Première séquence - Quel accès au crédit pour les entreprises du Pacifique ?
Dominique Caignart, Directeur outre-mer et réseau Île-de-France de Bpifrance
Nous sommes le dernier entrant sur le marché. Alors que le processus s'est déroulé rapidement pour les départements d'outre-mer (DOM), il restait tout à écrire sur les collectivités d'outre-mer (COM). Nous nous y sommes employés dès la parution du décret à la fin de l'année 2013.
Comme toujours avec les fondamentaux de la Banque publique d'investissement (Bpifrance), la gamme de produits doit compléter l'offre bancaire locale avec des produits originaux, souvent sans garantie, le tout pour des entreprises en phase de croissance.
Après quelques mois de réflexion et d'échanges, nous avons élaboré un produit pour la Polynésie française. Les conventions doivent nous revenir signées, pour que nous puissions mettre en place le financement très rapidement.
Le prêt de développement de Polynésie française et qui serait aussi décliné en Nouvelle-Calédonie est un crédit que nous avons testé dans d'autres territoires, en métropole et en Guyane. Ce prêt, qui va jusqu'à 50 000 euros, finance, en parallèle des partenaires bancaires, les investissements ou les besoins en fonds de roulement que ces derniers ont des difficultés à financer, car ils ne génèrent pas de garanties intrinsèques.
Ce prêt aura une durée de cinq années, quel que soit le territoire, avec un différé d'amortissement du capital d'un an, afin de laisser le temps aux entreprises de l'investir et de le rentabiliser. Il présentera un taux d'intérêt intéressant par rapport aux taux de marché, sans aucune garantie réelle, de façon à laisser à l'entreprise la possibilité de proposer des garanties réelles au banquier partenaire.
Cette offre complétera l'offre historique sur les COM. Nous nous intéressons d'ores et déjà au financement de l'innovation, en aménageant les critères à l'innovation ultramarine pour encourager les porteurs de projets à nous déposer plus de dossiers. Pour la Nouvelle-Calédonie, nous sommes actuellement en train de coordonner les priorités des provinces et les budgets qu'elles sont susceptibles de nous allouer. Nous nous promettons de procéder à ces lancements dans le courant de cette année.
Fabrice Richy, Directeur des outre-mer Agence Française de Développement
Nous sommes présents dans les outre-mer depuis 70 ans. L'intervention de l'AFD sur le plan de la vie économique se structure autour de trois volets.
Tout d'abord, elle intervient directement dans l'accès au crédit.
Nous jouons notre rôle au travers de deux instruments principaux, à commencer par la Société de gestion de fonds de garantie d'outre-mer (Sogefom), outil de garantie spécifiquement dédié aux petites entreprises, qui passe par les banques.
En Nouvelle-Calédonie, 88 % des entreprises n'ont aucun salarié, et 98 % en comptent moins de dix. Chaque année, l'outil Sogefom représente de 15 à 20 millions d'euros de garanties, entre 300 et 400 dossiers, pour une moyenne de garantie de financement située entre 40 000 et 50 000 euros.
D'après nos estimations, grâce à cet outil, au moins 500 emplois seront maintenus ou créés. Il s'agit également d'un outil de garantie auprès des banques, qui leur permet de partager le risque de prêt. Cet outil sera d'ailleurs mis au service de l'intervention de la BPI.
En effet, nous partagerons l'outil de garantie des prêts de développement de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie avec la BPI, afin de garantir les prêts que celle-ci effectuera.
Par ailleurs, l'activité de la Sogefom connaît des évolutions importantes avec l'assouplissement de son produit court terme, l'approfondissement de la logique de délégations aux banques et l'élargissement des PME éligibles au dispositif.
En Polynésie française, tout le monde connaît également notre rôle de banquier, à travers la Société de crédit et de développement de l'Océanie (Socredo). Il s'agit de l'acteur banquier le plus important de Polynésie française, où il représente plus de 50 % du crédit aux entreprises. Nous sommes actionnaires de référence de la Socredo. Nous partageons notre rôle avec la BRED, qui y participe à hauteur de 17 %. Nous restons également le financeur majoritaire de la Socredo.
