2. Le risque publicitaire
La génération numérique est aussi une génération des marques : elles constitueraient un repère pour 62 % des 11-14 ans, 65 % des 15-17 ans et 70 % des 18-19 ans 45 ( * ) !
Du fait de la volatilité de leurs choix, les publicitaires déploient des tactiques de plus en plus actives, surtout sur Internet (« viral marketing » 46 ( * ) , publicités personnalisées dans les jeux vidéo grâce aux « smart ads 47 ( * ) », marques qui aspirent à développer leur propre média comme Sony avec Playstation TV). On parle même de « guerilla marketing ». Le web facilitant la démarche participative (retour d'expérience, collaboration, co-construction), 41 % des jeunes de moins de 30 ans pensent en outre pouvoir influencer une marque en donnant leur avis ou en suggérant des innovations (Etude d'Ipsos, 2006) 48 ( * ) .
Dans son rapport remis au ministre de la justice en 2002, Mme Claire Brisset estime que les enfants subissent un bombardement publicitaire qui leur est néfaste, soulignant que « l'enfant a supplanté la famille dans les représentations publicitaires [...] il est souvent le héros solitaire de la publicité qui n'hésite plus à s'adresser directement à lui ». Mme Monique Dagnaud 49 ( * ) remarque, quant à elle, que « parce qu'elles constituent un enjeu économique et idéologique pour les annonceurs, et, par un mouvement spontané que personne ne contrôle vraiment, les publicités cherchent à atteindre les jeunes partout où ils se trouvent : leurs médias, leurs espaces de loisirs, leur école ».
La commission sénatoriale américaine qui s'est penchée sur la violence des jeux vidéo a fustigé les pratiques publicitaires des industriels du secteur en soulignant les dangers et les limites des systèmes de contrôle fondés sur la seule autorégulation . Elle a estimé que le bon étiquetage des produits est largement contrebalancé par le ciblage de la publicité sur les enfants et notamment celle pour les produits de divertissement violent. Elle considère que les pratiques publicitaire omniprésentes et agressives « rendent inutiles les avertissements aux parents et posent la question de la crédibilité du système de classification ».
Cette influence de la publicité sur les enfants a des conséquences importantes sur la consommation , puisque dès 12 ans, 9 jeunes sur 10 imposent leurs choix pendant les courses et 84 % des parents l'acceptent. (Fashion Daily News, 7 avril 2006). 92 % des 2-7 ans sont prescripteurs de marques dans l'alimentaire et 41 % décident seuls des produits qu'ils consomment. Dans l'hygiène beauté, ils influencent la consommation familiale à hauteur de 52 % et sont 70 % à utiliser plus de 5 marques (Consojunior 2006 de TNS Média Intelligence).
Elle a aussi des conséquences sanitaires. Des études britanniques et américaines ont en effet montré un impact de la publicité sur l'obésité infantile. L'analyse par l'UFC - Que choisir des spots publicitaires télévisés diffusés auprès des enfants jusqu'à 12 ans dans dix pays (Etats-Unis, Australie et huit pays d'Europe), selon leur durée, fréquence et choix des produits, donne des résultats édifiants : l'alimentaire occupe 38 à 84 % du total des publicités, et celles vantant les produits riches en sucres et/ou en graisses sont fortement et positivement corrélées à un surpoids chez les enfants qui en sont la cible 50 ( * ) . A l'inverse, et plus modestement, plus le nombre de spots pour aliments « sains » augmente, plus le surpoids diminue. Outre le contenu du message publicitaire, c'est aussi et surtout le nombre de diffusions qui doit être contrôlé selon UFC - Que choisir.
Notre réglementation prévoit que les communications commerciales audiovisuelles ne doivent pas inciter directement les mineurs à l'achat ou à la location d'un produit ou d'un service en exploitant leur inexpérience ou leur crédulité, inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d'acheter les produits ou les services faisant l'objet de la publicité, exploiter la confiance particulière que les mineurs ont dans leurs parents, leurs enseignants ou d'autres personnes, ou présenter sans motif des mineurs en situation dangereuse 51 ( * ) . Sur la question de l'obésité, concrètement, cela implique seulement que les publicités ne peuvent montrer des enfants qui s'empiffrent.
Si la décision d'imposer des messages de prévention dans les publicités pour les produits gras prise en 2007 était supposée contrebalancer l'impact des nombreuses publicités pour les produits gras, force est de constater qu'elle a été inefficace, voire contre-productive, notamment du fait de la difficulté d'interpréter ces communications.
