, notamment sur le gaz, dont nous ne voulons plus. Notre fiscalité doit encourager ce qui est positif et décourager ce qui est négatif. Il ne faut pas faire d'allègement de taxes sur du gaz : cela n'aurait aucun sens.
S'agissant des financements des SMR, 500 millions d'euros sont prévus dans le plan de relance. Cela me semble être une base intéressante.
Concernant l'hydrogène, l'objectif du Gouvernement est de défendre une politique de l'hydrogène très structurée. Nous voulons accroître notre souveraineté et donc fabriquer nous-mêmes notre hydrogène décarboné, ce qui passe par une industrialisation et une fabrication d'électrolyseurs et par une alimentation des territoires, en travaillant sur un écosystème, notamment en lien avec la mobilité lourde et les industries utilisatrices d'hydrogène.
Par ailleurs, s'il n'y a pas de rénovation énergétique dans le plan d'investissement, c'est tout simplement parce qu'elle figure dans le budget ; 2 milliards d'euros sont alloués à MaPrimeRénov'.
De la même manière, s'il n'y a peu d'énergies renouvelables dans le plan de relance, c'est aussi parce qu'elles figurent dans le budget.
La « vigilance particulière » exercée par RTE s'explique par le fait que nous subissons encore les conséquences de la crise sanitaire sur la maintenance du parc nucléaire, mais, a priori , le risque est relativement faible au regard des conditions climatiques attendues en décembre. Évidemment, nous réévaluerons tout cela à l'approche du mois de janvier.
Avec les efforts effectués par EDF pour optimiser la disponibilité du parc, le développement des autres moyens de production, les flexibilités, notamment les effacements, la situation nous apparaît légèrement meilleure qu'à l'hiver dernier. Nous allons cependant rester attentifs à la sécurité d'approvisionnement électrique. Nous suivons également l'évolution de la disponibilité du parc électrique, en particulier du parc nucléaire. Enfin, l'évolution du calendrier de communication de RTE sur le passage de l'hiver permettra aussi de disposer d'éléments plus précis, plus fiables d'ici à la fin de l'année. Nous restons donc sur le pont et n'avons pas d'inquiétude particulière ; nous avons la situation en main.
La réforme d'EDF est nécessaire. Elle doit être envisagée dans une discussion plus globale avec la Commission européenne sur la réforme de l'Arenh - qui s'arrêtera en 2025 et qui a permis, même s'il n'est pas parfait, d'amortir la hausse des prix pour un certain nombre de consommateurs -, sur la réforme des concessions hydroélectriques et sur les orientations du mix électrique. Cette réforme doit être pensée, au sein d'un travail collectif, en lien avec une réflexion sur les investissements nécessaires pour un nouveau mix électrique. Séparer les deux sujets me paraît un peu artificiel. Si nous étions prêts à réformer notre système électrique en même temps que la loi de programmation sur l'énergie pour 2023, j'en serais ravie ! Cela signifierait que nous aurions réussi à trouver un accord avec la Commission européenne, à repenser collectivement des formes d'organisation, à trouver une solution sur l'Arenh. Alors, une seule loi suffirait. Il y a cependant beaucoup d'incertitudes.
Concernant le financement du mix, l'échéance de 2022 me semble très ambitieuse. Nous avons devant nous les élections présidentielle et législatives. Le Parlement va retravailler seulement à partir de l'été prochain, et un minimum de concertation est nécessaire.
Mme Sophie Primas , présidente. - Le Président de la République va devenir président du Conseil de l'Union européenne : c'est une occasion incroyable.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Tout à fait !
Mme Barbara Pompili, ministre . - Vous savez comment fonctionne l'Union européenne. La présidence du Conseil de l'Union joue avant tout un rôle de facilitateur et elle doit trouver des compromis. J'espère que nous réussirons à les trouver en trois mois. Par ailleurs, cette présidence française se poursuivra avec un nouveau Gouvernement.
Mme Sophie Primas , présidente. - Et oui, il aurait fallu accepter d'attendre !
Mme Barbara Pompili, ministre . - C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons.
La question du financement du mix est absolument essentielle, et nous devons être très pragmatiques sur le sujet. Il s'agit d'investissement au très long cours. Les prix doivent tout comprendre : les investissements, les démantèlements éventuels, les adaptations nécessaires en matière de réseau ou de stockage et les déchets. Il serait irresponsable que je vous donne dès maintenant des réponses précises sur les coûts de chaque type de mix électrique - en termes d'investissement ou de fonctionnement. Pour autant, ce travail est en train d'être fait. Les scénarios de RTE sont intéressants, car ils fournissent des projections. Nous devons essayer de les affiner. Nous devons cependant accepter une part d'incertitude, tout en la limitant au maximum, afin de faire des choix éclairés. Je vous invite à lire le rapport Les choix de production électrique : anticiper et maîtriser les risques technologiques, techniques et financiers de la Cour des comptes, qui demande de débattre, avant tout, de manière factuelle et pragmatique.
Monsieur le Sénateur Jean-Claude Tissot, j'ai reçu des représentants du Cerema, qui est effectivement un établissement phare de la transition écologique. Nous avons besoin d'eux pour aider les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de leurs projets. Je les ai assurés de mon total soutien. Nous avons réussi à limiter la baisse du nombre d'ETP, laquelle est passée de 100 ETP en moins à 40 ETP en moins cette année. C'est le plus important allégement que j'ai pu obtenir, car chacun prend peu à peu conscience de l'importance du Cerema. L'allégement est plus important que ce qui était prévu dans le programme Cerem'Avenir, programme d'évolution de la structure. Son personnel aura par ailleurs un nouveau statut dans le cadre du projet de loi « 3DS ». Quant à l'Ademe, elle gagne 9 ETP cette année, contre des baisses annuelles entre 15 et 20 ETP auparavant, et fait l'objet d'investissements dans le cadre du 4 e programme d'investissements d'avenir.
Pour la réforme du code minier, je vous propose, monsieur le sénateur, d'organiser une réunion avec mon cabinet sur la question.
M. Jean-Claude Tissot . - J'espère qu'elle aura lieu avant 2022.
Mme Barbara Pompili, ministre . - La réforme du code minier est attendue depuis longtemps, raison pour laquelle nous avons souhaité l'inscrire dans la loi « Climat et résilience ». Certaines dispositions sont inscrites dans le dur de cette loi - vous savez le temps qu'a demandé son examen - et d'autres, plus techniques, par ordonnances. Étant donné les temps de préparation des ordonnances, nous devons nous rencontrer rapidement.