Parallèlement au développement de ces outils, nous menons une action de soutien à l'émergence de nouveaux acteurs du crédit. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, nous avons soutenu la création de l'Agence pour le droit à l'initiative économique (Adie), en finançant les missions, en intervenant techniquement et en ouvrant à l'Adie les portes politiques des institutions.
Nous finançons l'Adie depuis une dizaine d'années. Nous avons ainsi engagé près de 20 millions d'euros auprès de cet organisme, en faveur des outre-mer.
Notre rôle consiste non seulement à agir directement sur le marché, mais aussi à élargir l'offre d'accès au crédit. Ponctuellement, nous jouons un rôle contra-cyclique auprès des banques de la place.
En 2012, les banques de place n'avaient plus accès aux financements de leur maison-mère. Nous avons joué un rôle important pour qu'elles accèdent à des ressources de financement de long terme. Nous avons ainsi injecté près de 150 millions d'euros dans le système bancaire du Pacifique. Aujourd'hui, les banques ont accès à des ressources de long terme, soit par leur maison-mère, soit par les flux (comptes bancaires).
Toutefois, si une nouvelle difficulté structurelle d'accès à des financements de long terme se posait aux banques de place, nous répondrions à nouveau présents.
Nous intervenons également en financement de projets privés via des « prêts aux conditions de marché », à des conditions toutefois plus favorables que les conditions de marché de la zone Pacifique.
Nous sommes intervenus en Nouvelle-Calédonie dans le financement de la clinique de Nouville et d'une station d'épuration. Nous travaillons avec des entreprises importantes, pour lesquelles nous intervenons uniquement en pool bancaire, soit pour consolider un projet et sécuriser le financement par les banques, soit à la demande des banques. Nous intervenons sur ces dossiers sur le long terme, plus de quinze ans en général.
Enfin, nous apportons un soutien constant à la commande publique, notamment par les collectivités. Nous restons un financeur important des programmes d'investissement des collectivités locales (communes, régions ou pays). Par exemple, en 2014, plus de 150 millions d'euros ont été injectés par l'AFD dans le système public en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. Nous sommes également un prêteur régulier de la Société immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC), qui représente 3 % du PIB par ses investissements en Nouvelle-Calédonie.
Matthieu Barrier, Directeur adjoint du Réseau-Adie
Vivifier les sources de financement des
entreprises
Quelles évolutions possibles ?
1 - L'Agence pour le droit à l'initiative économique (Adie)
L'Adie dans le Pacifique a la même mission que partout ailleurs en France et en outre-mer : financer et accompagner ceux qui veulent créer ou développer leur activité pour créer leur emploi.
Elle a pour cela deux outils à disposition : le micro-crédit et l'accompagnement, avant et après la création d'activité.
Les personnes soutenues sont celles qui n'ont pas accès au crédit bancaire ce qui, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna, peut être le cas de nombreuses personnes.
2 - Résultats dans le Pacifique
En 2014, 1 347 personnes ont été financées (591 en Polynésie, 756 en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna). La portée de l'action de l'Adie est donc tout à fait significative au regard de la population et le micro-crédit est une solution concrète et efficace de retour à l'emploi pour ces personnes.
Les activités financées sont principalement dans l'agriculture et la pêche - coprahculteurs, culture de terrains familiaux ( Faa Pu ) -, mais pas seulement avec beaucoup d'activités dans le domaine des services et du petit commerce.
Source : Adie
70 % des personnes financées sont bénéficiaires d'un minimum social (RST en Polynésie) et pour la Polynésie, près de la moitié (48 %) de nos clients sont des femmes.
En Nouvelle-Calédonie, 60 % des personnes financées par l'Adie vivent en terre coutumière. Seuls 21 % des personnes financées par l'Adie ont un niveau de formation égal ou supérieur au baccalauréat.
