INTRODUCTION
Depuis sa création en décembre 2014, la Délégation sénatoriale aux entreprises a effectué de nombreux déplacements dans toute la métropole et au Royaume-Uni. Elle a ainsi rencontré plusieurs centaines d'entreprises et mesuré la richesse entrepreneuriale de la France, faite de talents, de créativité, de savoir-faire, de compétences et de réalisations dont chefs d'entreprises et salariés peuvent être très fiers.
Ces rencontres ont bien évidemment été l'occasion d'entendre le témoignage des entrepreneurs sur ce qui constitue les principaux freins au développement des entreprises en France. Si les réactions ainsi recueillies concernent bien évidemment de nombreux aspects de l'environnement juridique des entreprises, une part très importante est directement liée au droit du travail. C'est la raison pour laquelle il est apparu pertinent de relayer les attentes des entreprises alors que le Sénat va examiner dans quelques jours le projet de loi « instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s » , dit « projet de loi Travail ».
Ce projet de réforme du droit du travail français s'inscrit dans un mouvement général européen observé depuis maintenant une dizaine d'années, et plus particulièrement depuis la crise financière de 2008. En effet, comme le rappelle le rapport 1 ( * ) du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), on note en Europe une tendance générale à l'assouplissement du droit concernant les contrats de travail, particulièrement marquée pour les emplois permanents, ainsi qu'une décentralisation de la négociation collective et un assouplissement des mécanismes de flexibilité' interne.
Ce texte a également été présenté alors que de nombreux rapports se sont succédés pour proposer des pistes de réforme permettant de moderniser le droit du travail, qu'il s'agisse de la réforme du dialogue social 2 ( * ) ou de la refonte du code du travail 3 ( * ) . La version qui va être prochainement examinée par le Sénat s'inspire de ces propositions mais elle est d'ores et déjà le fruit de plusieurs compromis. En effet, alors que la première version ayant circulé officieusement semblait constituer une avancée très intéressante pour nombre d'experts et pour la majorité des chefs d'entreprises, celle présentée en Conseil des ministres est apparue très différente, particulièrement en retrait sur certains sujets tels que le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La version adoptée à l'Assemblée nationale en application de l'article 49-3 de la Constitution a encore été modifiée, laissant apparaître une étape supplémentaire dans le souhait du Gouvernement de satisfaire les voix les plus critiques.
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Les avis entendus depuis dix-huit mois par la Délégation aux entreprises du Sénat concernent majoritairement des TPE 4 ( * ) , PME 5 ( * ) ou ETI 6 ( * ) . Il est essentiel de rappeler leurs poids dans l'économie, comme le fait l'étude d'impact annexée au projet de loi « Travail ». En effet, on dénombre :
-1 708 400 entreprises de 1 à 19 salariés, soit 95 % des entreprises employant 31 % des salariés (5 290 000),
- 89 500 entreprises de 20 à 249 salariés soit 5 % des entreprises employant 32 % des salariés.
Aussi est-il crucial de connaître les obstacles au développement de ces entreprises pour savoir ce qui les empêche de croître.
Pour compléter les informations collectées au cours de ses visites de terrain, la Délégation aux entreprises a décidé d'innover de deux façons. Tout d'abord, elle a confié une étude comparative à l'IFO, institut munichois de recherches économiques, sur les pouvoirs et la représentativité des représentants des salariés dans l'entreprise en France et en Allemagne. Les conclusions de cette étude, annexée au présent rapport, sont très intéressantes et montrent que le système allemand permet de garantir une paix sociale et une grande réactivité des entreprises. Ensuite, elle a opté pour une méthode participative en interrogeant son réseau d'entreprises rencontrées au cours de ses déplacements, via un questionnaire mis en ligne du 15 avril au 11 mai 2016. Les questions ont aussi bien porté sur les dispositions du projet de loi que sur le droit du travail en général. Et si certaines questions étaient directives, de nombreuses plages de réponse libres étaient proposées afin de permettre une expression spontanée des entreprises sur les sujets devant faire l'objet d'une réforme.
88 réponses complètes ont pu être exploitées, représentant les régions concernées par les déplacements de la Délégation :
Ces entreprises représentent de façon assez équilibrée les catégories d'entreprises faisant l'objet d'une attention toute particulière des membres de la Délégation :
Enfin, les entreprises ayant répondu représentent les secteurs suivants :
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L'approche de la Délégation, de par ses méthodes de travail, est donc très spécifique et vise à prendre en compte le plus directement possible les témoignages « du terrain ». Sur la base de ce travail continu depuis sa création, votre rapporteure a souhaité proposer des pistes de réforme, certaines étant déjà traitées dans le projet de loi « Travail », d'autres étant au contraire absentes des mesures proposées.
Le présent rapport propose dans un premier temps de passer en revue les réformes adoptées chez trois de nos voisins européens : l'Allemagne, l'Espagne et plus récemment l'Italie (I).
Il aborde ensuite la thématique de la sécurité juridique et économique des entreprises (II).
Enfin, il propose d'évoquer les attentes des entreprises qui souhaitent pouvoir s'adapter et se développer plus facilement (III).
* 1 « Les réformes des marchés du travail en Europe », 5 novembre 2015.
* 2 Jean-Denis Combrexelle, « La négociation collective, le travail et l'emploi », septembre 2015.
* 3 Conclusions de la mission de Robert Badinter sur les principes essentiels du droit du travail, janvier 2016.
* 4 Selon l'INSEE, les très petites entreprises (TPE) emploient moins de 10 salariés , n'appartiennent pas à un groupe (sauf s'il s'agit d'un groupe de type micro entreprise au sens de la loi de modernisation de l'économie de 2008), et ont un chiffre d'affaires ou un total de bilan inférieur à 2 millions d'euros.
* 5 Selon l'INSEE, la catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes , et qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros
* 6 Selon l'INSEE, une entreprise de taille intermédiaire (ETI) est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés , et soit un chiffre d'affaires n'excédant pas 1,5 milliard d'euros, soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. Une entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 43 millions d'euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI.