Rapport d'information n° 647 (2015-2016) de Mme Annick BILLON , fait au nom de la Délégation aux entreprises, déposé le 26 mai 2016

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N° 647

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux entreprises (1) relatif aux entreprises et à la réforme du droit du travail ,

Par Mme Annick BILLON,

Sénatrice.

La délégation sénatoriale aux entreprises est composée de : Mme Élisabeth Lamure, présidente ; MM. Martial Bourquin, Olivier Cadic, Philippe Dominati, Jérôme Durain, Alain Joyandet, Mmes Hermeline Malherbe, Sophie Primas, M. Dominique Watrin, v ice-présidents ; M. Gilbert Bouchet, Mme Nicole Bricq, M. Serge Dassault, Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Guillaume Arnell, Jacques Bigot, Mme Annick Billon, MM. Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, Michel Canevet, René Danesi, Francis Delattre, Mmes Jacky Deromedi, Frédérique Espagnac, MM. Michel Forissier, Alain Fouché, Jean-Marc Gabouty, Éric Jeansannetas, Antoine Karam, Guy-Dominique Kennel, Mmes Valérie Létard, Patricia Morhet-Richaud, MM. Claude Nougein, André Reichardt, Michel Vaspart, Jean-Pierre Vial.

LES PRINCIPALES PRÉCONISATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

1) Inciter le juge à moduler dans le temps les effets de ses décisions en droit du travail, en prenant en compte les conséquences économiques et financières sur les entreprises.

2) Instaurer un système de question préjudicielle renvoyant l'interprétation des accords collectifs aux partenaires sociaux de manière systématique, au cours d'un contentieux.

3) Consacrer le rescrit en droit du travail, pour les entreprises de moins de 300 salariés.

4) Réaffirmer dans le code du travail les missions d'information et de conseil qui doivent être une priorité pour les inspecteurs du travail.

5) Établir un barème et plafonner les indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

6) Envisager de réduire la dualité du marché du travail à travers trois pistes d'amélioration : l'allongement de la durée maximale du contrat à durée déterminée (CDD); l'instauration d'un contrat à durée indéterminée (CDI) à droits progressifs ; l'instauration d'un CDI prédéfinissant les motifs et les conditions de rupture.

7) Imposer des « efforts raisonnables » à l'employeur en matière de reclassement lors d'un licenciement pour motif économique.

8) Prendre en compte l'objectif de diminution de la charge administrative pesant sur les entreprises lors de la refonte du code du travail annoncée.

9) Augmenter les seuils sociaux.

10) Supprimer l'augmentation systématique des heures de délégation syndicale.

11) Obliger les accords de branches étendus à comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés.

12) Mettre en oeuvre les réformes soutenues par la Délégation aux entreprises en matière d'apprentissage.

INTRODUCTION

Depuis sa création en décembre 2014, la Délégation sénatoriale aux entreprises a effectué de nombreux déplacements dans toute la métropole et au Royaume-Uni. Elle a ainsi rencontré plusieurs centaines d'entreprises et mesuré la richesse entrepreneuriale de la France, faite de talents, de créativité, de savoir-faire, de compétences et de réalisations dont chefs d'entreprises et salariés peuvent être très fiers.

Ces rencontres ont bien évidemment été l'occasion d'entendre le témoignage des entrepreneurs sur ce qui constitue les principaux freins au développement des entreprises en France. Si les réactions ainsi recueillies concernent bien évidemment de nombreux aspects de l'environnement juridique des entreprises, une part très importante est directement liée au droit du travail. C'est la raison pour laquelle il est apparu pertinent de relayer les attentes des entreprises alors que le Sénat va examiner dans quelques jours le projet de loi « instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s » , dit « projet de loi Travail ».

Ce projet de réforme du droit du travail français s'inscrit dans un mouvement général européen observé depuis maintenant une dizaine d'années, et plus particulièrement depuis la crise financière de 2008. En effet, comme le rappelle le rapport 1 ( * ) du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), on note en Europe une tendance générale à l'assouplissement du droit concernant les contrats de travail, particulièrement marquée pour les emplois permanents, ainsi qu'une décentralisation de la négociation collective et un assouplissement des mécanismes de flexibilité' interne.

Ce texte a également été présenté alors que de nombreux rapports se sont succédés pour proposer des pistes de réforme permettant de moderniser le droit du travail, qu'il s'agisse de la réforme du dialogue social 2 ( * ) ou de la refonte du code du travail 3 ( * ) . La version qui va être prochainement examinée par le Sénat s'inspire de ces propositions mais elle est d'ores et déjà le fruit de plusieurs compromis. En effet, alors que la première version ayant circulé officieusement semblait constituer une avancée très intéressante pour nombre d'experts et pour la majorité des chefs d'entreprises, celle présentée en Conseil des ministres est apparue très différente, particulièrement en retrait sur certains sujets tels que le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La version adoptée à l'Assemblée nationale en application de l'article 49-3 de la Constitution a encore été modifiée, laissant apparaître une étape supplémentaire dans le souhait du Gouvernement de satisfaire les voix les plus critiques.

*

Les avis entendus depuis dix-huit mois par la Délégation aux entreprises du Sénat concernent majoritairement des TPE 4 ( * ) , PME 5 ( * ) ou ETI 6 ( * ) . Il est essentiel de rappeler leurs poids dans l'économie, comme le fait l'étude d'impact annexée au projet de loi « Travail ». En effet, on dénombre :

-1 708 400 entreprises de 1 à 19 salariés, soit 95 % des entreprises employant 31 % des salariés (5 290 000),

- 89 500 entreprises de 20 à 249 salariés soit 5 % des entreprises employant 32 % des salariés.

Aussi est-il crucial de connaître les obstacles au développement de ces entreprises pour savoir ce qui les empêche de croître.

Pour compléter les informations collectées au cours de ses visites de terrain, la Délégation aux entreprises a décidé d'innover de deux façons. Tout d'abord, elle a confié une étude comparative à l'IFO, institut munichois de recherches économiques, sur les pouvoirs et la représentativité des représentants des salariés dans l'entreprise en France et en Allemagne. Les conclusions de cette étude, annexée au présent rapport, sont très intéressantes et montrent que le système allemand permet de garantir une paix sociale et une grande réactivité des entreprises. Ensuite, elle a opté pour une méthode participative en interrogeant son réseau d'entreprises rencontrées au cours de ses déplacements, via un questionnaire mis en ligne du 15 avril au 11 mai 2016. Les questions ont aussi bien porté sur les dispositions du projet de loi que sur le droit du travail en général. Et si certaines questions étaient directives, de nombreuses plages de réponse libres étaient proposées afin de permettre une expression spontanée des entreprises sur les sujets devant faire l'objet d'une réforme.

88 réponses complètes ont pu être exploitées, représentant les régions concernées par les déplacements de la Délégation :

Ces entreprises représentent de façon assez équilibrée les catégories d'entreprises faisant l'objet d'une attention toute particulière des membres de la Délégation :

Enfin, les entreprises ayant répondu représentent les secteurs suivants :

*

L'approche de la Délégation, de par ses méthodes de travail, est donc très spécifique et vise à prendre en compte le plus directement possible les témoignages « du terrain ». Sur la base de ce travail continu depuis sa création, votre rapporteure a souhaité proposer des pistes de réforme, certaines étant déjà traitées dans le projet de loi « Travail », d'autres étant au contraire absentes des mesures proposées.

Le présent rapport propose dans un premier temps de passer en revue les réformes adoptées chez trois de nos voisins européens : l'Allemagne, l'Espagne et plus récemment l'Italie (I).

Il aborde ensuite la thématique de la sécurité juridique et économique des entreprises (II).

Enfin, il propose d'évoquer les attentes des entreprises qui souhaitent pouvoir s'adapter et se développer plus facilement (III).

CHAPITRE I - RÉFORMER LE DROIT DU TRAVAIL : L'EXEMPLE DE NOS VOISINS EUROPÉENS

Les débats sur le droit du travail en France interviennent alors que plusieurs voisins européens ont déjà mené des réformes de grande ampleur. Entre parangonnage et simple description factuelle, ces exemples peuvent tout simplement donner des idées sur ce qui pourrait être testé en France. Votre rapporteure a rencontré les conseillers sociaux ou économiques des ambassades d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie, afin de recueillir des informations sur le contenu et les évaluations de ces réformes. En outre, certains éléments de ces réformes ont été évoqués dans le questionnaire afin que les entreprises puissent exprimer leur intérêt ou leur réserve à l'égard des exemples européens.

A. L'ALLEMAGNE

1. Une série de lois pour lutter contre le chômage

L'Allemagne a mené ses réformes dites « Hartz 7 ( * ) » il y a déjà plus de 10 ans, entre 2003 et 2005. Depuis, l'économie allemande a créé 2,5 millions d'emplois, correspondant majoritairement à des emplois à temps partiel, à des contrats intérimaires ou à durée déterminée. Cette progression de l'emploi a conduit à une baisse de près de 7 points du taux de chômage (11,3 % en 2005 à 4,3 % en février 2016 selon les chiffres d'Eurostat). C'est ce que certains ont appelé « le miracle allemand ».

Comme le rappellent différentes lettres 8 ( * ) de la direction générale du Trésor, les réformes Hartz répondaient à une conjoncture économique morose, une croissance en berne, un taux de chômage élevé (supérieur à la moyenne de la zone euro) et une baisse de la population en âge de travailler (en recul depuis 2000). Elles ont été déclinées en quatre lois visant à :

- renforcer la recherche d'emploi et améliorer le profilage des demandeurs d'emploi ;

- inciter les chômeurs à accepter un emploi ;

- encourager l'activité professionnelle, notamment des femmes et des seniors.

Les quatre lois « Hartz »

Hartz I (janvier 2003) . Cette loi a facilité la formation et le reclassement des chômeurs, notamment par les biais d'agences d'intérim rattachées aux agences du service public de l'emploi. Elle a renforcé le régime des droits et devoirs des demandeurs d'emploi en faisant peser sur eux la charge de la preuve de l'inadéquation d'une offre en cas de refus d'un emploi. Elle a enfin étendu les possibilités de recours au travail temporaire en supprimant la durée maximale de mission qui était de 24 mois.

Hartz II (avril 2003). Cette loi a essentiellement créé une nouvelle aide facilitant la création d'entreprise par les chômeurs et a élargi la gamme des emplois dits « marginaux » (mini-jobs et midi-jobs).

Hartz III (janvier 2004). Ce texte a réformé le service public de l'emploi avec une réorganisation des agences et une plus grande autonomie locale pour augmenter le temps consacré à chaque chômeur par son conseiller. Il a par ailleurs fusionné les dispositifs d'emplois aidés et durci les conditions d'indemnisation des chômeurs.

Hartz IV (janvier 2005). Cette loi a rationalisé deux dispositifs proches : l'assistance chômage (allocation pour les chômeurs en fin de droits) et l'aide sociale (revenu minimum garanti pour lutter contre la pauvreté). Elle a supprimé le premier dispositif et renforcé le second, en le conditionnant à la signature d'un contrat d'insertion avec l'agence pour l'emploi ou le service communal. Enfin, elle a créé un nouveau dispositif d'insertion dans le secteur non marchand avec le « ein-euro-job », système de compensation d'au moins un euro de l'heure pour un travail d'utilité publique.

Ces lois ont été complétées par un raccourcissement de la période d'indemnisation du chômage en février 2006 (passage de 26 à 12 mois pour les moins de 55 ans et de 32 à 18 pour les 55 ans et plus), l'abandon progressif des options de départ anticipé à la retraite entre 2006 et 2010 (ce qui a augmenté la population active malgré une population en âge de travailler en diminution) et une baisse des charges sociales patronales en janvier 2007 (compensée par la hausse de 3 points de TVA).

2. Des résultats positifs mais une précarisation des chômeurs

Ces lois ont fluidifié le marché du travail avec une meilleure adéquation entre offre et demande de travail, notamment dans le secteur de l'industrie et chez les chômeurs de longue durée. Le triptyque (accompagnement - baisse des charges - réduction des revenus de remplacement) aurait favorisé le retour à l'emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail. Les économistes Kettner et Rebien 9 ( * ) constatent un accroissement des recherches d'emploi (candidatures spontanées notamment) et l'acceptation de davantage de concessions salariales lors des entretiens d'embauche.

Le taux d'emploi a fortement augmenté avec la croissance du nombre d'emplois à temps partiel , en intérim, en CDD, en mini ou midi-jobs, passant de 64,9 % à 72,4 % entre 2004 et 2012. L'emploi intérimaire a été multiplié par 2,7 entre 2003 et 2011. Le chômage structurel aurait été diminué de 0,5 point grâce à la loi Hartz IV selon l'OCDE et de 1,4 point selon les économistes Krebs et Scheffel. Mais les différentes analyses ne permettent de mesurer ni la qualité des emplois ni leur pérennité.

Les mini-jobs, qui préexistaient aux lois Hartz, sont soumis à des cotisations sociales salariales nulles ou réduites ; une personne en mini-job n'a pas le droit au chômage ni à l'assurance maladie et a des droits optionnels à la retraite. Les effectifs en mini-jobs exercés en plus d'une activité rémunérée sont passés de 1,69 million de personnes en 2004 à 2,53 millions (soit une hausse de 840 000) en 2011. Ceux exercés en activité seule ont augmenté de seulement 81 000 dans la même période (atteignant tout de même 4,9 millions dont 66 % de femmes).

Les midi-jobs sont quant à eux soumis à un barème progressif de cotisations sociales jusqu'au taux plein lorsque le salaire atteint 850 euros. Une personne en midi-jobs a globalement les mêmes droits qu'un salarié soumis pleinement à cotisations sociales. Les effectifs en midi-jobs ont crû de 1,19 million en 2007 à 1,37 million en 2011 (dont 74% de femmes).

Les emplois à un euro comptaient 200 000 personnes en 2005, 320 000 en 2009 et 188 000 en 2011, en fort recul.

Les subventions aux emplois dans le secteur marchand ont eu un effet important sur le retour à l'emploi au niveau individuel. Les bénéficiaires ont une probabilité de 70 % d'être encore à l'emploi 20 mois après l'entrée dans le dispositif. Mais, selon d'autres économistes (S. Bernhard, H. Gartner), un effet d'aubaine et des effets de substitution ont pu être ainsi suscités, les employeurs ayant profité du système pour employer une personne qu'ils auraient employée de toute manière.

D'après Martin Huber 10 ( * ) , l'orientation vers un opérateur privé de placement, les « formations courtes » (aide à la rédaction de CV, préparation d'entretien, création d'entreprise,...) et les emplois à un euro ont eu un effet décevant, dans le sens où les personnes orientées vers les différents programmes ne sont pas en général les ciblées, sur lesquelles son effet potentiel serait important.

Enfin il faut mentionner l'instauration d'un salaire minimum à 8,50 euros de l'heure en Allemagne au 1 er janvier 2015. D'après l'Insee 11 ( * ) , l'effet de cette réforme a été assez diffus, les hausses de salaires ayant été étalées dans le temps.

Le conseiller de l'ambassade d'Allemagne en France auditionné par votre rapporteure a noté que patronat et syndicats de salariés s'accordent autour des objectifs économiques de long terme, mais le dialogue social est très fortement marqué par le système de « co-gestion », détaillé en annexe dans l'étude comparative que la Délégation a fait réaliser par l'IFO 12 ( * ) de Munich, relative à la représentativité des syndicats en France et en Allemagne. En outre, les entreprises allemandes n'externalisent pas les conflits comme le fait la France avec les prud'hommes. Une telle procédure n'a pas lieu, les syndicats étant impliqués pour les licenciements individuels. Il a enfin ajouté qu'il ne fallait pas oublier le risque de pauvreté pour les personnes au chômage, de 36 % en France contre 69 % en Allemagne . On observe donc que les réformes ont permis de faire considérablement chuter le taux de chômage, mais que la précarisation est un risque majeur.

B. L'ESPAGNE

1. Une réforme globale pour lutter contre une situation particulièrement grave

Le chef du gouvernement espagnol a fait adopter en février 2012 un « décret-loi de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail » .

Cette réforme a été menée alors que l'Espagne venait de subir la destruction de 2,7 millions d'emplois en 4 ans. Le chômage y touchait 5,3 millions de personnes fin 2011, pour atteindre 26,3 % de sa population active courant 2012.

Le taux de chômage chez les jeunes atteignait 53 % et 1,6 million de foyers se retrouvaient sans aucune source de revenu. Depuis quelques années, cette situation incite d'ailleurs les jeunes diplômés espagnols à quitter leur pays pour trouver du travail. L'eurobaromètre de la Commission européenne montrait que 68 % des jeunes Espagnols étaient prêts à partir en 2012, année où l'émigration a augmenté de 30 % après le départ de plus de 300 000 diplômés universitaires en 10 ans. Depuis 2010, 11 000 scientifiques espagnols sont partis à l'étranger selon l'Institut national de la statistique.

Comme l'a rappelé le conseiller de l'ambassade d'Espagne en France auditionné par votre rapporteure, la réforme du marché du travail a eu pour objectifs de :

- accélérer la création d'emplois après relance de l'économie et faire en sorte d'enrichir le contenu en emplois de la croissance du PIB ;

- freiner la destruction de l'emploi dont souffrait l'Espagne depuis le début de la crise ;

- mettre en oeuvre des mécanismes de flexibilité interne dans les entreprises pour éviter que les entreprises en difficulté optent pour la destruction de l'emploi et, qu'en revanche, elles puissent disposer d'autres moyens pour le maintien de l'emploi ;

- moderniser et flexibiliser la négociation collective ;

- reconnaître un nouveau droit à la formation pour les travailleurs ;

- répondre dans une plus grande mesure aux besoins des personnes au chômage, plus spécialement des jeunes et des chômeurs de longue durée ;

- réduire la trop grande dualité du marché du travail en cherchant un meilleur équilibre entre emploi temporaire et permanent.