3 - Des partenariats efficaces
L'Adie bénéficie de nombreux soutiens pour développer son activité. Ces soutiens sont publics, bancaires, et privés.
Les financeurs publics interviennent dans le soutien financier de nos actions en finançant le développement géographique et des actions de développement auprès de publics cibles (pêcheurs, coprahculteurs...). Les financeurs publics sont :
- l'État, le Haut-commissariat, les Provinces en Nouvelle-Calédonie, l'Assemblée Territoriale de Wallis-et-Futuna, et le Pays en Polynésie (ministère de l'économie et des droits des femmes), certaines mairies (Papeete, Nouméa, etc.) via la politique de la ville notamment.
Les partenaires privés sont sollicités pour intervenir en soutien du développement d'une action sur leur territoire ou d'un concours spécifique. C'est le cas de la Société-Le Nickel (SLN), de Léon Grosse par exemple.
Les partenaires bancaires nous accordent des lignes de crédit à taux négociés pour nous permettre de refinancer les micro-crédits dans le Pacifique : Socredo, Banque de Polynésie, Société Générale Calédonienne de Banque, BNP Paribas Nouvelle-Calédonie, la Banque Calédonienne d'Investissement (BCI), avec l'appui de l'AFD sur la garantie.
4 - Que faire de plus ?
Il nous faut encore poursuivre le développement du réseau de l'Adie. En Polynésie française, la couverture territoriale n'est pas complète, avec une part importante des Tuamotu qui reste non couverte (Tuamotu du Nord, Îles Gambier) ainsi que les Îles Marquises. En Nouvelle-Calédonie, le maillage pourrait être renforcé tant sur la zone urbaine de Nouméa pour mieux toucher les zones où résident les personnes en difficulté sur l'aire urbaine, que sur la Province des Îles où notre présence pourrait être optimisée avec des moyens supplémentaires.
Il nous faut également inciter les créateurs d'entreprise à développer leur activité, en mettant en place une incitation sous forme de prime pour ceux qui créent un premier emploi dans leur entreprise. Cela faciliterait l'accompagnement au développement de ces activités et permettrait de créer de nombreux emplois dans ces toutes petites entreprises.
Il nous faut enfin renforcer le système financier pour en assurer la pérennité. Si les banques opérant dans le Pacifique soutiennent de manière volontariste le développement du micro-crédit, les règles prudentielles et nos relations conventionnelles avec les partenaires bancaires nécessitent des systèmes de garantie solides pour assurer la pérennité de nos ressources de crédit. Un appui au financement d'un fonds de garantie Pacifique permettrait d'aborder dans de bonnes conditions la poursuite du développement du micro-crédit dans la région Pacifique.
À terme, l'Adie est en mesure de financer 2 000 personnes par an pour les accompagner dans la création ou le maintien de leur propre emploi. Elle contribuera ainsi activement à réduire la part de la population dépendante de revenus sociaux et à faire baisser le chômage sur ces trois territoires.
Nicolaz Fourreau, Président du conseil d'administration de la Société de financement du développement de la Polynésie française (SOFIDEP)
Vivifier les sources de financement des
entreprises
Quelles évolutions possibles ?
La Sofidep, un outil de développement économique
La Sofidep, Société de financement du développement de la Polynésie française, est une société d'économie mixte créée en 1999 et initiée par la convention n° 96-1983 du 8 août 1996 entre l'État et le Pays pour le renforcement de l'autonomie économique de la Polynésie française. Afin d'atteindre cet objectif, cette convention prévoyait expressément la mise en place d'une société de financement chargée de faire des prêts participatifs et de prendre des participations dans le capital d'entreprises constituées en Polynésie française.
Aujourd'hui dotée d'un capital de 12,6 millions d'euros, la Sofidep a, depuis sa création, financé plus de 650 projets pour un total de 40 millions d'euros. Ce montant injecté dans l'économie peut être au moins multiplié par deux sachant que la Sofidep intervient souvent sur le principe d'un financement un pour un avec les banques de la place.
