Audition de M. Denys Gauer,
ambassadeur délégué à l'environnement, et
de
M. Philippe Lacoste, sous-directeur de l'environnement au
Ministère des Affaires étrangères,
le 27 mai
2003
M.
Denys Gauer, ambassadeur délégué à
l'environnement
, a débuté son intervention en
présentant les missions qui lui incombent. Il a rappelé que la
création, il y a deux ans et demi, d'un poste d'ambassadeur
délégué à l'environnement est apparue souhaitable,
en raison de la place croissante de l'environnement dans les
négociations internationales. L'ambassadeur délégué
contribue à la préparation des négociations
internationales. Il supplée, par sa présence, au manque de
disponibilité des ministres. Il dépend du Ministère des
Affaires étrangères, mais aussi du Ministère de l'Ecologie
et du Développement durable. M. Denys Gauer est le troisième
titulaire du poste.
Puis
M. Philippe Lacoste, sous-directeur de l'environnement au
Ministère des Affaires étrangères
, a souligné
que son service était le seul, au sein du Ministère, à
s'occuper exclusivement de questions d'environnement. Toutefois, d'autres
directions au Quai d'Orsay travaillent aussi sur les questions
environnementales, telles la direction des affaires juridiques, la direction
des Nations-Unies ou la direction de la coopération européenne.
La sous-direction de l'environnement s'efforce de mieux mobiliser les
ambassadeurs autour des grandes négociations environnementales,
notamment à travers le réseau des correspondants
« environement » des Ambassades, au nombre d'une
soixantaine environ.
M. Philippe Lacoste
a ensuite indiqué qu'il existait environ 500
accords internationaux traitant d'environnement, si l'on prend en compte les
traités multilatéraux et les traités régionaux. Ce
très grand nombre d'accords conduit à une certaine dispersion des
moyens, sans compter que l'effectivité de certains d'accords est faible.
D'où l'idée de créer une Organisation Mondiale de
l'Environnement (OME), qui permettrait de renforcer et de rationaliser les
efforts en la matière. L'actuel Programme des Nations-Unies pour
l'Environnement (PNUE) ne remplit pas à ce stade toutes les fonctions
que l'on pourrait attendre d'une OME, dans la mesure où les
contributions des Etats à son budget sont facultatives, et dans la
mesure où il ne rassemble qu'un nombre limité d'Etats. Ce
programme pourrait toutefois servir de base et être progressivement
transformé en une véritable organisation
spécialisée des Nations Unies. Aussi la France poursuit elle
comme objectif de court terme, un renforcement du PNUE ; cet objectif est
cohérent avec la stratégie d'ensemble de la politique
extérieure de la France, qui vise à renforcer l'Organisation des
Nations-Unies. La France oeuvre également à un rapprochement
progressif des conventions internationales qui traitent de sujets proches
(conventions relatives à différents produits chimiques par
exemple).
La proposition de créer une OME est défendue par la France et
l'Allemagne, mais elle suscite de sérieuses réticences chez
certains de nos partenaires. Les Etats-Unis s'interrogent sur la valeur
ajoutée de cette nouvelle structure et sont soucieux qu'elle ne vienne
pas concurrencer l'OMC. ils estiment en effet que certaines questions
environnementales, notamment celles liées aux échanges peuvent
être traitées directement au sein de l'OMC. Ils
s'inquiètent également des contraintes qu'une OME pourrait faire
peser sur leur développement technologique. Les pays du Sud craignent
que l'action d'une OME ne vienne freiner leur développement en imposant
des normes « vertes » trop sévères. La notion
de développement durable, qui fait le lien entre croissance
économique et protection de l'environnement, devrait permettre de
dissiper ces craintes. Le principe « pollueur-payeur »
pourrait également rassurer les pays du Sud, dans la mesure où il
implique que l'effort principal en matière de protection de
l'environnement repose sur les pays du Nord. Il sera également essentiel
de maintenir une implantation de cette future organisation à Nairobi,
où se trouve actuellement le siège du PNUE (qui dispose aussi de
bureaux à Genève et à Paris)
M. Denys Gauer
a insisté sur la nécessité d'assurer
une certaine cohérence entre les conventions internationales qui
touchent à des sujets différents, mais liés (commerce et
environnement, commerce et santé, par exemple). Il est prévu de
discuter, dans le cadre du round de négociations de Doha, des aspects
commerciaux des accords multilatéraux environnementaux (AME). Un
rapprochement du secrétariat de l'OMC et des secrétariats des AME
est proposé. Mais une telle évolution porte le risque que ce soit
l'OMC, organisation mieux structurée et plus influente, qui
définisse les règles environnementales.