Il s'est agi de doter l'Espagne d'un mécanisme plus efficace de « flexisécurité » , cherchant un meilleur équilibre entre flexibilité interne et externe à l'entreprise. Les principales mesures mises en oeuvre par cette réforme ont été les suivantes :

- dynamisation de l'intermédiation du travail, en autorisant les entreprises de travail temporaire à être des agences privées de recrutement ;

- renforcement de la formation et de l'apprentissage, avec un nouveau contrat dédié pour les moins de 30 ans (contre 25 précédemment), et en garantissant le droit à la formation par un Compte Personnel de Formation (CPF). Ce dernier inclut le droit à vingt heures de formation annuelles payées par l'entreprise ;

- incitation à l'embauche à durée indéterminée en limitant l'enchainement des contrats à durée déterminée et en modifiant le contrat à temps partiel. En outre les PME de moins de 50 salariés ont bénéficié d'un nouveau CDI prévoyant une période d'essai d'un an. Quant aux entreprises embauchant en CDI des jeunes âgés de 16 à 30 ans, elles ont droit à une déduction fiscale de 3 000 euros et à une déduction de 50 % des cotisations chômage pendant un an avec la possibilité, pour le salarié, de percevoir 25 % des cotisations en plus de son salaire.

La réforme a permis d'abaisser le coût des licenciements, notamment en cas de rupture d'un CDI sans cause réelle et sérieuse, en diminuant le plafond des indemnités de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, avec un maximum de 24 mensualités au lieu de 42 précédemment ;

- flexibilisation des conditions de travail en facilitant l'adaptation des entreprises à la crise par des ajustements de fonctions, d'horaires et de salaires, afin d'éviter les licenciements. Cela nécessite pour l'employeur de démontrer un « motif de compétitivité » (sans recours à un accord collectif), c'est-à-dire des motifs « économiques, techniques, organisationnels ou de production justifiés ». Le salarié doit être informé au moins 15 jours avant le changement, et en cas de refus des nouvelles conditions, il est licencié et perçoit une indemnité de 20 jours par année travaillée, plafonnée à neuf mois d'indemnités 13 ( * ) .

- incitation à considérer le licenciement comme le dernier recours des entreprises, en donnant priorité à l'application des conventions d'entreprises face à celles des branches et en clarifiant les causes de fin de contrat de la part de l'entreprise.

Il a été indiqué à votre rapporteure que la réforme du marché du travail n'a pas reçu l'appui des principales organisations syndicales. Cependant, il faut souligner l'attitude de dialogue des syndicats et des patrons qui, à partir de ce rejet et en dépit de celui-ci, ont été capables de signer d'importants accords avec le Gouvernement en faveur de l'emploi et des conditions de travail.

L'une des clefs de la réactivation de l'emploi obtenue en Espagne s'explique par la modération salariale de ces dernières années et l'impact qu'elle a pu avoir sur la compétitivité de l'économie espagnole . Cela a été rendu possible grâce au dialogue avec les syndicats qui ont signé au fur et à mesure les accords salariaux. L'Espagne espère aujourd'hui des bénéfices de compétitivité par le biais d'une plus grande productivité et non pas par des réductions salariales.

2. Des résultats encourageants

Selon les données les plus récentes de l'Enquête de la Population Active (quatrième trimestre 2015), le taux de chômage en Espagne se situait à 20,9 % de la population active. Durant les derniers 12 mois, ce taux a été réduit de 2,81 points.

Le nombre de personnes occupées au quatrième trimestre 2015 en Espagne était de 18 094 200 et le nombre de chômeurs de 4 779 500. En ce qui concerne le chômage des jeunes (moins de 25 ans), il était de 46,58 % à la même date contre 51,80 % enregistrés un an plus tôt.

Plusieurs études d'évaluation des effets de la réforme ont été réalisées depuis 2014 jusqu'à ce jour .

Celle de l'OCDE (novembre 2014) indiquait que le peu de temps écoulé depuis la réforme rendait son évaluation provisoire mais qu'elle avait déjà certains impacts évidents, parmi lesquels on pouvait souligner :


• une amélioration de la flexibilité interne des entreprises ;


• une réduction des coûts relatifs au licenciement des travailleurs en contrat à durée indéfinie ;


• une modération salariale significative ;


• une augmentation de l'embauche sous contrat à durée indéfinie.

L'étude de 2015 du Conseil d'Orientation pour l'emploi (COE) a porté sur les réformes du marché du travail dans dix pays européens. Dans la monographie sur l'Espagne, le rapport souligne les fragilités du marché du travail espagnol et la gravité de l'impact de la crise qui déboucha sur des licenciements massifs étant donné le peu de flexibilité interne des entreprises. Le rapport signale que la réforme a clairement incité les entreprises à utiliser des mécanismes de flexibilité interne autres que le licenciement, en tant que mécanismes d'ajustement, et que cela a eu des résultats positifs sur la création d'emploi et la réduction de la dualité du marché du travail.

La Commission Européenne (rapport sur l'Espagne Février 2016) a indiqué que les réformes structurelles réalisées par l'Espagne ont contribué à porter remède aux rigidités qui existaient dans les marchés du travail. Selon elle, la réactivation économique qui apparaît actuellement en Espagne est accompagnée d'une forte création d'emploi dans un contexte de modération salariale continue.

Cependant, le chômage continue à se situer à un niveau élevé, tout spécialement pour les jeunes. Le chômage de longue durée est également très élevé et peut devenir chronique, ce qui provoque une augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale.

Le rapport note qu'en dépit d'une baisse importante, le taux de chômage en Espagne continue à se situer parmi les plus élevés de l'UE, spécialement pour les jeunes.

La stratégie en faveur des jeunes

Une « Stratégie de l'Entreprenariat et de l'emploi pour les jeunes 2013-2014 » a été mise en oeuvre en complément des réformes menées. Il s'agit d'un ensemble de mesures destinées à apporter une réponse aux problèmes structurels du chômage des jeunes et aux problèmes conjecturaux dérivés de la crise économique. Plus d'un million de jeunes espagnols ont pu bénéficier de ces mesures. Parmi eux, 460 000 par des contrats pour la formation et l'apprentissage et 300 000 jeunes autonomes qui ont bénéficié du tarif forfaitaire de cotisation à la Sécurité Sociale de 50 euros.

En complément de ces mesures, il faut souligner la mise en oeuvre du « Système National de Garantie pour les Jeunes », destiné plus spécifiquement à aider les jeunes les plus défavorisés à s'intégrer sur le marché du travail. Il s'agit là d'une initiative qui se réalise à l'échelle nationale à partir d'une Recommandation du Conseil de l'Europe du 22 avril 2013 sur l'établissement de la « Garantie pour les jeunes » qui doit permettre aux jeunes de moins de 25 ans de recevoir une offre d'emploi, d'éducation continue, de formation en apprentissage ou en période de stages dans un délai maximum de 4 mois après leur entrée au chômage ou la fin de leur période d'éducation formelle.

En 2015, l'âge pour pouvoir bénéficier de ce système a été étendu de 25 à 29 ans, ce qui est en vigueur actuellement.

En application de cette recommandation, l'Espagne a envoyé à la Commission Européenne en décembre 2013 son « Plan national d'Implantation de la Garantie pour les Jeunes » où est établi le « Système National de Garantie pour les Jeunes », qui reçoit un appui financier de l'Union européenne pour la réalisation d'actions d'aide aux jeunes non occupés, ne suivant ni études ni formation (les nommés « Ninis » -Ni aux Etudes Ni au travail- ou en anglais « NEETS »- No employment, education or training).

À ce jour, en Espagne, il y a 215 289 jeunes qui bénéficient de ce Système National de Garantie pour les Jeunes, parmi lesquels 60 000 ont déjà un emploi.

Tout cet ensemble de mesures, de niveau national et de niveau communautaire (régional), a eu un impact positif dans l'évolution de l'emploi. C'est ainsi que lors des quatre dernières années, on a pu constater une évolution du marché du travail des jeunes qui reflète un net changement de tendance. Il y a, en Espagne, au mois de mars 2016, 328 600 jeunes (âgés de moins de 30 ans) de moins au chômage qu'en 2012 et, actuellement, dans la zone euro, 1 jeune sur 2 qui quitte le chômage est espagnol.

Source : ambassade d'Espagne en France

Par ailleurs, l'amélioration des conditions du marché du travail de 2013 à 2014 ne s'est pas traduite par une amélioration des indicateurs sociaux au cours de cette période. La crise a provoqué une forte augmentation de la population avec risque de pauvreté ou d'exclusion sociale. Ces indicateurs de pauvreté se sont détériorés en 2013 et 2014 en dépit de l'amélioration des conditions du marché du travail. L'augmentation du nombre des travailleurs à temps partiel et temporaires au cours des dernières années s'est soldée par un risque croissant de pauvreté .

Une donnée très importante du rapport de la Commission européenne signale qu'en absence de réformes, l'Espagne aurait perdu 400 000 postes de travail supplémentaires et l'emploi aurait commencé sa croissance de manière plus modérée et bien plus tardivement.

C. L'ITALIE

1. Un « Jobs Act » pour réduire la dualité du marché du travail

Deux séries de réformes ont été menées, en 2012 puis en 2014-2015. Les premières ont accompagné la réforme des retraites de 2011, tandis que le « Jobs Act » du gouvernement Renzi est présenté comme le volet d'un plan de réforme plus large comprenant une réforme constitutionnelle, une réforme du système éducatif, une réforme de l'administration publique et une réforme de la compétitivité.

Rappelons que le marché du travail italien est caractérisé par une forte dualité entre les contrats de travail standards (les CDI à temps plein concernant encore 65 % des salariés) et les autres formes d'emplois (CDD, emplois à temps partiel, etc.) représentant 70 % des flux d'embauches. À cette dualité, s'ajoute d'autres dualités, entre les employés avec et sans protection sociale, entre le Nord et le Sud, etc. Le chômage était proche de 13 % en 2014, se situant au-dessus de la moyenne de la zone euro, après un phénomène d'accélération depuis la crise de 2008 .

La réforme du « Jobs Act », entrée en vigueur en 2015, est basée sur la flexisécurité, la simplification des contrats de travail, la baisse des charges pour les entreprises d'une part, et une protection renforcée des chômeurs comme un élargissement de leur couverture sociale d'autre part. Le Job Acts a quatre objectifs majeurs :

- la réduction de la dualité du marché du travail ;

- l'augmentation des emplois en CDI ;

- la diminution du nombre de procédures judiciaires ;

- l'amélioration des services à l'emploi et des politiques actives.

Le décret Poletti est le premier acte de cette réforme, visant les contrats à durée déterminée et les contrats d'apprentissage. Il a ainsi permis :

- l'allongement de la durée maximale des CDD, en passant de 12 à 36 mois,

- la suppression de la période d'intervalle (2 mois minimum entre chaque contrat),

- l'augmentation des cotisations pour les CDD (+ 1,4 point),

- l'encadrement de la proportion du nombre de CDD par rapport au nombre total de contrats dans l'entreprise (20 % maximum). Il est néanmoins possible de déroger à ce taux par le biais des accords de branche.

À noter également qu'auparavant, le CDD devait être justifié « pour des raisons techniques, ou des raisons tenant à des impératifs de production, d'organisation ou de remplacement de salarié », y compris dans l'activité ordinaire de l'entreprise. Cette justification disparaît.

Le deuxième acte du Jobs Act a eu lieu avec l'adoption de la loi du 10 décembre 2014, et des huit décrets d'application. Ce paquet portait sur quatre points clés :

- la suppression de l'article 18 du Code du travail qui disposait qu'en cas de licenciement injustifié ou non-motivé, le salarié pouvait prétendre à une réintégration. Seuls les licenciements injustes (pour discrimination) donnent droit à cette réintégration aujourd'hui. L'obligation de réintégration est dorénavant remplacée par une indemnisation, plafonnée. Il faut bien noter le changement de philosophie qui sous-tend cette modification : l'Italie est ainsi passée d'une logique de réparation (la réintégration du salarié) à une logique d'indemnisation (plafonnée) .

Durant une procédure de licenciement, un système de conciliation est mis en place : l'employeur peut proposer une indemnisation exonérée d'impôt équivalant à un mois de salaire par année de service. Si le montant est moins élevé que dans le cas d'une indemnisation « classique » (deux mois de salaire par année de service, avec un minimum de 4 ans et un maximum de 24 ans), il permet une indemnisation plus rapide et nette d'impôt. L'acceptation de l'indemnité confirme la rupture du contrat de travail. Comme l'a signalé le conseiller de l'ambassade d'Italie en France, cette réforme a permis de diminuer le pouvoir arbitraire du juge et par conséquent l'insécurité juridique qui pesait sur les employeurs ;

- la création d'une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée « à protection croissante » , qui facilite le licenciement au cours des trois premières années -avec des conditions de rupture pré-établies- et la mise en place d'un barème d'indemnisation de licenciement en fonction de l'ancienneté des salariés ;

- la suppression des contrats de collaboration, « un statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination. Dans les faits, ce sont des travailleurs indépendants qui dépendent d'une seule entreprise cliente ». Ces contrats concernaient 200 000 personnes. ;

- la réforme de l'assurance chômage, avec une extension des systèmes d'indemnisation. La durée d'indemnisation est étendue à 24 mois, contre 12 mois auparavant pour les moins de 55 ans et 18 mois pour les plus de 55 ans. Le montant est proportionnel aux cotisations versées au cours des quatre années avant la période de chômage. Les allocations chômage ont augmenté en moyenne. La compensation octroyée pour les cas de « chômage technique » est élargie aux apprentis et aux entreprises entre 5 et 15 employés.

Une agence nationale pour l'emploi, mettant en place un guichet unique liant recherche d'emploi et proposition de formation, a également été mise en place . Cette agence est également chargée d'uniformiser la politique de l'offre d'emploi dans les différentes régions du pays.

Parallèlement au Jobs Act, le gouvernement italien a choisi de réduire le coût du travail . Le point majeur de la loi de finances est l'exonération totale des cotisations de sécurité sociale pour une durée de 3 ans sur les nouveaux CDI à protection croissante ou sur les CDD transformés en CDI. Le plafond de cette exonération est fixée à 8 060 euros par an pour les embauches ayant eu lieu en 2015 concernant des personnes sans emploi permanent dans les 6 mois précédant leur embauche. Pour les embauches de l'année 2016, l'exonération se fait à hauteur de 40 % pendant deux ans. La taxe professionnelle pour les contrats permanents a été supprimée.

En matière d'aide, différentes mesures ont été prises :

- une exonération fiscale des services d'assistance (éducation, aide sociale,...) convenus au niveau de l'entreprise ;

- une inclusion active : aide de 80 euros accordée à chaque personne dans les familles pauvres d'au moins 5 membres ayant des enfants de moins de 18 ans ;

- un bonus structurel de 80 euros par mois est accordé aux travailleurs permanents gagnant moins de 26 000 euros annuellement.

2. Une hausse des contrats à durée indéterminée à confirmer

Les effets du Jobs Act sont difficilement quantifiables de façon précise en raison de son caractère très récent. Le FMI 14 ( * ) estime que la réforme du marché du travail, prise isolément, aurait un impact positif mais mesuré sur la production : + 1,1 % de PIB à horizon de 5 ans, + 1,8 % à long terme.

Selon les informations transmises par l'ambassade à votre rapporteure, on note une forte augmentation des contrats à durée déterminée et une diminution des contrats temporaires :

Source : Ambassade d'Italie en France (chiffres 2015)

Dans la monographie consacrée à l'Italie issue du rapport sur les réformes des marchés du travail en Europe de novembre 2015, le COE confirme cette tendance qui doit être confirmée : la part des CDI dans les nouvelles embauches serait passée de 29,7 % en 2013 à 33,8 % en 2015. De même il souligne une augmentation de 34 % du taux de transformation des CDD en CDI entre 2014 et 2015 . Le rapport conclut que « la croissance de l'emploi apparaît donc tirée, depuis le début 2015, par la croissance de l'emploi permanent . »

Dans une étude d'octobre 2015 de la Banque d'Italie, les mesures du Jobs Act seraient à l'origine d'environ un quart de la progression de l'emploi dans le pays, le reste s'expliquant pour l'essentiel par l'évolution de l'activité économique. La Banque centrale estime également que les exonérations sociales expliqueraient les deux tiers de la croissance de l'emploi permanent, le tiers étant lié aux nouvelles règles de licenciement.

Enfin, pour l'Insee, le Jobs Act a permis de dynamiser l'emploi, avec une hausse de 0,8 % directement liée à l'incitation fiscale.

En revanche le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) reste encore parmi les plus élevés d'Europe , passant de 41,2 % début 2015 à 37,9 % en décembre de la même année.

***

Ces exemples européens montrent que de nouvelles pistes ont déjà été tracées hors de nos frontières pour mieux lutter contre le chômage. Les réformes adoptées convergent autour d'un objectif d'accroissement de la flexibilité du marché du travail, mais aussi de sécurisation juridique et économique des entreprises.

CHAPITRE II - AMELIORER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE : UNE ATTENTE FORTE DES ENTREPRISES

A. L'INCERTITUDE JURIDIQUE, CRAINTE RÉCURRENTE DES ENTREPRISES

1. L'interprétation du code du travail : limiter l'insécurité juridique découlant des décisions du juge

Nombreux sont les chefs d'entreprise ayant souligné le frein à l'embauche que représente le pouvoir du juge et le risque très élevé de contentieux. Ainsi une entreprise du BTP rencontrée en Saône-et-Loire a-t-elle indiqué que « les risques de contentieux et de condamnation sont tels qu'ils participent de la démotivation des employeurs et constituent souvent un réel frein à l'embauche ».

