2. Un outil transnational par nature difficile à contrôler
Myriam Quémener et Joël Ferry constatent avec justesse que « l e monde des réseaux numériques confronte les internautes, les services d'enquête et la justice à l'hétérogénéité des systèmes juridiques à l'échelon mondial » 89 ( * ) .
En effet, toute régulation nationale comporte des limites liées à la mondialisation technologique :
- la diffusion audiovisuelle peut être ainsi opérée depuis un pays étranger . C'est l'un des débats majeurs relatifs aux chaînes de télévision pour les bébés (0 à 3 ans). Ces chaînes dont l'objet est éminemment contestable pourraient en effet être interdites, même si la France a davantage choisi la voie de l'encadrement et de l'information 90 ( * ) . Pour autant, si le CSA peut refuser de conventionner une chaîne satellitaire et saisir le juge administratif en référé audiovisuel afin qu'il soit enjoint à un opérateur satellitaire de cesser la diffusion d'une chaîne qu'il transmet, il lui est impossible d'agir à l'encontre des opérateurs satellitaires ne relevant pas de la compétence de la France et qui transmettent des chaînes dangereuses. Le téléspectateur n'est donc pas protégé contre la diffusion de chaînes par les satellites égyptiens « Nilesat » ou néerlandais « Newskies » ;
- les sites Internet où se trouvent les contenus choquants ne sont en général pas hébergés en France, ce qui rend plus difficile la condamnation des éditeurs. La jurisprudence a toutefois reconnu qu'un texte diffusé sur Internet depuis un site étranger, parce qu'il peut être reçu et vu dans le ressort territorial d'un tribunal français, peut suffire à justifier sa compétence (TGI Paris, 13 novembre 1998, UNADIF c/ Faurisson). Il semble par conséquent qu'en matière pénale, la peur des « paradis informationnels » de la navigation numérique soit bien moins fondée que celle des « pavillons de complaisance » pour la navigation maritime. En effet, les articles 113-6 et 113-7 du code pénal sont applicables sans condition de double incrimination ce qui évite de créer la tentation pour un citoyen français de se réfugier dans un État à l'arsenal législatif peu développé 91 ( * ) . Le problème réside en fait davantage dans la nature extrêmement foisonnante d'Internet, qui ne permet pas aux administrations d'effectuer un contrôle exhaustif du respect de la législation .
A la mi-novembre 2007, nombreux auteurs de blogs américains se sont ainsi étonnés de voir de très nombreux blogs étrangers établir un lien vers leurs blogs. Ils se sont aperçus qu'il s'agissait en fait de « spammers porno » dont les sites étaient hébergés sur des serveurs de l'université de Bucarest en Roumanie qui ont tenté d'utilisé le bon classement des blogs sur google pour gagner en notoriété.
Des systèmes d'autorégulation peuvent être envisagés. La Fédération européenne de logiciels de loisirs (ISFE) a ainsi créé un système européen de classification par catégorie d'âge des jeux vidéo auquel ont adhéré les principaux fabricants de console, Playstation, Xbox et Nintendo. Lancé au début du printemps 2003, le système PEGI a remplacé les différents systèmes nationaux préexistants par un système européen unique (à part en Allemagne qui dispose d'une législation nationale). Les classifications par classe d'âge des jeux figurent sur leur emballage et les distributeurs fournissent l'information nécessaire à la compréhension du nouveau système. L'ISFE a confié l'administration de PEGI à l'institut néerlandais de classification des médias (NICAM). C'est un bon exemple de tentative de régulation d'un secteur par ses acteurs. Il s'agit ici d'autorégulation auxquels se soumettent 90 % des éditeurs de jeux produisant 4 000 titres par an.
Toutefois, ce type d'expérimentation montre aussi ses limites. Ainsi votre rapporteur conteste fortement le classement choisi : en effet il contient un descripteur « discrimination », qui signifie que le jeu contient des images susceptibles d'inciter à la discrimination 92 ( * ) !
Cet exemple montre que l'idée de la régulation est bonne mais requiert un minimum d'intervention étatique, ne serait ce que pour donner davantage de force et de légitimité à la classification.
* 89 Mme Myriam Quémener et le colonel de gendarmerie Joël Ferry, Cybercriminalité, éd. Economica, 2007.
* 90 Délibération n° 2008-85 du 22 juillet 2008 du Conseil supérieur de l'audiovisuel visant à protéger les enfants de moins de 3 ans des effets de la télévision, en particulier des services présentés comme spécifiquement conçus pour eux.
* 91 M. Michel Vivant, Droit de l'informatique des réseaux, Lamy, 2001, n° 2488.
* 92 Voir audition du 17 avril 2008, de M. Jean-Claude Laure, directeur général du syndicat des logiciels de loisirs.