Il faudrait également veiller à une meilleure application des
traités environnementaux en vigueur. Des mécanismes d'arbitrage
sont parfois prévus, dans les conventions, pour assurer leur bonne
application. Mais la mise en oeuvre de ces procédures d'arbitrage
suppose l'accord des deux parties, y compris la partie fautive, ce qui en
limite bien sûr considérablement la portée.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a indiqué que la
réforme de l'architecture institutionnelle internationale devait
être menée, selon lui, dans deux directions : il faut, d'une
part, créer une Organisation mondiale de l'Environnement, qui soit
spécifiquement dédiée à ces
problématiques ; mais il faut aussi développer une
sensibilité environnementale au sein de l'OMC, dans la mesure où
une future OME serait sans doute moins puissante que l'OMC. Puis M. Serge
Lepeltier, sénateur, a souhaité savoir quels nouveaux
mécanismes de contrôle et de sanction il était possible
d'envisager pour améliorer l'effectivité des AME.
M. Denys Gauer
a répondu que le premier problème à
résoudre était un problème de prise de conscience, par les
Etats, de l'importance des enjeux environnementaux. Se posent ensuite des
problèmes de capacité : certains pays en
développement n'ont pas la capacité de participer à toutes
les négociations internationales, ni de mettre en oeuvre tous les
accords environnementaux. Il faudrait inciter les Etats à ratifier les
accords dont ils sont signataires, et contrôler la mise en oeuvre des
accords. Il serait souhaitable d'harmoniser les procédures de suivi de
l'application des accords environnementaux.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a ensuite demandé quels
étaient, parmi les 500 accords environnementaux en vigueur, les
traités les plus significatifs.
M. Philippe Lacoste
a souligné l'importance des grandes
conventions cadre, issues du Sommet de Rio en 1992, relatives au climat et
à la biodiversité. Il a mentionné les programmes des mers
régionales du PNUE dont le plus avancé était celui portant
sur la Méditerranée. Dans le domaine du Climat, la question du
protocole de Kyoto était bien connue. Du fait du retrait des Etats-Unis,
seule la ratification russe permettrait son entrée en vigueur. D'ici la
l'Union européenne va l'appliquer en ce qui la concerne. S'agissant de
la protection de la biodiversité, le Protocole de Carthagène dit
aussi protocole Biosécurité, relatif à la circulation des
OGM, devrait entrer en vigueur prochainement (le 11 septembre 2003). Son
application sera intéressante à suivre au moment où les
Etats-Unis envisage de saisir l'OMC sur le moratoire européen portant
sur les OGM.
M. Denys Gauer
a distingué deux aspects dans les questions
liées à la biodiversité. La biodiversité implique
la protection de milieux naturels, par la création de parcs et de
réserves. C'est la démarche suivie en Europe par la directive
Natura 2000. Cette démarche présente l'inconvénient, si on
l'applique à l'échelle internationale, de réduire la
souveraineté des Etats sur certaines portions de leur territoire. Elle
rencontre, pour cette raison, des oppositions de principe de la part de
certains Etats. Mais la biodiversité peut signifier aussi la mise en
valeur du patrimoine naturel. Cette perspective devrait davantage
intéresser les pays du Sud, et pourrait les inciter à
protéger leurs espaces naturels.
Il a ajouté que les Etats-Unis n'étaient pas signataires de la
convention sur la biodiversité. Les Etats-Unis sont, en effet,
préoccupés par les conséquences que pourrait avoir la
convention en matière de droits de propriété
intellectuelle.