De nombreux experts auditionnés par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat, économistes ou juristes, ont soulevé la question de la place du juge qui, ces dernières années, semblerait avoir eu tendance à « prendre la place du législateur ». Pour caractériser le système français, certains ont précisé qu'« une situation où l'employeur agit sous le contrôle du juge n'est pas satisfaisante ».

a) Les effets de la jurisprudence

En matière de droit du travail, 95 % du contentieux est prud'homal (14 512 conseillers prud'homaux répartis dans les 210 conseils des prud'hommes, compétents pour les litiges individuels). Le tribunal d'instance est compétent pour les litiges relatifs à la désignation des délégués syndicaux, tandis que le tribunal de grande instance est compétent pour tous les litiges collectifs, ainsi que pour l'interprétation des conventions collectives ou en matière de grève.

Le délai de jugement moyen devant les prud'hommes est de 15 mois. Au-delà de 4 000 euros (c'est le cas pour 64 % des jugements rendus), il peut être fait appel devant une Cour d'appel (16 mois de délai en moyenne). Enfin, le pourvoi en cassation (16 mois de délai en moyenne) est possible : la chambre sociale de la Cour de Cassation n'a pas pour mission de rejuger l'affaire mais de contrôler que la décision rendue est bien conforme au droit. Contrairement à l'appel, le pourvoi en cassation n'a aucun effet suspensif. La décision attaquée doit donc être exécutée entre-temps.

La chambre sociale de la Cour de Cassation est compétente dans les domaines suivants :

Droit communautaire du travail

Droit de l'emploi et de la formation

Droits et obligations des parties au contrat de travail

Élections en matière sociale et professionnelle, internes à l'entreprise

Entreprises à statut

Interférence du droit commercial et du droit du travail

Licenciement disciplinaire

Relations collectives du travail

Représentation du personnel ; protection des représentants du personnel

Situation économique et droit de l'emploi (notamment licenciement économique)

Comptant 25 conseillers pleins et 17 référendaires, la chambre sociale est l'une des plus chargées de la Cour de Cassation (3 437 arrêts rendus en 2014).

Le projet de loi « travail » prochainement soumis au Sénat illustre bien l'impact de la jurisprudence de la Cour, puisque plusieurs articles viennent étoffer le code du travail -au lieu de l'alléger- pour tenir compte des décisions du juge venues interpréter la loi.

C'est par exemple le cas de l'article 30 qui reprend les éléments caractéristiques de difficultés économiques qui ont été énoncés par la jurisprudence. Comme le rappelle l'étude d'impact associée, de nombreuses décisions sont intervenues pour qualifier cette situation.

Les chefs d'entreprise dénoncent régulièrement le phénomène de l'insécurité juridique dont ils sont victimes : non seulement les lois changent le droit mais surtout l'interprétation du juge est une source supplémentaire d'insécurité car en interprétant le code du travail, la jurisprudence est créatrice de nouveaux droits qui s'appliquent de façon rétroactive (ce que ne reconnaît que très rarement la Cour). Au moment où le fait s'est déroulé, où l'acte a été pris, la règle jurisprudentielle était, par hypothèse, fixée dans un certain sens. Ce n'est cependant pas cette règle, en vigueur à l'origine du litige, qui lui sera appliquée, mais celle que le juge lui substituera au terme de celui-ci. Il est donc impossible au chef d'entreprise d'anticiper les nouvelles jurisprudences, ce qui fait peser sur lui un risque de condamnation en cas de contentieux, même dans l'hypothèse où il serait en mesure de connaître toutes les évolutions législatives ou réglementaires du droit du travail, ce qui nécessite une expertise très poussée et donc des services juridiques développés.

b) La modulation dans le temps : une pratique malheureusement inexistante en droit du travail

La question de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence a été abordée depuis longtemps, notamment par un groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis. Le rapport de ce dernier, remis en 2004 au Premier Président de la Cour de Cassation, indiquait déjà : « La modulation dans le temps des revirements, parce qu'elle pose en préalable l'effet novatoire de la décision, est une forme de reconnaissance du pouvoir créateur de la jurisprudence. L'institutionnalisation d'un droit transitoire des revirements de jurisprudence procède donc d'une modification du statut de la jurisprudence, puisqu'elle la reconnaît officiellement comme source de droit.

L'attitude de la Cour de cassation contribue à entretenir la fiction de l'absence de pouvoir créateur de droit de ses décisions toutes les fois, précisément, qu'il lui est demandé de faire prévaloir la sécurité juridique en limitant dans le temps ses décisions de revirements . »

Est-il normal que le chef d'entreprise prenne le risque d'être condamné en respectant une règle en vigueur, tout simplement parce que ultérieurement (c'est-à-dire postérieurement au fait reproché), la même règle de droit sera interprétée différemment par les juges ?

Compte tenu des enjeux financiers pour les plus petites entreprises, pourquoi le juge en droit du travail ne module-t-il pas plus systématiquement dans le temps les effets de ses décisions ?

L'instabilité juridique issue des décisions du juge est parfaitement illustrée par un exemple récent, lorsque la Cour de Cassation a annulé, en 2013, la convention SYNTEC 15 ( * ) instaurant le forfait-jours. Une fois annulée, la convention était réputée n'avoir jamais existé, et ainsi près de 544 000 cadres ont pu prétendre à une revalorisation de leur rémunération avec le paiement des heures supplémentaires. Le Président de la chambre sociale de la Cour de Cassation craint d'ailleurs que la réforme proposée par le Gouvernement n'occasionne une explosion du contentieux relatif aux conventions et accords collectifs, dont la rédaction est parfois ambiguë.

A la faveur d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par la société Natixis tenue de mettre en place rétroactivement un dispositif de participation des salariés, le Conseil constitutionnel semble avoir minimisé la portée de la rétroactivité indiquant que la règle visée n'avait jamais fait l'objet d'une interprétation, de sorte qu'elle ne constituait pas un revirement de jurisprudence. Mais les commentaires laissent penser qu'un contrôle de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle serait envisageable lorsqu'elle constitue un revirement par rapport à une jurisprudence antérieure et constante et qu'elle porte atteinte à des droits acquis.

La Cour de Cassation, dans certaines hypothèses exceptionnelles, a toutefois accepté de moduler dans le temps les effets de sa jurisprudence , en matière civile (pour préserver le droit à un procès équitable, 2009) ou en matière commerciale, financière et économique (13 novembre 2007 et 26 octobre 2010). L'Assemblée plénière, dans un arrêt du 21 décembre 2006, a reconnu qu'un revirement aurait eu pour effet de « priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ». Le communiqué accompagnant cette décision indiquait qu' « imposer aux justiciables l'application d'une règle qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique et à contredire illégitimement leurs prévisions ». Pourtant la chambre sociale ne semble pas appréhender la question des effets de ses décisions au regard de la sécurité juridique des entreprises .

Même le Conseil d'État a fait le choix de la sécurité juridique, notamment dans une décision « A.C. ! » rendue le 11 mai 2004 concernant l'annulation des accords conclus en matière d'assurance chômage : il a considéré qu'il était possible d'admettre qu'une décision ne produise pas d'effet rétroactif, afin de garantir la continuité du système de l'assurance chômage.

Votre Délégation estime absolument nécessaire que le juge soit davantage incité à s'interroger sur les effets de ses décisions en matière de droit du travail. Une disposition insérée dans le code du travail pourrait ainsi, sans porter atteinte à l'office du juge, l'encourager à envisager la modulation dans le temps, en prenant notamment en compte les conséquences économiques et financières sur les entreprises des effets de la rétroactivité (proposition n°1).

Elle juge également nécessaire de creuser la piste évoquée par le président de la chambre sociale de la Cour de Cassation en matière de contentieux des accords collectifs : un système de question préjudicielle renvoyant l'interprétation de l'accord ou de la convention systématiquement aux partenaires sociaux permettrait au juge de ne pas avoir à exécuter cette tâche à l'aveugle (proposition n° 2).

2. Penser une administration au service de l'économie, de l'emploi et des entreprises
a) Le rescrit : un outil à développer en droit du travail

L'accès au droit est une question fondamentale qui pèse sur le quotidien des plus petites entreprises. Elles n'ont pas les moyens humains d'assurer la veille juridique aujourd'hui indispensable pour suivre l'évolution toujours plus rapide de la législation et de la réglementation s'imposant à elles. Lors de la journée des entreprises organisée au Sénat le 31 mars 2016 par votre Délégation, un entrepreneur a évoqué cette question en précisant que 90 % des chefs d'entreprise étaient nécessairement « hors la loi » compte tenu de la complexité croissante du droit.

Conscient de ce handicap, le Gouvernement a présenté, dans le présent projet de loi, une disposition visant à garantir le droit à l'information des employeurs des TPE-PME. L'article 28 vise ainsi à inscrire dans le code du travail le droit, pour les employeurs des entreprises de moins de 300 salariés, d'obtenir une information précise, dans un délai raisonnable sur l'application du droit du travail. L'étude d'impact annexée au projet de loi indique que « salariés et employeurs peuvent se tourner vers l'administration pour obtenir des informations relatives à l'application du droit du travail, dans le cadre de services dédiés, dits de renseignements, présents dans chaque unité départementale des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) . » L'étude ajoute qu'en 2015, 877 294 demandes ont été traitées par ces services, représentant 1 497 542 objets de demande, dont les employeurs ne représentent que 6,6 % du volume total . Les demandeurs sont très majoritairement issus de TPE et PME (83,38% d'entre eux sont dans une entreprise de moins de 50 salariés). Ces demandes ont donné lieu à 1 230 927 réponses. Le dispositif retenu « crée des cellules dédiées aux entreprises de moins de 300 salariés, pour leur permettre d'obtenir une information personnalisée et délivrée dans des délais raisonnables ». La description des différents impacts attendus est laconique, mais on note avec intérêt la rubrique relative à l'emploi : « l'impact attendu devrait être positif sur l'emploi en raison de la plus grande sécurisation des employeurs des TPE-PME ». Le projet de loi initial fait donc directement le lien entre la sécurité juridique des employeurs -ici par le biais d'une meilleure information relative au code du travail et aux conventions et accords collectifs-, et l'amélioration de l'emploi.

Soucieux d'accroître l'efficacité de ce dispositif, les membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ont ajouté un paragraphe relatif à la portée des réponses rendues par l'administration, précisant que les questions peuvent porter sur des situations de fait, et que « si la demande est suffisamment précise et complète, le document formalisant la prise de position de l'administration peut être produit par l'entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi » . Avec ces précisions, les députés ont repris les critères relevant du registre du rescrit, sans aller jusqu'au bout de la logique .

Pourtant l'article 31 du projet de loi ratifie l'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur. L'article 5 de cette ordonnance concerne le droit du travail : il consacre le rescrit pour les accords ou plans d'actions relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que pour les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés .

Article 5 de l'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après l'article L. 2242-9, il est inséré un article L. 2242-9-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2242-9-1.-L'autorité administrative se prononce sur toute demande d'appréciation de la conformité d'un accord ou d'un plan d'action aux dispositions de l'article L. 2242-9 formulée par un employeur.

« Le silence gardé par l'autorité administrative, à l'issue d'un délai fixé par décret en Conseil d'État, vaut rejet de cette demande.

« La demande mentionnée au premier alinéa n'est pas recevable dès lors que les services chargés de l'application de la législation du travail ont engagé un contrôle sur le respect des dispositions de l'article L. 2242-9. Ces services informent l'employeur par tout moyen lorsque ce contrôle est engagé.

« Lorsque l'entreprise est couverte par un accord collectif en application de l'article L. 2242-8, la réponse établissant la conformité lie l'autorité administrative pour l'application de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 pendant la période comprise entre la date de réception de la réponse par l'employeur et le terme de la première année suivant la conclusion de l'accord ou, le cas échéant, le terme de la période résultant de l'accord mentionné à l'article L. 2242-20. Lorsque l'entreprise est couverte par un plan d'action en application des dispositions de l'article L. 2242-8, la réponse établissant la conformité lie l'autorité administrative pour l'application de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 pendant la période comprise entre la date de réception de la réponse par l'employeur et le terme de la première année suivant le dépôt du plan d'action ; »

2° Les dispositions du 1° sont applicables aux accords et plans d'action mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2242-9-1 déposés auprès de l'autorité administrative à compter de l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ;

3° Après l'article L. 5212-5, il est inséré un article L. 5212-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5212-5-1.-L'association mentionnée à l'article L. 5214-1 se prononce de manière explicite sur toute demande d'un employeur ayant pour objet de connaître l'application à sa situation de la législation relative :

« 1° A l'effectif d'assujettissement à l'obligation d'emploi calculé selon l'article L. 1111-2 ;

« 2° A la mise en oeuvre de l'obligation d'emploi prévue aux articles L. 5212-2 à L. 5212-5 ;

« 3° Aux modalités d'acquittement de l'obligation d'emploi prévues aux articles L. 5212-6, L. 5212-7, L. 5212-7-1 et L. 5212-9 à L. 5212-11 ;

« 4° Aux bénéficiaires de l'obligation d'emploi visés aux articles L. 5212-13 à L. 5212-15.

« La décision ne s'applique qu'à l'employeur demandeur et est opposable pour l'avenir à l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 tant que la situation de fait exposée dans la demande ou la législation au regard de laquelle sa situation a été appréciée n'ont pas été modifiées.

« Il ne peut être procédé à la mise en oeuvre de la pénalité prévue à l'article L. 5212-12, fondée sur une prise de position différente de celle donnée dans la réponse à compter de la date de notification de celle-ci.

« Lorsque l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 entend modifier pour l'avenir sa réponse, elle en informe l'employeur selon des conditions et des modalités fixées par décret en Conseil d'État.

« Un décret en Conseil d'État précise les modalités de contenu et de dépôt de la demande, ainsi que le délai dans lequel doit intervenir la décision explicite. »

Source : legifrance

Comme le rappelle le rapport intitulé « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets », issu de l'étude adoptée le 14 novembre par l'assemblée générale du Conseil d'État, il n'existe pas de définition juridique du rescrit. Une telle définition n'apparaît ni dans les textes normatifs, ni expressis verbis 16 ( * ) dans la jurisprudence. (...) Il est remarquable que le terme même de rescrit ne figure pas dans les textes instituant les dispositifs qui sont le plus communément considérés comme des rescrits (pour le rescrit fiscal, article L.80B du livre des procédures fiscales 17 ( * ) ; pour le rescrit social, article L.243-6-3 du code de la sécurité sociale) . Cette absence (...) est le symptôme d'une incertitude sur les contours mêmes de cette notion, qui est utilisée par commodité . »

Cette même incertitude préside à la lecture de l'article 28, puisque l'on retrouve les éléments du rescrit sans pour autant que la disposition aille jusqu'au bout de la logique. En effet on retrouve la nécessité du caractère précis et complet de la question, la notion de délai s'imposant à l'administration, la possibilité de porter sur une situation de fait, la notion de bonne foi de l'employeur, sans toutefois que soit mentionnée l'opposabilité de la réponse à l'administration (seule la question du contentieux est évoquée), ni la limite de l'évolution postérieure de la norme interprétée. Il s'agit donc d'une disposition qui mériterait d'être complétée afin de ne pas créer de nouveau mécanisme se rapprochant très fortement du rescrit sans être totalement identifiable, créant une nouvelle catégorie de réponse opposable, et donc une confusion supplémentaire sur la portée réelle de l'article 28.

Votre Délégation estime donc utile que le code du travail contienne une disposition explicite relative au rescrit pour les entreprises de moins de 300 salariés (proposition n°3) .

Le Conseil d'État, dans son étude précitée, soutient d'ailleurs une extension sectorielle du rescrit, par opposition à l'institution de mécanismes transversaux de sécurité juridique, davantage pratiqués chez nos voisins européens. En effet, dans certains États membres comme l'Allemagne, est d'application générale le principe de confiance légitime qui « s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration a fait naître dans son chef des espérances fondées ». En France, ce principe n'est applicable que dans une situation régie par le droit de l'Union.

Un rescrit clairement identifié en droit du travail permettra aux plus petites entreprises non seulement de prouver leur bonne foi en cas de contentieux mais de prémunir les employeurs contre la sanction administrative d'un manquement à leurs obligations légales ou réglementaires . D'ailleurs, pour qu'une disposition législative instaurant un rescrit soit utilisée par les intéressés, le gouvernement devra veiller à ce que les demandes présentées ne suscitent pas de contrôle de la part des administrations concernées. Ce point est particulièrement important, comme le souligne le Conseil d'État, qui indique très clairement que de cette garantie dépend l'attractivité du rescrit. L'exemple du crédit impôt-recherche est spontanément cité, comme le souligne le Conseil d'État et comme peuvent le confirmer les sénateurs de votre Délégation à la suite de leurs déplacements à la rencontre des entreprises.

b) L'inspection du travail : de la sanction au conseil

Cette ambivalence sur le rôle de l'administration à l'égard des entreprises, entre sanction et conseil, est ressentie de manière particulièrement forte concernant l'inspection du travail.

L'article 28 du projet de loi apporte un éclairage intéressant. D'un côté, le Gouvernement met en évidence le rôle de conseil de l'inspection, qui est appelée à se développer 18 ( * ) . De l'autre, les témoignages des chefs d'entreprises sont unanimes : l'administration, et en particulier l'inspection du travail, favorise une logique de sanction, de recherche de la faute commise, et de suspicion systématique à l'égard de l'employeur. C'est ce qu'ont dit tous les entrepreneurs implantés à la fois en France et au Royaume-Uni, ceux auditionnés lors des travaux de la Délégation sur l'apprentissage, ou plus globalement les chefs d'entreprises rencontrés lors des déplacements en région. Une société de conseil ayant répondu au questionnaire de la Délégation évoque les difficultés rencontrées par le TPE et PME, « avec une administration tatillonne et non bienveillante, basée sur le contrôle et la suspicion plutôt que la coopération ».

Pourtant, d'après le rapport de la Direction générale du travail sur l'inspection du travail en 2013, sur 294 000 interventions, 2 % seulement donneraient lieu à des procès-verbaux et 72 % déboucheraient sur des lettres d'observations. On en déduit que, même dans ces lettres, l'administration aurait tendance à placer les employeurs concernés dans une position de faute. En tout état de cause, elles induisent une charge de travail administratif importante pour les intéressés devant apporter des éléments de réponse souvent extrêmement précis.

