B. UN CERCLE VICIEUX D'INÉGALITÉS « INTÉGRÉES » LES UNES AUX AUTRES

Cheffes de familles monoparentales, travailleuses à temps partiel, titulaires de petites retraites, nombre de femmes sont en situation de vulnérabilité pour des raisons économiques. Ces situations sont, tout comme les violences, rendues possibles par l'existence d'une asymétrie au sein du couple, notamment dans le partage des rôles, contraignant souvent la femme à sacrifier sa vie professionnelle après la naissance des enfants. Ce choix s'explique lui-même par des inégalités de revenus au sein du ménage car, même pour un travail de valeur égale, l'égalité des salaires est loin d'être toujours respectée dans notre pays. Pourquoi ? On sait que la place des femmes dans le monde du travail subit encore trop souvent le poids de stéréotypes forgés dès le plus jeune âge et d'une répartition inégalitaire du pouvoir au sein des entreprises et des administrations. Surreprésentés dans les instances de direction et de représentation, les hommes continuent d'imposer leurs normes ou de se coopter.

Précarité, violence, partage des rôles dans la famille, égalité salariale, image des femmes, orientation scolaire et professionnelle, parité dans les instances de décisions et de représentation : la délégation rappelle à l'occasion de ses différents travaux que ces problématiques sont liées et que chaque inégalité en entraîne une autre qui vient à son tour la renforcer.

Des mesures ont déjà été prises depuis des décennies en faveur de l'égalité dans chacun de ces domaines. Mais pour s'assurer de leur effectivité, il faut casser les cercles vicieux qui sont à l'oeuvre et se réenclenchent sans cesse. À quoi bon éteindre l'incendie dans une pièce si c'est pour le laisser reprendre dans la pièce voisine ? Des inégalités intégrées les unes aux autres appellent une réponse elle-même intégrée . Comme l'ensemble des personnes qu'elle a auditionnées, la délégation partage donc l'objectif de transversalité affiché par le projet de loi.

C. LE PROJET DE LOI, PREMIER JALON D'UNE POLITIQUE TRANSVERSALE, TROISIÈME TEMPS DE LA LUTTE POUR L'ÉGALITÉ

1. Le temps de l'égalité effective

L'objectif fixé par l'exposé des motifs est ambitieux : « après les droits civiques reconnus à la Libération, après les droits économiques et sociaux des années 70 et 80, il s'agit désormais de définir les conditions d'une égalité réelle et concrète ». Suivant la logique de l'approche intégrée , il est proposé d'engager une troisième étape dans laquelle les différentes inégalités seront attaquées de front, dans l'ensemble des domaines de l'action publique. Premier jalon sur ce nouveau chemin, le texte est le premier à aborder des champs d'inégalités jusqu'alors traités de façon séparée : de l'égalité professionnelle aux violences conjugales et de la précarité à la parité.

La mobilisation ne doit pas seulement être générale, elle doit aussi être permanente, d'où la nécessité d'une évaluation continue afin de mesurer l'efficacité des mesures prises en faveur de l'égalité, de s'assurer de sa prise en compte dans l'ensemble des politiques publiques mais aussi pour faire en sorte que ne soient plus adoptées certaines dispositions qui, en poursuivant d'autres objectifs, seraient contraires à l'objectif d'égalité entre les hommes et les femmes.

Des efforts ont déjà été engagés en ce sens, notamment dès le mois d'août 2012, avec deux circulaires du Premier ministre incitant à intégrer la question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les actions menées par chacun des ministères 2 ( * ) . Toutefois, afin d'affirmer dans notre droit positif cette exigence qui s'impose à tous les textes, y compris de niveau législatif, votre délégation rappelle sa recommandation déjà formulée en faveur d'un remplacement du verbe « favoriser » par le verbe « garantir » dans le deuxième alinéa de l'article 1 er de la Constitution. Cette modification pourrait intervenir à l'occasion d'une prochaine révision constitutionnelle.

Pour l'heure, l'approche intégrée est inscrite dans l'article 1 er du projet de loi.

2. L'article 1er du projet de loi

Sur l'article 1 er du projet de loi, qui en est la véritable clé de voûte, la délégation se contentera de livrer deux observations.

En premier lieu, la mise en oeuvre des politiques d'égalité selon l'approche intégrée est confiée non seulement à l'État mais aussi aux collectivités territoriales (et à leurs établissements publics respectifs). La délégation s'en réjouit compte tenu du rôle majeur joué par les collectivités dans des politiques telles que l'emploi et la formation professionnelle (pour les régions), la solidarité (pour les départements) et l'accueil de la petite enfance (pour les communes) mais aussi au regard des politiques intégrées avant la lettre déjà menées par nombre de collectivités intégrant l'objectif d'égalité dans l'ensemble de leurs actions. Le rapport remis à la ministre du droit des femmes par notre collègue député Vincent Feltesse le 17 juin dernier met ainsi en évidence que le nombre de collectivités ayant engagé des démarches en ce sens va bien au-delà des 139 collectivités signataires de la Charte européenne pour l'égalité entre les femmes et les hommes 3 ( * ) .

