B. L'ESPAGNE

1. Une réforme globale pour lutter contre une situation particulièrement grave

Le chef du gouvernement espagnol a fait adopter en février 2012 un « décret-loi de mesures urgentes pour la réforme du marché du travail » .

Cette réforme a été menée alors que l'Espagne venait de subir la destruction de 2,7 millions d'emplois en 4 ans. Le chômage y touchait 5,3 millions de personnes fin 2011, pour atteindre 26,3 % de sa population active courant 2012.

Le taux de chômage chez les jeunes atteignait 53 % et 1,6 million de foyers se retrouvaient sans aucune source de revenu. Depuis quelques années, cette situation incite d'ailleurs les jeunes diplômés espagnols à quitter leur pays pour trouver du travail. L'eurobaromètre de la Commission européenne montrait que 68 % des jeunes Espagnols étaient prêts à partir en 2012, année où l'émigration a augmenté de 30 % après le départ de plus de 300 000 diplômés universitaires en 10 ans. Depuis 2010, 11 000 scientifiques espagnols sont partis à l'étranger selon l'Institut national de la statistique.

Comme l'a rappelé le conseiller de l'ambassade d'Espagne en France auditionné par votre rapporteure, la réforme du marché du travail a eu pour objectifs de :

- accélérer la création d'emplois après relance de l'économie et faire en sorte d'enrichir le contenu en emplois de la croissance du PIB ;

- freiner la destruction de l'emploi dont souffrait l'Espagne depuis le début de la crise ;

- mettre en oeuvre des mécanismes de flexibilité interne dans les entreprises pour éviter que les entreprises en difficulté optent pour la destruction de l'emploi et, qu'en revanche, elles puissent disposer d'autres moyens pour le maintien de l'emploi ;

- moderniser et flexibiliser la négociation collective ;

- reconnaître un nouveau droit à la formation pour les travailleurs ;

- répondre dans une plus grande mesure aux besoins des personnes au chômage, plus spécialement des jeunes et des chômeurs de longue durée ;

- réduire la trop grande dualité du marché du travail en cherchant un meilleur équilibre entre emploi temporaire et permanent.

Il s'est agi de doter l'Espagne d'un mécanisme plus efficace de « flexisécurité » , cherchant un meilleur équilibre entre flexibilité interne et externe à l'entreprise. Les principales mesures mises en oeuvre par cette réforme ont été les suivantes :

- dynamisation de l'intermédiation du travail, en autorisant les entreprises de travail temporaire à être des agences privées de recrutement ;

- renforcement de la formation et de l'apprentissage, avec un nouveau contrat dédié pour les moins de 30 ans (contre 25 précédemment), et en garantissant le droit à la formation par un Compte Personnel de Formation (CPF). Ce dernier inclut le droit à vingt heures de formation annuelles payées par l'entreprise ;

- incitation à l'embauche à durée indéterminée en limitant l'enchainement des contrats à durée déterminée et en modifiant le contrat à temps partiel. En outre les PME de moins de 50 salariés ont bénéficié d'un nouveau CDI prévoyant une période d'essai d'un an. Quant aux entreprises embauchant en CDI des jeunes âgés de 16 à 30 ans, elles ont droit à une déduction fiscale de 3 000 euros et à une déduction de 50 % des cotisations chômage pendant un an avec la possibilité, pour le salarié, de percevoir 25 % des cotisations en plus de son salaire.

La réforme a permis d'abaisser le coût des licenciements, notamment en cas de rupture d'un CDI sans cause réelle et sérieuse, en diminuant le plafond des indemnités de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, avec un maximum de 24 mensualités au lieu de 42 précédemment ;

- flexibilisation des conditions de travail en facilitant l'adaptation des entreprises à la crise par des ajustements de fonctions, d'horaires et de salaires, afin d'éviter les licenciements. Cela nécessite pour l'employeur de démontrer un « motif de compétitivité » (sans recours à un accord collectif), c'est-à-dire des motifs « économiques, techniques, organisationnels ou de production justifiés ». Le salarié doit être informé au moins 15 jours avant le changement, et en cas de refus des nouvelles conditions, il est licencié et perçoit une indemnité de 20 jours par année travaillée, plafonnée à neuf mois d'indemnités 13 ( * ) .

- incitation à considérer le licenciement comme le dernier recours des entreprises, en donnant priorité à l'application des conventions d'entreprises face à celles des branches et en clarifiant les causes de fin de contrat de la part de l'entreprise.

Il a été indiqué à votre rapporteure que la réforme du marché du travail n'a pas reçu l'appui des principales organisations syndicales. Cependant, il faut souligner l'attitude de dialogue des syndicats et des patrons qui, à partir de ce rejet et en dépit de celui-ci, ont été capables de signer d'importants accords avec le Gouvernement en faveur de l'emploi et des conditions de travail.

L'une des clefs de la réactivation de l'emploi obtenue en Espagne s'explique par la modération salariale de ces dernières années et l'impact qu'elle a pu avoir sur la compétitivité de l'économie espagnole . Cela a été rendu possible grâce au dialogue avec les syndicats qui ont signé au fur et à mesure les accords salariaux. L'Espagne espère aujourd'hui des bénéfices de compétitivité par le biais d'une plus grande productivité et non pas par des réductions salariales.

2. Des résultats encourageants

Selon les données les plus récentes de l'Enquête de la Population Active (quatrième trimestre 2015), le taux de chômage en Espagne se situait à 20,9 % de la population active. Durant les derniers 12 mois, ce taux a été réduit de 2,81 points.