Les pays en développement, accaparés par les problèmes de
court terme, sont, de manière générale, peu sensibles aux
questions d'environnement. Ils sont pourtant touchés, au même
titre que les pays développés, par certains problèmes
environnementaux, tels le réchauffement climatique. Si un pays comme la
Chine s'ouvre peu à peu aux préoccupations environnementales,
d'autres Etats, comme l'Inde ou le Brésil, sont surtout soucieux de
préserver leur souveraineté, et sont, de ce fait,
réticents à accepter des accords multilatéraux trop
contraignants.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a souhaité avoir des
précisions sur le rôle du Fonds mondial pour l'environnement.
M. Denys Gauer
a indiqué que ce Fonds avait été
créé en 1990, dans le but de réparer les dommages
causés à l'environnement par des projets de développement.
Il était doté de 2,9 milliards d'euros en 2002. Il intervient
notamment dans le domaine de la biodiversité, pour la lutte contre le
changement climatique, pour la protection des eaux internationales, ou encore
pour diminuer, dans les pays en transition, les émissions de gaz
détruisant la couche d'ozone.
Il existe également un Fonds français pour l'environnement,
doté de 67 millions d'euros pour la période 2003 à
2006, qui finance des projets de développement bilatéraux,
surtout en Afrique.
M. Serge Lepeltier
, sénateur, a alors évoqué
l'idée de créer une éco-taxe internationale.
M. Denys Gauer
a rappelé que l'idée d'une éco-taxe
internationale avait germé au moment des négociations sur le
climat. Mais les Etats-Unis se sont opposés à ce projet, et ont
marqué leur préférence pour un mécanisme de permis
d'émissions. Il est vrai qu'une telle taxe serait très difficile
à mettre en pratique.
M. Philippe Lacoste
a souligné qu'il existait deux
manières de traiter les externalités : soit par les
quantités, via la création de quotas, ou soit par les prix, qui
peuvent être modifiés par une taxation appropriée.
Toutefois, le prix des ressources énergétiques, comme le
pétrole, connaît d'importantes variations qui peuvent neutraliser
les effets d'une taxe. Et seule une taxe fixée à un niveau
très élevée serait susceptible de faire changer les
comportements. L'idée d'une taxe sur le kérosène
utilisé par les avions (dont les émissions ne sont pas prises en
compte dans la convention sur les changements climatiques) est
régulièrement évoquée ; son produit
permettrait de financer un programme pour l'environnement.
M. Denys Gauer
a terminé son intervention en expliquant que la
politique étrangère actuelle des Etats-Unis ne favorisait pas les
avancées en matière de protection internationale de
l'environnement.
M. Denys Gauer
a identifié trois raisons
profondes au refus de l'Administration américaine de progresser sur ces
sujets : une hostilité générale aux progrès du
multilatéralisme ; un attachement à un mode de vie fortement
consommateur d'espace et d'énergie ; une forme de foi dans les
progrès de la science et de la technique. Les Américains
considèrent que la résolution des grands problèmes
environnementaux qui se posent aujourd'hui, tels le changement climatique,
découlera d'innovations technologiques. Cette confiance dans le
progrès technique conduit, aujourd'hui, à mener une politique
attentiste, alors qu'il serait possible de mieux protéger
l'environnement avec les technologies existantes.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a conclu la réunion en
rappelant que l'Union européenne était l'ensemble politique qui
défendait le plus fortement les sujets environnementaux dans les
enceintes internationales. L'Union européenne dispose d'une
capacité d'entraînement, et doit s'efforcer de faire partager ses
objectifs à des pays émergents. La politique
étrangère des Etats-Unis peut évoluer sous la pression de
l'opinion publique américaine, qui est sensibilisée aux questions
d'environnement, et sous la pression des industriels, qui peuvent souhaiter une
harmonisation des normes afin de pénétrer plus facilement les
marchés étrangers, et qui ne voudront pas être tenus
à l'écart des programmes de recherche menés en Europe pour
développer des technologies plus propres.