Devant de telles remontées du terrain, il apparaît urgent de promouvoir une administration réellement au service des entreprises, c'est-à-dire faisant une priorité de la mission de conseil. C'est pourquoi votre Délégation estime nécessaire de modifier le code du travail pour compléter la disposition relative aux prérogatives des inspecteurs du travail (article L. 8112-1). Il s'agirait d'y inscrire que ces inspecteurs « fournissent des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux salariés », ce qui est expressément prévu par l'article 3 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail relative aux inspections du travail . ( Proposition n°4)

B. L'INCERTITUDE ÉCONOMIQUE, UNE DIMENSION SOUS-ESTIMÉE DANS LE DROIT DU TRAVAIL

1. Les incertitudes économiques et les coûts cachés du licenciement
a) La dualité du marché du travail, conséquence des incertitudes économiques

Dans une tribune signée le 4 mars dans le journal Le Monde , de nombreux économistes ont soutenu la première version du projet de loi Travail : « Le chômage, désormais au plus haut niveau depuis l'après-guerre, ne frappe pas tout le monde de la même manière. Il se concentre sur les jeunes et les moins qualifiés. Un chômeur sur quatre a moins de 25 ans, un sur trois n'a aucun diplôme et 80 % n'ont pas dépassé le bac. Ces publics sont les grands perdants d'un marché du travail qui exclut les plus fragiles ou les relègue dans des emplois précaires, tant les entreprises craignent d'embaucher en CDI.

Ces inégalités sont insupportables. En réduisant l'incertitude qui entoure le CDI, le projet de loi El Khomri est de nature à changer la donne : c'est avant tout à ces publics défavorisés qu'elle va donner accès à un emploi durable.

Ayant adopté une loi similaire en 2012, l'Espagne a connu un surcroît de 300 000 embauches en CDI dès l'année suivante ».

Cette tribune fait écho aux propos du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, concluant la journée des entreprises organisée au Sénat le 31 mars 2016. Il estimait que le droit du travail protège les protégés et fragilise les plus fragiles. Cette approche est également partagée par de nombreux économistes, tels que Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo ou André Zylberberg, qui ont signé en février 2016 une tribune 19 ( * ) rappelant que « les accords signés par les partenaires sociaux depuis 2007 ont deux caractéristiques principales : l'immobilisme et la défense des « insiders », c'est-à-dire de ceux qui possèdent déjà un CDI . »

À trop vouloir protéger les bénéficiaires d'un CDI, on accroît la dualité du marché du travail. Pierre Cahuc et Yannick L'Horty, entendus par les rapporteurs de la commission des affaires sociales, ont expliqué, études microéconomiques à l'appui, que la protection sociale agit aujourd'hui comme un « bouclier qui préserve l'emploi existant au détriment de ceux qui arrivent sur le marché du travail ». 90 % des embauches se font en CDD, dont 70 % concernent un contrat de moins d'un mois. 60 % de ces CDD de moins d'un mois sont des retours dans la même entreprise. D'ailleurs la durée moyenne du CDD a chuté de 15 semaines en 1980 à environ 5 semaines aujourd'hui. Pourtant le coût d'un CDI est a priori moindre que celui d'un CDD ou d'un contrat de travail temporaire. Ce comportement s'explique par l'existence de « coûts cachés » particulièrement élevés, à l'embauche mais surtout au moment du licenciement. Pour relancer l'emploi, il faut donc réduire les coûts de transactions sur le marché du travail, et surtout ne pas surtaxer les CDD qui apparaissent comme des outils de flexibilité essentiels pour les petites et moyennes entreprises aujourd'hui contraintes de s'adapter aux baisses de leurs marchés.

Comme le rappellent Agnès Bénassy-Quéré et Hélène Paris 20 ( * ) , respectivement Présidente déléguée et secrétaire générale du Conseil d'analyse économique (CAE), « réduire le fossé entre CDD et CDI est un enjeu majeur pour la société française aujourd'hui coupée en deux, pour l'accès des jeunes au logement et de tous à la formation professionnelle. C'est aussi un enjeu économique. Empêcher une entreprise d'ajuster ses effectifs alors qu'elle est en difficulté récurrente de trésorerie ou connaît une baisse prolongée de son carnet de commandes, c'est au mieux la décourager à l'avenir d'embaucher en CDI, au pire l'acculer à la cessation d'activité. »

Il convient plutôt de s'attaquer aux causes structurelles de la dualité qui sont les coûts de la protection du CDI : ces coûts augmentent avec l'incertitude économique pesant sur les employeurs. Ainsi, ne connaissant pas à l'avance le coût d'un éventuel contentieux pesant sur chaque licenciement, l'employeur a tendance soit à freiner le recrutement, soit à négocier une rupture conventionnelle, souvent moins protectrice pour les salariés. Le risque prud'homal est réellement perçu comme un frein à l'embauche. Un entrepreneur de l'Hérault, entendu par votre Délégation lors d'un déplacement a même qualifié ce risque de « deuxième loterie nationale ». Cette appréciation fait évidemment écho aux incertitudes juridiques développées en première partie, dans la mesure où la jurisprudence ne permet pas d'exclure la requalification d'un licenciement malgré les précautions prises en amont pour respecter le code du travail.

La rigidité du droit du travail, conçue pour protéger le salarié, lui devient préjudiciable en ce qu'elle contrarie l'adaptation des entreprises aux évolutions de marché. Comme l'a résumé un entrepreneur vendéen rencontré par votre Délégation, « la France cherche à préserver des emplois au lieu de chercher à en créer ». Très inspirée, l'entreprise Amival, dans le Nord, a utilisé la sémantique de l'amour pour décrire le dilemme des entreprises entre CDD et CDI : « il est extrêmement délicat d'embaucher car dans un cas c'est du « court terme » et cela coûte en précarité. Dans l'autres cas, une fois passée la bague au doigt, la séparation est encore plus compliquée que celle d'un mariage d'amour. Augmentons la flexibilité et la demande sera plus forte, donc les salariés seront plus facilement recrutés ! »

Plusieurs pistes sont régulièrement évoquées pour réduire l'incertitude économique pesant sur les entreprises, dont le plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

b) Le plafonnement légal des indemnités: une tentative répétée qui doit aboutir

L'article 266 de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques prévoyait déjà un barème indicatif d'indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, établi selon deux critères : l'ancienneté dans l'entreprise et la taille de l'entreprise.

Effectif de l'entreprise

Moins de 20 salariés

Entre 20 et 299 salariés

À partir de 300 salariés

Ancienneté du salarié dans l'entreprise

Moins de 2 ans

Maximum : 3 mois

Maximum : 4 mois

Maximum : 4 mois

De 2 ans à moins de 10 ans

Minimum : 2 mois

Maximum : 6 mois

Minimum : 4 mois

Maximum : 10 mois

Minimum : 6 mois

Maximum : 12 mois

10 ans et plus

Minimum : 2 mois

Maximum : 12 mois

Minimum : 4 mois

Maximum : 20 mois

Minimum : 6 mois

Maximum : 27 mois

Par une décision en date du 5 août 2015 (n° 2015-715), le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition en jugeant que le critère de la taille de l'entreprise méconnaissait le principe d'égalité devant la loi : « Considérant toutefois, que, si le législateur pouvait, à ces fins, plafonner l'indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ; que, si le critère de l'ancienneté dans l'entreprise est ainsi en adéquation avec l'objet de la loi, tel n'est pas le cas du critère des effectifs de l'entreprise ; que, par suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe d'égalité devant la loi ».

La première version -officieuse- de l'avant-projet de loi actuellement examiné au Parlement contenait une disposition établissant un dispositif de barèmes indemnitaires que le juge ne pouvait pas dépasser :

- trois mois de salaire si l'ancienneté du salarié dans l'entreprise est inférieure à deux ans ;

- six mois si l'ancienneté est d'au moins deux ans et de moins de cinq ans ;

- neuf mois de salaire si l'ancienneté du salarié est d'au moins cinq ans et de moins de dix ans ;

- douze mois de salaire si l'ancienneté du salarié est d'au moins dix ans et de moins de vingt ans ;

- quinze mois de salaire pour au moins vingt ans d'ancienneté.

Cette disposition était saluée par tous les entrepreneurs, tant ceux rencontrés par la Délégation aux entreprises, que leurs représentants issus des organisations patronales. Beaucoup d'entrepreneurs ayant répondu au questionnaire en ligne ont d'ailleurs regretté les modifications apportées au projet de loi en mentionnant en premier lieu le retrait du plafonnement des indemnités.

Votre Délégation juge nécessaire de réintroduire le plafonnement et les barèmes d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (proposition n°5) .

2. Les propositions des entreprises pour réduire l'incertitude

L'incertitude pèse certes sur les entreprises mais également sur tous les actifs. Les règles de recours au contrat à durée déterminée illustrent cette contrainte pesant doublement sur l'emploi. En effet, la durée des CDD aujourd'hui paraît trop courte pour tenir compte des besoins des salariés comme des employeurs : les premiers ne peuvent être réembauchés par la même entreprise au-delà de la durée légale de 18 mois 21 ( * ) , ce qui dans de nombreux cas se traduit par une condamnation au chômage dans les zones géographiques particulièrement touchées; pour les seconds, cela se traduit par une recherche difficile de salariés qualifiés et compétents. Ainsi le droit du travail, au lieu d'apporter la flexibilité nécessaire pour compenser l'incertitude de l'évolution des marchés et des carnets de commandes, vient au contraire contraindre davantage tous les acteurs du marché du travail en ajoutant une incertitude dans la recherche d'un emploi pour les salariés, et dans la recherche de personnes compétentes pour les employeurs.

Lors du déplacement dans le Nord, les sénateurs de la Délégation aux entreprises ont rencontré plusieurs employeurs regrettant de ne pas pouvoir réembaucher des demandeurs d'emploi locaux ayant déjà travaillé dans leur entreprise, et connaissant parfaitement le métier. Le représentant d'Alstom a jugé que ce défaut de flexibilité et le recours à l'intérim qui en découle représentent une difficulté centrale pour l'industrie ferroviaire, la formation des nouveaux intérimaires ne permettant pas de conserver un niveau satisfaisant de savoir-faire. Chez Toyota, on regrette également de ne pas pouvoir réembaucher les personnes précédemment recrutées pendant 18 mois, et d'être contraint de chercher de nouveaux salariés à l'extérieur de Valenciennes où le taux de chômage est pourtant de 15 %. Car si 4 000 personnes sont en CDI, les équipes de nuit qui permettent d'ajuster le travail à la demande sont, elles, embauchées en CDD.

Plusieurs solutions alternatives ou complémentaires ont été évoquées par les entreprises :

- l'allongement de la durée du CDD (certains préconisent un doublement à 36 mois),

- l'instauration d'un CDI à « droits progressifs », facilitant le licenciement en début de période (pouvant aller jusqu'à 3 ans selon les propositions) puis offrant ensuite toutes les garanties d'un CDI classique. Cette réforme est considérée comme prioritaire pour 15 % des sondés ;

- un CDI prédéfinissant les conditions et causes de rupture (fin de projet, fin de fabrication d'un produit, etc.). 28 % des chefs d'entreprises interrogés par la Délégation ont ainsi identifié cette réforme comme prioritaire. Comme l'avaient expliqué les représentants de Croissance Plus à votre rapporteure, une telle mesure vise précisément à lutter contre la segmentation du marché du travail, aujourd'hui inhérente aux incertitudes économiques dont les entrepreneurs doivent tenir compte. Certains experts, tels que Maître Franck Morel, avocat associé du cabinet Barthélémy, spécialisé en droit social, proposent d'ailleurs que les clauses de rupture figurant dans le CDI soient homologuées par la Direccte afin de garantir que la procédure a été effectuée dans des conditions de forme équilibrées, sur le modèle de l'homologation requise pour toute rupture conventionnelle.

Votre Délégation souhaite que puissent être étudiées ces différentes pistes (proposition n° 6).

Le schéma suivant montre les priorités des entreprises sondées parmi une liste de propositions :

Dans le questionnaire, les entreprises étaient libres de proposer spontanément des sujets qu'elles estimaient essentiels et pas pris en compte dans le projet de loi. Voici le résultat de cette rubrique du sondage :

Ce graphique montre bien que, au-delà de l'amélioration de la sécurité juridique et économique, les entreprises attendent globalement que le droit du travail ne les freine pas dans leur développement et leur permette au contraire de saisir toutes les opportunités pour s'adapter, créer de la valeur ajoutée, et contribuer à la croissance.

CHAPITRE III - PERMETTRE AUX ENTREPRISES DE S'ADAPTER POUR SE DÉVELOPPER

Le premier facteur favorable à l'emploi est la croissance. La création de valeur et le développement des entreprises sont donc les objectifs à ne jamais perdre de vue pour lutter contre le chômage.

Afin de ne pas condamner les entreprises en période de crise, notamment les plus petites, le droit du travail doit les « accompagner » en prenant en compte les difficultés rencontrées. Il doit ensuite permettre leur développement et ne pas multiplier les contraintes qui pourraient freiner leur croissance.

Parce que les intérêts des petites entreprises sont souvent mal pris en compte dans les négociations de branches, le droit du travail doit favoriser le dialogue social en application du principe de subsidiarité.

Enfin il faut favoriser le rapprochement entre les besoins en main d'oeuvre des entreprises et les formations proposées. À ce titre, une réforme du cadre législatif de l'apprentissage permettrait de développer cette voie de réussite et de lutter plus efficacement contre le chômage des jeunes, tout en assurant la transmission des métiers et savoir-faire dans l'entreprise.

A. UN DROIT DU TRAVAIL QUI TIENT COMPTE DES DIFFICULTÉS ET N'ENTRAVE PAS LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES

1. La prise en compte des difficultés des entreprises
a) Une situation spécifique à chaque entreprise

Bon nombre d'entreprises ont le sentiment que le droit du travail, au lieu de les aider à traverser des périodes de crise, les acculent davantage.

Il est donc intéressant de noter que l'article 30 du projet de loi « travail » a pour objectif de mieux prendre en compte les difficultés économiques et opère une modification en profondeur de la définition du motif économique de licenciement. Cette dernière, détaillée à l'article L.1233-3 du code du travail, est essentiellement de nature jurisprudentielle, ainsi que le rappelle l'étude d'impact 22 ( * ) annexée au projet de loi, détaillant la longue liste de décisions de la chambre sociale de la Cour de Cassation. L'article 30 fixe une série de critères qui caractérisent les difficultés économiques, en détaillant précisément la méthode d'évaluation d'une baisse significative des commandes ou du chiffres d'affaires (un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ; deux trimestres consécutifs pour une entreprise de 11 à 50 salariés ; etc.). L'inscription dans la loi de deux motifs issus de la jurisprudence que sont la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et la cessation d'activité de l'entreprise, constitue une avancée indéniable dans la mesure où sont enfin prises en compte des réalités économiques jusque-là absentes de la loi.

Pourtant les témoignages recueillis par la Délégation indiquent que ces critères, s'ils peuvent sécuriser les entreprises dans certains cas et donc aller dans le bon sens, ne sont pas adaptés à la multiplicité des situations . Le chiffre d'affaires sera pertinent pour une entreprise, tandis que la perte du client principal pour l'avenir sera l'élément décisif pour une autre.

En outre, certains commentateurs ont indiqué qu'il eût été plus intéressant de retenir des critères de gestion tels que la marge brute, indicateur essentiel du compte de résultat, qui renseigne sur les gains réalisés par son entreprise sur une période donnée. Elle mesure la différence entre le prix de vente et le coût de revient d'un produit ou d'un service.

Il apparaît donc difficile de vouloir délimiter précisément par des critères universels et intangibles les multiples formes de difficultés que peuvent connaître les entreprises. Votre rapporteure a noté avec beaucoup d'intérêt l'idée évoquée, lors de l'audition au Sénat de la ministre du travail, par votre collègue M. Jean-Marc Gabouty, l'un des rapporteurs du projet de loi « travail » pour la Commission des affaires sociales», consistant à renvoyer à une expertise économique indépendante (comme la Banque de France) l'appréciation d'une situation particulière en cas de contentieux sur ce sujet .

b) Une charge parfois trop lourde pour l'employeur

Alors qu'il doit affronter une situation délicate économiquement et humainement pour son entreprise, l'employeur à la tête d'une entreprise en difficulté doit parallèlement remplir des obligations parfois très lourdes.

L'un des sujets évoqués est l'obligation de reclassement précisée à l'article L.1233-4 du code du travail, selon lequel « le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés(...) ».

Certains économistes ont rappelé cette disposition en précisant qu'avec l'interprétation du juge, il est possible de penser que cette obligation n'est satisfaite que lorsque l'entreprise se voit acculée à mettre « la clé sous la porte ». La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation a souvent précisé la portée de cette disposition en donnant à chaque fois un peu plus de consistance à la lourdeur de la tâche de l'employeur qui : doit solliciter les autres sociétés d'un groupe sans que celles-ci soient tenues de répondre ; ne doit pas limiter ses recherches de reclassement aux seuls souhaits exprimés par le salarié ; ne doit pas limiter son effort à l'accès à une base de données des postes à pourvoir, à la consultation d'un affichage, à l'invitation à joindre la maison mère ni à l'existence d'un plan social prévoyant les modalités de reclassement, lequel ne dispense pas d'offres individuelles personnalisées.

Votre Délégation estime qu'il serait plus juste et équilibré de viser une obligation d'« efforts raisonnables » dans l'article L.1233-4 du code du travail, ce qui permettrait de mieux prendre en compte la situation des entreprises et les difficultés auxquelles elles doivent faire face tout en protégeant les droits des salariés (proposition n° 7).

2. Les freins à la croissance des petites entreprises
a) Les charges de gestion

La quasi-totalité des entreprises rencontrées par la Délégation a souligné la charge croissante de gestion découlant des obligations légales et réglementaires. Elle résulte à la fois de la multiplication mais aussi de la complexification des normes créées en droit du travail.