Sans prise de garantie professionnelle ni de sûreté personnelle (hormis une assurance décès), la Sofidep intervient à toutes les étapes du cycle de vie des entreprises. La répartition des encours est la suivante :
- création d'entreprise : 36 % ;
- développement : 26 % ;
- transmission d'entreprise : 19 % ;
- soutien à la relance : 19 %.
Ses interventions ont permis à la collectivité de voir la création ou la sauvegarde de 6 000 emplois, dont la majeure partie concerne les cinq dernières années.
Un modèle économique particulier
Le modèle de la Sofidep est relativement unique dans le paysage bancaire et financier : elle tire ses ressources de subventions de la Polynésie française et dès qu'un prêt est mis en place, les dotations publiques deviennent sa propriété et sont reprises dans le compte de résultat au fur et à mesure des remboursements de prêts. C'est là un point important du modèle car en cas de défaut de remboursement, la perte ne s'impute pas sur les fonds propres de l'entreprise mais sur les dotations. La Sofidep peut ainsi réaliser son objet qui est d'intervenir dans des secteurs jugés non prioritaires par les banques ou des projets par nature non financés par elles.
La Sofidep constitue ainsi un outil majeur de la politique économique publique pour la création et le développement des entreprises polynésiennes.
Évolution du modèle en phase avec les besoins de la collectivité
La Polynésie française connaît depuis quelques années, à l'instar de la Métropole et des autres collectivités d'outre-mer des difficultés économiques.
Devant les problèmes rencontrés par les porteurs de projet pour créer leur entreprise - une création souvent assimilable à de l'emploi de subsistance - et par les entreprises en difficulté pour se relancer, la Sofidep a fait évoluer son modèle et orienté ses actions vers ces deux domaines d'intervention.
Le soutien aux entreprises en difficulté
Avec le prêt participatif à la relance, la Sofidep s'est affranchie de l'obligation d'un cofinancement bancaire pour son intervention. D'un montant plafonné à 83 800 euros, la Sofidep injecte des liquidités dans une entreprise n'ayant plus la trésorerie nécessaire pour commander du stock et payer des fournisseurs en retard.
La seule contrepartie demandée consiste en un réaménagement des dettes sociales, fiscales ou bancaires afin que l'entreprise bénéficiaire bénéficie d'un allègement de la charge de la dette, les deux interventions pouvant concourir à un redémarrage sain de son activité.
Ainsi ce sont près de 90 entreprises qui ont bénéficié de cette aide avec plus de 3 000 emplois en jeu. Si près d'une entreprise sur deux n'a pas résisté en dépit de notre soutien, l'optimisme reste de mise, puisqu'inversement, aucune de celles que nous avons accompagnées n'auraient tenu sans notre soutien, et certaines comptent presqu'une centaine de salariés.
Le soutien à la création d'entreprises
La création d'entreprise reste une partie très importante de nos activités. Certes, la Sofidep n'a participé au financement qu'à hauteur de 10 % des volumes traités par un seul des établissements bancaires en 2014.
Toutefois, alors que sur la création d'entreprise, nous étions historiquement tournés vers le cofinancement et souvent sollicités par les banques afin de réduire leur risque, les récentes évolutions de la politique de développement de notre établissement font de nous une entité autonome sur les TPE. En effet, nous finançons seuls et sans concours bancaires les entreprises (souvent mono-salariées) dans une tranche d'investissement allant de 8 500 euros à 42 000 euros.
Il n'en demeure pas moins que tous ces emplois créés dans une démarche que nous pourrions qualifier de « sociale » loin des schémas classiques de subventions ou d'aide à la réinsertion, participent d'une démarche de structuration de l'économie et de responsabilisation des populations.
