CHAPITRE I - RÉFORMER LE DROIT DU TRAVAIL : L'EXEMPLE DE NOS VOISINS EUROPÉENS
Les débats sur le droit du travail en France interviennent alors que plusieurs voisins européens ont déjà mené des réformes de grande ampleur. Entre parangonnage et simple description factuelle, ces exemples peuvent tout simplement donner des idées sur ce qui pourrait être testé en France. Votre rapporteure a rencontré les conseillers sociaux ou économiques des ambassades d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie, afin de recueillir des informations sur le contenu et les évaluations de ces réformes. En outre, certains éléments de ces réformes ont été évoqués dans le questionnaire afin que les entreprises puissent exprimer leur intérêt ou leur réserve à l'égard des exemples européens.
A. L'ALLEMAGNE
1. Une série de lois pour lutter contre le chômage
L'Allemagne a mené ses réformes dites « Hartz 7 ( * ) » il y a déjà plus de 10 ans, entre 2003 et 2005. Depuis, l'économie allemande a créé 2,5 millions d'emplois, correspondant majoritairement à des emplois à temps partiel, à des contrats intérimaires ou à durée déterminée. Cette progression de l'emploi a conduit à une baisse de près de 7 points du taux de chômage (11,3 % en 2005 à 4,3 % en février 2016 selon les chiffres d'Eurostat). C'est ce que certains ont appelé « le miracle allemand ».
Comme le rappellent différentes lettres 8 ( * ) de la direction générale du Trésor, les réformes Hartz répondaient à une conjoncture économique morose, une croissance en berne, un taux de chômage élevé (supérieur à la moyenne de la zone euro) et une baisse de la population en âge de travailler (en recul depuis 2000). Elles ont été déclinées en quatre lois visant à :
- renforcer la recherche d'emploi et améliorer le profilage des demandeurs d'emploi ;
- inciter les chômeurs à accepter un emploi ;
- encourager l'activité professionnelle, notamment des femmes et des seniors.
Les quatre lois « Hartz » Hartz I (janvier 2003) . Cette loi a facilité la formation et le reclassement des chômeurs, notamment par les biais d'agences d'intérim rattachées aux agences du service public de l'emploi. Elle a renforcé le régime des droits et devoirs des demandeurs d'emploi en faisant peser sur eux la charge de la preuve de l'inadéquation d'une offre en cas de refus d'un emploi. Elle a enfin étendu les possibilités de recours au travail temporaire en supprimant la durée maximale de mission qui était de 24 mois. Hartz II (avril 2003). Cette loi a essentiellement créé une nouvelle aide facilitant la création d'entreprise par les chômeurs et a élargi la gamme des emplois dits « marginaux » (mini-jobs et midi-jobs). Hartz III (janvier 2004). Ce texte a réformé le service public de l'emploi avec une réorganisation des agences et une plus grande autonomie locale pour augmenter le temps consacré à chaque chômeur par son conseiller. Il a par ailleurs fusionné les dispositifs d'emplois aidés et durci les conditions d'indemnisation des chômeurs. Hartz IV (janvier 2005). Cette loi a rationalisé deux dispositifs proches : l'assistance chômage (allocation pour les chômeurs en fin de droits) et l'aide sociale (revenu minimum garanti pour lutter contre la pauvreté). Elle a supprimé le premier dispositif et renforcé le second, en le conditionnant à la signature d'un contrat d'insertion avec l'agence pour l'emploi ou le service communal. Enfin, elle a créé un nouveau dispositif d'insertion dans le secteur non marchand avec le « ein-euro-job », système de compensation d'au moins un euro de l'heure pour un travail d'utilité publique. |
Ces lois ont été complétées par un raccourcissement de la période d'indemnisation du chômage en février 2006 (passage de 26 à 12 mois pour les moins de 55 ans et de 32 à 18 pour les 55 ans et plus), l'abandon progressif des options de départ anticipé à la retraite entre 2006 et 2010 (ce qui a augmenté la population active malgré une population en âge de travailler en diminution) et une baisse des charges sociales patronales en janvier 2007 (compensée par la hausse de 3 points de TVA).
2. Des résultats positifs mais une précarisation des chômeurs
Ces lois ont fluidifié le marché du travail avec une meilleure adéquation entre offre et demande de travail, notamment dans le secteur de l'industrie et chez les chômeurs de longue durée. Le triptyque (accompagnement - baisse des charges - réduction des revenus de remplacement) aurait favorisé le retour à l'emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail. Les économistes Kettner et Rebien 9 ( * ) constatent un accroissement des recherches d'emploi (candidatures spontanées notamment) et l'acceptation de davantage de concessions salariales lors des entretiens d'embauche.