M. Daniel Laurent . - Le Réseau agricole des îles atlantiques (RAIA) a instauré un groupe de travail pour simplifier et faciliter l'accès au foncier et aux infrastructures dans les îles. Nous souhaitons encourager la pérennité d'une agriculture insulaire, que vient mettre à mal l'interprétation de plus en plus rigide de la loi Littoral : sans infrastructures ni élevage ni maraîchage. Comment lever les freins au renouvellement et à la construction de ces infrastructures, essentielles pour nos territoires insulaires et pour la relocalisation de notre production alimentaire ?
La crise sanitaire a eu un impact inédit sur l'immobilier dans les zones littorales, en particulier sur le littoral atlantique. Les ménages les plus modestes ont de grandes difficultés à se loger près de leur lieu de travail, à cause d'un manque de foncier évident et de grandes contraintes urbanistiques et environnementales. Qu'en pensez-vous ?
Dans la loi « Climat et résilience », une disposition permettant l'installation de centrales solaires au sol dans les sites dégradés a été censurée comme cavalier législatif ; or elle constituait une grande avancée pour la transition énergétique des collectivités. Quelle est votre position à ce sujet ? C'est la cinquième fois que je pose cette question à un ministre de l'environnement...
Le partage de l'eau est une source de tension. Dans mon département, une réserve d'eau, outil de travail d'agriculteurs, a été détruite. Des associations écologistes manifestent contre la création de ces réserves, qui relèvent du bon sens. Que prévoyez-vous ?
M. Daniel
Salmon
. - L'offensive pour le nucléaire est tous
azimuts. Nous devons agir sans attendre. Le prototype de l'EPR avale les
milliards
- avec une multiplication par six de son coût -
mais pas un seul mégawattheure n'a été produit. Quant au
SMR, c'est un nouveau totem avec une hypothétique production
d'énergie en 2035 voire 2040 : une sorte de « quoi qu'il
en coûte » énergétique. En matière de
nucléaire, la rationalité parfois semble disparaître.
Le Sénat a publié un rapport sur la méthanisation : nos préconisations ont notamment pour but de renforcer les bonnes pratiques, d'améliorer les connaissances et de planifier les usages prochains de la biomasse. Comment allez-vous vous saisir de ces recommandations et comment pourrions-nous travailler ensemble sur le sujet ?
Lors des débats sur MaPrimRénov', nous avions défendu les mesures en faveur des rénovations globales. Or les dossiers ne sont que des points particuliers, comme les changements de chaudières. À ce rythme, nous y serons encore dans des décennies. Comment le Gouvernement compte-t-il encourager les rénovations ambitieuses ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - La rénovation des bâtiments et des copropriétés pose problème. Les rénovations énergétiques des copropriétés sont très peu nombreuses. Des difficultés viennent des processus de décision, que ne remettra pas en cause le Conseil constitutionnel, au nom du sacro-saint droit à la propriété. Je plaide depuis des années pour un contrat global, à l'instar des organismes de foncier solidaire (OFS) : un tiers réaliserait les travaux pour le compte de la copropriété sur vingt ans, et ferait ensuite payer une redevance aux propriétaires. Les OFS ont déjà cette possibilité. Cependant, personne ne veut lancer cette expérimentation. Beaucoup de copropriétaires ne peuvent financer ces investissements, car leurs revenus sont trop modestes ou parce qu'ils sont trop âgés pour obtenir des prêts. Le rapport de la mission d'Olivier Sichel évoque très peu les copropriétés. Madame la ministre, voulez-vous lancer ces expérimentations ?
Les habitations à loyer modéré (HLM) font beaucoup de rénovations énergétiques - sans MaPrimRénov', d'ailleurs -, mais l'âge des bâtiments fait que d'autres travaux, par exemple de plomberie ou d'insonorisation, seraient nécessaires. Or la TVA à 5,5 % sur la rénovation énergétique ne concerne que des travaux très précis ; le panel était beaucoup plus large auparavant, ce qui bride la rénovation énergétique des HLM. Un amendement avait été déposé en faveur de cette extension du taux réduit. Madame la ministre, il faut sérieusement envisager une modification du taux pour l'ensemble des travaux dans les HLM.
Concernant les électro-intensifs, le problème d'Ascoval va se reproduire. L'école de guerre économique a publié un rapport qui montre comment l'Allemagne utilise la politique énergétique dans un rapport de force économique et industriel avec la France. Croyez-en ma longue expérience : les taxes environnementales aux frontières sont annoncées depuis les années 90 ! Si nous attendons l'unanimité, nous mourrons. Demandons un moratoire pour le secteur des électro-intensifs, afin d'appliquer un certain nombre de règles européennes et d'éviter une concurrence déloyale avec l'Allemagne. Quant à nous, ne devons-nous pas faire des efforts fiscaux pour conserver nos entreprises sur le territoire ?
Mme Martine Berthet . - Les électro-intensifs sont vraiment en souffrance. Il faut trouver des solutions.
Madame la ministre, le 23 juillet dernier, je vous ai posé une question, qui est restée sans réponse. Le syndicat du Pays de Maurienne a pour mission la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). Des délais supplémentaires sont nécessaires pour les dépôts des demandes d'autorisation environnementale des systèmes d'endiguement. France Digues et les syndicats veulent des réponses. Sinon, ces syndicats ne pourront pas remplir leur mission de protection des personnes et des biens au regard du risque d'inondation.
Nous devons décarboner les transports. Or, au lieu d'encourager le train, nous supprimons les sillons de TGV et les trains de nuit ne sont toujours pas prévus pour amener les touristes dans les Alpes.
Enfin, je profite de cette intervention pour vous dire que la protection à tout prix du loup est un contresens pour la biodiversité. Le mouflon a complètement disparu dans la Maurienne, et ce sera bientôt le cas dans la Tarentaise.
M. Franck Montaugé . - Concernant la taxonomie, pourquoi une négociation est-elle en cours, dans certains pays européens, entre le nucléaire et le gaz, alors que le niveau d'émission de CO 2 du nucléaire, même s'il fait l'objet de débats, est très inférieur à 100 grammes par kilowattheure ?
La réussite de la PPE passe par les territoires. Je constate que, dans le Gers, toutes les énergies renouvelables suscitent des problèmes ; en matière de solaire, de méthanisation ou d'éolien, beaucoup de projets sont bloqués. L'État local a un rôle très important à jouer avec les parties prenantes. Le préfet de département doit assurer la coordination entre les projets et assurer une planification cohérente, dans le cadre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) et des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). De plus, des crédits sont nécessaires pour que les projets soient bien suivis, à hauteur de nos objectifs en matière environnementale.
