II. LE PROJET DE LOI ABORDE L'ÉGALITÉ PROFESIONNELLE PAR UNE APPROCHE ORIGINALE MAIS QUI DOIT ÊTRE COMPLÉTÉE

A. UN DES GRANDS MÉRITES DU TEXTE EST DE POSER DÈS SON TITRE IER LA QUESTION DES TÂCHES ÉDUCATIVES AU SEIN DU COUPLE

1. Un réel facteur de pénalisation de la carrière professionnelle des femmes

Plus de 40 ans après la proclamation de l'égalité juridique des époux, la répartition des tâches éducatives au sein du couple demeure extrêmement différenciée. Comme l'indique une étude publiée en juin 2013 par l'INSEE 8 ( * ) , une femme sur deux contre un homme sur neuf seulement, interrompt ou réduit son activité (en recourant au temps partiel) à l'occasion d'une naissance. Cette différence constitue un très important facteur d'inégalité professionnelle, puisqu'elle aboutit à la sortie durable des femmes du marché du travail. Son effet se fait aussi lourdement ressentir dans les inégalités salariales, puisqu'un tiers de l'écart des rémunérations de 25 % entre les femmes et les hommes s'explique par l'effet du temps partiel et qu'un deuxième tiers 9 ( * ) est probablement lié, entre autres, aux interruptions de carrière 10 ( * ) . Bien entendu, ces inégalités ne cessent pas avec la vie professionnelle et s'accentuent au niveau de la retraite, les pensions directes des femmes étant de plus de 30 % inférieures à celles des hommes.

Afin de remédier à cette situation, il est apparu opportun de réformer le congé parental. L'objectif est d'éviter les sorties définitives involontaires du marché du travail ou les retours dans des conditions dégradées ; d'autant plus que la durée du congé parental français (3 ans) est l'une des plus longues d'Europe.

La délégation a pris connaissance avec intérêt de la réforme proposée. Si celle-ci se concentre sur la question de la durée, la délégation rappelle sa préférence pour un congé parental plus court et mieux rémunéré, qui invite donc à une revalorisation du complément de libre choix d'activité (CLCA) 11 ( * ) .

2. L'article 2 du projet de loi ne sera pas efficace seul
a) Un bon dispositif qui doit enclencher un mouvement

L'article 2 réforme le CLCA afin d'instituer, pour les ménages bénéficiaires, à l'exception des familles monoparentales, un partage du CLCA entre les deux parents. Pour le premier enfant, le second parent pourra bénéficier de cette prestation pendant 6 mois venant s'ajouter aux 6 mois de versement actuels. À partir du deuxième enfant, la durée actuelle de 3 ans ne sera maintenue que si, au cours des premières deux années et demi de bénéfice du CLCA, celui-ci a été attribué au second parent pendant au moins six mois. À défaut, le bénéfice de cette prestation sera donc ramené de trois ans à deux ans et demi.

La délégation estime que cette réforme va dans le bon sens et ce, sans brutalité, d'une part, parce que ne s'appliquant qu'aux enfants nés après le 1 er juillet 2014, le passage de 3 ans à deux ans et demi ne sera pleinement sensible qu'à compter de 2017 et, d'autre part, parce que l'article 2 réforme le CLCA et non le congé parental à proprement parler.


Congé parental et CLCA

Contrairement à ce que l'on entend parfois, s'il modifie la durée de versement du CLCA par la caisse d'allocations familiales (CAF), le projet de loi ne réduit pas la durée du « congé parental » . Sous ces différentes nominations 12 ( * ) , ce dernier continue de pouvoir être pris complètement ou à temps partiel et demeure de 3 ans dès le premier enfant.

En outre, le texte n'impose pas, pour que la famille continue de bénéficier d'une durée de versement du CLCA de 3 ans, que le second parent interrompe complètement son activité pendant 6 mois. Le CLCA est en effet aussi accordé dans le cas d'une simple réduction de l'activité (temps partiel) ;

Il sera donc possible de bénéficier de 3 ans de CLCA répartis par exemple comme suit : 2 ans et demi par la mère et 6 mois de temps partiel des deux parents.

* Au 1 er juillet 2013, le CLCA s'établit à 572,81 € pour une interruption complète d'activité, à 435,57 € pour un temps partiel inférieur ou égal à 50 % et à 329,38 € pour un temps partiel compris entre 50 et 80 %.

En outre, elle estime que le dispositif très mesuré qui est proposé marque une première étape qui n'a de sens que si elle conduit à un meilleur partage des activités domestiques et professionnelles au sein du couple. Pour l'heure, la norme implicite fixée par le texte est celle d'un partage à 1 pour 5 (30 mois pour un parent, 6 mois pour l'autre) du temps d'arrêt professionnel consacré éventuellement au jeune enfant. Nous sommes encore très loin du 1 pour 1 de la parité. La délégation souhaite que soit officiellement défini le calendrier d'évolution vers l'égalité des règles de partage du CLCA entre les deux parents et ce, sans attendre le premier bilan de la mesure qui ne pourra avoir lieu qu'en 2017 ou 2018 au plus tôt.