Un chef d'entreprise du Bas-Rhin a ainsi déclaré qu'il avait besoin de trois fois plus de personnel dans son équipe dédiée aux ressources humaines en France qu'en Allemagne. Un autre entrepreneur de Saône et Loire a pointé du doigt les charges administratives : « celles-ci sont telles, d'un point de vue financier mais aussi en termes de complexité, que certains chefs d'entreprises en conçoivent une véritable démotivation pour entreprendre... »

Parmi les sujets particulièrement récurrents figure le « C3P » ou compte personnel de prévention de la pénibilité. Défini aux articles L.4162-1 et suivants du code du travail, ce compte permet aux salariés d'acquérir des droits, qui demeurent acquis jusqu'à leur liquidation ou jusqu'à la retraite. Une entreprise du secteur du bâtiment décrit un « mécanisme complexe qui va à l'encontre des efforts engagés par la profession en matière de prévention et de revalorisation de l'image des métiers ». Une autre entreprise, implantée dans le Nord, note qu'« il n'est plus possible de faire travailler un salarié, car tout est devenu prétexte à la pénibilité ». De nombreuses entreprises de Saône et Loire jugent le C3P « inextricable », et évoquent « une hérésie impossible à mettre en place ». Un employeur explique que ses salariés vont devoir porter des capteurs en permanence pour savoir ce qu'ils respirent toute la journée ; la pression est d'autant plus forte que les normes françaises seraient cinq fois plus élevées que les normes européennes en vigueur.

La question du compte pénibilité est d'actualité puisque l'article 21 du projet de loi « Travail » définit le compte personnel d'activité (CPA) qui a été créé par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social. Il vise à assurer la continuité des droits des actifs appelés à changer régulièrement d'employeur comme de statut (salarié, auto-entrepreneur, etc.). Il regroupe le CPF (compte personnel de formation), le C3P et un nouveau compte dont beaucoup peinent à comprendre les contours et l'utilisation, le CEC (compte engagement citoyen). Ce nouveau dispositif effraie les entreprises qui craignent un nouvel accroissement de la charge de gestion.

Le rapport 23 ( * ) de France Stratégie s'interroge sur le CPA en évoquant la question du délitement de la relation employeur-salarié :

« Les employeurs redoutent principalement un accroissement des charges de gestion liées au CPA, notamment pour les services de ressources humaines s'ils devaient assurer l'alimentation et la mise à jour de certains droits sur ce compte personnel. Un autre risque mis en avant par les employeurs, déjà présent dans le CPF mais renforcé par le CPA, est de se voir « dépossédés » de certains aspects centraux de la relation de travail tels que la formation de leurs salariés .

Si le CPA est mobilisé pour une meilleure conciliation des temps entre travail et activités non marchandes (engagement civique, humanitaire, associatif, congé familial, sabbatique, parrainage, etc.), le risque de mise à distance du travail est également avancé par les employeurs. Pour le limiter, seuls les droits existants non financés par mutualisation (CET, épargne salariale, congés, etc.) pourraient être mobilisables pour ces congés et des règles de mobilisation devraient être élaborées de manière à ce que l'accumulation de droits dans le CPA ne soit pas un obstacle à l'embauche ».

Pour alléger le coût du dispositif relatif à la pénibilité et sécuriser juridiquement les entreprises, certains préconisent un système individualisé basé sur une approche médicale du salarié. Pourtant c'est un autre domaine sur lequel le projet de loi laisse planer une nouvelle incertitude avec la réforme de la médecine du travail. En effet, l'article 44 supprime la visite médicale d'aptitude à l'embauche et lui substitue un suivi personnalisé post-recrutement. Cette réforme répond à une situation de pénurie de médecins du travail mais fait peser une nouvelle responsabilité sur l'employeur. Cette responsabilité est par ailleurs renforcée avec l'extension de l'obligation de reclassement aux salariés déclarés inaptes à la suite d'un accident ou d'une maladie non professionnels.

Plusieurs témoignages recueillis évoquent cette multiplication des obligations, qui ne semblent pas près de se stabiliser avec la perspective de la mise en oeuvre de l'impôt à la source.

Votre Délégation juge prioritaire la diminution de la charge administrative des employeurs, et souhaite que la refonte annoncée du code du travail prenne en compte ce critère afin de ne pas décourager l'entreprenariat en France (proposition n° 8).

b) Les effets de seuil

La Délégation sénatoriale aux entreprises a déjà abordé la question des effets de seuil en 2015. Elle avait contribué au débat sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi en évoquant la possibilité de doubler le seuil social de 50 salariés . Cette proposition faisait écho à une étude de l'IFO de mai 2015 sur les seuils sociaux, qui concluait que :

« Dans notre analyse empirique des Petites et Moyennes Entreprises du secteur de la manufacture, nous trouvons des preuves d'effets de distorsion sur la taille des entreprises seulement en France. Les entreprises françaises sont de plus en plus concentrées en-dessous des seuils sociaux correspondant aux 10, 20, et 50 employés. En particulier, notre évaluation des effets au seuil de 50 employés est une réduction d'environ 15 points de pourcentage de la probabilité de recruter de nouveaux employés. En outre, les entreprises qui ne croissent pas en taille augmentent leur investissement en capital comme facteur de production. Ceci indique une substitution de la main d'oeuvre par le capital de manière à éviter les coûts marginaux croissants de la main d'oeuvre. Ainsi, nous estimons que le seuil de 50 employés génère des distorsions significatives et freine la croissance de l'emploi dans les entreprises affectées . »

Évidemment la question des seuils sociaux mérite d'être abordée avec prudence dans la mesure où les règles du dialogue social sont par ailleurs réformées et que la commission des affaires sociales du Sénat n'a pas encore modifié le texte du projet de loi « Travail ».

Il est toutefois important de ne pas oublier la spécificité française des entreprises qui consiste à ne pas se développer sur notre territoire mais à se multiplier ou à se délocaliser pour éviter le poids financier et la charge de gestion directement lié au dépassement des seuils sociaux . C'est le cas d'une entreprise de l'Hérault, qui après avoir réalisé des simulations, a jugé qu'il serait coûteux et donc désavantageux dans un contexte concurrentiel accru, de se développer davantage. L'entrepreneur a donc opté pour la création de nouvelles sociétés. Un entrepreneur rencontré lors du déplacement dans le Bas-Rhin a quant à lui expliqué aux sénateurs qu'il avait fait le choix de s'installer en Allemagne plutôt qu'en France après avoir fait une analyse financière comparée des deux législations ; le « coût d'opportunité » pour notre pays, sur ce simple exemple, s'est élevé à 50 emplois.

Les effets de seuil se multiplient dans le droit français . Bon nombre de mesures, visant à aider les petites entreprises, font naître un effet pervers qui freine leur développement . L'article 29 bis du projet de loi, introduit à l'initiative de l'Assemblée nationale, a ainsi instauré une mesure de déduction fiscale des provisions constituées pour faire face à d'éventuelles indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Compte tenu des risques assez forts pesant sur tous les employeurs, il est évident qu'une telle disposition pourrait constituer une nouvelle incitation à ne pas franchir le seuil des 50 salariés. On notera que le Gouvernement, par la procédure de l'article 49-3, a d'ailleurs réécrit cet article pour limiter cette possibilité aux seules entreprises de moins de dix salariés.

Enfin notons que 7 % des entreprises sondées ont spontanément demandé la suppression ou la progressivité des seuils sociaux.

Votre Délégation souhaite que la question des seuils ne soit pas oubliée et que l'opportunité d'une réforme des seuils sociaux puisse être appréciée au regard des nouvelles dispositions du code du travail qui seront prochainement adoptées ( proposition n°9 ).

B. UN DROIT DU TRAVAIL QUI FACILITE LE DIALOGUE SOCIAL, Y COMPRIS DANS LES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES

1. La réforme du dialogue social, expression d'un besoin des entreprises
a) L'accord d'entreprise, outil de la flexisécurité

Dans le rapport précité de Jean-Denis Combrexelle, on lit que « Le droit du travail est un droit du milieu de travail et donc, dans une économie moderne, un droit de la proximité . (...) Tant les entreprises que les salariés ont besoin d'une régulation « sur mesure » , eu égard à la diversité de plus en plus grande des milieux de travail en fonction de la nature de l'activité, de la taille et de l'organisation . Les salariés eux-mêmes et plus particulièrement encore les jeunes générations sont en demande d'individualisation de leurs conditions de travail, de leur temps de travail et d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Il y a donc un besoin de proximité, de réalité, de rapidité d'adaptation qui ne peut que relever d'une régulation au niveau de l'entreprise ».

La régulation « sur mesure » semble donc aujourd'hui nécessaire pour permettre l'adaptation des règles aux multiples situations rencontrées par les entreprises. Cette adaptabilité est particulièrement nécessaire lorsque ces dernières rencontrent des difficultés économiques. Une société peut être confrontée à des enjeux bien différents de ceux vécus par son groupe ou par sa branche. Aussi est-il essentiel de donner à chacune les outils pour s'adapter autant que possible à ses propres besoins.

Agnès Bénassy-Quéré et Hélène Paris estiment d'ailleurs que « ne pas reconnaître les difficultés économiques d'une filiale en France dès lors que le reste de la multinationale se porte bien à l'étranger, c'est encourager les délocalisations. Certains affirment que la différenciation des rémunérations et/ou du temps de travail entre les entreprises d'une même branche (...) entraînera des distorsions de concurrence. On peut soutenir exactement le contraire : la complexité du droit crée une distorsion de concurrence dont souffrent nos PME face aux grandes entreprises. Dans ces conditions, la différenciation des rémunérations est un moyen de compenser les écarts de productivité au sein d'une branche » .

L'analyse menée par l'IFO de Munich dans son étude comparative jointe à ce rapport confirme que la bonne santé économique de l'Allemagne tient beaucoup à cette souplesse à l'échelon de l'entreprise : le principe constitutionnel de libre détermination des salaires en Allemagne écarte toute intervention gouvernementale dans les négociations salariales. Alors qu'en France, le gouvernement étend couramment le champ d'application des accords de branche, de manière à ce qu'ils s'appliquent également aux entreprises qui n'ont pas participé aux négociations, cette pratique est beaucoup plus rare en Allemagne, si bien que la couverture des négociations collectives s'élève en France à 98 %, contre seulement 57 % en Allemagne, et même 23 % seulement dans les petites entreprises allemandes de moins de 50 salariés. Et les accords de branche sont généralement négociés en Allemagne au niveau régional plutôt que national : seuls le salaire minimal, le congé annuel minimum, les conditions de travail des intérimaires et des employés à temps partiel et la durée quotidienne de travail maximale sont régis par la loi fédérale. En outre, la durée de validité des accords collectifs n'y est pas fixée par la loi mais par les partenaires sociaux eux-mêmes.

L'IFO cite des recherches empiriques qui ont montré qu'au Portugal, l'extension automatique des accords collectifs avait un impact négatif sur l'emploi et sur les performances des entreprises. En effet, à travers l'extension des accords collectifs, les entreprises dominantes imposent des salaires et des conditions de travail aux autres, réduisant ainsi la concurrence et l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs, ce qui nuit à la compétitivité et à l'emploi. En raison du fort pouvoir de négociation qu'y ont les organisations syndicales, ces entreprises acceptent des salaires supérieurs au niveau d'équilibre du marché, au prix d'un taux de chômage plus élevé : ceci contribue à la dualité du marché de l'emploi, entre des insiders en CDI et des outsiders en CDD, souvent plus jeunes et moins bien payés.

En Allemagne, la flexibilité des accords collectifs et l'autonomie des institutions chargées de la négociation permettent l'ajustement des contrats en fonction des particularités régionales ou individuelles. Ainsi, les salaires sont souvent inférieurs en Allemagne de l'Est, ce qui compense en partie la faible productivité de cette région. Combinée aux réformes Hartz déjà évoquées plus haut, la décentralisation de la fixation des salaires intervenue en Allemagne dans les années 1990 a contribué à réduire la rigidité des salaires, favoriser la compétitivité et encourager l'emploi. Les coûts salariaux unitaires nominaux en France et en Allemagne ont évolué en conséquence de manière très différente : entre 1995 et 2014, ils ont augmenté de 15 % en Allemagne, contre 33 % en France.

Le projet de loi « Travail » change fondamentalement les règles du jeu français en matière de dialogue social, répondant ainsi à cette nécessité d'adaptation. L'article 2, tant décrié, donne la priorité et la primauté au niveau de l'entreprise, par l'application d'un principe de subsidiarité pour l'ensemble des dispositions relatives à la durée du travail, aux congés ainsi qu'au compte épargne-temps.

Une refonte de l'architecture du droit du travail est proposée dans le projet de loi « Travail » pour les mesures suivantes :

- travail effectif, astreinte et régimes des équivalences ;

- durée légale du travail et heures supplémentaires ;

- durées maximales de travail ;

- conventions de forfait ;

- répartition et aménagement des horaires et des règles relatives au travail de nuit ;

- temps partiel et travail intermittent ;

- repos quotidien et jours fériés ;

- congés payés.

Les règles fixant un cadre global constituent l'ordre public, le champ de la négociation collective permet ensuite une adaptation par voie conventionnelle, enfin les dispositions supplétives n'interviennent qu'à défaut d'accord collectif. Certaines contraintes viennent encadrer le champ de la négociation collective, comme par exemple le taux de majoration plancher de 10 % des heures supplémentaires.

Rappelons qu'en matière d'accords collectifs, l'article L. 2252-13 du code de travail prévoit qu'« une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord stipule expressément qu'on ne peut y déroger en tout ou partie . Lorsqu'une convention ou un accord de niveau supérieur à la convention ou à l'accord intervenu est conclu, les parties adaptent les stipulations de la convention ou accord antérieur moins favorables aux salariés si une stipulation de la convention ou de l'accord de niveau supérieur le prévoit expressément . »

Le projet de loi permet à l'entreprise de déroger aux accords de branche, sauf en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle (article L.2253-3 du code du travail).

L'accord collectif devient par ailleurs un outil offensif puisque l'article 11 du projet de loi permet aux entreprises d'ajuster leur organisation pour répondre à des objectifs de préservation ou de développement de l'emploi. Une fois conclu, cet accord s'impose aux contrats y compris en matière de rémunération et de durée du travail. En cas de refus de ces nouvelles conditions, le salarié peut être licencié dans les conditions prévues pour le licenciement individuel pour motif économique. Certains, comme Maître Franck Morel, s'interrogent sur la multiplicité des types d'accords collectifs en droit du travail (accords sur la réduction négociée du temps de travail dits « Aubry II », accords défensifs, accords offensifs...) et émettent, pour plus de simplicité, l'idée d'une refonte autour d'un seul type d'accord collectif, inspiré du modèle de la loi Aubry II mais non réservé à la seule réduction du temps de travail, et assorti d'une procédure de licenciement sui generis 24 ( * ) .

Toutes ces mesures offrent donc à l'entreprise des outils de flexisécurité qui devraient lui permettre, à tout le moins en théorie, de s'adapter au mieux à son environnement et aux défis du marché.

b) Le défi d'une nouvelle place pour les syndicats

Contrepartie de cette nouvelle place offerte à la négociation collective, l'article 10 généralise progressivement la règle de l'accord majoritaire. À défaut, est validé un accord signé par des organisations syndicales représentant au moins 30 % des suffrages exprimés puis soumis à leur demande à consultation des salariés.

Beaucoup de commentateurs craignent que les accords majoritaires soient très difficiles à mettre en oeuvre . Certains ont évoqué des taux inférieurs de représentativité, comme 40 % ou 30 % actuellement.

D'autres questions ont été soulevées sur la représentativité , car le renforcement du dialogue social invite à s'interroger sur le pouvoir de syndicats qui sont identifiés en fonction de résultats de suffrages exprimés lors des élections, et non en fonction d'une représentativité de l'ensemble des salariés. Un entrepreneur du Bas-Rhin a ainsi critiqué les syndicats « qui ne représentent que 8 % des salariés en France. Il faut laisser les salariés eux-mêmes créer des groupes qui les représentent auprès de la direction dès le premier tour aux élections ». Un autre a exprimé le souhait de « privilégier la consultation directe par referendum plutôt que la vision dogmatique des syndicats ».

Lors d'un déplacement dans le Nord, les sénateurs de la Délégation ont même entendu dire que les lois en matière de dialogue social ressemblaient à « des armes de destruction massive remises dans les mains de personnes qui n'ont pas toujours la compétence ou la volonté pour les utiliser de manière raisonnable pour l'entreprise ». Parmi les pistes évoquées spontanément par les entreprises interrogées par votre rapporteure, plusieurs idées sont apparues : l'obligation de se syndiquer pour tous les salariés (ce point a été évoqué par des entrepreneurs du Nord mais aussi par l'association ETHIC), ou encore la limitation des mandats dans le temps pour qu'un renouvellement des représentants s'opère, et que « la déconnexion avec la réalité du travail » ne soit pas une fatalité.

17 % des entreprises sondées ont spontanément écrit que le sujet oublié dans le projet de loi « Travail » était la réforme des syndicats salariés, qui leur apparaissent « trop nombreux », « avec un pouvoir exorbitant », « pas assez représentatifs ».

L'enjeu pour les syndicats est de taille, car si les nouvelles règles proposées dans le présent projet de loi sont adoptées, ils devront prouver qu'ils seront de taille pour accompagner les entreprises. De plus, la comparaison avec l'Allemagne réalisée par l'IFO, dans l'étude annexée à ce rapport, rend cinglante l'analyse de la situation française où, malgré une couverture des entreprises à 98 % par des accords collectifs, la France obtient le triste record européen du nombre de jours de travail perdus chaque année à la suite de grèves (139 jours par an pour 1 000 employés entre 2005 et 2013). L'IFO souligne que cela tient à une différence majeure entre l'Allemagne et la France : il n'existe en France aucune obligation de paix sociale visant à prévenir les grèves, même lorsqu'un accord a été signé. En Allemagne, à l'inverse, lors de la signature d'un accord collectif, celui-ci est juridiquement contraignant pendant toute sa durée et les grèves ne sont ainsi pratiquement pas autorisées, sur les sujets couverts par l'accord.