M. Rémi Cardon . - Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux environnementaux. L'État a été condamné par le Conseil d'État pour inaction climatique et la COP26 dresse le constat d'échec de l'accord de Paris. Les postes diminuent au sein de votre ministère et de vos opérateurs. Dans le PLF pour 2022, la diminution est certes moins importante, mais les 374 ETP en moins impactent fortement Météo-France, le Cerema et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), alors que l'urgence climatique nécessite une politique de prévention des risques ambitieuse. Expliquez-moi ce double discours !
Mme Patricia Schillinger . - L'ancien article 38 du projet de loi « Climat et résilience », devenu article 147 de la loi, prévoit une obligation de mesures de compensation pour réduire les émissions du secteur aérien. Il peut concerner plusieurs types de projets, en augmentant les puits de carbone naturels - boisement de forêts, restauration de haies, restauration de mangroves dans les écosystèmes tropicaux - ou industriels - récupération du CO 2 en sortie d'usine. Un fonds d'amorçage bas carbone est désormais en place, pour les structures qui s'engagent dans les trois prochaines années à financer des projets labellisés. Comment ce fonds pourrait-il développer des projets bas carbone ambitieux avec les collectivités territoriales et les entreprises ?
M. Laurent Somon . - L'Institut Montaigne révèle que l'incorporation des biocarburants dans les automobiles hybrides réduirait de 15 % les émissions de GES. Allez-vous soutenir davantage les producteurs français de bioéthanol, qui sont les premiers producteurs européens ? Je rappelle que le plafond prévu par le droit européen s'agissant des biocarburants n'est pas atteint.
Mme Barbara Pompili, ministre . - Monsieur le sénateur Daniel Laurent, la loi « Littoral » est un sujet compliqué. Heureusement qu'elle existe ! Elle a évité le pire en matière d'artificialisation des sols, et elle oeuvre pour une plus grande résilience de nos espaces littoraux. Si l'on y touche, que ce soit d'un doigt tremblant. Les îles posent problème, certes. Nous cherchons des solutions au cas par cas. À ma connaissance, la plupart des problèmes peuvent être résolus sans modifier la loi. Les agents de mon ministère sont à la disposition des élus et des porteurs de projet pour trouver des solutions.
Quant à la question de l'urbanisme, elle touche au sujet de l'artificialisation des sols. Je veux revenir, à ce titre, sur la loi « Climat et résilience ». En effet, beaucoup de choses ont été dites sur le zéro artificialisation nette (ZAN), qui suscite des inquiétudes. La loi part d'un constat sur lequel tout le monde s'accorde : le rythme d'artificialisation des sols est trop élevé. Elle prévoit non pas de mettre fin à l'artificialisation, mais de diminuer son rythme de progression, afin qu'il soit deux fois moins élevé dans dix ans. La mesure prévue par la loi doit inciter chaque porteur de projet, chaque élu, à se demander si son projet nécessite une artificialisation. Il faut revenir sur nos habitudes, notamment sur celle qui consistait à considérer la réhabilitation des friches comme trop chère. Nous avons d'ailleurs donné des outils aux élus à cet effet, comme le fonds pour le recyclage des friches. S'interroger et chercher des solutions alternatives doit devenir un réflexe, car nous avons besoin de nos terres agricoles, de nos espaces forestiers et de nos prairies.
De la même manière, sur les projets d'urbanisme, nous travaillons avec des architectes pour explorer de nouveaux modèles qui pourraient être intéressants et agréables à vivre. Nous devons nous poser des questions, pour l'habitat individuel comme pour le collectif.
En ce qui concerne la question des centrales solaires au sol sur les sites dégradés, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir sans avoir à modifier la loi, notamment à travers les guichets et les différentes aides données en faveur de l'installation du photovoltaïque dans des lieux qui ne menacent pas les terres agricoles, comme les friches ou les toits. Je ne savais pas que la disposition prévue dans le cadre de la loi « Climat et résilience » avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Nous essaierons de trouver un autre moyen.
Mme Sophie Primas , présidente . - Une proposition de loi ?
Mme Barbara Pompili, ministre . - Il y a bien d'autres moyens, madame la présidente, quand on est un peu inventif... Mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour aider à la mise en place de photovoltaïque au sol sur des friches.
M. Daniel Laurent . - Cela permettrait de développer les énergies renouvelables dans des sites qui ne pénalisent personne !
Mme Barbara Pompili, ministre . - Je suis d'accord avec vous.
M. Daniel Laurent . - Vous êtes tout de même la troisième ministre de la transition écologique à qui j'en parle. On me dit toujours que j'ai raison, et il ne se passe rien !
Mme Barbara Pompili, ministre . - Tout d'abord, à la différence de nos prédécesseurs, nous avons fait voter cette disposition, ce qui prouve notre bonne volonté. Par ailleurs, je suis en lien régulier avec les industriels de la filière, qui se disent très satisfaits des décisions prises, notamment en ce qui concerne les mesures liées aux tarifs et aux guichets. Ils savent que nous essayons de promouvoir un développement intelligent, permettant de protéger les terres agricoles autant que possible.
Sur le partage de l'eau, je rejoins évidemment mon collègue ministre de l'agriculture : on ne peut en aucun cas cautionner les violences. Le partage de l'eau est source de tensions et, avec le réchauffement climatique, les problèmes seront de plus en plus nombreux. Pour résoudre ces difficultés, il faut se réunir autour de la table, discuter et trouver des solutions. C'est mieux que de pratiquer violences et intimidations. En outre, dans un certain nombre de territoires, des outils permettant de prendre collectivement des décisions existent déjà. Mais cette question n'est pas simple et chacun doit réfléchir, notamment aux manières de réduire sa consommation. En effet, de nouvelles questions vont se poser, comme celle de l'hydrogène, qui demande beaucoup d'eau. Il faudra donc à la fois partager les usages et faire des efforts pour réduire ses besoins. Comment économiser l'eau dans l'industrie ? Dans l'agriculture ? Dans notre consommation quotidienne ? Tout le monde doit faire cet effort pour limiter ses besoins au maximum, et nous trouverons des solutions. Mais la première étape doit être accomplie par chacun.
Pour répondre à monsieur le sénateur Daniel Salmon sur les SMR, il me semble sain, si nous souhaitons développer le nucléaire et garder notre place dans la compétition économique, de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. Il nous faut donc réfléchir à plusieurs types de réacteurs différents.
Par ailleurs, nous avançons sur la méthanisation, et je salue le rapport sénatorial sur le sujet, qui dresse un bon état des lieux des besoins et dont nous sommes en train de nous inspirer.
