Audition de M. Dominique Bureau,
directeur des études économiques et de l'évaluation
environnementale, de Mme Sylviane Gastaldo, sous-directeur de l'environnement,
des régulations économiques, et du développement durable,
et de M. François Nass, chef du bureau des régulations
internationales, au Ministère de l'Ecologie et du Développement
durable,
le 3 juin 2003
Pour
introduire son exposé,
M. Dominique Bureau, directeur des
études économiques et de
l'évaluation
environnementale au Ministère de l'Ecologie et du développement
durable
, a indiqué que le service qu'il dirige a été
constitué il y a seulement trois ans, après une longue phase de
maturation et de réflexion. Ce service d'étude s'intéresse
principalement à l'évaluation économique et
environnementale, mais aussi à des thèmes transversaux, qui
touchent à l'économie nationale, à l'économie
internationale, et à la gestion des risques.
Pour
M. Dominique Bureau
, la question centrale est celle de la
conciliation entre développement des pays du Sud et protection de
l'environnement. Les pays du Sud s'opposent à ce qu'on leur impose des
contraintes qui entravent leur développement. Ils sont ouverts en
revanche à ce que les pays industrialisés les aident à
trouver les voies d'un développement « propre »,
c'est-à-dire respectueux de l'environnement. L'idée selon
laquelle le développement entraînerait automatiquement une
amélioration de la qualité de l'environnement est
naïve : l'amélioration de la qualité de l'environnement
nécessite la mise en oeuvre de politiques appropriées.
Puis
M. Dominique Bureau
a expliqué quelles étaient, selon
lui, les conséquences de la mondialisation sur l'environnement. Des
études - peu nombreuses - réalisées en Europe et aux
Etats-Unis suggèrent la relation suivante : la
libéralisation des échanges accélère le rythme de
la croissance économique, et entraîne, par là même,
une augmentation des atteintes à l'environnement, au moins à
court et moyen terme. En outre, la libéralisation rend les agents
économiques plus sensibles aux différences de
réglementation environnementale entre les pays.
M. Dominique
Bureau
a cité l'exemple du secteur de l'électricité en
Europe : la libéralisation du marché de
l'électricité dans l'Union européenne entraînera
vraisemblablement une restructuration du secteur ; les centrales
thermiques, qui consomment du charbon, sont fort polluantes, et il est probable
que les producteurs d'électricité chercheront à profiter
des différences de réglementation entre pays pour minimiser leurs
coûts. Il est donc essentiel de réfléchir à des
mesures d'accompagnement du processus de libéralisation. Il importe en
particulier de procurer une bonne visibilité des futures politiques
environnementales.
M. Serge Lepeltier, sénateur,
a alors rappelé que les
grandes entreprises avaient tendance à appliquer des règles de
conduite et des codes de gestion homogènes dans tous leurs sites de
production, ce qui devrait limiter l'impact des différences de
réglementation entre pays.
M. Dominique Bureau
s'est prononcé en faveur d'un
développement des études d'impact, afin de mieux apprécier
les conséquences environnementales des décisions
économiques.
En réponse à une question de
M. Serge Lepeltier,
sénateur, M. Dominique Bureau
a indiqué que
régionalisme et multilatéralisme pouvaient être
complémentaires à deux conditions : le régionalisme
ne doit pas être un obstacle aux progrès du
multilatéralisme ; et le régionalisme ne doit pas
détourner des flux d'échanges existants, mais
générer des flux d'échanges supplémentaires.
Au niveau multilatéral, le démantèlement des droits de
douane, qui était l'étape la plus aisée à franchir,
est aujourd'hui largement achevé. Les principales barrières aux
échanges qui demeurent sont non-tarifaires. Les réglementations
environnementales sont parfois vues comme des obstacles potentiels aux
échanges. Or, la montée des enjeux environnementaux conduit
à une multiplication des réglementations environnementales, ce
qui accroît les risques de conflit avec les règles commerciales.
Pour atténuer ces conflits potentiels, il importe de réduire le
déséquilibre actuel entre l'OMC, d'une part, organisation
très structurée, et les organisations en charge de
l'environnement, très éparpillées. L'OMC a besoin d'un
interlocuteur plus crédible et lisible.
Mme Sylviane Gastaldo, sous-directeur de l'environnement, des
régulations économiques, et
du développement
durable au Ministère de l'écologie et du développement
durable
, a alors souligné que très peu d'accords
environnementaux multilatéraux prévoyaient des mesures pour
sanctionner leur non-respect.
Puis
M. Dominique Bureau
a donné deux exemples de
difficultés de conciliation entre règles commerciales et
objectifs environnementaux. Dans une affaire portée devant l'organe de
règlement des différends (ORD) de l'OMC, les Etats-Unis se sont
opposés à l'importation de thon mexicain, car les méthodes
de pêche des marins-pêcheurs mexicains menaçaient la vie des
dauphins. L'OMC a rejeté les prétentions des Etats-Unis, en
indiquant qu'ils n'avaient pas ratifié la convention internationale de
protection des dauphins. Cet exemple pose la question de la prise en compte par
l'OMC de conventions internationales ratifiées par une partie seulement
de ses membres.
Dans un autre registre, l'application du protocole de Kyoto va entraîner
des surcoûts pour les industries productrices de CO
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implantées en Europe, dans la mesure où seuls certains Etats
seront concernés par l'application du protocole. On pourrait imaginer
que l'Europe impose un droit de douane compensateur de cette distorsion de
concurrence. Mais une telle mesure n'est pas autorisée en l'état
actuel des règles de l'OMC.
M. Dominique Bureau
a suggéré que l'ORD s'inspire de la
théorie du « bilan », bien connue en droit
administratif français. L'ORD apprécierait d'abord si la mesure
controversée à des effets anti-commerciaux ; puis il
jugerait si la mesure mise en cause a des effets positifs suffisamment
importants pour contrebalancer l'atteinte portée au
libre-échange. Mais il a souligné la difficulté de mise en
pratique d'une telle proposition : les juges, de manière
générale, hésitent à faire un usage fréquent
de la théorie du bilan, dans la mesure où celle-ci se rapproche
d'un jugement en opportunité.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a évoqué
l'idée d'une écotaxe internationale.
M. Dominique Bureau
a indiqué qu'une telle suggestion se heurtait
à des problèmes de nature institutionnelle. Seule l'Union
européenne est parvenue, au prix de grands efforts, à quelques
avancées en matière d'harmonisation fiscale. Les Etats sont
réticents, pour des raisons de souveraineté, à abandonner
leur compétence en matière fiscale. De plus, certains Etats en
développement ne disposent pas d'une administration fiscale
effectivement capable de prélever des impôts.
Une taxe internationale peut, en outre, poursuivre deux objectifs, entre
lesquels il convient de choisir : veut-on modifier les comportements, ou
prélever des sommes pour faire de la redistribution ? Créer
une taxe à des fins de redistribution impose de réfléchir
à l'usage qui serait fait des sommes ainsi prélevées.
Mme Sylviane Gastaldo
a enfin évoqué la question de l'aide
au développement, en indiquant que les bailleurs de fonds pourraient
lier leur aide à de bonnes pratiques en matière environnementale
de la part des pays bénéficiaires.