CHAPITRE PREMIER : UN MILLIARD D'EUROS POUR L'ACTION CULTURELLE À L'ÉTRANGER, UN IMPACT À MIEUX ÉVALUER
I. UN MILLIARD D'EUROS POUR LE RAYONNEMENT CULTUREL À L'ÉTRANGER
La France n'a pas à rougir des efforts budgétaires consacrés à la promotion de la culture française à l'étranger , plus d'un milliard d'euros en 2007, qui viennent s'ajouter au soutien public à la création du budget du ministère de la culture. Ce n'est donc pas d'une faiblesse éventuelle des moyens budgétaires dont peut souffrir la promotion de la culture française à l'étranger .
A. DES EFFORTS BUDGÉTAIRES TRÈS SIGNIFICATIFS, SUPÉRIEURS À CEUX DE NOS PRINCIPAUX PARTENAIRES
La France dispose du plus grand réseau culturel du monde, avec 144 centres culturels ou instituts à l'étranger, qui coexistent le plus souvent avec un conseiller culturel oeuvrant au sein des ambassades . De surcroît, 220 alliances françaises sont dirigées par un agent de l'Etat expatrié. 255 autres alliances françaises bénéficient de financements de la part des postes à l'étranger.
1. Un milliard d'euros géré par une pluralité de ministères
Il n'existe pas de document budgétaire qui recenserait l'ensemble des moyens publics que consacre l'Etat à la promotion de la culture française à l'étranger . Le volume des crédits qui lui sont dévolus pourrait justifier la création d'une mission, au sens de la LOLF. Mais la promotion de la culture et de l'université françaises à l'étranger constitue une action transversale , au sein de laquelle il est délicat de trouver un seul responsable, tant au niveau politique qu'administratif. La mise en place d'une mission interministérielle ne résoudrait pas les difficultés, puisqu'elle verrait sans doute cohabiter des programmes, au sens de la LOLF, gérés de manière autonome par les différents ministères.
De surcroît, il convient de préciser que les dépenses que consacrent, par exemple, certaines institutions culturelles et ou certains établissements supérieurs à leur action internationale ne figurent pas au sein des documents budgétaires des différents ministères , car elles sont par définition très éclatées. Elles sont pour autant, dans certains cas, très substantielles.
Une meilleure information du Parlement pourrait passer par la création d'un nouveau document de politique transversale (DPT) permettant de lui présenter l'ensemble des moyens publics consacrés à cette politique essentielle.
a) Le budget consacré à la promotion de la culture française à l'étranger vient s'ajouter à celui dédié au soutien à la création en France
Contrairement à une idée parfois émise, la France consacre des moyens très substantiels à son action culturelle, scientifique et universitaire à l'étranger, de l'ordre de plus d'un milliard d'euros en 2007. Dans certains documents de communication budgétaire, le ministère des affaires étrangères et européennes, pour souligner la modestie supposée des moyens consacrés à la culture à l'étranger, a coutume de les comparer avec le financement public de l'Opéra national de Paris. Cette comparaison n'est pas à proprement parler convaincante, pour au moins trois raisons :
- premièrement, les crédits dévolus, en 2007, à l'Opéra national de Paris s'établissaient à 107,2 millions d'euros en crédits de paiement, très en-deçà des sommes destinées au rayonnement culturel à l'étranger, auquel participe d'ailleurs l'Opéra national de Paris ;
- deuxièmement, l'Etat n'a pas pour vocation de réaliser dans les pays étrangers un effort de la même nature que celui qu'il consent au profit de la création culturelle en France : la France n'imagine pas un instant se substituer aux investissements que chaque Etat consent en faveur de ses propres établissements culturels, même si, dans un certain nombre de pays africains de la zone de solidarité prioritaire, les centres culturels français constituent parfois l'unique établissement culturel de référence ;
- en effet, troisièmement, le milliard d'euros voté par le Parlement en faveur de la promotion de la culture française à l'étranger s'ajoute aux efforts déjà accomplis en faveur du soutien à la création (794,8 millions d'euros de crédits de paiement en 2007) et à la diffusion culturelle (826,2 millions d'euros de crédits de paiement en 2007) financé par le ministère de la culture, sans compter les dépenses des collectivités territoriales en faveur de la culture.
Il faut ainsi souligner la spécificité de l'action culturelle à l'étranger : visant à promouvoir la création, la recherche et l'université française dans le monde, elle est indissociable des efforts déjà réalisés en leur faveur, auxquels elle vise à apporter un débouché international . Elle est, pour le domaine culturel, l'équivalent de ce que le ministère de l'économie met en oeuvre en faveur du déploiement international des entreprises, à travers UBIFRANCE et les missions économiques.
b) La répartition du milliard d'euros consacré à l'action culturelle à l'étranger
Votre rapporteur spécial a collecté les principales données budgétaires de l'action culturelle à l'étranger, qui figurent dans l'encadré ci-après. Ces données sont issues des rapports annuels de performances pour l'exercice 2007, et présentées, grâce à la comptabilité analytique de l'Etat, autant que possible en coûts complets, c'est-à-dire qu'elles tiennent compte à la fois des coûts directs, mais aussi des coûts indirects liés aux fonctions dites « support » : gestion de l'informatique, de l'immobilier, des ressources humaines etc... Au total, en 2007, l'Etat investissait plus d'un milliard d'euros dans la culture française à l'étranger.
Encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte de l'ensemble des actions internationales menées aujourd'hui par les institutions culturelles françaises, mais aussi par les différents établissements d'enseignement participant au rayonnement de notre pays.
De plus, l'argent privé constitue un levier essentiel de promotion de la culture française à l'étranger : difficile à mesurer, le mécénat privé, souvent recherché par les agents du réseau culturel à l'étranger, constitue une source de financement désormais très significative .
Plus d'un milliard d'euros pour la promotion de la culture française à l'étranger, éclatés entre différents ministères 1) 375,5 millions d'euros au titre du réseau culturel à l'étranger, dont 141,6 millions d'euros investis dans les pays de l'Union européenne et de l'OCDE ; 2) 155,7 millions d'euros au titre de TV5 et RFI auxquels il faut rajouter 69,6 millions d'euros pour France 24 ; 3) 226,1 millions d'euros au titre des échanges scientifiques, techniques et universitaires ; 4) 150 millions d'euros au titre des 53 % d'élèves étrangers accueillis dans l'enseignement français à l'étranger ; 5) 55,7 millions d'euros pour les organisations internationales de la francophonie ; 6) 23,5 millions d'euros pour l'action internationale du ministère de la culture ; 7) 6,7 millions d'euros de subvention du centre national de la cinématographie à Unifrance ; 8) des sommes de plus en plus importantes du ministère de l'enseignement supérieur : au moins 14 millions d'euros . Source : rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement pour 2007 |
Les crédits consacrés au réseau culturel à l'étranger représentaient en 2007 35 % de l'effort budgétaire total , loin devant l'audiovisuel extérieur (21 %) et la promotion des échanges scientifiques et universitaires (21 %).
Répartition de l'effort budgétaire en faveur du rayonnement culturel et scientifique en 2007
Source : rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement pour 2007
Les lycées français à l'étranger, gérés par l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et européennes, ne représentent que 14 % du total . En effet, si le budget de l'agence de l'enseignement français à l'étranger représentait en 2007 281,6 millions d'euros, ses établissements accueillaient 53,3 % d'enfants non français, soit un prorata de dépense de 150 millions d'euros.
c) La dépense consacrée à la promotion de la culture française à l'étranger apparaît protéiforme
La dépense en faveur de l'action culturelle à l'étranger a très souvent une nature mixte .
Elle est ainsi à la fois politique et culturelle : l'ouverture annoncée d'un centre culturel à Erbil, dans le Kurdistan irakien, est d'abord un geste politique avant d'avoir un intérêt dans la promotion des échanges culturels. De même, la participation de la France à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) vise avant tout à matérialiser, grâce à une appartenance culturelle commune, des solidarités politiques, même si l'OIF finance aussi, grâce à des programmes de soutien à l'enseignement de la langue française, une action culturelle.
Dans le cas des lycées français à l'étranger, l'investissement public présente un double objectif, qui peut parfois apparaître comme contradictoire : d'une part, permettre la scolarisation des enfants français à l'étranger et, d'autre part, accueillir des enfants étrangers dans ces lycées. Cet objectif répond à une logique « d'influence » auprès de futures élites, qu'il conviendrait de mieux évaluer. A enveloppe budgétaire constante, les deux objectifs peuvent être difficiles à concilier, puisque, en toute logique, les enfants français sont prioritaires face aux enfants étrangers.
L'action culturelle, scientifique et universitaire à l'étranger est ensuite interministérielle par nature , et ce de plus en plus, depuis que le ministère des affaires étrangères et européennes a perdu, précédent intéressant, son autorité sur l'audiovisuel extérieur. Ce précédent souligne la difficulté aujourd'hui de conforter la légitimité du ministère des affaires étrangères dans le pilotage stratégique de l'action culturelle à l'étranger.
La tendance actuelle n'est pas de regrouper l'ensemble de ces crédits sur une seule mission, mais au contraire de les « éparpiller » dans un nombre croissant de missions budgétaires : la promotion à l'international constitue de moins en moins une modalité propre de la diplomatie, mais la continuité d'une politique sectorielle : culture, audiovisuel, enseignement supérieur.
Répartition du financement de la culture
française à l'étranger par mission
(au sens de la
LOLF)
(en milliards d'euros)
Source : rapports annuels de performances annexés au projet de loi de règlement pour 2007
Les deux missions sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères et européennes, les missions « Action extérieure de l'Etat » et « Aide publique au développement » représentent encore néanmoins 75 % des crédits consacrés à l'action culturelle extérieure .
On peut s'interroger, comme le font chaque année notre collègue Michel Charasse, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », et votre rapporteur spécial, sur les raisons qui conduisent le ministère des affaires étrangères et européennes à scinder les crédits entre deux programmes de deux missions distinctes : le programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique » et le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », répartissant les montants investis par le Quai d'Orsay à l'étranger selon que les pays d'accueil font partie ou non de la liste établie par le comité d'aide au développement de l'OCDE.
