Audition de M. Antoine
Jeancourt-Galignani, président de Gécina et de M. Philippe
Trainar, directeur des affaires économiques, financières, et
internationales à la Fédération française des
sociétés d'assurance,
le 13 mai 2003
M.
Antoine Jeancourt-Galignani, président de Gécina, et
M. Philippe Trainar, directeur des
affaires économiques,
financières, et internationales à la Fédération
française des sociétés
d'assurance (FFSA)
ont
été, respectivement, président et rapporteur du groupe de
travail « Réussir la mondialisation »,
constitué au sein du Mouvement des Entreprises de France (MEDEF). Les
instances du MEDEF ont approuvé, en juin 2002, le rapport
rédigé par le groupe de travail.
MM. Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont commencé
leur intervention en définissant la mondialisation comme un processus
d'ouverture progressive et d'interpénétration des
économies et des sociétés. Elle implique des
échanges commerciaux, des mouvements de capitaux, et des échanges
de technologie. La crise asiatique de 1997 a quelque peu ralenti le processus
de mondialisation.
MM. Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont dressé un
bilan positif de la mondialisation. Les pays qui connaissent la plus forte
croissance économique sont ceux qui ont fait le choix de l'ouverture.
Les principaux pays en voie de développement, tels la Chine, l'Inde, ou
le Brésil, ont ouvert leurs économies. Au total, les pays en
développement qui ont fait le choix de l'ouverture rassemblent trois
milliards d'habitants. A l'opposé, environ un milliard de personnes
vivent dans des pays, notamment africains, qui sont restés
fermés. L'ouverture économique s'accompagne d'une
amélioration des conditions sociales : augmentation des salaires,
hausse de l'espérance de vie, progrès de la scolarisation et de
la santé...
La mondialisation induit une spécialisation des pays dans les secteurs
qui sont pour eux les plus porteurs. Les investissements directs
étrangers jouent un rôle important dans cette évolution.
Les firmes multinationales apportent des capitaux, et introduisent dans les
pays d'accueil des standards sociaux supérieurs à ceux en vigueur
dans les entreprises locales. Les diasporas, notamment la diaspora chinoise,
ont également joué un important rôle de catalyseurs.
MM. Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont ensuite
affirmé que la mondialisation s'accompagnait d'une réduction de
la pauvreté et des inégalités au niveau mondial. Une
récente étude menée par le Programme des Nations-Unies
pour le Développement (PNUD)la Banque Mondiale a conclu à une
forte réduction des inégalités et de la pauvreté
dans le monde depuis vingt ans. L'Organisation des Nations-Unies (ONU) s'est
fixée comme objectif de ramener, d'ici 2015, à 15 % la
proportion de la population mondiale qui vit avec moins de 1dollar par jour. En
fait, il semblerait au vu des recherches récentes que cet objectif soit
déjà atteint, voire dépassé.
Concernant la France,
MM. Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont souligné qu'elle avait bénéficié de la
mondialisation, de même qu'elle a bénéficié de la
construction européenne.
Les consommateurs gagnent à la baisse des prix de certains biens, tels
le textile ou les jouets, qui pèsent lourd dans le budget des
ménages les plus modestes.
Les entreprises françaises font face avec succès aux
progrès de la mondialisation. S'il est vrai que la mondialisation fait
disparaître des activités et des emplois, la contribution nette du
commerce extérieur à l'emploi demeure positive.
La France doit toutefois relever deux défis connexes à la
mondialisation : la pression des flux migratoires, et le risque
d'uniformisation des cultures et des modes de vie. En outre, de nombreux pays
qui nous sont historiquement liés, en Afrique notamment, sont
restés à l'écart de la mondialisation, et la France ne
peut les délaisser.
Puis
MM. Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont
formulé quelques recommandations de politique générale,
pour à aider la France à mieux gérer la
mondialisation :
* en premier lieu, une meilleure anticipation des effets de la mondialisation
sur l'activité et l'emploi permettrait d'en atténuer les
conséquences ;
* le système de formation professionnelle devrait se donner pour
objectif d'améliorer « l'employabilité » des
personnes ;
* la politique économique devrait chercher à renforcer
l'attractivité du « site France » ;
* enfin, l'aide française au développement devrait être
davantage concentrée sur l'Afrique, et devrait encourager ces pays
à s'ouvrir à la mondialisation.
Alors que le leadership politique a été très fort, depuis
Jean Monnet, pour construire l'Union européenne,
MM. Antoine
Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont regretté que l'on
n'observe pas un leadership politique équivalent sur les questions
liées à la mondialisation.
Après ces considérations générales,
MM. Antoine
Jeancourt-Galignani et Philippe Trainar
ont abordé la question de
l'impact de la mondialisation sur l'environnement.
Ils ont indiqué que la mondialisation n'avait pas, par elle-même,
d'effet destructeur sur l'environnement alors que . Lles modèles de
développement fermés comme ceux expérimentés en
URSS ou en Chine ont été beaucoup plusen général
destructeurs de l'environnement.
L'hypothèse selon laquelle les entreprises quitteraient les pays
développés pour échapper à leurs normes
environnementales n'est pas vérifiée. Les exportations des pays
en développement portent sur des productions moins polluantes que leurs
importations. Les principaux produits polluants (chimie, papeterie, acier et
métaux) présentent souvent des coûts de transport
très élevés, et il ne serait donc pas rentable de
délocaliser ces productions vers les pays en développement. Il
est donc toujours possible de protéger l'environnement au niveau
national.