Le taux d'emploi a fortement augmenté avec la croissance du nombre d'emplois à temps partiel , en intérim, en CDD, en mini ou midi-jobs, passant de 64,9 % à 72,4 % entre 2004 et 2012. L'emploi intérimaire a été multiplié par 2,7 entre 2003 et 2011. Le chômage structurel aurait été diminué de 0,5 point grâce à la loi Hartz IV selon l'OCDE et de 1,4 point selon les économistes Krebs et Scheffel. Mais les différentes analyses ne permettent de mesurer ni la qualité des emplois ni leur pérennité.
Les mini-jobs, qui préexistaient aux lois Hartz, sont soumis à des cotisations sociales salariales nulles ou réduites ; une personne en mini-job n'a pas le droit au chômage ni à l'assurance maladie et a des droits optionnels à la retraite. Les effectifs en mini-jobs exercés en plus d'une activité rémunérée sont passés de 1,69 million de personnes en 2004 à 2,53 millions (soit une hausse de 840 000) en 2011. Ceux exercés en activité seule ont augmenté de seulement 81 000 dans la même période (atteignant tout de même 4,9 millions dont 66 % de femmes).
Les midi-jobs sont quant à eux soumis à un barème progressif de cotisations sociales jusqu'au taux plein lorsque le salaire atteint 850 euros. Une personne en midi-jobs a globalement les mêmes droits qu'un salarié soumis pleinement à cotisations sociales. Les effectifs en midi-jobs ont crû de 1,19 million en 2007 à 1,37 million en 2011 (dont 74% de femmes).
Les emplois à un euro comptaient 200 000 personnes en 2005, 320 000 en 2009 et 188 000 en 2011, en fort recul.
Les subventions aux emplois dans le secteur marchand ont eu un effet important sur le retour à l'emploi au niveau individuel. Les bénéficiaires ont une probabilité de 70 % d'être encore à l'emploi 20 mois après l'entrée dans le dispositif. Mais, selon d'autres économistes (S. Bernhard, H. Gartner), un effet d'aubaine et des effets de substitution ont pu être ainsi suscités, les employeurs ayant profité du système pour employer une personne qu'ils auraient employée de toute manière.
D'après Martin Huber 10 ( * ) , l'orientation vers un opérateur privé de placement, les « formations courtes » (aide à la rédaction de CV, préparation d'entretien, création d'entreprise,...) et les emplois à un euro ont eu un effet décevant, dans le sens où les personnes orientées vers les différents programmes ne sont pas en général les ciblées, sur lesquelles son effet potentiel serait important.
Enfin il faut mentionner l'instauration d'un salaire minimum à 8,50 euros de l'heure en Allemagne au 1 er janvier 2015. D'après l'Insee 11 ( * ) , l'effet de cette réforme a été assez diffus, les hausses de salaires ayant été étalées dans le temps.
Le conseiller de l'ambassade d'Allemagne en France auditionné par votre rapporteure a noté que patronat et syndicats de salariés s'accordent autour des objectifs économiques de long terme, mais le dialogue social est très fortement marqué par le système de « co-gestion », détaillé en annexe dans l'étude comparative que la Délégation a fait réaliser par l'IFO 12 ( * ) de Munich, relative à la représentativité des syndicats en France et en Allemagne. En outre, les entreprises allemandes n'externalisent pas les conflits comme le fait la France avec les prud'hommes. Une telle procédure n'a pas lieu, les syndicats étant impliqués pour les licenciements individuels. Il a enfin ajouté qu'il ne fallait pas oublier le risque de pauvreté pour les personnes au chômage, de 36 % en France contre 69 % en Allemagne . On observe donc que les réformes ont permis de faire considérablement chuter le taux de chômage, mais que la précarisation est un risque majeur.
* 7 Nom de l'ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen, qui inspira et conduisit ces réformes à la tête de la commission pour la modernisation du marché du travail, installée par le Chancelier allemand en mars 2002.
* 8 Dont la lettre n° 110 de mars 2013.
* 9 Kettnet A. et Rebien S., (2007) « Hartz IV Reform : Impulse für den Arbeitmarkt ».
* 10 http://ftp.iza.org/dp4090.pdf
* 11 Note de conjoncture, décembre 2015.
* 12 Ifo Institute - Leibniz Institute for Economic Research at the University of Munich.