Or cette liste est particulièrement extensive puisqu'elle comprend ainsi les grands pays émergents : Afrique du sud, Argentine, Brésil, Chine, Inde... La majeure partie de l'action culturelle menée dans ces pays, comme d'ailleurs dans la grande majorité de ces autres pays, ne relève en aucune façon de l'aide publique au développement au vrai sens de ce mot : les crédits afférents n'ont pas vocation à figurer au sein de la mission « Aide publique au développement ». Pour cette raison, votre rapporteur spécial plaide pour un programme budgétaire unique, au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat », consacrée à l'action culturelle à l'étranger, afin de favoriser la lisibilité des crédits pour le Parlement et de simplifier la gestion de la dépense publique en favorisant les redéploiements géographiques.
141,6 millions d'euros étaient consacrés en 2007 au réseau culturel à l'étranger dans les pays de l'OCDE (programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique ») et 233,9 millions d'euros dans les pays émergents et dans les pays en développement (programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement »). 77 millions d'euros étaient destinés aux échanges scientifiques, techniques et universitaires dans les pays de l'OCDE (programme 185) et 149,1 millions d'euros dans les pays émergents et dans les pays en développement (programme 209).
d) Une transparence budgétaire encore perfectible, en ce qui concerne les effectifs des centres culturels
Les éléments précédents - éclatement des crédits entre deux programmes de deux missions distinctes, absence de recensement des crédits des établissements d'enseignement supérieur consacrés à leur action internationale - ne facilitent pas la lecture par le Parlement des données budgétaires consacrées à l'action culturelle extérieure.
De surcroît, les effectifs consacrés à cette politique sont mal connus. Ainsi le programme 185 « Action extérieure de l'Etat » emploie 1.317 agents en équivalents temps plein et le programme 209 « Aide publique au développement » recense 1.150 agents en équivalents temps plein affectés à la « dimension culturelle du développement » et à la « promotion de l'enseignement supérieur et recherche au service du développement ». Ces éléments sont à prendre avec précaution en ce qui concerne le programme 209 : les modalités de répartition des effectifs entre les différentes actions du programme peuvent ne pas être définitives.
Ces chiffres sont incomplets car ils ne tiennent pas compte des 4.700 recrutés locaux des instituts et centres culturels à l'étranger (non exprimés en équivalents temps plein). Ces effectifs ne figurent pas au sein du plafond d'emploi du ministère des affaires étrangères et européennes. Ils ne sont donc pas soumis au vote du Parlement au moment de l'examen des projets de loi de finances. C'est donc la part déterminante des effectifs culturels à l'étranger qui échappe au contrôle du Parlement. Ceci s'explique par le fait que les centres culturels constituent des établissements à autonomie financière (EAF).
Or ces établissements n'ont pas la personnalité juridique et ne se distinguent donc pas de l'Etat . Le contrat de modernisation du ministère des affaires étrangères et européennes signé le 18 avril 2006 entre M. Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement, et M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères prévoyait pourtant « d'étudier les voies et moyens d'une intégration future des agents de droit local des établissements à autonomie financière dans le plafond d'emploi ministériel sans porter atteinte à la souplesse de gestion de ces établissements ». Les résultats de cette étude ne sont jamais parvenus à votre rapporteur spécial. Cette clause du contrat de modernisation n'apparaît pas appliquée. Or, depuis, à l'initiative de notre collègue Michel Charasse, a été adopté en loi de finances rectificative pour 2007 un article 64 qui prévoit que, à compter du 1 er janvier 2009, un plafond des agents employés par les opérateurs de l'Etat est fixé en loi de finances. Il apparaît nécessaire que le ministère des affaires étrangères et européennes se conforme à la volonté du Parlement d'introduire de la transparence dans la gestion des effectifs publics.
Il ne s'agit pas seulement de respecter les prérogatives du Parlement, mais aussi de favoriser les décisions de gestion du ministère des affaires étrangères et européennes. Ainsi, dans le contexte d'une réduction des effectifs publics voulue par le Président de la République , le ministère des affaires étrangères et européennes est conduit à procéder à des arbitrages qui ne pèsent que sur les effectifs titulaires et contractuels , et non sur les recrutés locaux puisque ceux-ci n'entrent pas dans le plafond d'emploi. « L'assiette » des réductions d'effectifs est donc réduite et concentrée sur une partie seulement du personnel diplomatique . Or les adaptations du réseau culturel, notamment si l'on admet que des redéploiements de moyens entre les différentes zones géographiques sont indispensables, peuvent tout aussi bien concerner les agents du ministère que les recrutés locaux. Une « fongibilité » des effectifs entre recrutés locaux et les autres agents est nécessaire. En sanctuarisant pour l'essentiel les effectifs des recrutés locaux, dont la masse salariale s'est révélée par ailleurs très dynamique au cours des dernières années, le ministère des affaires étrangères et européennes rigidifie en large partie la répartition des moyens entre les différents centres culturels là où une souplesse accrue serait nécessaire.