Vivifier les sources de financement
La Sofidep peut donc intervenir seule mais sa marge de manoeuvre est limitée par sa capacité à pouvoir mobiliser des fonds provenant de la collectivité.
Les banques de la place font face à une économie morose et des obligations prudentielles qui les contraignent dans leur choix d'allocation de fonds propres alors que le besoin des entreprises auprès des banques porte davantage sur un assainissement de leur trésorerie que sur des besoins d'investissement.
Pour les collectivités d'outre-mer, l'État, au travers de ses dispositifs publics de financement de l'économie, peut faciliter la prise de risque pour les banques commerciales.
La Sogefom , filiale de l'AFD, joue un rôle prépondérant en Polynésie française en garantissant les prêts bancaires. Il n'est pas rare de rencontrer le triptyque : financement bancaire, garantie bancaire et co-financement Sofidep.
L'enjeu est de pouvoir mobiliser encore davantage la garantie Sogefom même si la Sogefom a récemment mis en place des délégations de garantie aux banques pour accélérer la prise de décision et même si elle a élargi sa couverture aux crédits de court terme
La Banque Publique d'Investissement (BPI) représente également pour la Polynésie française une source potentielle de financement des entreprises.
Si un premier produit, le prêt de développement Polynésie française, est en cours de lancement, avec le soutien du Pays et de la Sogefom, tous deux garants du prêt, il convient de développer ce partenariat où la collectivité bénéficierait des ressources de la BPI tout en lui garantissant une maîtrise du risque associé.
Il convient également de mobiliser d'autres sources de financements via notamment la Banque Européenne d'Investissement (BEI).
La BEI distribue des produits grâce à des intermédiaires dans tous les pays européens et bien évidemment en France. Or, la Polynésie française occupe une place dans le paysage européen qui nécessiterait une démarche particulière pour qu'elle puisse intervenir.
Je vous ai présenté aujourd'hui un panorama de nos interventions, de nos objectifs et de la philosophie qui animent les acteurs de la Sofidep, la direction comme les chargés d'affaires. Ces derniers oeuvrent avec engagement à la relance d'une économie en complément des interventions gouvernementales polynésiennes et du soutien des organismes de l'État en Polynésie française, en espérant celui de l'Europe pour augmenter les volumes et l'importance de nos participations.
Marc Robert, Directeur de l'international de la BRED Banque populaire
La BRED est présente dans l'ensemble des outre-mer (Antilles, Guyane, La Réunion, Mayotte). Elle dispose de cinq implantations dans le Pacifique :
- une présence en Nouvelle-Calédonie, avec la Banque calédonienne d'investissement (BCI) ;
- une présence en tant qu'actionnaire minoritaire aux côtés de l'AFD dans la Socredo en Polynésie française ;
- une présence en tant qu'actionnaire minoritaire de la Banque de Wallis-et-Futuna ;
- une banque au Vanuatu ;
- une nouvelle banque aux îles Fidji.
Nous dressons le constat que le crédit aux entreprises connaît une évolution pour le moins modérée : en Nouvelle-Calédonie, la croissance s'élevait à 0,4 % l'année dernière. Quelques différences apparaissent néanmoins : contrairement à ce que nous pouvions imaginer initialement, les TPE connaissent une croissance légèrement supérieure, à 3-4 %.
Pourquoi la croissance des crédits bancaires n'est-elle pas plus importante ? Les banques font face à trois contraintes. La première est leur difficulté à capter des ressources bilancielles. Cette situation est le reflet d'un léger manque de confiance de certains acteurs dans l'avenir des territoires. Ils cherchent ainsi à faire sortir des territoires une partie de leur épargne, d'où il résulte des bilans bancaires assez déséquilibrés.
Lorsque les banques sont locales, elles n'ont d'autre ressource que la collecte de dépôts locaux. Elles font alors face à ce déséquilibre. Lorsqu'elles sont l'émanation d'un groupe plus large, elles doivent procéder à un refinancement depuis leur siège, dans des proportions limitées, ce qui contraint le financement des entreprises locales.
