3. Données empiriques
Toutefois, les études menées à partir de
données empiriques montrent que
l'hypothèse de la courbe
environnementale de Kuznets n'est vérifiée que pour certains
polluants.
L'étude fondatrice de Grossman et Krueger en 1992 portait sur les
polluants atmosphériques. A partir de données sur la
concentration des polluants dans l'air de quartiers urbains de
différents pays, ils ont constaté que la teneur en SO
2
(dioxyde de soufre) et en particules avait tendance à augmenter
jusqu'à un niveau de revenu par habitant de 4.000 à 5.000
dollars, puis à diminuer progressivement. Cette première
étude est donc venue confirmer l'hypothèse de la courbe
environnementale de Kuznets.
D'autres données statistiques examinées depuis sont venues
nuancer ce premier constat. Shafik et Bandyopadhyay
48
(
*
)
ont étudié dix
indicateurs environnementaux et ont obtenu presque autant de profils de courbe
que d'indicateurs. Les indicateurs liés à l'eau propre et
à l'assainissement urbain s'améliorent uniformément avec
l'accroissement des revenus. En revanche, la production de déchets
urbains et les émissions de CO
2
semblent augmenter
uniformément avec le revenu. Seuls les indicateurs relatifs à la
qualité de l'air prennent la forme attendue d'un U renversé.
De manière générale, l'impression qui se dégage
des statistiques est que l'hypothèse de la courbe environnementale de
Kuznets n'est vérifiée que pour certaines pollutions
localisées, essentiellement urbaines, de l'air et de l'eau. Au
contraire, les pollutions transfrontières, notamment les
émissions de CO
2
, ne semblent pas connaître
d'inflexion.
Si l'on admet que l'effet technique dépend de la demande d'un
environnement plus sain de la part des habitants, il n'est guère
surprenant que les pollutions localisées dans les zones à forte
densité de population diminuent les premières. Jusqu'à une
date récente, les conséquences du changement climatique sont
apparues abstraites aux citoyens, ce qui n'incitait pas à une action
résolue contre les émissions de CO
2
. Il est probable,
et souhaitable, que les signes de plus en plus tangibles du
réchauffement planétaire, y compris la canicule en France
à l'été 2003, conduisent à un changement d'attitude.
La disponibilité et le coût des techniques antipollution sont
aussi un élément important pour expliquer les différences
de résultat. Une comparaison entre la lutte contre les émissions
de gaz CFC, responsables de la disparition de la couche d'ozone, et les
émissions de CO
2
est éclairante sur ce point. Un
accord international a pu être assez facilement obtenu pour
éliminer les gaz CFC (accord de Montréal, 1987), parce que des
produits de substitution étaient disponibles pour un coût modique.
En matière de lutte contre les émissions de CO
2
, les
stratégies à mettre en oeuvre apparaissent plus complexes et plus
coûteuses, d'où de plus grandes réticences à engager
les politiques adéquates.
* 48 N. Shafik et S. Bandyopadhyay, « Economic growth and environmental quality : time-series and cross-section evidence », Policy research working paper n° WPS 904, 1992, Banque mondiale. Les dix indicateurs environnementaux retenus sont : l'absence d'eau propre, l'absence d'assainissement urbain, la teneur de l'air en particules et en oxyde de soufre, le rythme annuel de déforestation, l'oxygène dissous dans les cours d'eau, la teneur en coliformes fécaux, le volume de déchets municipaux par habitant et les émissions de CO 2 .