Pour répondre à madame la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je commencerai par dire que je suis favorable aux expérimentations. Quand on a des idées, il faut essayer. Je vais donc regarder de plus près ce que vous proposez mais, sur le principe, je suis plutôt d'accord.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je vous enverrai un courrier détaillé sur le projet.
Mme Barbara Pompili, ministre . - Par ailleurs, MaPrimRenov' fonctionne bien sur certains aspects, moins sur d'autres, et il est vrai que les rénovations globales sont encore trop peu nombreuses. Mais il fallait bien commencer, et développer un outil qui soit pratique. Au reste, nous sommes en train de mettre en place le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' », pour orienter les particuliers vers des rénovations plus efficaces. Le sujet des copropriétés reste effectivement compliqué, mais nous avons déjà avancé. Nous essayons de lever les obstacles les uns après les autres ; je pense que nous y arriverons, car le mécanisme est en train de se simplifier.
En ce qui concerne le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), je commencerai par rappeler que le monde est en train de changer sur ces questions, et j'aurai une rectification à faire : il s'agit non pas d'une taxe, mais bien d'un mécanisme qui ne réclame donc pas l'unanimité pour être adopté. Cela fait une grande différence et nous donne des raisons d'espérer.
Mme Marie-Noëlle Lienemann . - J'espère que vous gagnerez cette bataille !
Mme Barbara Pompili, ministre . - Nous allons la mener, mais le simple fait que le MACF soit aujourd'hui pris en compte dans la programmation de la Commission européenne est inédit. Le combat est mené par de nombreux acteurs depuis très longtemps, et, enfin, un aboutissement semble possible. Ce sera l'une des priorités majeures de la présidence française de l'Union européenne qui commencera en janvier.
Madame la sénatrice Martine Berthet, en ce qui concerne le courrier de juillet sur l'endiguement, sachez que nous mettons un point d'honneur à répondre à tous les courriers des sénateurs et des députés, et que je suis désolée que le vôtre n'ait pas fait l'objet d'une réponse. Comptez sur moi pour y remédier.
D'une manière générale, sur les questions d'endiguement, un guide va être fourni aux collectivités pour les aider à faire des choix et à utiliser les outils mis à leur disposition. En effet, les situations sont très différentes d'un territoire à l'autre et une solution qui s'avère bonne dans un lieu ne l'est pas nécessairement ailleurs. J'en ai parlé aussi avec des maires de grandes villes, comme Le Havre. La question est complexe. Il s'agit encore d'un sujet sur lequel État et collectivités doivent travailler main dans la main pour trouver le meilleur équilibre entre préservation des populations et nécessité de répondre aux besoins de logements et de service public.
S'agissant du train, je veux vous renvoyer aux nombreux investissements que nous déployons, notamment dans le cadre du plan de relance. Pendant des décennies, le train a souffert du sous-investissement, notamment les trains du quotidien, le fret et les trains de nuit. Nous avons relancé les trains de nuit, ce dont tout le monde paraît satisfait, et nous investissons lourdement dans le fret. Enfin, je me renseignerai sur la question des sillons TGV, car je n'ai pas la réponse.
Si l'on considère les causes de l'appauvrissement de la biodiversité, le loup ne joue pas un rôle majeur. Ces espèces disparaissent à cause des espaces perdus, du manque de nourriture, de l'occupation de l'espace par l'homme. La question du loup n'est pas évidente, et ceux qui ont des réponses toutes faites ont bien de la chance. Pour ma part, je n'en ai pas, mais nous tentons d'accompagner au mieux les éleveurs, ceux qui pratiquent cette agriculture et ce pastoralisme dont nous avons besoin et que nous défendons, tout en préservant une espèce qui a autant le droit de vivre qu'une autre. Néanmoins, nous avançons et avons réuni de nombreux retours d'expérience sur les mesures de protection. Certaines fonctionnent bien, et, pour celles qui ne fonctionnent pas, il faut assumer d'y mettre fin.
Pour répondre à monsieur le sénateur Franck Montaugé sur la taxonomie, il s'agit d'une négociation politique. La taxonomie verte concerne les énergies renouvelables et les activités faiblement émettrices de GES. Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre du Fit for 55 , ce qui signifie que nous devons globalement baisser nos émissions de GES de 55 %. Certains pays européens sont encore lourdement utilisateurs de charbon dans leur mix électrique. Si nous voulons qu'ils baissent leurs émissions, ils doivent sortir du charbon au plus vite. Certes, il faut les soutenir dans leurs politiques d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables mais, pour obtenir des résultats rapides, ne serait-ce pas une bonne idée de les aider à utiliser de façon transitoire le gaz à la place du charbon ? L'intégration du gaz dans la taxonomie est donc une question qui se pose, même s'il faudrait évidemment l'encadrer très strictement pour que l'on ne se mette pas à construire plein de centrales à gaz qui seraient utilisées ad vitam aeternam .
De la même manière, le nucléaire est une énergie qui a ses qualités et ses défauts - vous savez que je n'en suis pas la première fan -, mais qui possède un avantage objectif : son impact carbone est très faible. Or la priorité climatique est de baisser nos émissions de GES le plus vite possible. Et, objectivement, la présence du nucléaire dans notre mix nous donne un avantage par rapport à d'autres pays. Il ne serait donc pas anormal de considérer aussi l'entrée du nucléaire dans la taxonomie. Aujourd'hui, celle-ci intègre un certain nombre d'énergies, mais le nucléaire comme le gaz doivent encore faire l'objet d'un acte délégué, qui est en cours de discussion. La position de la France est très claire et consiste à demander que le nucléaire soit inscrit dans la taxonomie. Par ailleurs, des demandes similaires ont été émises pour le gaz. Je vous ai donné mon point de vue, qui se veut pragmatique pour essayer de répondre aux priorités. Néanmoins, il ne faut pas oublier la question de l'encadrement, pour ne pas se laisser entraîner dans des dérives.
M. Franck Montaugé . - Pourquoi la France refuserait-elle l'entrée du gaz si cela permettait d'obtenir celle du nucléaire en contrepartie ?
Mme Barbara Pompili, ministre . - Certains pays sont farouchement opposés à l'introduction du nucléaire ou du gaz dans la taxonomie. Beaucoup de discussions sont en cours. Au demeurant, je vous rappelle que le gouvernement allemand, qui est un partenaire majeur, n'est pas encore entré en fonctions.