La deuxième difficulté réside dans la communication entre les banques et les entreprises. Cette situation, assez classique, se vérifie partout dans le monde.
Quant à la troisième série de contraintes, elle est spécifique aux entreprises des outre-mer et du Pacifique. Elle se caractérise par un manque certain de fonds propres, ainsi que des délais souvent plus longs pour obtenir la documentation comptable et juridique. De ce fait, les dossiers de financement prennent davantage de temps.
Enfin, en raison du faible nombre de banques, nous rencontrons souvent un problème de division des risques bancaires, ce qui limite les financements. Nous ne pouvons en effet concentrer une part trop importante des crédits sur une seule contrepartie.
Quelles solutions pouvons-nous apporter pour pallier ces difficultés ?
Afin de répondre à la rareté des ressources, la principale solution consiste à s'adosser aux maisons-mères lorsqu'elles existent, ce qui permet de fournir une partie du refinancement. Qui plus est, l'AFD contribue à refinancer certains groupes bancaires.
Une solution plus originale, que nous avons lancée avec la BCI en Nouvelle-Calédonie, consiste à lancer un programme de créance négociable, qui permet d'attirer de l'épargne d'investisseurs institutionnels extérieurs aux territoires qui cherchent à obtenir davantage de rendement ainsi qu'à diversifier leurs risques.
En mai 2015, 32 milliards de francs Pacifique étaient attirés par ce programme, ce qui a permis de contribuer à une partie du refinancement de l'économie de Nouvelle-Calédonie.
Pour répondre aux problèmes de communication entre les banques et les entreprises, il existe deux solutions. Tout d'abord, nous avons conclu des partenariats avec les chambres de commerce et des métiers, ce qui permet un meilleur dialogue dès la création d'entreprise. Par ailleurs, nous tentons d'obtenir la couverture la plus large possible des territoires, grâce à un maillage qui couvre au mieux les besoins.
Enfin, pour faire face aux contraintes qui freinent les dossiers de financement, nous avons développé des équipes dédiées, par types de professions. Nous disposons ainsi d'agences spécialisées sur les TPE et d'enveloppes dédiées à certains segments d'activité (tels que les promotions immobilières, l'aquaculture et le BTP).
Ainsi, nous parvenons à mieux couvrir les besoins et à obtenir des réponses plus adaptées aux besoins des entreprises.
Il n'existe pas de solution miracle : c'est bien une palette de solutions adaptées qui doit permettre d'accompagner au mieux les entreprises.
Huy Hoang Dang, Directeur du développement et de la stratégie de BPCE International et Outre-mer
Le crédit aux entreprises de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française est assuré par trois types d'acteurs : sept banques locales, huit sociétés financières locales et des banques situées hors de la zone. Ces dernières englobent des acteurs publics comme l'AFD ou la Caisse des dépôts et consignations (CDC), les maisons-mères de banques locales et une quarantaine d'établissements de crédit intervenant directement depuis la métropole sans représentation locale. En 2014, elles représentent une part significative des financements (30,6 % pour la Nouvelle-Calédonie et 22 % pour la Polynésie française) toutefois focalisée sur le financement de collectivités locales ou de grandes entreprises. Les sociétés financières sont pour cinq d'entre elles affiliées à un groupe bancaire et pour les trois restantes indépendantes. En 2013, elles étaient surtout présentes en Nouvelle-Calédonie où elles représentaient 4,6 % des crédits contre seulement 0,8 % en Polynésie française. Leur activité est concentrée sur le crédit-bail où elles représentent 96,3 % des encours avec aussi une part de marché de 8,9 % dans les crédits à la consommation et de 7 % dans le crédit d'investissement des entreprises.