Enfin l'article 16 du projet de loi a fait réagir de nombreux chefs d'entreprise car il augmente de 20 % les heures de délégation, de façon systématique et donc sans lier cette augmentation à une négociation en cours. Pourtant, l'étude d'impact montre que la majorité des représentants utilise un nombre d'heure inférieur à leur décharge : dans 41 % des établissements, les représentants du personnel consacrent à leur mandat un temps inférieur à la décharge et dans 35 % des établissements, ce temps est égal à la décharge. Votre Délégation estime donc que cette augmentation systématique devrait être supprimée (proposition n° 10) .

2. La spécificité des petites et moyennes entreprises : une dimension négligée
a) La marge de manoeuvre des petites et moyennes entreprises

Dans l'étude comparative de l'IFO sur la représentativité des représentants des salariés en France et en Allemagne, il apparaît que l'extension des accords de branche, qui caractérise le système français, peut favoriser la cartellisation avec des dispositions arrêtées au niveau des branches par des partenaires sociaux ne défendant pas les intérêts de plus petites entreprises. Aussi, la possibilité offerte aux entreprises de déroger aux accords de branche semble-t-elle particulièrement importante pour que les plus petites structures ne subissent pas des mesures inadaptées.

Pourtant le bénéfice de la réforme du dialogue social ne semble pas évident pour les entrepreneurs interrogés au cours des déplacements ou à travers le questionnaire.

Tous rejettent la méthode du mandatement , aujourd'hui prévue en cas d'absence de délégués syndicaux. Le mandatement est précisé à l'article L.2232-21 du code du travail, qui dispose notamment qu'un accord peut être conclu par les délégués du personnel (ou les représentants élus au comité d'entreprise, etc.) si ces élus ont été expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise . En l'absence de mandatement ainsi défini, alors seulement, les représentants élus peuvent négocier et conclure des accords, mais ils doivent avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés et l'accord doit être approuvé par la commission paritaire de branche. Votre rapporteure estime qu'il faudrait envisager une simplification de ces règles .

b) Des règles qui mériteront certainement d'être mieux adaptées

Interrogées sur ces sujets, les entreprises consultées ont jugé comme prioritaires :

- la possibilité de négocier directement des accords avec des représentants du personnel pour les TPE et PME ne disposant pas de délégués syndicaux (14 %) ;

- la possibilité de valider un accord par referendum, dans la même situation (15 %).

Par ailleurs, l'article 29 du projet de loi laisse entrevoir une piste pour contourner temporairement les obstacles propres aux plus petites entreprises. En effet, il prévoit qu'un accord de branche étendu peut comporter, le cas échéant sous forme d'accord type indiquant les différents choix laissés à l'employeur, des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés.

L'employeur peut appliquer cet accord type au moyen d'un document unilatéral après en avoir informé les salariés.

Votre Délégation estime nécessaire que cette déclinaison des accords de branche devienne une obligation et non plus une possibilité, afin que les spécificités des petites et moyennes entreprises ne soient jamais oubliées (proposition n° 11).

C. APPRENTISSAGE : RAPPEL DES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

La délégation aux entreprises a confié en décembre 2015 un rapport à M. Michel Forissier pour traiter la question de l'apprentissage. Au terme de ses travaux, M. Forissier a déposé avec Mme Elisabeth Lamure, présidente de la Délégation, une proposition de loi 25 ( * ) visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite. Ce sujet est toujours d'actualité : l'article 32 du projet de loi « Travail » introduit plusieurs dispositions en matière d'apprentissage, mais ne propose pas de réforme de fond sur ce sujet pourtant crucial. En effet, la version initiale du texte ne prévoit qu'une modification de l'organisation de la collecte et de la répartition de la taxe d'apprentissage, ainsi qu'une extension de la liste des établissements habilités à recevoir des dépenses libératoires au titre de la fraction « hors quota ». Les enjeux en matière d'apprentissage sont trop importants pour que la réforme se limite à de telles modifications.

Votre Délégation souhaite que les préconisations de la proposition de loi sur l'apprentissage soient reprises (proposition n° 12).

En effet, le développement de l'apprentissage doit permettre de lutter contre le chômage des jeunes, de développer les compétences et de maintenir les métiers, au-delà de la simple obtention d'un diplôme. La mise en oeuvre d'un pacte national pour l'apprentissage, dont le suivi serait assuré par le Conseil National de l'Emploi, de la Formation et de l'Orientation Professionnelles (CNEFOP), a pour but de définir les objectifs et les engagements de chacun des acteurs volontaires au bénéfice de cette formation.

La transparence du financement est un élément primordial dans le développement de l'apprentissage, ce qui inviterait chaque Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP) à transmettre chaque année au CNEFOP un bilan des dépenses régionales attribuées à ce type de formation.

L'apprentissage souffre d'une image parfois négative au sein du corps enseignant, des familles ou des potentiels apprentis. Or, cette image erronée est le fruit d'une méconnaissance du monde de l'entreprise ou des débouchés obtenus à l'issue de cette formation. D'une part, la formation du corps enseignant au monde de l'entreprise doit être développée. D'autre part, la présentation de l'apprentissage par les différents acteurs concernés doit être renforcée dans le cadre de l'orientation des élèves, notamment au lycée.

Les entreprises, piliers de la formation en apprentissage, doivent être davantage impliquées à la réussite de celle-ci et ce, à tous les niveaux. La co-construction des diplômes où la partie générale relève de l'État et où la partie professionnelle relève des branches professionnelles paraît fondamentale pour la Délégation. La validation des diplômes doit associer les maîtres d'apprentissage aux différents jurys. La Délégation souhaite également que le président du Conseil d'administration des lycées professionnels ne soit pas le chef d'établissement mais une personne extérieure afin de donner une nouvelle impulsion en faveur de la dimension professionnelle. Les maîtres d'apprentissage doivent aussi recevoir une formation permettant un bon déroulement de la mission qui leur est donnée.

Mme Lamure et M. Forissier ont également proposé une évolution du statut de l'apprenti. Ainsi, la Délégation juge que le temps de travail de l'apprenti doit être aligné sur celui du maître d'apprentissage. L'exemple récurrent est celui de l'apprenti boulanger mineur qui ne peut travailler la nuit, même après déclaration auprès de l'inspection du travail. Dans le même temps, l'apprenti doit voir ses droits renforcés. L'accès au Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) des apprentis titulaires de la carte d'étudiant des métiers, quinze jours de congés annuels en cours d'année scolaire, la représentation des apprentis dans les CNEFOP et aux CREFOP, la signature d'un contrat d'apprentissage par des jeunes atteignant 15 ans au cours de l'année civile, la suppression de l'âge pour fixer la rémunération de l'apprenti, la médiation consulaire préalable à la rupture du contrat d'apprentissage ou la modulation de la durée du contrat d'apprentissage en fonction de la formation initiale de l'apprenti... sont autant de pistes soutenues par la Délégation, qui estime en outre que l'on pourrait utilement abroger les dispositions relatives au contrat de génération.

Votre rapporteure rappelle que le Bureau du Sénat, dans sa décision 26 ( * ) du 29 octobre 2015, a choisi d'accueillir des apprentis en son sein, montrant ainsi la diversité des profils et des débouchés offerts par cette voie de formation.

* *

*

La Délégation démontre, avec ce rapport, que les remontées de terrain qu'elle a collectées en allant à la rencontre des entreprises sont précieuses pour nourrir la réflexion alors que la réforme du droit du travail apparaît enfin comme une priorité en France, dans un contexte européen où bien des pays ont déjà mené des réformes d'envergure pour lutter contre le chômage.

L'architecture des réformes souhaitées par les entreprises rejoint parfaitement la logique de la flexisécurité : d'une part, la sécurité juridique et économique des entreprises d'une part, et, d'autre part, la flexibilité à travers des outils et des instances de dialogue leur permettant de s'adapter et de se développer, pour contribuer à la croissance du pays.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le jeudi 26 mai 2016, sous la présidence de Mme Elisabeth Lamure, présidente, la délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de Mme Annick Billon relatif aux entreprises et à la réforme du droit du travail.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Je laisse la parole à Mme Billon, que notre délégation a chargée d'un rapport d'information sur les entreprises et la réforme du droit du travail.

Mme Nicole Bricq . - Tout cela, c'est le travail de la commission compétente. La commission des affaires économiques n'a pas cru bon de se saisir pour avis, contrairement à celle de l'Assemblée nationale ; ce n'est pas à nous d'y suppléer. Les rapporteurs font leur travail à la commission des affaires sociales, procèdent à des auditions. J'en fais pour ma part au nom de mon groupe. Ne refaisons pas plusieurs fois la même chose.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Il ne s'agit pas de cela, mais d'apporter un éclairage complémentaire, en faisant connaître le regard des entreprises sur ce sujet...

Mme Nicole Bricq . - Ce n'est pas un problème politique : les trois rapporteurs sont tous du groupe majoritaire.

Mme Annick Billon , rapporteure . - Pour ce qui est de la méthodologie, les trois rapporteurs de la commission saisie du texte ont eu l'amabilité de m'accueillir à leurs auditions. Nous avons donc évité de faire deux fois le même travail. Par ailleurs, la Délégation a rencontré plusieurs centaines d'entreprises ; visiter des entreprises ne suffit pas, il nous revient d'éclairer nos collègues en présentant les choses sous un angle nouveau...

Mme Nicole Bricq . - Ce n'est pas nouveau ! J'ai déjà entendu tout cela, lorsque je ne l'ai pas lu dans le journal...

Mme Annick Billon , rapporteure . - Un angle différent, si vous préférez. M. Gabouty, à qui j'exposais notre rapport, m'a dit qu'en effet, il apportait un éclairage différent. J'ai entendu en audition des personnes qu'il n'avait pas reçues. Il ne s'agit pas ici de refaire le travail des trois rapporteurs. Il s'agit de s'inspirer de ce qu'on voit sur le terrain pour apporter des réponses concrètes ; rassurez-vous, nous ne proposerons pas un nombre infini d'amendements. Si c'était juste pour faire du tourisme, il n'était pas nécessaire de créer une délégation aux entreprises !

Mme Nicole Bricq . - Je n'appelle pas cela du tourisme !

Mme Annick Billon , rapporteure . - Cela y ressemble si ses déplacements ne débouchent sur rien !

M. Alain Joyandet . - Serons-nous destinataires de l'étude de l'IFO ?

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Bien sûr.

Mme Annick Billon , rapporteure . - Depuis la création de notre délégation, nous avons rencontré plus de 200 entrepreneurs qui n'ont eu de cesse de nous alerter sur des sujets récurrents. Il est de notre devoir de relayer les attentes légitimes des entreprises alors que le Sénat va examiner la semaine prochaine un projet de loi réformant le droit du travail pour, selon son titre, « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s ».

Ce projet de loi est examiné alors que beaucoup de nos voisins européens ont déjà réformé leur marché du travail, avec un certain succès. J'ai d'ailleurs auditionné les conseillers économiques ou sociaux des ambassades d'Allemagne, d'Espagne et d'Italie, afin d'en savoir plus sur le contenu et les effets de ces réformes.

L'Allemagne a mené il y a déjà plus de 10 ans, entre 2003 et 2005, ses réformes dites « Hartz », dans l'objectif de faciliter le reclassement des chômeurs, d'inciter à la création d'entreprises, de réformer le service public de l'emploi, et de diminuer et simplifier le traitement social des chômeurs dont le délai d'indemnisation est passé de 26 à 12 mois pour les moins de 55 ans. Comme l'a dit notre présidente, le dialogue social est très différent chez nos voisins allemands, bien des sujets sont abordés par la voie de la négociation et non par la loi, comme le temps de travail. Le taux de chômage y est passé de 11,3 % en 2005 à 4,3 % aujourd'hui, soit une diminution de 7 points selon les chiffres d'Eurostat. Le travail intérimaire a presque triplé, notamment via les contrats à salaires modérés, les mini-jobs , exonérés entièrement ou presque de charges sociales salariales et ne donnant droit ni au chômage ni à l'assurance maladie. Les lois Hartz ont également créé deux nouveaux types de contrats : les midi-jobs dont le salaire est plafonné à 850 euros et soumis à des taux de cotisations sociales progressifs, et les ein-euro jobs ou emplois à un euro, où le bénéficiaire continue de percevoir son allocation en plus d'une compensation d'au moins un euro de l'heure pour un travail d'utilité publique. Le chômage structurel a nettement diminué, mais parallèlement le taux de pauvreté a augmenté de 12,5 à 14,7 %.

Le chef du gouvernement espagnol a fait adopter en février 2012 un décret-loi de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail qui, selon l'OCDE , a permis une nette amélioration de la flexibilité. Pour la Commission européenne, cette réforme a permis de diminuer les rigidités du marché du travail qui caractérisait l'Espagne, mais n'a pas su endiguer la précarisation des plus fragiles qui préexistait.

Cette réforme a été adoptée alors que l'Espagne venait de subir la destruction de 2,7 millions d'emplois en 4 ans. Le chômage y touchait 5,3 millions de personnes fin 2011, pour atteindre 26,3 % de sa population active courant 2012. Le taux de chômage chez les jeunes était de 53 % et 1,6 million de foyers se retrouvaient sans aucune source de revenu. Aussi le gouvernement élu en 2011, a-t-il mis en oeuvre une réforme du marché du travail annoncée pendant la campagne électorale. Elle a facilité le travail temporaire, a donné la priorité à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, a incité à l'embauche en CDI , a permis l'adaptation des entreprises en leur permettant d'ajuster les salaires et les horaires de travail, et a élargi le champ du licenciement objectif pour motifs économiques, organisationnels, techniques ou de production. Enfin, les conditions d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été réduites de façon très importante : le plafond est passé de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, sur 24 mois maximum au lieu de 42. Toutes ces mesures ont permis la diminution de 5,3 points du taux de chômage en 4 ans, et de 6,5 points chez les jeunes.

Les réformes italiennes ont été mises en oeuvre plus récemment, en 2014, alors que le taux de chômage était de 13 % et que le marché du travail se caractérisait, comme en France, par une forte dualité avec une part très prépondérante et croissante des embauches en CDD. Une série de 8 décrets, appelée le Jobs Act , a permis d'orienter le modèle italien vers la flexisécurité : incitation à l'embauche en CDI pouvant aller jusqu'à 8 000 euros par contrat et par an, diminution des possibilités de contentieux pour éviter l'insécurité juridique liée aux licenciements, et surtout création d'un nouveau contrat à protection croissante qui facilite, au cours des trois premières années, le licenciement, pour lequel est établi un barème d'indemnisation en fonction de l'ancienneté. L'Italie est ainsi passée d'une logique de réparation avec réintégration possible du salarié à une logique d'indemnisation du licenciement avec des barèmes et plafonds fixés par la loi. D'autres réformes devraient suivre, notamment pour traiter le cas des travailleurs indépendants. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets des réformes italiennes, mais on observe pour la première année une baisse de 1,4 point du chômage, même si celui des jeunes se maintient à près de 40 %. Les premiers chiffres montrent une forte progression des embauches en CDI qui baissaient de 52 000 en 2014 et ont augmenté de 764 000 en 2015 et une chute des embauches en CDD avec 117 000 contrats en moins.

Ces trois exemples européens ont évidemment suscité des commentaires sur la portée de la réforme qui nous est aujourd'hui proposée en France. Et ils nous ont permis de tester certaines idées auprès du réseau des chefs d'entreprises que la délégation a rencontrés.

C'est la force de notre délégation de réagir sans être contrainte par les règles de procédures propres aux commissions permanentes. Aussi ai-je choisi de mettre l'accent sur quelques thématiques chères aux entreprises, en évitant une analyse article par article, qui relève de la compétence des commissions. Je vous présenterai des amendements potentiels que vous pourrez cosigner, sachant qu'il me paraît parfois plus cohérent de laisser d'abord nos collègues rapporteurs de la commission au fond travailler, pour ensuite prendre le temps de juger de l'opportunité d'autres amendements en séance publique.

Je remercie mes collègues rapporteurs de la commission des affaires sociales, MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, qui ont eu la gentillesse de me convier à leurs auditions sur le projet de loi El Khomri. Je précise également deux éléments : nous avons innové en optant pour une méthode de travail participative. Avec Élisabeth Lamure, nous avons interrogé notre réseau d'entrepreneurs sur le droit du travail en général et sur le projet de loi El Khomri en particulier. Les chefs d'entreprise ont répondu à un questionnaire mis en ligne du 15 avril au 11 mai dernier. Par cette méthode participative, nous avons recueilli l'avis de 88 entreprises que je détaillerai dans quelques instants. À la question « le projet de loi répond-il à vos attentes ? », la réponse a été négative à 40 % - 29 % de « plutôt non » et 11 % de « pas du tout » - contre 35 % de satisfaits, les autres participants n'ayant pas répondu.

Compte tenu de notre angle d'attaque, plusieurs pans du droit du travail traités dans le projet de loi El Khomri ne seront pas évoqués car ils n'ont pas constitué une demande particulière de la part des chefs d'entreprise. D'autres sujets, comme l'apprentissage, ne feront l'objet que d'un rappel des travaux antérieurs et des recommandations de notre délégation. Michel Forissier, co-auteur de la proposition de loi sur l'apprentissage élaborée au sein de notre délégation, saura mieux que quiconque en tenir compte.

Quelques mots sur le projet de loi instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs-ve-s. Notez que la langue française a été maltraitée pour une féminisation hasardeuse, qui de façon très étonnante ne concerne jamais le mot employeur, comme si les femmes ne pouvaient être que des salariées et jamais des chefs d'entreprise. Ce texte a déjà connu de nombreuses transformations, avant même son examen en conseil des ministres. L'avant-projet de loi, dont tout le monde avait eu connaissance dès le mois de février, avait suscité un certain enthousiasme car il proposait enfin des réformes attendues depuis longtemps pour faire reculer le chômage. Devant les réactions de certains de ses interlocuteurs privilégiés, le Gouvernement a ensuite fait marche arrière sur des sujets pourtant importants - le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou la dispense d'accord pour mettre en place le forfait-jours dans les entreprises de moins de 50 salariés. La commission des affaires sociales de l'Assemblée a apporté de nombreuses modifications, certaines empreintes de bon sens. En appliquant la procédure de l'article 49.3 de la Constitution, le Gouvernement a réécrit le texte que nous allons bientôt examiner au Sénat.