Des solutions plus radicales peuvent pourtant être envisagées. En Suède, la diffusion de publicités est interdite pendant les programmes jeunesse depuis 1991. Jusqu'à 21 heures en semaine et 22 heures le week-end, les spots mettant en scène des enfants ou des personnages qui leur sont familiers sont prohibés. Il semblerait cependant que des stratégies de contournement de chaînes comme TV3 et Kanal 5 qui émettent depuis la Grande-Bretagne via le satellite aient été mises en place. Au Québec, ont été interdites depuis 1980 les publicités dans les programmes destinés aux moins de 13 ans. Plusieurs chaînes jeunesse émettent cependant depuis les États-Unis ou le reste du Canada. Pour lutter contre l'obésité infantile, l'office régulateur britannique a, quant à lui, banni les publicités télévisées dans les programmes destinés aux enfants de moins de 16 ans, pour les aliments à haute teneur en matières grasses ou comprenant trop de sel ou de sucre. En plus des restrictions horaires, l'Ofcom prévoit d'interdire l'utilisation d'acteurs célèbres ou de héros de bande dessinée dans les spots publicitaires de nourriture non saine. Les cadeaux et les allégations nutritionnelles ou de santé seront également interdits. Dans la même ligne, la Finlande a interdit en 2002 une campagne pour le « Happy Meal » de McDonald's, la jugeant déloyale car elle faisait des jouets le message principal du spot.
En France, des mouvements de défense des consommateurs ont appelé à un bannissement complet de ce type de publicité et la ministre de la santé l'a proposé, sans que le Gouvernement n'ait encore tranché.
Votre rapporteur estime à titre personnel que les mesures encadrant les formes de ces publicités sont les plus intéressantes . En effet, l'interdiction totale de la publicité pendant les programmes jeunesse n'aurait qu'un impact limité parce que les enfants regardent aussi, voire surtout, la télévision en même temps que leurs parents.
La Grande-Bretagne a approfondi sa réflexion en lançant un programme pour enseigner aux enfants de 6 à 11 ans à prendre de la distance vis-à-vis des messages publicitaires. Le programme grâce auquel du matériel pédagogique offrant une réflexion critique sur la publicité a été développé, a depuis été lancé en Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Finlande, Suède, Italie, Portugal et Hongrie.
Cet outil pédagogique paraît d'autant plus utile que les publicitaires tendent de facto à contourner les réglementations fixées pour la télévision en utilisant les nouveaux médias, qui permettent de cibler très précisément le public jeune.
À la différence de certains pays tels que le Royaume Uni, la France ne dispose en outre d'aucun organisme public exerçant une mission de régulation en matière de publicité (sauf le CSA sur la télévision). L'autorégulation du bureau de vérification de la publicité, si elle est utile, apparaît insuffisante.
Votre rapporteur souhaite à cet égard que soit lancée une étude de grande ampleur sur l'impact de la publicité en direction de la jeunesse , notamment sur Internet et sur les modes de régulation qui pourraient être envisagés.
Sur la question de l'application de la loi dite « Evin » à Internet, votre rapporteur se prononce sans équivoque sur le statu quo et désapprouve l'annonce de la Ministre d'autoriser la publicité pour l'alcool sur Internet.
Si les nouvelles technologies peuvent avoir des conséquences sanitaires indirectes, leur impact peut aussi être beaucoup plus visible.
* 45 TNS Media Intelligence, Consojunior 2004.
* 46 La spécificité de ce type de marketing est que les consommateurs deviennent les principaux vecteurs de la communication de la marque (diffusion de la marque par un court métrage que les internautes vont s'envoyer parce qu'il leur plaît ou qu'il est drôle).
* 47 Des publicités pour le candidat Barack Obama sont même visibles dans le jeu Burnout Paradise des Xbox 360.
* 48 Mme Florence Hermelin, auditionnée le 5 juin 2008, a insisté particulièrement sur le « rapport fusionnel » des jeunes aux marques que son enquête annuelle menée dans le cadre du NRJ Lab a établi à plusieurs reprises.
* 49 Monique Dagnaud, Les enfants, acteurs courtisés de l'économie marchande, Enfants et publicité télévisé, février 2002.
* 50 3,5 % des enfants de 3 à 17 ans en France souffrent d'obésité et 14,3 % de surpoids.
* 51 Article 7 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour application du 1° de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux concernant le régime applicable à la publicité et au parrainage.