En second lieu, tout en reconnaissant la difficulté à énumérer la liste - par définition non exhaustive - des domaines concernés par l'approche intégrée, la délégation s'étonne de ne pas y voir figurer les actions en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps . Cette politique fondatrice de l'émancipation des femmes depuis les années 70 appelle en effet encore de nouvelles avancées ; l'un des combats actuels portant par exemple sur la revalorisation des interruptions volontaires de grossesse au-delà de ce qui a été obtenu dans le PLFSS 2013, faute de quoi les règles de tarification des hôpitaux les contraindront à réduire le nombre d'actes.

En tout état de cause, parmi les domaines mentionnés à l'article 1 er doivent au moins figurer tous ceux qu'aborde le projet de loi. C'est en particulier le cas de la parité en politique curieusement oubliée de cet article.

La délégation recommande donc de compléter l'article 1 er par la mention « des actions relatives à l'égal accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives » 4 ( * ) .

3. À la recherche de la loi cadre

Le gouvernement présente toujours ce texte comme étant la loi cadre 5 ( * ) initialement annoncée, notamment à l'issue du Conseil des ministres du 6 mars 2013. Pourtant, si la transversalité de cette loi constitue incontestablement un progrès, force est de constater que ce texte n'est pas la loi cadre attendue.

a) La question des moyens

La meilleure façon de donner de la consistance à une loi-cadre eut été de marquer des avancées majeures dans un nouveau texte surplombant la législation existante dans les différents domaines.

Or tel n'est pas le cas, pour partie du fait de la difficulté à mobiliser des moyens humains et financiers en cohérence avec une telle ambition. Mais, indépendamment de la question des moyens, ce projet de loi n'offre pas réellement de vision globale. Outre que son articulation avec les autres textes n'est pas toujours évidente, le projet de loi manque de souffle.

b) Le lien avec les autres textes

La délégation a été confrontée à une difficulté particulière dans l'appréciation de la portée de ce texte. Celle-ci réside dans le fait que le projet de loi se télescope avec d'autres textes actuellement en cours d'adoption ou en voie d'application.

Le projet de loi a ainsi été adopté en conseil des ministres le 3 juillet 2013 avec un volet sur l'égalité professionnelle (les articles 2 à 4) réduit par rapport aux textes antérieurs, alors que le 19 juin de la même année, les partenaires sociaux avaient, dans le cadre de l'accord interprofessionnel, adopté un texte sur la qualité de vie au travail et l'amélioration de l'égalité professionnelle.

Par ailleurs, alors que le projet de loi pose en filigrane la question de la lutte contre les stéréotypes et de la formation des professionnels qui peuvent y concourir, rien n'indique encore comment seront mises en oeuvre les dispositions de l'article 70 de la loi sur la refondation de l'école 6 ( * ) qui confie aux écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé) l'organisation des formations de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes 7 ( * ) . Ces écoles doivent être mises en place à la rentrée de septembre 2013.

c) Le besoin d'un horizon

En outre, à défaut d'une intervention substantielle dans chacune des principales politiques publiques concourant à l'égalité, on aurait pu attendre d'une loi-cadre qu'elle leur fixe des objectifs pour les principaux progrès attendus dans la réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes à l'horizon de 10 ou 15 ans.

En offrant une vision précise de la société à construire, le texte aurait été de nature à mobiliser les acteurs, à donner la feuille de route des mesures à prendre dans les différents domaines et à favoriser l'évolution des mentalités. Pour la mesure la plus emblématique du texte relative au congé parental, le texte prévoit le partage de six mois de congé parental sur une période de trois ans sans indiquer explicitement comment il s'inscrit dans la marche vers l'objectif de la famille égalitaire. De même, les quotas s'accumulent - 50 % ici, 25 % là et un tiers, 40 % ou 20 % ailleurs - sans que l'on sache quel est l'horizon commun vers lequel les différents domaines d'activités doivent converger. Ce texte aurait pu être l'occasion de poser noir sur blanc le projet de société qui lui donne son souffle. Or tel n'est hélas pas le cas.


* 2 Circulaires du 23 août 2012 relative à la mise en oeuvre de la politique interministérielle en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d'égalité entre les femmes et les hommes.

* 3 Rapport Egalité femmes-hommes dans les territoires : état des lieux des bonnes pratiques dans les collectivités locales et propositions pour les généraliser .

* 4 Selon les termes de l'article 1 er de la Constitution.

* 5 http://www.gouvernement.fr/gouvernement/loi-cadre-pour-l-egalite-femmes-hommes-agir-sur-tous-les-fronts .

* 6 Loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République (n °2013-595 du 8 juillet 2013).

* 7 6° de l'article L. 721-2 du code de l'éducation.

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