Sur la question du local, je suis persuadée que la planification est nécessaire, et pas seulement pour l'énergie. C'est le cas de la réindustrialisation, pour laquelle il faut identifier les secteurs qui seront impactés négativement et travailler territoire par territoire pour essayer de réorienter les compétences. Tout cela ne peut se faire sans planification. Sur les énergies, des outils existent et nous mettons en place un réseau de conseillers dédiés à l'éolien et au photovoltaïque, pour accompagner les collectivités qui montent des projets. Dans le cadre de cette première phase, 26 ETP seront financés. Parallèlement, la loi « Climat et résilience » a créé les comités régionaux de l'énergie, qui ont pour objectif de développer cette concertation nécessaire et d'étudier comment implanter les différentes énergies renouvelables sur les territoires. Ils seront aidés par les cartographies réalisées sur l'éolien. Il est nécessaire que les territoires se projettent dans l'avenir ; tout le monde doit le faire.
M. Franck Montaugé . - Ils ne demandent que cela, mais ils ont besoin d'être aidés.
Mme Barbara Pompili, ministre . - Je ne demande que cela moi aussi. Je vois bien les oppositions des uns et des autres aux éoliennes terrestres, aux éoliennes en mer, au photovoltaïque ou à la méthanisation, mais nous devons être responsables. Quand on s'oppose, on doit proposer des alternatives. Mon rôle, et c'était ma deuxième priorité, est d'assurer la sécurité d'approvisionnement de mes concitoyens. Comment fournir assez d'électricité pour charger les portables, nous éclairer, faire fonctionner les industries et chauffer les Français ? Aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), de RTE ou de la Cour des comptes, tout le monde convient de la nécessité d'un développement massif des énergies renouvelables. Essayons de le faire bien et à partir des territoires, l'État donnant les grands objectifs.
M. Yves Bouloux . - Pouvez-vous répondre sur le nucléaire et la fermeture de la centrale de Fessenheim ?
Mme Barbara Pompili, ministre . - Cette fermeture était prévue.
M. Yves Bouloux . - La fermeture était prévue, mais la centrale marchait très bien !
Mme Barbara Pompili, ministre . - Fessenheim était la plus vieille centrale de France - elle n'aurait pas pu fonctionner très longtemps - et je vous rappelle qu'un EPR devait la remplacer. Quand nous avons su que ce ne serait pas le cas, il était trop tard. Une centrale nucléaire se pilote comme un paquebot ; vous ne pouvez pas vous contenter d'appuyer sur un bouton. Il faut du temps et des visites décennales. Or cette visite décennale n'avait pas été faite. Le travail qui aurait permis à Fessenheim de continuer n'avait pas été réalisé, puisque la centrale devait s'arrêter et être remplacée par l'EPR. Il est absurde de penser - je sais que ce n'est pas votre cas - que l'on pourrait rallumer Fessenheim facilement !
Essayons d'avoir une vision réaliste et pragmatique. Sortons des dogmes ! Ceux qui prétendent que l'on pourra résoudre tous les problèmes avec le nucléaire se trompent. RTE le dit très clairement et, dans ses six scénarios, ne place jamais la part du nucléaire au-dessus de 50 %. Quoi qu'il advienne, le reste sera du renouvelable. De plus, dans tous les scénarios, on observe deux constantes : la baisse de la consommation d'électricité grâce à la sobriété et l'efficacité, et l'augmentation massive des énergies renouvelables. Trois scénarios prévoient la construction de centrales, mais trois ne le font pas. Dans tous ces scénarios, le nucléaire est donc une option, mais les énergies renouvelables ne le sont pas.
Au sujet des déclarations de la COP26 sur la COP21, ce que vous dites est faux, monsieur le sénateur Rémy Cardon. Au moment de la COP21, la température estimée pour 2100 marquait une augmentation de 4°C et, avant la COP26, on estimait cette hausse à 2,7°C. Certes, l'objectif de + 1,5°C est très loin d'être atteint, mais la situation accuse un très léger mieux. Le travail effectué consiste toujours à se rapprocher au plus près de cet objectif. Par ailleurs, des annonces fortes ont été faites à l'issue de la COP26, notamment sur les émissions de méthane, sur la déforestation ou les investissements dans les fossiles. Et, ce qui m'intéresse à présent, c'est leur suivi et leur mise en oeuvre. En outre, la COP26 a permis une avancée majeure : nous nous sommes enfin mis d'accord sur les outils de mise en oeuvre de l'Accord de Paris, qui étaient en discussion depuis six ans. Certes, cette réussite n'est pas très sexy, mais elle est essentielle. Tout le monde s'entend enfin sur les méthodes de calcul, qui ne serviront plus de prétexte pour ne pas respecter les engagements pris. Il s'agit d'une étape importante. Quant à la COP26, elle n'est ni plus ni moins qu'une étape nécessaire.
J'en viens à la question de la baisse des effectifs. Celle-ci ralentit et nous passons d'une baisse de 1 200 ETP par an à une baisse de 350. Les diminutions qui demeurent sont liées à des baisses prévues ou contractualisées sur plusieurs années ou à des gains issus de réformes. Par ailleurs, en ce qui concerne l'eau et la biodiversité, nous observons qu'aucune suppression n'a lieu et que des postes sont créés, ce qui est historique. Pour les écoles et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), aucune suppression n'est à déplorer au niveau départemental, car il faut laisser des agents sur les territoires. Enfin, je note que l'Ademe gagne 9 ETP, les Parcs nationaux de France et l'Office français de la biodiversité (OFB) 40, et l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) 25. Ces chiffres ne sont certes pas formidables, mais ils témoignent d'un adoucissement de la courbe. Je continuerai à me battre en ce sens, pour que nous puissions soutenir nos agents. Ils doivent en effet mener à bien des politiques très importantes et attendues, et jouent un rôle de go between sur les territoires.
Madame la sénatrice Patricia Schillinger, le fonds d'amorçage du label « bas carbone » a été lancé ce mois-ci. Nous avons déjà obtenu des manifestations d'engagement, l'objectif étant d'abord d'identifier des financeurs potentiels de projets, mais aussi de les accompagner en leur signalant les projets et en leur donnant des informations détaillées et, enfin, de faciliter leurs relations avec les porteurs de projet. Il s'agit donc de faciliter à la fois le financement des projets et leur émergence. Nous travaillons, par ailleurs, à créer d'autres méthodes génériques dans les domaines de l'agriculture, des forêts, de la protection des prairies et de la mangrove, de la gestion des déchets, des transports et du BTP, en lien avec les acteurs. Il s'agira là aussi de susciter des mises en relation entre acteurs, d'agir au niveau du terrain, notamment sur l'instruction de projets qui sera déléguée au niveau des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Enfin, nous allons ajuster l'encadrement des projets avec les organismes scientifiques - OFB, Institut national de la recherche agronomique (INRA) et Office national des forêts (ONF) - quant à leur impact sur la biodiversité et l'eau. Nous allons aussi créer un statut d'agrégateur qui pourra rassembler les projets à financer et proposer des lots de projets à des acteurs souhaitant développer des programmes de compensation importants. Grâce à ce système, les projets seront plus nombreux, plus facilement financés, plus efficaces, voire moins chers, et agiront pour la protection de l'environnement.