Ainsi, les banques locales assurent l'essentiel du financement et surtout des crédits aux entreprises. Les banques locales sont issues de trois grands réseaux métropolitains (BNP Paribas, Société Générale et BPCE) ou sont détenues à 50 % par le Territoire (BCI et Socredo). Elles opèrent une activité classique de banques commerciales axée sur la distribution de crédit et la collecte de ressource avec une palette complète de produits et services. En effet, en 2013, les crédits avec la clientèle représentaient 79 % pour la Nouvelle-Calédonie (78 % pour la Polynésie française) du bilan des banques contre seulement 30 % pour l'ensemble des banques en France. Le segment des entreprises représente le deuxième marché des banques après celui des ménages avec une part de 47 % des crédits en Nouvelle-Calédonie (38 % en Polynésie française). À titre de comparaison, le crédit aux entreprises ne constitue que 31 % des encours des banques en France.
Les encours de crédits aux entreprises des établissements locaux en Nouvelle-Calédonie sont à la hausse en 2014 (+1,4 %) pour atteindre 323 milliards de francs Pacifique sous l'effet d'une confiance accrue des entrepreneurs matérialisée par un indicateur du climat des affaires en progression pour le cinquième trimestre consécutif et des prévisions d'investissement aussi en hausse tendancielle. Néanmoins, la production de crédit aux entreprises du premier trimestre 2015 s'inscrit en baisse de - 2,6 % par rapport au premier trimestre 2014 alors que la production de crédit globale progresse de + 4,1 % sous l'effet de la croissance de 15,9 % du crédit aux particuliers. La situation en Polynésie française est plus contrastée car les encours de crédits aux entreprises est le seul à avoir régressé (- 4,1 %) en 2014 et ont atteint 152 milliards de francs Pacifique à fin 2014. Les encours globaux ont progressé en 2014 de 2,7 % sous l'effet d'un indicateur du climat des affaires, de prévisions d'investissement et d'un indice d'emploi salarié tous favorables. La production de crédit aux entreprises est a contrario très dynamique puisqu'elle progresse de 66 % sur un an au premier trimestre 2015 alors que celles des particuliers régressent de - 17 %.
L'accès au crédit des entreprises est favorisé par une collecte dynamique des ressources locales (en 2014, + 2,1 % en Nouvelle-Calédonie et + 4,4 % en Polynésie française). La collecte locale croît toutefois moins rapidement que la collecte hors-bilan qui ne finance pas l'économie locale (en 2014, + 2,3 % en Nouvelle-Calédonie et + 8,6 % en Polynésie française). Par ailleurs, le solde emploi-ressource des établissements locaux de Nouvelle-Calédonie reste quasiment stable à 134 milliards de francs Pacifique et ce solde s'est résorbé en Polynésie française pour passer de 102 milliards à 83 milliards de francs Pacifique. Les banques ne bénéficient pas d'un refinancement par la Banque centrale européenne (BCE) et le refinancement assuré par l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), qui complète celui qu'assurent les maisons-mères, reste limité puisque le réescompte ne représentait que 13 % du solde emploi-ressource des banques en Nouvelle-Calédonie et 3,6 % en Polynésie française. Le taux de douteux de la place néocalédonienne malgré une augmentation d'un point en 2013 reste à un niveau raisonnable (2,9 %) tandis que celui de la Polynésie française s'est stabilisé à un niveau relativement élevé de 10,4 %.
Ainsi les banques commerciales locales assurent la grande partie du financement des entreprises à l'exception du crédit-bail et d'une partie des crédits aux grandes entreprises. Les dépôts locaux ne peuvent financer seuls les crédits octroyés par les banques et le solde qui représentait 23 % des dépôts en Nouvelle-Calédonie et 21 % en Polynésie française est financé principalement par les maisons-mères. Selon certains observateurs, l'accès au crédit pourrait être facilité s'il existait un mécanisme de refinancement comme celui de la BCE en Europe. Par ailleurs, les agents économiques soulignent l'importance des mesures incitatives d'investissement de l'État français dans les infrastructures, dans les entreprises locales et dans le logement social pour pérenniser un modèle de développement endogène de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.