Les firmes multinationales installées dans les pays en
développement ont des pratiques environnementales plus exigeantes que
celles des entreprises locales. Les firmes multinationales ont, en effet,
tendance à appliquer dans l'ensemble de leurs implantations les
règles en vigueur dans les pays développés, et d'autant
qu'elles sont soumises au regard du public. La firme Total, critiquée
pour son exploitation de gaz naturel en Birmanie, a, par exemple, veillé
à ce qu'il n'y ait aucun cas de travail forcé sur ses sites, ou
chez ses sous-traitants, dans ce pays, et a amélioré les
conditions de vie des personnes résidant à proximité de
son pipeline. De même, la privatisation de la distribution d'eau en
Argentine, confiée au groupe Suez, s'est accompagnée d'une
diminution significative de la mortalité infantile parmi les
catégories sociales les plus défavorisées. Toutefois,
pour éviter d'éventuels abus, le MEDEF est favorable à
l'adoption de codes de bonne conduite par les grands groupes.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors souligné que, si
l'on admet que la mondialisation permet une plus forte croissance, elle devrait
s'accompagner aussi, logiquement, d'atteintes accrues à
l'environnement.
M. Philippe Trainar
a répondu que l'ouverture aux échanges
permettait aux pays en développement d'importer plus facilement, et
à moindre coût, des technologies plus propres. De ce fait,
certaines pollutions diminuent avec la croissance économique. Il a
été observé, par exemple, que 1 % de croissance
supplémentaire dans un pays en développement entraînait une
diminution de 1 % de la pollution au dioxyde de soufre (SO
2
).
De plus, l'ouverture économique a conduit à la fermeture de
grands combinats très polluants en Russie, en Europe de l'Est, ou en
Chine et dans de nombreux autres pays, au profit d'unités de production
plus modernes et moins polluantes.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a alors interrogé
MM.
Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe
Trainar
sur la politique
qu'il conviendrait de mener à l'égard de l'Afrique, qui est
restée jusqu'ici à l'écart de la mondialisation.
M. Antoine Jeancourt-Galignani
a indiqué que les pays qui se
sont développés l'ont dû à leur propre dynamique
intérieure. L'aide extérieure devrait donc s'efforcer de
créer les conditions du décollage économique, en
améliorant, par exemple, l'approvisionnement énergétique,
ou l'accès à la santé. L'aide extérieure pourrait
aussi avoir pour objet de compenser les pertes de recette résultant de
la baisse des droits de douane, qui constituent une part importante des
ressources budgétaires des pays en développement avant leur
ouverture.
M. Philippe Trainar
a insisté sur la nécessité de
bâtir un système juridique performant, élément
central d'une bonne gouvernance. Les transferts de capitaux sont difficiles
dans certains pays du fait de l'absence de règles juridiques
adaptées.
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a rappelé que la
libéralisation des échanges était loin d'être
complète, et a demandé quels devaient être les axes
d'action prioritaires en ce domaine.
M. Philippe Trainar
a évoqué deux dossiers
prioritaires : l'agriculture, et les droits de douane entre pays en
développement. Il a jugé que la politique agricole
européenne était un obstacle au développement des pays du
Sud. EtPar ailleurs, les droits de douane entre pays en développement
demeurent très élevés. Or, c'est; or, la croissance
est essentiellement soutenue par le développement des échanges
entre pays du Sud, plus que le développement des échanges avec
les pays du nord, qui est susceptible d'apporter le plus solide soutien
à la croissance des pays en développement. Les
négociations de Doha devraient permettre d'avancer sur ces dossiers.
Puis
M. Serge Lepeltier, sénateur
, a voulu connaître la
position de
MM.
Antoine Jeancourt-Galignani et Philippe
Trainar
sur la proposition de créer une taxe internationale, qui
pourrait être une taxe écologique.
M. Antoine Jeancourt-Galignani
a estimé, d'une part, que les
grandes organisations internationales comme la Banque mondiale ou le Fonds
monétaire internationale ne manquaient pas de ressources
budgétaires, et, d'autre part, que la création d'une
écotaxe internationale n'était pas une perspective
réaliste.
M. Philippe Trainar
a indiqué qu'il était peu judicieux
d'assigner deux objectifs à un même impôt, à savoir
prélever des ressources financer le budget d'organisations
internationales, et réduire la pollution. D'autre part, la
création d'une écotaxe internationale poserait de nombreux
problèmes pratiques. L'assiette d'une telle taxe paraît difficile
à cerner, et la répartition de l'effort ne serait pas
nécessairement optimale. Il faut aussi s'interroger sur
l'autorité qui serait chargée de gérer cette
ressource ; il paraît difficile d'organiser une
responsabilité devant des représentants élus, si la
gestion de la taxe est confiée à une organisation internationale.
Enfin, une écotaxe créée seulement dans les pays
développés pourrait faire naître un risque de
délocalisation.
A la fin de l'entretien,
M. Serge Lepeltier, sénateur
, s'est
inquiété de la situation financière difficile des
compagnies de réassurance.
M. Philippe Trainar
a rappelé que la technique de la
réassurance permettait une mutualisation des risques à
l'échelle internationale, utile dans la mesure où beaucoup de
compagnies d'assurances ont encore une base essentiellement nationale.
Le secteur est confronté à une crise qui résulte d'une
succession de chocs : 11 septembre, épidémie de SRAS, chute
des Bourses, catastrophes naturelles, jurisprudence plus sévère
dans les affaires touchant à l'amiante (dommages et
intérêts plus élevés). Toutes les compagnies Swiss
Re ou Munich Rede réassurance sont confrontées à des
difficultés financières, mais il n'y a pas cependant de risque de
faillite majeure dans le monde.
M. Antoine Jeancourt-Galignani
a ajouté que la charge de
l'indemnisation retombait toujours, au final, sur les assurés, par
l'intermédiaire de leurs primes. Il faut donc préserver un
équilibre entre l'indemnisation des dommages, et le niveau de prime que
l'on est prêt à accepter.