Enfin, monsieur le sénateur Laurent Somon, nous devons avancer sur les biocarburants de 2 e et 3 e générations. Le bioéthanol appartient à la 1 ère , puisqu'il est issu de l'agriculture. Il existe un plafond d'utilisation de ces biocarburants de 1 ère génération, car nous avons besoin des terres agricoles. Il faut en partager l'utilisation. Il s'agit d'éviter, pour des raisons financières, que notre agriculture nourricière se transforme en agriculture énergétique. Voilà pourquoi nous travaillons beaucoup au développement des biocarburants de 2 e et 3 e générations, pour lesquels investissement et recherche sont déployés.
Mme Sophie Primas , présidente . - Merci beaucoup de ces réponses et du temps que vous nous avez consacré, madame la ministre.
Examen en commission
(Mercredi 24 novembre
2021)
Réunie le mercredi 24 novembre 2021, la commission a examiné le rapport d'information de Daniel Gremillet sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2022.
M. Daniel Gremillet , rapporteur . - Rejeté hier par le Sénat, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 intervient dans un contexte très particulier pour le secteur de l'énergie : sur le plan économique, on assiste à une augmentation exponentielle des prix ; sur le plan politique, on observe une accélération illisible des annonces.
Ce contexte suscite de vives inquiétudes chez les consommateurs d'énergie, particuliers comme professionnels. Il nous rappelle combien, à l'approche de l'hiver, l'accès à l'énergie est fondamental.
Les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » s'élèvent à 12,5 milliards d'euros pour 2022.
Ils sont complétés par le « Plan de relance », rattaché à la mission « Relance » : sur 110 milliards d'euros prévus sur deux ans, un dixième sont alloués à la transition énergétique.
Ils sont aussi complétés par le « Plan France 2030 », rattaché à la mission « Investissements d'avenir » : la transition énergétique concentre un tiers des 30 milliards d'euros annoncés d'ici 2030.
Toutefois, il faut relativiser cet apparent effort budgétaire :
- la hausse de 42 % du programme 174 « Énergie, climat, après-mines » est due à un redéploiement de crédits, non à leur revalorisation ;
- la baisse de 8 % du programme 345 « Service public de l'énergie » s'explique par la hausse des prix des énergies, non par des économies ;
- avec 360 millions d'euros, le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (CAS FACÉ) est stable ;
- enfin, le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (CAS TE), et ses 6 milliards d'euros, a été supprimé le 1 er janvier 2021.
La flambée des prix des énergies est sans précédent. Du printemps 2020 à l'automne 2021, les prix de gros des énergies ont été multipliés par 2 pour le gaz naturel, 3 pour le pétrole et 9 pour l'électricité. Il en a résulté une hausse des tarifs réglementés de vente, de 12 % pour le gaz, en octobre dernier, et de 4 % pour l'électricité, en février prochain.
Or, cette flambée était prévisible : dès juin 2020, la commission des affaires économiques, dans son plan de relance, avait alerté sur « un effet inflationniste en sortie de crise, les prix étant susceptibles de “flamber” » , plaidant pour « revaloriser substantiellement le montant du chèque énergie » .
Nous avions même proposé, puis défendu en séance publique, en juillet et novembre 2020, un amendement budgétaire en ce sens !
Cette flambée pèse sur le pouvoir d'achat des ménages. Selon le Médiateur national de l'énergie (MNE), 95 % des ménages constatent une hausse, 60 % restreignent leur chauffage et 25 % diffèrent leurs paiements. Elle augmente le risque de précarité énergétique. Pour l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), déjà 3,5 millions de ménages sont touchés.
Cette flambée pèse sur les coûts de production des entreprises. Le Gouvernement m'a indiqué constater cette année une augmentation de 34 % de la facture d'énergie pour le secteur de l'industrie, le pire étant à venir en 2022. Cette hausse est particulièrement notable pour les 400 entreprises énergo-intensives, qui consomment la moitié de l'énergie de ce secteur. Pour elles, ce surcoût serait d'1 milliard d'euros, selon les professionnels !
À terme, cette flambée désorganise le marché de l'énergie. Les litiges se multiplient déjà entre consommateurs et fournisseurs, l'activité du MNE ayant crû de 15 % en douze mois ! Certains fournisseurs font défaut, à l'image de E. Leclerc Énergies et de ses 140 000 abonnés !
Or les fournisseurs de secours et de recours pour le gaz, qui auraient dû être désignés en application de la loi « Énergie-Climat » de 2019, ne sont pas encore opérationnels. Il en va de même de certains correspondants solidarité-précarité, liant fournisseurs et élus locaux, selon un décret de 2008.
C'est une anomalie : je souhaite que le Gouvernement la corrige ! Je rappelle que la désignation d'un fournisseur de secours pour l'électricité a été réalisée il y a quelques semaines seulement, le président-directeur général (PDG) d'EDF nous l'ayant annoncé à l'occasion de son audition... Face à cette flambée, le « bouclier tarifaire » proposé par le Gouvernement est tardif et limité.
L'attribution de 100 euros via le « chèque énergie » ou l'« indemnité inflation » est dérisoire, les prix à la pompe dépassant 1,5 euros par litre. Ces 100 euros, c'est l'équivalent d'un plein !
Les tarifs règlementés de vente, sur lesquels se focalisent les blocages ou compensations de prix, ne concernent que 7,5 % de la consommation nationale de gaz et 28 % de celle d'électricité. L'essentiel des consommateurs sont donc soumis aux fluctuations du marché !
Les entreprises énergo-intensives ne bénéficient que d'une avance de 150 millions d'euros, une aide 6 fois inférieure aux besoins !
Enfin, les baisses de taxes sur la consommation d'énergie sont facultatives, activables par décret, et transitoires, limitées à un an. Pire, la baisse de la fiscalité sur le gaz ne concerne que les ménages, au contraire de celle sur l'électricité qui vise aussi les entreprises.