Le nombre de personnes occupées au quatrième trimestre 2015 en Espagne était de 18 094 200 et le nombre de chômeurs de 4 779 500. En ce qui concerne le chômage des jeunes (moins de 25 ans), il était de 46,58 % à la même date contre 51,80 % enregistrés un an plus tôt.

Plusieurs études d'évaluation des effets de la réforme ont été réalisées depuis 2014 jusqu'à ce jour .

Celle de l'OCDE (novembre 2014) indiquait que le peu de temps écoulé depuis la réforme rendait son évaluation provisoire mais qu'elle avait déjà certains impacts évidents, parmi lesquels on pouvait souligner :


• une amélioration de la flexibilité interne des entreprises ;


• une réduction des coûts relatifs au licenciement des travailleurs en contrat à durée indéfinie ;


• une modération salariale significative ;


• une augmentation de l'embauche sous contrat à durée indéfinie.

L'étude de 2015 du Conseil d'Orientation pour l'emploi (COE) a porté sur les réformes du marché du travail dans dix pays européens. Dans la monographie sur l'Espagne, le rapport souligne les fragilités du marché du travail espagnol et la gravité de l'impact de la crise qui déboucha sur des licenciements massifs étant donné le peu de flexibilité interne des entreprises. Le rapport signale que la réforme a clairement incité les entreprises à utiliser des mécanismes de flexibilité interne autres que le licenciement, en tant que mécanismes d'ajustement, et que cela a eu des résultats positifs sur la création d'emploi et la réduction de la dualité du marché du travail.

La Commission Européenne (rapport sur l'Espagne Février 2016) a indiqué que les réformes structurelles réalisées par l'Espagne ont contribué à porter remède aux rigidités qui existaient dans les marchés du travail. Selon elle, la réactivation économique qui apparaît actuellement en Espagne est accompagnée d'une forte création d'emploi dans un contexte de modération salariale continue.

Cependant, le chômage continue à se situer à un niveau élevé, tout spécialement pour les jeunes. Le chômage de longue durée est également très élevé et peut devenir chronique, ce qui provoque une augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale.

Le rapport note qu'en dépit d'une baisse importante, le taux de chômage en Espagne continue à se situer parmi les plus élevés de l'UE, spécialement pour les jeunes.

La stratégie en faveur des jeunes

Une « Stratégie de l'Entreprenariat et de l'emploi pour les jeunes 2013-2014 » a été mise en oeuvre en complément des réformes menées. Il s'agit d'un ensemble de mesures destinées à apporter une réponse aux problèmes structurels du chômage des jeunes et aux problèmes conjecturaux dérivés de la crise économique. Plus d'un million de jeunes espagnols ont pu bénéficier de ces mesures. Parmi eux, 460 000 par des contrats pour la formation et l'apprentissage et 300 000 jeunes autonomes qui ont bénéficié du tarif forfaitaire de cotisation à la Sécurité Sociale de 50 euros.

En complément de ces mesures, il faut souligner la mise en oeuvre du « Système National de Garantie pour les Jeunes », destiné plus spécifiquement à aider les jeunes les plus défavorisés à s'intégrer sur le marché du travail. Il s'agit là d'une initiative qui se réalise à l'échelle nationale à partir d'une Recommandation du Conseil de l'Europe du 22 avril 2013 sur l'établissement de la « Garantie pour les jeunes » qui doit permettre aux jeunes de moins de 25 ans de recevoir une offre d'emploi, d'éducation continue, de formation en apprentissage ou en période de stages dans un délai maximum de 4 mois après leur entrée au chômage ou la fin de leur période d'éducation formelle.

En 2015, l'âge pour pouvoir bénéficier de ce système a été étendu de 25 à 29 ans, ce qui est en vigueur actuellement.

En application de cette recommandation, l'Espagne a envoyé à la Commission Européenne en décembre 2013 son « Plan national d'Implantation de la Garantie pour les Jeunes » où est établi le « Système National de Garantie pour les Jeunes », qui reçoit un appui financier de l'Union européenne pour la réalisation d'actions d'aide aux jeunes non occupés, ne suivant ni études ni formation (les nommés « Ninis » -Ni aux Etudes Ni au travail- ou en anglais « NEETS »- No employment, education or training).

À ce jour, en Espagne, il y a 215 289 jeunes qui bénéficient de ce Système National de Garantie pour les Jeunes, parmi lesquels 60 000 ont déjà un emploi.

Tout cet ensemble de mesures, de niveau national et de niveau communautaire (régional), a eu un impact positif dans l'évolution de l'emploi. C'est ainsi que lors des quatre dernières années, on a pu constater une évolution du marché du travail des jeunes qui reflète un net changement de tendance. Il y a, en Espagne, au mois de mars 2016, 328 600 jeunes (âgés de moins de 30 ans) de moins au chômage qu'en 2012 et, actuellement, dans la zone euro, 1 jeune sur 2 qui quitte le chômage est espagnol.

Source : ambassade d'Espagne en France

Par ailleurs, l'amélioration des conditions du marché du travail de 2013 à 2014 ne s'est pas traduite par une amélioration des indicateurs sociaux au cours de cette période. La crise a provoqué une forte augmentation de la population avec risque de pauvreté ou d'exclusion sociale. Ces indicateurs de pauvreté se sont détériorés en 2013 et 2014 en dépit de l'amélioration des conditions du marché du travail. L'augmentation du nombre des travailleurs à temps partiel et temporaires au cours des dernières années s'est soldée par un risque croissant de pauvreté .

Une donnée très importante du rapport de la Commission européenne signale qu'en absence de réformes, l'Espagne aurait perdu 400 000 postes de travail supplémentaires et l'emploi aurait commencé sa croissance de manière plus modérée et bien plus tardivement.


* 13 Lexbase édition sociale n° 487 du 31 mai 2012.

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