Revenons rapidement sur les grandes lignes de la réforme proposée. Le texte annonce une refondation de la partie législative du code du travail, qui sera confiée à une commission d'experts et de praticiens des relations sociales. Ensuite, il propose de nouvelles règles pour relancer le dialogue social, en reprenant notamment des propositions du rapport de Jean-Denis Combrexelle, conseiller d'État et ancien Directeur général du travail. Il s'agit d'une sorte d'application d'un principe de subsidiarité consacrant la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, pour l'ensemble des dispositions relatives à la durée du travail, aux congés, ainsi qu'au compte épargne-temps. Cette possibilité de déroger aux règles fixées par la branche pourra ainsi rééquilibrer les situations décrites par l'IFO dans son étude des effets des extensions d'accords de branche.

La contrepartie de ce nouveau mode de production des normes sociales est, à l'article 10 du projet de loi, la généralisation des accords majoritaires, avec comme alternative la consultation des salariés à la demande de syndicats représentant 30 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles.

Mme Nicole Bricq . - ... et signataires ! Je connais le texte par coeur.

Mme Annick Billon , rapporteure . - Le projet de loi veut en outre sécuriser les parcours professionnels et garantir l'accès aux droits. Le compte personnel d'activité (CPA), créé dans son principe par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, est ainsi défini à l'article 21. Il assure la continuité des droits des salariés appelés à changer régulièrement d'employeur comme de statut. Il regroupe le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) dont tous les chefs d'entreprise soulignent la complexité et le caractère inopérant, et enfin un troisième et nouveau compte dont on a du mal à apprécier le fonctionnement, le compte engagement citoyen (CEC). Un autre ensemble de mesures - articles 28 et suivants du titre V - nous intéressent plus particulièrement, car elles doivent favoriser l'emploi et améliorer l'accès au droit des TPE et PME.

L'accès au droit est évidemment essentiel, comme nous l'avons compris depuis le début de nos déplacements. On ne compte plus les chefs d'entreprise ayant critiqué l'insécurité juridique dont ils sont des victimes permanentes. Il existe plusieurs facteurs d'insécurité juridique : les décisions du juge, qui vient interpréter les lois que nous votons. Les entrepreneurs, pour ceux qui sont encore en mesure de suivre l'évolution des normes, se retrouvent pris au piège de l'interprétation que fait le juge de certaines dispositions législatives, différente de la leur, pourtant de bonne foi. Le pire est le revirement de jurisprudence, qui, appliqué rétroactivement, déstabilise toutes les entreprises concernées. Ainsi, en 2013, la chambre sociale de la Cour de Cassation a annulé la convention SYNTEC instaurant le forfait jour : celle-ci était donc réputée n'avoir jamais existé alors qu'elle concernait près de 544 000 cadres qui ont pu alors prétendre au paiement des heures supplémentaires, ce qui a pu déstabiliser financièrement les employeurs concernés ! Et l'article 5 du projet de loi doit prévoir tout un mécanisme de sécurisation des conventions de forfait pour éviter une telle insécurité juridique... Il est donc urgent de prévoir une disposition incitant le juge à envisager de moduler dans le temps les effets de ses décisions. Il peut déjà le faire mais ne se sert jamais - ou presque - de ce pouvoir, aucun article du code du travail ne l'y incitant. Il serait également utile que chaque accord collectif puisse mettre en place une procédure permettant d'assurer son interprétation par les partenaires sociaux.

Deuxième facteur d'insécurité juridique, le chef d'entreprise ne sait pas nécessairement comment interpréter et donc appliquer le code du travail, en amont d'un contentieux. La sécurité juridique passe donc par le développement du rescrit, qui offre à l'employeur un écrit détaillant la position de l'administration en réponse à une question précise.

Deux articles du projet de loi, contenus dans le chapitre relatif aux TPE et PME, font la promotion de cette pratique : d'une part, l'article 31, qui ratifie l'ordonnance du 10 décembre 2015 prise sur le fondement de l'article 9 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises. Il rend possible le rescrit pour les accords ou plans d'action relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que pour les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés ; d'autre part, l'article 28, qui initialement proposait simplement le droit, pour les entreprises de moins de 300 salariés, à une information précise de la part de l'administration. Les amendements de la commission des affaires sociales de l'Assemblée ont étoffé cet article en ajoutant que, si la demande est suffisamment précise et complète, « le document formalisant la prise de position de l'administration peut être produit par l'entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi ». On n'est pas loin du Bourgeois gentilhomme , cet article faisant du rescrit sans le dire clairement. Il serait plus sécurisant d'apporter les modifications rédactionnelles pour asseoir la portée de cette disposition. Près de 10 % des chefs d'entreprise ont spontanément répondu que la réforme devrait davantage défendre un « principe de bonne foi » des entreprises vis-à-vis des administrations et une mission de conseil de l'administration plus que de répression. Un amendement pour simplifier l'usine à gaz du « service public territorial de l'accès au droit » prévu pour assurer la mise en oeuvre de ce nouveau droit serait également le bienvenu.

Le troisième facteur de sécurité juridique concerne l'inspection du travail. L'article 28 du projet de loi nous y conduit tout naturellement, puisque dans l'étude d'impact associée, le Gouvernement a souligné le rôle des services de renseignement des inspections du travail au sein des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Mais qu'en est-il de cette mission de conseil aujourd'hui ? Quelle est la réalité ? Il semble qu'il existe une réponse factuelle, à savoir le nombre de réponses offertes, que l'étude d'impact recense. Et il existe une réalité ressentie, puisque les chefs d'entreprise nous disent de façon récurrente que les inspecteurs du travail donnent l'impression de rechercher systématiquement la faute commise au sein de l'entreprise, plutôt que la façon d'aider, d'accompagner cette dernière.

Pourtant, l'article 3 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur l'inspection du travail précise bien cette mission, puisqu'en vertu de cette disposition, il lui incombe « de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d'observer les dispositions légales ». Afin d'amorcer un changement de philosophie et de se rapprocher de l'exemple britannique d'une administration au service des entreprises, il est essentiel de modifier l'article L.8112-1 du code du travail qui décrit les compétences des inspecteurs du travail, afin d'insérer cette mission d'information et de conseil.

La sécurité économique, que je développe en première partie de mon rapport, est une autre priorité des entreprises. J'y rappelle ce que les économistes entendus par la commission des affaires sociales ont répété, études et chiffres à l'appui : plus on veut protéger l'emploi existant, plus on exclut les actifs qui arrivent sur le marché du travail. Il existerait ainsi une corrélation entre chômage et dualité du marché du travail et niveau de protection de l'emploi. Ce phénomène est expliqué, selon les économistes auditionnés, par ce que l'on pourrait appeler « les coûts cachés de transaction sur le marché du travail », c'est à dire les coûts d'embauche et surtout de licenciement. Cela explique la dualité du marché du travail français, et le fait qu'une sur-taxation des CDD serait totalement inutile et même dangereuse car la seule variable d'ajustement serait alors l'emploi !

Pour résoudre le dilemme de la sécurité économique des entreprises, ne pouvons-nous pas nous inspirer utilement des réformes de nos voisins européens ? Nous avons testé plusieurs idées auprès des chefs d'entreprises, également libres de faire des propositions spontanées. Ce qui est revenu en plus grand nombre était la création d'un CDI prédéfinissant des motifs et des conditions de rupture (28 % des personnes interrogées). Ensuite, figure l'idée d'un CDI à droits progressifs (15 %) et, au même rang, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif (15 % également). En troisième place, la possibilité de négocier plus facilement des accords avec les délégués du personnel pour les TPE et les PME ne disposant pas de délégués syndicaux (14 %). Le prisme italien semble donc séduire nos entrepreneurs, et il ne serait pas inutile d'envisager de réintroduire le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse qui figurait dans la toute première version officieuse du projet de loi.

Après une première partie sur la sécurité juridique et économique des entreprises, mon rapport aborde la question des outils pouvant permettre aux entreprises de mieux s'adapter pour se développer. Car finalement, c'est l'objectif : le développement des entreprises, et la croissance qui reste le principal facteur d'emploi. Cela concerne aussi bien la prise en compte des difficultés de l'entreprise, que l'article 30 du projet de loi aborde certes, mais de façon peut-être inappropriée avec des critères de qualification du licenciement pour motif économique pas forcément adaptés aux multiples réalités de la vie des entreprises. Tenir compte des difficultés, c'est aussi ne pas obliger un employeur à réaliser tous les efforts de reclassement jusqu'à ce qu'il mette la clé sous la porte, mais c'est le contraindre à réaliser un effort raisonnable pour y parvenir. L'article L.1233-4 du code du travail pourrait ainsi être modifié.

Permettre à l'entreprise de s'adapter, c'est aussi ne pas freiner son développement en multipliant les barrières liées aux seuils sociaux. Nouvel exemple d'incitation à ne pas dépasser la limite de 49 salariés : l'article 29 bis qui élargissait, seulement pour les entreprises en-dessous de ce seuil, le champ des déductions fiscales pour inclure les provisions réalisées pour d'éventuels frais d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. La version du texte issue de la « procédure du 49.3 » a fait chuter ce seuil à 10 salariés. Rappelons ce que la précédente étude de l'IFO nous avait appris, car, spontanément 7 % des chefs d'entreprises ont souhaité que la suppression ou la progressivité renforcée des seuils sociaux soit inscrite dans le projet de loi. Toutefois, compte tenu des changements de règles en matière de dialogue social, il paraît prudent d'attendre le texte de la commission des affaires sociales pour juger de l'opportunité de déposer de nouveaux amendements en ce sens.

Pour s'adapter, les TPE et PME doivent pouvoir bénéficier de la réforme du dialogue social proposée par le projet de loi. Il est très utile de prévoir les outils pour négocier, encore faut-il que ces outils correspondent à une réalité. Pourquoi augmenter de façon systématique les heures de délégation et créer ainsi un nouveau droit sur lequel on ne pourra pas revenir, alors que d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, la majorité des représentants du personnel consacre un temps inférieur à la décharge horaire autorisée pour son mandat ? L'article 16 du projet de loi ne paraît pas aller dans le bon sens et devrait à tout le moins limiter les augmentations d'heures de délégation aux seuls cas de négociation en cours.

L'absence de délégués syndicaux dans les TPE et les PME est un sujet important. Or, de nombreuses dispositions font référence au mandatement, aujourd'hui unanimement rejeté par nos interlocuteurs. Les entreprises interrogées évoquent, spontanément, comme grand absent de la réforme, le pouvoir des syndicats, excessif au regard de leur représentativité. Certains proposent de le contourner en amenant tous les salariés à se syndiquer ; d'autres imaginent limiter dans le temps le nombre de mandats d'élu syndical ou de délégué du personnel pour un salarié.

Le mandatement est précisé à l'article L.2232-21 du code du travail qui prévoit qu'un accord puisse être conclu par les délégués du personnel si ces élus ont été expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise. En l'absence de mandatement ainsi défini, alors seulement les représentants élus peuvent négocier et conclure des accords, mais ils doivent avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés et l'accord doit être approuvé par la commission paritaire de branche. N'y aurait-il pas lieu de simplifier une telle procédure, surtout qu'il n'existe pas de commission paritaire dans toutes les branches ? On pourrait soit faciliter l'organisation d'un referendum sur d'autres sujets que la participation, comme les chefs d'entreprise le demandent, soit rendre directement possible la négociation avec des élus non mandatés, ce que 15 % des entreprises interrogées ont jugé prioritaire.

Je note la très grande avancée que constitue l'article 29 du projet de loi, selon lequel un accord de branche peut comporter des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de 50 salariés, sous forme d'accords types avec options multiples. L'employeur peut appliquer un tel accord au moyen d'un document unilatéral après information des salariés et de la commission paritaire régionale de branche. On pourrait dès aujourd'hui transformer cette possibilité en obligation, afin que les petites et moyennes entreprises ne soient jamais oubliées des négociations d'accords de branche, en vue de déclinaisons utiles en leur sein. Un tel mécanisme se rapprocherait davantage de la proposition n° 38 du rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la négociation collective, le travail et l'emploi. Il diminuerait les risques pour les petites entreprises décrits par l'IFO, dans un système où les accords de branche peuvent imposer des standards gênant la concurrence d'acteurs économiques émergents.

Voilà un résumé des tendances décrites dans le rapport que je vous propose d'adopter. Avec ces éléments de réflexion issus des besoins exprimés par les chefs d'entreprise, nous contribuerons utilement aux travaux du Sénat, en nous laissant la possibilité de réagir au moment de la séance pour faire de nouvelles propositions sur la base du texte de la commission des affaires sociales qui examinera ce projet de loi la semaine prochaine.

Mme Patricia Morhet-Richaud . - Très bien !

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci beaucoup pour ce travail fondé sur des rencontres, des auditions et sur le questionnaire auquel ont répondu presque une centaine d'entreprises. Elles ont souvent soulevé, comme les entreprises rencontrées sur le terrain, la question de la sécurité juridique.

Mme Nicole Bricq . - Il est extrêmement important que l'article 21 sur le CPA ne soit pas limité aux salariés. Il aide à gérer les transitions professionnelles, et est ouvert aux indépendants. Certains salariés deviennent indépendants et inversement. Il prend ainsi en compte le travail indépendant qui monte dans l'économie, notamment au travers du numérique. C'est une innovation très forte qui pourrait aboutir à un statut ni salarié, ni indépendant. Voyons le texte en dynamique ; c'est notamment important à l'article 2 qui pose tant de difficultés à gauche et à droite, et à l'article 21. Le reste est secondaire, et relève davantage de la technique. Le CPA ne concerne plus un statut mais la personne, le salarié ou l'indépendant. C'est porteur de dynamique si on l'utilise bien.

Attention à l'argumentation reprise de quelques membres du patronat, que j'ai pu entendre hier à la Commission des affaires sociales - il existe des différences notables entre eux - selon lesquels le pouvoir des syndicats est excessif, au regard de leur représentativité. La représentante de la CGT m'a dit hier que nous, élus, n'avions pas plus de représentativité que les syndicats. C'est un argument qui se peut retourner contre nous.

M. Michel Canevet . - La légitimité des sénateurs est de quasiment 100 % !

Mme Nicole Bricq . - Elle visait les parlementaires... La représentation syndicale est de 10 %. Mieux vaut avoir quelqu'un avec qui la direction de l'entreprise peut discuter plutôt que personne. Après, on peut ne pas être d'accord. Attention, la défiance monte envers les appareils verticaux.

M. Alain Joyandet . - Félicitations pour le travail réalisé, aussi bien pour le benchmarking que sur la situation française ou sur la loi que nous examinerons. Les sujets sont tellement complexes qu'un complément de réflexion n'est jamais inutile. Je préfèrerais qu'il n'y ait pas de vote, sommes-nous représentatifs pour adopter ce rapport ?

M. Michel Canevet . - Si on attendait d'être représentatifs pour voter en séance publique...

M. Alain Joyandet . - Je m'abstiendrai donc pour une raison de fond que je vais expliquer. Je suis d'accord pour faire évoluer les relations sociales et le dialogue social dans notre pays. Privilégier le contrat par rapport à la loi est toujours préférable. Les sociétés où le dialogue social est le plus avancé ont le moins de chômage. J'approuve l'analyse sur l'allègement des tracas administratifs des entreprises.

Mais à titre personnel, comme chef d'entreprise, je ne peux accepter que des collaborateurs depuis 30 ans, se levant la nuit et touchant des heures supplémentaires payées 25 % plus cher, voient désormais ces heures supplémentaires payées à 10 %, en vertu d'une loi. Imaginons que l'accord de branche soit remplacé par l'accord d'entreprise ; c'est un recul majeur de pouvoir d'achat pour nos collaborateurs. Je l'ai dit à mon groupe politique : je ne peux pas voter cette disposition. Si on veut évoluer progressivement, créons un statut à deux vitesses pour les salariés en place et les nouveaux entrants - comme à une certaine époque dans l'immobilier, avec la loi de 1948.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Cette difficulté résulte des 35 heures...

M. Alain Joyandet . - Ne donnons pas un message de régression sociale. Oui à un allègement des contraintes, à la simplification, à un transfert des charges. Il y a de nombreuses solutions pour redonner de la rentabilité : on prend 25 % de charges sur les salariés tous les mois, alors qu'auparavant, quand j'ai fondé mon entreprise, le prélèvement s'élevait à 6 ou 7 %. Cela revient à ne pas verser de salaire tous les quatre mois ! J'ai 3 500 salariés Peugeot dans ma ville. Une réduction des heures supplémentaires à 10 % pourrait représenter pour eux une perte de 2 000 euros par an. Je ne peux pas voter cela. Nous avions voté la TVA compétitivité ; M. Hollande l'a supprimée, puis regretté cette erreur, sans la réparer. Et ce ne serait pas à l'ordre du jour...

M. Martial Bourquin . - Je partage ce que dit M. Joyandet ; nous sommes dans des bassins industriels. Souvent, des salariés ont bâti une maison ou acheté une voiture grâce à leurs heures supplémentaires. Passer de 25 à 10 % serait dramatique. Revoyons les choses en profondeur. Ce serait une régression sociale. Faisons aussi très attention aux études comparatives...

Mme Annick Billon , rapporteure . - ... nous avons été prudents.