L'affichage dès aujourd'hui d'un projet de société clair constituerait un puissant levier d'évolution des mentalités et d'anticipation pour les couples. Mais l'évolution des mentalités ne fera pas tout, encore faut-il aussi que cette politique s'accompagne de moyens.

b) L'importance des engagements du gouvernement sur le développement des modes de garde

Selon les évaluations actuelles, seuls 20 % des pères (soit 100 000 pères) de deux enfants et plus devraient bénéficier du CLCA pendant les six mois prévus. Dans les autres cas, la mère sera contrainte de prendre un congé parental non rémunéré lorsqu'elle ne dispose pas de mode de garde satisfaisant.

C'est la raison pour laquelle, selon les propres mots de la ministre, la réforme est indissociable de l'effort massif décidé le 3 juin 2013 pour renforcer l'offre d'accueil de la petite enfance.

Le plan « petite enfance » annoncé par le Premier ministre

Au cours des cinq prochaines années, 275 000 nouvelles solutions d'accueil des jeunes enfants seront proposées aux parents par :

- d'une part, 200 000 places en modes de gardes

- 100 000 créations nettes de solutions d'accueil collectif,

- 100 000 enfants supplémentaires seront accueillis par des assistant(e)s maternel(le)s ;

et

- d'autre part, 75 000 nouvelles places en école maternelle pour les moins de 3 ans.

La délégation salue cet engagement, en particulier dans la mesure où, au-delà des objectifs quantitatifs, il est prévu de mettre l'accent sur la qualité de l'accueil, la réduction des inégalités territoriales et sociales, l'accueil en horaires atypiques et en urgence, ainsi que sur les enfants porteurs de handicap. Pour dissiper certains risques de confusion, elle tient à rappeler que l'école maternelle ne saurait être considérée comme un « mode de garde » au même titre que les crèches ou les assistantes maternelles car il s'agit d'un lieu de formation et ce, dès la petite section de l'école maternelle.

Elle s'interroge sur le raisonnement suivant lequel une partie des nouvelles places de crèches serait financée dès maintenant par un redéploiement, au sein des CAF, des économies réalisées sur le CLCA, si seuls 20 % des pères de deux enfants et plus utilisaient les six mois prévus par le nouveau dispositif. En effet, ces moyens ne pourront être dégagés qu'à partir de 2017, alors que, compte tenu de la durée qui s'écoule entre la décision de construction d'une crèche et sa mise en service, les décisions devraient être prises dès maintenant et coordonnées avec celles des collectivités territoriales chargées de la construction des établissements 13 ( * ) .

Lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, la délégation sera très vigilante à l'effectivité du redéploiement financier annoncé , de sorte que son caractère progressif ne conduise pas à sa dilution et à la remise en cause des engagements pris lors du vote de cette loi.

Si 20 % des pères bénéficiaient de 6 mois de versement du CLCA, la moindre dépense pour la branche famille serait de 300 millions d'euros dont 250 millions devraient contribuer au financement additionnels des autres modes de garde 14 ( * ) .

Même s'il est encore tôt pour trancher cette question, la délégation se demande si le gain net engendré par cette opération ne pourrait pas contribuer à une revalorisation du CLCA.

La délégation sera aussi très attentive à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 8 de loi sur la refondation de l'école en faveur du développement de la scolarisation des moins de 3 ans, en notant :

- que l'objectif fixé de 75 000 enfants compense à peine les trois quarts des suppressions de places intervenues entre 2001 et 2011 (où ce chiffre a baissé de 110 000) ;

- que la création prévue, sur la totalité du quinquennat, de 3 000 postes dédiés à ce dispositif 15 ( * ) aboutirait à un taux d'encadrement extrêmement faible pour des enfants de cet âge (un enseignant pour 25 enfants) ;

- que, d'après le texte, « les collectivités sont attendues pour participer à l'accueil matériel, éducatif et pédagogique » 16 ( * ) . Cet effort, venant s'ajouter à celui demandé en faveur de la construction de crèches sera loin d'être négligeable car, aux côtés de professeurs des écoles de l'éducation nationale ayant reçu une formation spécifique pour accueillir ces très jeunes enfants, il reviendra aux communes de recruter plusieurs milliers d'agents spécialisés (ATSEM) 17 ( * ) .

c) Favoriser le retour de jeunes mères à l'emploi

L'objectif final de cette réforme étant que la maternité ne soit plus source d'inégalités professionnelles, elle doit s'accompagner d'une action directe sur le retour à l'emploi des mères 18 ( * ) en congé parental. Cependant, si l'on pouvait espérer que, comme annoncé, la négociation des partenaires sociaux sur la qualité de vie au travail et l'égalité professionnelle (QVT) permette des avancées sur ce point, l'accord du 19 juin 2013 n'apporte pour l'instant qu'une réponse très partielle.