Aussi, j'appelle le Gouvernement à consolider les aides aux ménages et aux entreprises. Il doit également être attentif à la situation des autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), c'est-à-dire les collectivités territoriales propriétaires des réseaux de distribution d'électricité ou de gaz, car leurs groupements d'achat s'en trouvent déstabilisés.
Je pense aussi crucial d'évaluer le coût et l'application du « bouclier tarifaire » : mises bout à bout, les dépenses - éclatées entre le projet de loi de finances pour 2022 et le projet de loi de finances rectificative - seraient de plus de 10 milliards d'euros, selon le Gouvernement ! Nous attendons plus de visibilité et d'efficacité dans la dépense publique !
Plus largement, les crédits « Énergie » sont insatisfaisants pour réussir la décarbonation de notre économie.
Premier domaine : la transition énergétique
Cette année, le CAS TE a été clos, alors qu'il permettait de flécher les recettes de la fiscalité énergétique vers les projets d'énergies renouvelables, concourant ainsi au consentement à l'impôt !
Compte tenu de la flambée des prix, les charges de service public de l'énergie, qui sont au fondement des dispositifs de soutien public aux énergies renouvelables, devraient fortement diminuer en 2022.
En effet, plus le prix de l'électricité est élevé, plus le niveau de ces charges est faible ; selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), on constate déjà une économie d'1 milliard d'euros pour l'année 2021 !
Les dépenses de soutien aux énergies renouvelables, désormais intégrées au budget général, connaissent des évolutions contrastées : + 31 % pour le biogaz, + 567 % pour les effacements, + 9 % pour les dispositifs sociaux mais - 9 % pour les énergies renouvelables électriques et - 5 % pour la cogénération.
Je retiens de mon audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) que les 350 millions d'euros alloués au Fonds chaleur ne permettent pas de financer les projets identifiés pour 2022 !
De plus, le fonds de revitalisation des territoires touchés par les fermetures de centrales - en l'espèce les 4 centrales à charbon et celle nucléaire de Fessenheim - ne bénéficient d'aucune autorisation budgétaire en 2022 !
Je souhaite que le Gouvernement revalorise ces deux fonds.
Deuxième domaine : la rénovation énergétique. Cette année, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) a été supprimé au profit de MaPrimeRénov', dont je salue l'ouverture aux propriétaires-bailleurs et aux copropriétés !
Cette situation n'est pas satisfaisante : les crédits alloués à la prime en 2022 sont inférieurs de 13 % à ceux du CITE en 2018 ! Les bénéficiaires de la prime en 2021 sont inférieurs de 79 % à ceux du CITE en 2018 !
Surtout, MaPrimeRénov' connaît des difficultés de gestion par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) : 290 000 primes ont ainsi été versées en 2021, contre un objectif de 500 000 ! Pire, seules 136 primes ont été versées aux propriétaires-bailleurs et 69 aux copropriétés !
Troisième domaine : la mobilité propre. Là aussi, le constat est mitigé : le montant de la prime à la conversion et du bonus automobile est en baisse de 17 % par rapport à 2021.
Cela s'explique par l'instabilité normative de ces dispositifs, la prime à la conversion et le bonus automobile devant être resserrés au 1 er juillet prochain.
Cela nuit à leur déploiement : seuls 185 000 primes à la conversion et 100 000 bonus ont été attribués en 2020, contre des objectifs de 250 000 et 110 000.
Dernier point sur les crédits « Énergie » : les opérateurs. Mes auditions m'ont convaincu que l'État leur confie toujours plus de missions, avec parfois moins de moyens. Ainsi, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) n'est pas en mesure de réaliser ses opérations sur 2 sites industriels, le MNE de régler les litiges dans un délai de 90 jours et l'Ademe de suivre les projets du plan de relance.
Il faut relever la subvention du premier et les effectifs des autres.
Autre particularité de ce projet de loi de finances, les crédits « Énergie » extérieurs à la mission sont 2 fois plus élevés !
Je ne peux que me réjouir que la décarbonation, dont l'énergie nucléaire, soit devenue une priorité budgétaire. Nous avions appelé à faire de la neutralité carbone l'aiguillon du plan de relance, dans nos travaux sur la crise de la Covid-19, dès juin 2020. Nous avions aussi appelé à garantir la prédominance de l'énergie nucléaire, dès notre résolution, de mai 2021.
Pour autant, il y a beaucoup à dire sur ces financements hors mission.
Premier point : le plan de relance. Les dépenses en faveur de la transition énergétique atteignent 13,5 milliards d'euros en deux ans, dont 3 milliards cette année.
Cependant, des difficultés sont notables. La maquette budgétaire est partagée entre les missions « Relance » et « Écologie », les responsables de programmes et les indicateurs de performance étant différents ! Plusieurs « angles morts » sont à déplorer : seuls 200 millions d'euros, soit 0,18 % des crédits, sont alloués à l'énergie nucléaire, tandis que les énergies renouvelables - à commencer par l'hydroélectricité, les biocarburants ou le biogaz - ne bénéficient d'aucun soutien. Enfin, il faut offrir davantage de visibilité, car les crédits s'achèvent dès 2022 alors que les investissements nécessaires à la transition énergétique - à commencer par les chantiers de rénovation énergétique - supposent du temps long.
J'attends donc du Gouvernement que le plan de relance intègre mieux les énergies nucléaires comme renouvelables.
Deuxième point : le plan d'investissement. Les dépenses en faveur de la transition énergétique représentent 12 milliards d'euros d'ici 2030, dont 8 milliards pour l'énergie.
Toutefois, ici aussi, des difficultés sont palpables. Présenté par un amendement gouvernemental, le plan n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact. Le montant d'1 milliard réservé à l'énergie nucléaire est limité au regard des annonces faites par le Président de la République et le montant de 500 millions d'euros attribué aux Small Modular Reactors (SMR) est inférieur à ceux consentis aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Il est dommage que ce plan ne soit pas pleinement mobilisé au profit du nouveau nucléaire, en prenant aussi en compte les European Pressurized Reactors (EPR), les réacteurs de 4 e génération ou l'effort de recherche en faveur de la « fermeture du cycle du combustible » . De plus, le soutien à l'hydrogène doit bénéficier à celui issu de l'énergie nucléaire, l'aide aux transports propres doit intégrer les biocarburants et l'appui aux technologies de rupture doit comprendre le biogaz. Aucun soutien n'est prévu pour les chantiers de rénovation énergétique, ce qui est curieux vu les enjeux !
Il est donc crucial que le Gouvernement fasse du plan d'investissement le levier du nouveau nucléaire : c'est mon voeu !
Dernier point sur les financements « hors mission » : le CAS FACÉ.