M. Martial Bourquin . - L'Espagne et l'Italie partent de très loin, avec un chômage élevé. Ne confondons pas les aspects conjoncturels et structurels des crises. Le redressement de ces pays peut n'être que conjoncturel. En Italie, chaque contrat issu du job act reçoit 8 000 euros de subventions. Avec un tel contrat en France, on signerait un paquet de CDI ! La Commission européenne nous demande d'aller dans ce sens : la dévaluation ne se fait plus par la monnaie, elle devrait se faire par le travail. Se satisfait-on de cette situation ? La Commission européenne doit-elle avoir le dernier mot ? Ne renonçons pas à une dynamique de croissance.

En tant qu'élus, nous voyons les entreprises. J'en ai 400 dans ma ville, de toutes tailles, avec lesquelles j'entretiens de bonnes relations. L'entreprise est un ensemble : le chef d'entreprise, l'ensemble des syndicats, les salariés... Dans mon département, Faurecia est absorbé par Plastic Omnium, un autre industriel. J'ai rencontré les dirigeants et l'ensemble des syndicats pour élaborer un bon accord, afin que l'essentiel des productions reste chez nous. Parlons à tous les membres de l'entreprise. Si l'entreprise n'a pas de dimension sociale, on passe à côté d'une réalité simple : un employeur fait attention à son encadrement, ses salariés, et le code du travail est là pour réguler ces relations, pour protéger les salariés.

Nous débattions sur l'accord d'entreprise ou de branche. J'ai négocié des accords de branche bénéficiant aux petites entreprises. Les négociations à l'UIMM rassemblaient patronat et syndicats de toutes les entreprises. Il n'y a pas de bonne entreprise contre la mauvaise branche, c'est un ensemble. Il doit y avoir une dialectique entre les deux pour que cela fonctionne. La branche négocie des accords qui profitent à tous les salariés.

Je ne participerai pas au vote. C'est délicat de voter un tel rapport avant la loi. Néanmoins je vous remercie pour ce rapport solide, avec lequel je ne partage pas beaucoup de présupposés, mais qui ouvre la discussion.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Nous ne votons pas sur un texte de loi mais sur un rapport donnant des orientations.

M. Claude Nougein . - Je ne comprends pas le texte du Gouvernement sur le plafonnement des indemnités prud'homales : le Conseil constitutionnel a censuré la distinction faite entre les indemnités selon la taille des entreprises. À la demande de la CFDT, ce point a été abandonné, mais le Gouvernement reprend cette distinction en réservant aux entreprises de moins de dix salariés la possibilité de déduire les provisions pour licenciemnts. Si le Conseil constitutionnel est cohérent, il retoquera à nouveau ce dispositif. Pourquoi vouloir s'opposer à lui ? Mme Annick Billon a bien vu le problème qu'il y a à créer des seuils entre entreprises.

Peu de salariés font actuellement des heures supplémentaires, notamment en pourcentage. Selon les conventions collectives, certaines sont payées 25 % de plus mais d'autres aussi 10 %, notamment dans l'hôtellerie restauration, avec des milliers de salariés concernés.

Il est difficile d'accepter que des salariés payés à 25 % repassent à 10 %. Nous pourrions aboutir à un compromis : instaurer les 10 % ferait accéder de nombreux salariés aux heures supplémentaires ; c'est mieux que de ne pas en faire du tout. Et ceux étant à 25 % ne pourraient pas voir leur rémunération baisser.

Entre 2002 et 2005, sous Jean-Pierre Raffarin, existaient différents SMIC à 32 heures, 35 heures, 39 heures... Quatre à cinq ans ont permis de converger vers un seul SMIC. C'est une piste de réflexion. Avec l'inflation, on aboutira à ce qu'elles soient payées 10 % pour tout le monde, sans que personne ne perde son salaire à court terme. Je suis aussi chef d'entreprise. Récompensons les gens qui travaillent !

Mme Annick Billon . - Merci pour vos interventions. Concernant le CPA, c'est vrai que c'est un moyen de fluidifier le passage entre les statuts de salarié ou d'indépendant. Nous avons cité des exemples étrangers, pas pour les transposer de manière bête et méchante au modèle français, mais pour s'en inspirer.

La présidente a rappelé qu'il ne s'agissait pas de voter pour ou contre la loi El Khomri, mais pour un rapport d'information qui ne va pas aussi loin qu'iront les rapporteurs du projet de loi. Le voter ne vous engage pas sur l'intégralité du texte.

Les heures supplémentaires sont un faux problème. À partir du moment où on privilégie le dialogue social et l'accord d'entreprise, on aura cette discussion. L'entreprise sera maîtresse de son destin et de sa réglementation. Le dialogue social sera amélioré par la possibilité de signer des accords d'entreprise. Je suis en tout cas surprise de voir que le paiement d'heures supplémentaires suffit à payer des maisons...

Le carnet de commandes des entreprises est ce qu'il y a de plus important. À la table-ronde de la commission des affaires sociales, le Medef, l'UPA et la CGPME n'étaient pas d'accord sur certains critères du licenciement économique : expertise de la Banque de France selon Jean-Marc Gabouty, chiffre d'affaires pour d'autres... En revanche, la périodicité d'un trimestre ne semblait pas forcément pertinente car l'activité peut être saisonnière. S'il faut limiter l'interprétation du juge en la matière, la définition des critères est compliquée, et je n'ai pas relevé de tendance lourde dans la majorité sénatoriale.

Le Code du travail est là pour protéger les salariés et les entreprises. Mme Bricq a regretté que le fonctionnement proposé dans les entreprises ne soit pas très démocratique. Mais l'entreprise n'est pas un modèle démocratique ; le Code du travail est là pour encadrer cette structure.

Les entreprises sont plus ou moins performantes et différentes dans une même branche. Nous proposons dans le rapport que tout accord de branche comporte des stipulations spécifiques pour les PME de moins de cinquante salariés. M. Bourquin pourrait donc être en accord avec ce rapport.

Enfin, je suis moi aussi favorable à l'élargissement de la déduction des provisions pour licenciement à toutes les entreprises. Mais il est difficile de déposer des amendements sur l'article 29 bis en ce sens en raison de l'article 40 de la Constitution.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Merci pour ce tour d'horizon. Je soumets ce rapport à votre approbation formelle.

À l'issue du débat, la délégation adopte le rapport à l'unanimité.

Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Mme Billon vous transmettra par courriel de potentiels amendements pour l'examen en commission.

ANNEXES

I. LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA RAPPORTEURE

Le 6 avril 2016

METI - Mouvement des entreprises de taille intermédiaire :

- M. Alexandre MONTAY, Délégué général

- M. Guillaume LIDON, Chargé des relations institutionnelles

CROISSANCE PLUS :

- M. Jean ROGNETTA, Délégué général

- M. Thibault BARANGER, Chargé des relations publiques

- M. Guillaume RESSOT, Consultant au pôle Affaires publiques de la société IMAGE 7

• Le 26 avril 2016

Ambassade d'Italie en France :

- M. Francesco LEONE, Conseiller économique au service économique et commercial

- M. Gianluca De CAPUA, Service économique et commercial

ETHIC - Entreprises à taille Humaine, Indépendantes et de Croissance :

- Mme Sophie de MENTHON, Présidente

- M. Janin AUDAS, Vice-président

- Mme Jeanne PANIER, Directeur administratif et financier

• Le 27 avril 2016

Ambassade d'Allemagne en France

- M. Stephan SCHMID, Conseiller pour les Affaires sociales auprès du service politique et protocole

• Le 18 mai 2016

Ambassade d'Espagne en France

- M. Ignacio NIÒO PÉREZ, Conseiller à l'Emploi et à la Sécurité sociale

Votre rapporteure tient à remercier ses collègues rapporteurs au fond de la commission des affaires sociales : MM. Jean-Baptiste LEMOYNE (Sénateur de l'Yonne - Bourgogne-Franche-Comté, Groupe Les Républicains), Jean-Marc GABOUTY (Sénateur de la Haute-Vienne - Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, Groupe UDI-UC) et Michel FORISSIER (Sénateur du Rhône - Auvergne-Rhône-Alpes, Groupe Les Républicains), qui l'ont invitée aux auditions organisées par leurs soins pour examiner le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dit « Loi Travail ».

Lien pour la page d'accueil de la commission des affaires sociales : http://www.senat.fr/commission/soc/index.html

Liens pour accéder aux travaux de la commission des affaires sociales :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif-commission/pjl15-610_com.html
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl15-610.html

II. RAPPORT COMBREXELLE : LISTE DES PROPOSITIONS

Extrait du rapport sur La négociation collective, le travail et l'emploi de M. Jean-Denis Combrexelle remis au premier ministre en septembre 2015 :

III. SYNTHÈSE DE L'ÉTUDE COMPARATIVE DE L'IFO SUR LES POUVOIRS ET LA REPRÉSENTATIVITÉ DES REPRÉSENTANTS DE SALARIÉS DANS L'ENTREPRISE EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

Étude réalisée par l'IFO de Munich à la demande de la Délégation aux entreprises

1. Quelles sont les règles de représentation des salariés en France et en Allemagne ? La France se distingue de l'Allemagne par une plus grande diversité d'instances représentatives du personnel au sein d'une même entreprise : en Allemagne, seuls les représentants au conseil de surveillance, pour les grandes entreprises, et les comités d'entreprise, dotés de pouvoirs de codétermination, représentent les salariés. En tout cas, les deux pays confient aux organisations patronales et syndicales -représentatives, dans le cas français - la charge de la négociation collective sur les salaires et les conditions de travail : le taux de syndicalisation est, dans ces deux pays, inférieur à la moyenne européenne, même s'il est un peu supérieur en Allemagne, où 18 % des salariés sont syndiqués, contre 8 % en France ; surtout, la représentation syndicale est plus fragmentée en France. Dans notre pays, un accord collectif n'est valable que s'il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections. En Allemagne, c'est l'accord négocié par le syndicat représentant le plus de suffrages qui s'impose dans l'entreprise.

Mais une différence majeure tient au principe constitutionnel de libre détermination des salaires en Allemagne , ce qui écarte toute intervention gouvernementale dans les négociations salariales. En France, le gouvernement est beaucoup plus présent : il étend couramment le champ d'application des accords de branche , de manière à ce qu'ils s'appliquent également aux entreprises qui n'ont pas participé aux négociations. Cette pratique est beaucoup plus rare en Allemagne, si bien que la couverture des négociations collectives s'élève en France à 98 %, contre seulement 57 % en Allemagne, et même 23 % seulement dans les petites entreprises allemandes de moins de 50 salariés . Et les accords de branche sont généralement négociés en Allemagne au niveau régional plutôt que national : seuls le salaire minimal, le congé annuel minimum, les conditions de travail des intérimaires et des employés à temps partiel et la durée quotidienne de travail maximale sont régis par la loi fédérale. En outre, la durée de validité des accords collectifs n'y est pas fixée par la loi mais par les partenaires sociaux eux-mêmes.

Par ailleurs, autre différence majeure, il n'existe en France aucune obligation de paix sociale visant à prévenir les grèves, même lorsqu'un accord a été signé . En Allemagne, à l'inverse, lors de la signature d'un accord collectif, celui-ci est juridiquement contraignant pendant toute sa durée et les grèves ne sont ainsi pratiquement pas autorisées. La France est le pays de l'Union européenne où le plus grand nombre de jours de travail est perdu chaque année, à cause des grèves : 140 journées pour 1 000 employés, entre 2005 et 2013, contre 18 en Allemagne.

2. Quelles sont les implications économiques de ces différences institutionnelles entre la France et l'Allemagne ? Des recherches empiriques ont montré que l'extension automatique des accords collectifs au Portugal avait un impact négatif sur l'emploi et sur les performances des entreprises. En effet, à travers l'extension des accords collectifs, les entreprises dominantes imposent des salaires et des conditions de travail aux autres, réduisant ainsi la concurrence et l'entrée sur le marché de nouveaux acteurs, ce qui nuit à la compétitivité et à l'emploi. En raison du fort pouvoir de négociation qu'y ont les organisations syndicales, ces entreprises acceptent des salaires supérieurs au niveau d'équilibre du marché, au prix d'un taux de chômage plus élevé : ceci contribue à la dualité du marché de l'emploi, entre des insiders en CDI et des outsiders en CDD, souvent plus jeunes et moins bien payés. En Allemagne, la flexibilité des accords collectifs et l'autonomie des institutions chargées de la négociation permettent l'ajustement des contrats en fonction des particularités régionales ou individuelles. Ainsi, les salaires sont souvent inférieurs en Allemagne de l'Est, ce qui compense en partie la faible productivité de cette région. Combinée aux réformes Hartz, la décentralisation de la fixation des salaires, intervenue en Allemagne dans les années 1990, a contribué à réduire la rigidité des salaires, favoriser la compétitivité et encourager l'emploi. Les coûts salariaux unitaires nominaux en France et en Allemagne ont évolué en conséquence de manière très différente : entre 1995 et 2014, ils ont augmenté de 15 % en Allemagne, contre 33 % en France.

3. Concernant les propositions de réforme avancées dans le rapport Combrexelle , élargir le champ de la négociation collective et permettre également la négociation au niveau de l'entreprise apparaît prometteur : ainsi, permettre aux partenaires sociaux de négocier au niveau de l'entreprise le seuil de déclenchement de la rémunération des heures supplémentaires faciliterait l'ajustement de l'entreprise et l'aiderait à développer son chiffre d'affaires, ce qui pourrait ensuite se traduire par une hausse salariale, profitant à l'ensemble des heures de travail et non aux seules heures supplémentaires. Dans les entreprises confrontées à des difficultés majeures, il pourrait être avantageux pour tous d'opter provisoirement pour la réduction des salaires ou une durée de travail allongée, afin de sauver des emplois . Plus généralement, il conviendrait de laisser les partenaires de la négociation décider des questions susceptibles de faire l'objet d'un accord majoritaire.

De même, le remplacement d'accords d'entreprise à durée indéterminée par des contrats à durée limitée bien définis est encouragé parce qu'il réduirait l'incertitude , à la fois pour les entreprises et pour les salariés. Les avantages économiques résultant des accords d'entreprise pourraient être renforcés en faisant de ces accords des contrats juridiquement contraignants pendant la période convenue ensemble, de sorte qu'aucune grève sur les questions traitées ne puisse avoir lieu avant la fin de ladite période . Les employeurs seraient prêts à verser des salaires plus élevés, en échange de telles garanties.

IV. ÉTUDE COMPARATIVE DE L'IFO SUR LES POUVOIRS ET LA REPRÉSENTATIVITÉ DES REPRÉSENTANTS DE SALARIÉS DANS L'ENTREPRISE EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE

(réalisée à la demande de la Délégation aux entreprises)


* 1 « Les réformes des marchés du travail en Europe », 5 novembre 2015.

* 2 Jean-Denis Combrexelle, « La négociation collective, le travail et l'emploi », septembre 2015.

* 3 Conclusions de la mission de Robert Badinter sur les principes essentiels du droit du travail, janvier 2016.

* 4 Selon l'INSEE, les très petites entreprises (TPE) emploient moins de 10 salariés , n'appartiennent pas à un groupe (sauf s'il s'agit d'un groupe de type micro entreprise au sens de la loi de modernisation de l'économie de 2008), et ont un chiffre d'affaires ou un total de bilan inférieur à 2 millions d'euros.

* 5 Selon l'INSEE, la catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes , et qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros

* 6 Selon l'INSEE, une entreprise de taille intermédiaire (ETI) est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés , et soit un chiffre d'affaires n'excédant pas 1,5 milliard d'euros, soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. Une entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 43 millions d'euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI.

* 7 Nom de l'ancien directeur des ressources humaines de Volkswagen, qui inspira et conduisit ces réformes à la tête de la commission pour la modernisation du marché du travail, installée par le Chancelier allemand en mars 2002.

* 8 Dont la lettre n° 110 de mars 2013.

* 9 Kettnet A. et Rebien S., (2007) « Hartz IV Reform : Impulse für den Arbeitmarkt ».

* 10 http://ftp.iza.org/dp4090.pdf

* 11 Note de conjoncture, décembre 2015.

* 12 Ifo Institute - Leibniz Institute for Economic Research at the University of Munich.

* 13 Lexbase édition sociale n° 487 du 31 mai 2012.

* 14 Céline Antonin, note de l'OFCE, n° 48.

* 15 La Fédération Syntec regroupe des syndicats professionnels spécialisés dans les professions de l'ingénierie, du numérique, des études et du conseil, de la formation professionnelle et de l'événementiel. Elle est adhérente au MEDEF.

* 16 Expressément.

* 17 Ont également été codifiés à cet article les rescrits relatifs à l'application des régimes d'amortissement dérogatoires et d'allègements d'impôts en faveur des entreprises nouvelles et des entreprises implantées en zone franche urbaine, aux dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche, à l'application du régime dérogatoire propre aux jeunes entreprises innovantes ou aux entreprises de recherche et développement en pôle de compétitivité, etc. Quatre autres rescrits fiscaux s'ajoutent à ceux énumérés à l'article L.80B et le rescrit fiscal a été étendu aux droits des douanes nationaux en 2005.

* 18 Étude d'impact, p. 255.

* 19 Les Echos , « Loi travail : les syndicats doivent bouger ! », 29 février 2016.

* 20 Tribune du 2 mars 2016 publiée dans Les Echos . http://www.lesechos.fr/02/03/2016/LesEchos/22141-027-ECH_arretons-de-taper-sur-la-loi-el-khomri--une-reforme-de-bon-sens.htm

* 21 Cette durée peut être de 9 ou de 24 mois dans des cas bien précis énumérés à l'article L.1242-8 du code du travail.

* 22 Étude d'impact, p.263 et 264.

* 23 Compte personnel d'activité. Synthèse des débats. Note d'analyse, mardi 5 mars 2016.

* 24 Cette procédure correspond à une situation juridique dont la singularité prévient tout classement dans une catégorie déjà répertoriée.

* 25 Proposition de loi visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite, n° 394 (2015-2016) de Mme Élisabeth LAMURE, M. Michel FORISSIER et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 10 février 2016.

* 26 http://www.senat.fr/emploi/apprentissage_au_senat.html

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