L'article 8 de l'accord du 19 juin 2013

(...) les partenaires sociaux sont convenus :

- de veiller à prendre toute mesure facilitant le retour à l'emploi des salariés en congé parental d'éducation, dans le prolongement de l'article 10.7 de l'accord national interprofessionnel du 1 er mars 2004 précité ;

- de permettre aux salariés, qui en font la demande, de bénéficier d'un entretien, afin de maintenir le lien entre le ou la salarié(e) en congé parental d'éducation et son entreprise et d'anticiper sa reprise d'emploi. Cet entretien permettra à l'employeur et au salarié d'organiser le retour à l'emploi et d'anticiper les éventuels besoins de formation. À cette occasion, l'employeur et le salarié examineront les conséquences éventuelles de la période de congé sur sa rémunération et son évolution de carrière ;

- d'étudier, au niveau des branches professionnelles, les possibilités d'adapter les formations et de faciliter les démarches de VAE des salariés ayant bénéficié d'un congé parental d'éducation, en tenant compte autant que possible des contraintes liées à la parentalité dans l'organisation des formations.

Outre que le premier point de cet article est très peu contraignant, le second point - le seul à bénéficier au salarié encore en congé parental - ne porte que sur l'entretien préalable à la reprise d'activité. Quant au troisième point, le plus substantiel - formation et valorisation des acquis de l'expérience (VAE) - il ne concerne que les salariés « ayant bénéficié » d'un congé parental d'éducation, c'est-à-dire ayant repris leur emploi. Or, c'est aussi pendant le congé parental que les parents ont besoin d'être accompagnés - en termes de bilans de compétences et d'accès à la formation - pour surmonter les obstacles au retour à l'activité.

En conséquence, la délégation souhaite que les négociations de branches prévues à l'article 8 de l'accord QVT soient complétées par des mesures spécifiques en faveur de la formation et du retour à l'emploi pendant le congé parental.

d) La réforme du CLCA peut être complétée par d'autres mesures favorables à un meilleur partage des tâches éducatives

L'un des intérêts de la réforme du CLCA est, en associant davantage le père du jeune enfant aux tâches éducatives, de modifier le partage des rôles pour les années qui suivent.

Or, ce qui est vrai pour la petite enfance l'est encore davantage pour la période très particulière des quelques semaines qui suivent la naissance. L'implication des pères dès le début a toutes les chances d'être décisive et d'accélérer les évolutions déjà à l'oeuvre. À cette fin, il convient de mobiliser un instrument qui a déjà fait ses preuves : le congé de paternité pris par les pères dans plus de 70 % des cas. Ce congé doit être pris dans les 4 mois après la naissance de l'enfant pour une durée maximale de 11 jours et la délégation renouvelle sa proposition de le porter à 4 semaines fractionnables et de le rendre obligatoire .

Cette mesure pourrait s'accompagner d'un encadrement juridique de l'arrivée de l'enfant pour le père, à l'instar de celui dont bénéficie la femme enceinte (interdiction de licenciement, prise en charge d'un certain nombre d'absences...).

Toutefois, la recherche, d'une part, d'une meilleure articulation entre vie familiale et vie professionnelle et, d'autre part, d'un meilleur partage ne s'arrête pas aux trois ans de l'enfant. Aussi, au-delà de la question spécifique du CLCA traitée dans le projet de loi, la délégation renouvelle-t-elle son appel en faveur d'une réforme plus large du congé parental qui serait fractionnable et utilisable jusqu'à la majorité de l'enfant.


* 8 Étude de Mme Stéphanie Govilllot, INSEE Première n° 1545-juin 2013.

* 9 La différence de 10 % dite « non expliquée ».

* 10 Femme et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation , Rapport d'activité 2012 de la délégation (p. 89 et 90°, n°279 (2012-2013).

* 11 Allocation versée pour les parents en congé parental.

* 12 Congé parental d'éducation à temps partiel ou à temps plein dans le secteur privé, congé parental (interruption complète) ou temps partiel de droit dans la fonction publique.

* 13 Le fonds national d'action sociale géré par les CAF contribue au fonctionnement des établissements dont la construction est, pour l'essentiel, financée par les communes.

* 14 D'après l'étude d'impact.

* 15 Annexe de la loi intitulée : Affecter des moyens humains au service des priorités de la refondation sur la durée de la législature.

* 16 Annexe de loi intitulée : Augmenter l'accueil des enfants de moins de 3 ans à l'école maternelle.

* 17 Agence territoriaux spécialisés en école maternelle.

* 18 Et de plus en plus, espérons-le, des pères.

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