Si ce compte a été abondé de 50 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, ce montant est trop faible pour aider les collectivités rurales : en moyenne, seul 1 projet a été retenu sur 6 présentés, selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
J'appelle le Gouvernement à transformer le FACÉ en un véritable outil territorial au service de la transition énergétique.
Si les crédits « Énergie » sont donc peu concluants, il en est de même de la fiscalité énergétique.
Alors que le Gouvernement s'était engagé à un « gel » en 2018, le budget, tel que déposé, prévoit une hausse de 2 milliards d'euros des taxes intérieures sur la consommation d'énergie : cette hausse est de 4 % pour l'électricité et le gaz, 5 % pour le pétrole et 12,5 % pour le charbon.
Aussi, la baisse des taxes intérieures sur la consommation d'électricité ou de gaz, annoncée dans le cadre du « bouclier tarifaire », va voir ses effets partiellement contrebalancés par cette hausse initiale...
Dans le même temps, les dépenses fiscales diminuent de 4 milliards d'euros, en baisse de 13 % en 2 ans, avec l'extinction d'incitations fiscales utiles : la diminution pour les transporteurs routiers, l'exonération pour le biogaz injecté, la diminution pour les carburants « sous conditions d'emploi » .
Alors que la France est le 1 er pays européen en termes de fiscalité énergétique, avec 47 milliards d'euros, je constate que le Gouvernement n'a pas choisi de baisser massivement cette fiscalité, comme en Espagne ou en Allemagne.
Au total, il me semble que la flambée des prix des énergies, non anticipée par le Gouvernement, rend les crédits « Énergie » déjà obsolètes.
Au-delà de ces critiques, je souhaite sincèrement que le Gouvernement donne une traduction budgétaire forte aux annonces récentes en direction de l'énergie et de l'hydrogène nucléaires.
Notre commission y veillera dans ses prochains travaux de contrôle.
Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial pour la commission des finances . - L'évolution très fluctuante des charges de service public de l'énergie nous a beaucoup interpellés à la commission des finances. Cette évolution est liée à celle des prix des énergies sur les marchés de gros.
Alors que l'État avait apporté des crédits en 2019 et 2020 - puisque la baisse des prix avait entraîné une hausse des charges de service public -, on observe des mouvements dans l'autre sens, en 2021 et 2022. Ces mouvements sont très significatifs car, si l'on en croit la dernière délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du mois d'octobre, les charges prévisionnelles pour 2022 pourraient être réduites de 2,7 milliards d'euros.
À ce jour, le Gouvernement a uniquement fait une reprise de charges à hauteur de 405 millions d'euros. Une partie viendra compenser les surcoûts de 2019 et de 2020. Toutefois, dans la mesure où l'on a également une baisse qui pourrait être de l'ordre de 1,5 milliard d'euros sur les charges de 2021, il faut tout de même s'attendre à des mouvements de régularisation très forts en 2023 sur le programme 345.
Autre point soulevé à la commission des finances, qui n'a pas été abordé par le rapporteur : la révision des contrats photovoltaïques, qui a été introduite par la loi de finances pour 2021.
J'ai conduit une mission d'information sur ce thème, qui avait déjà mis en avant le fait que le Gouvernement était très en retard sur le calendrier initialement prévu. Les textes d'application réglementaire ont été pris à la fin du mois d'octobre et dans les premiers jours du mois de novembre.
Les tarifs révisés s'appliqueront donc à compter du 1 er décembre 2021. À ce moment, la clause de sauvegarde va également entrer en vigueur ; elle permet à chaque producteur qui verrait son tarif révisé de demander un recalcul sur la base de ses coûts réels, et non pas des coûts moyens, qui ont servi à la construction du modèle.
À la commission des finances, nous estimons que les économies qui ont été envisagées par le Gouvernement seront bien inférieures aux économies réelles, du fait notamment de cette clause de sauvegarde. On constate - et c'est finalement presque souhaitable, vu le retard pris pour la mise en oeuvre de cette disposition - que rien ne figure sur ce point dans le PLF pour 2022.
Enfin un dernier point de vigilance concerne la filière biogaz. L'année dernière, lors de mon rapport devant la commission des finances, j'avais émis des craintes sur la création d'une bulle, à l'image de ce qui a existé sur le photovoltaïque.
Le Gouvernement a pris un nouvel arrêté tarifaire à la fin de l'année 2021. La seule chose que l'on peut dire, c'est que cet arrêté est intervenu tardivement malgré plusieurs alertes du régulateur. Les charges de service public du biogaz ont été multipliées par 7 entre le PLF 2021 et le PLF 2022. Pour autant, seul un quart des projets - qui relèvent encore de l'ancien dispositif tarifaire - sont en service aujourd'hui, tandis que les autres sont dans la file d'attente de raccordement et d'injection.
Pour conclure, je rejoindrai les propos du rapporteur sur le manque de visibilité sur la filière énergie. En effet, on voit que si nous avons un hiver froid et sans vent, nous allons avoir une augmentation encore plus forte des prix de l'électricité, parce que notre tarif marginal est ajusté au marché du gaz et que le gaz devient une denrée rare et chère. J'ai eu le regret de constater qu'effectivement les crédits engagés vers les nouvelles filières que sont l'hydrogène et le nucléaire sont très faibles. L'année dernière, 600 millions d'euros avaient été ouverts sur les crédits plan de relance pour la filière hydrogène et plus de 580 millions ont été annulés en loi de finances rectificative au mois de juillet. On observe donc qu'il y a eu beaucoup d'effets d'annonce. Les crédits accordés aujourd'hui au nucléaire s'élèvent à 1 milliard d'euros, contre 7 milliards d'euros pour les charges de service public.
M. Daniel Gremillet , rapporteur . - Sur le sujet biogaz, le récent rapport d'information sur la méthanisation, de nos collègues Daniel Salmon et Pierre Cuypers, a effectivement soulevé la question du risque d'une bulle.
Intervention de la présidente sur la publication des avis budgétaires sous forme de rapports d'information
Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, à la suite du rejet de la première partie du projet de loi de finances pour 2022, les avis budgétaires portant sur les missions de la seconde partie du PLF sont devenus sans objet et ne seront pas discutés en séance publique.
Notre commission avait décidé de réserver son vote et de surseoir à se prononcer lors de la présentation des rapports pour avis successifs. Afin de tirer les conséquences de ce choix, il nous revient désormais d'autoriser formellement la publication sous forme de rapports d'information des différents tomes correspondant aux missions budgétaires relevant de notre commission.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous remercie.
La commission des affaires économiques autorise la publication de ces rapports d'information.