II. PRINCIPALES SUGGESTIONS ET INTERROGATIONS
(NB. UNE LISTE COMPLÈTE DE PROPOSITIONS FIGURE À LA FIN DE CE RAPPORT.)
Sur certains points, les convictions de votre rapporteur sont suffisamment établies pour qu'il puisse d'emblée avancer des propositions ; pour préciser ces dernières, ou sur des sujets plus délicats, il se contentera, ensuite, de soulever des interrogations.
A. POUR UNE POLITIQUE PLUS OUVERTE MAIS PROTECTRICE
Une
politique des jeux rénovée devrait, selon votre rapporteur,
concilier ouverture et fermeté :
- ouverture, plus que la politique actuelle, aux évolutions de la
demande, et aux exigences de la concurrence et des progrès de la
technologie ;
- fermeté, en ce qui concerne la protection du consommateur et de
l'ordre public.
1. Une politique plus ouverte
a) un domaine mieux étudié
- Une meilleure prise en compte des évolutions de
la
demande suppose d'abord de les connaître de façon plus approfondie.
Votre rapporteur suggère, en conséquence :
*
la création d'un
compte satellite de l'INSEE
rassemblant des statistiques, régulièrement mises à jour,
sur les jeux de hasard et d'argent ;
*
ces statistiques pourraient être exploitées par un
observatoire des jeux
164(
*
)
, publiant un rapport annuel
d'information ;
*
la France pourrait demander à l'
OCDE
de
procéder, sur le sujet, à des
comparaisons
internationales
;
*
des enquêtes de prévalence du
jeu
pathologique
devraient être effectuées pour le compte des
pouvoirs publics par le CNRS ou des départements universitaires de
sociologie, ou encore par le CREDOC.
b) des décisions prises autrement
Les
critères des autorisations seraient modifiés :
*
A l'occasion de la rénovation, qui s'impose, de leur cadre
législatif, un
débat parlementaire
devrait permettre de
déterminer les
principes fondamentaux du statut des jeux
aujourd'hui, et la façon dont ils doivent être
considérés par la société, en l'état actuel
de nos moeurs. Les prérogatives de la représentation nationale
à leur sujet seraient en même temps précisées
(notamment en matière de prélèvements) par rapport
à celles de l'exécutif ;
*
Les attentes des joueurs (à condition qu'elles aient
été légitimées), le potentiel de croissance et
d'emploi des jeux et les nécessités d'une concurrence
équitable entre les différents opérateurs seraient pris
davantage en considération en même temps que les impératifs
d'ordre public.
- Il faut s'efforcer de mieux coordonner et faire accepter les
décisions prises, ce qui suppose :
• la création d'un
comité interministériel
(ou
d'une délégation dont l'autorité de rattachement -Premier
ministre ?- serait à préciser) ;
• à tout le moins une
modification
de la composition et de
la motivation des avis
de
la commission supérieure des
jeux
165(
*
)
, très
critiquée pour le flou de sa doctrine et le caractère arbitraire
de ses avis ;
• il convient, selon votre rapporteur, d'aller plus loin en la
remplaçant :
- soit par un
haut conseil
des jeux comprenant des
représentants des professions concernées et chargé
d'éclairer les autorités compétentes sur les questions
relatives à toutes les composantes du secteur (pas seulement les
casinos), de façon à en prendre en compte les aspects
concurrentiels et à en avoir une vue d'ensemble ;
- soit par une
autorité indépendante de
régulation
, dans l'hypothèse d'une plus grande ouverture
à la concurrence des activités en question (suppression des
monopoles de la Française des jeux et du PMU, qui pourrait être
imposée, un jour, par une directive européenne ;
autorisation de machines à sous « douces » dans les
lieux publics et de cybercasinos, etc.)
c) Les priorités
Parmi
les mesures qui doivent prioritairement être prises, votre rapporteur
retient, en raison de leur urgence :
*
l'
autorisation
, sous condition
166(
*
)
, de la fabrication et de
l'exploitation, dans les débits de boisson,
de machines
récréatives à mises et gains limités
, comme
chez la plupart de nos voisins européens (machines à sous dites
« douces »).
Il conviendrait qu'elles dissuadent cafetiers et clients, par une
attractivité suffisante, de préférer recourir aux
appareils clandestins contre lesquels la lutte devrait, de toute façon,
être, en même temps, intensifiée.
*
concernant les
casinos
, votre rapporteur reprend à
son compte les souhaits exprimés par la Cour des comptes d'un
toilettage d'ensemble
du
cadre législatif et
réglementaire
de leurs activités et, notamment, d'une
simplification des prélèvements
qu'ils subissent. La
substitution du critère de forte fréquentation touristique
à celui de station classée (balnéaire, thermal ou
climatique) lui semble recevable ainsi que l'idée d'une graduation des
contraintes permettant de ne pas traiter de la même manière les
premières demandes, les renouvellements et les extensions d'autorisation
de jeux, afin d'en alléger, globalement, les procédures
d'instruction. Le système actuel des abattements appliqués pour
déterminer l'assiette du prélèvement progressif sur le
produit brut des jeux (PBJ) est effectivement discutable (surtout en ce qui
concerne l'abattement « hôtelier » qui procure un
avantage concurrentiel à ses bénéficiaires).
Quant au « prélèvement à employer »,
que votre rapporteur qualifie, plus haut, d'« ubuesque »,
rien ne s'oppose à sa suppression ainsi qu'à celle d'autres
dispositions devenues obsolètes (comme le prélèvement de
15 % sur le PBJ au profit des oeuvres sociales de la commune).
Au total, le barème du prélèvement progressif pourrait
faire l'objet d'un réaménagement comportant une suppression,
simplificatrice, de l'abattement légal de 25 % et une modification
de son assiette, rapprochant celle-ci du PBJ
réel
.
Il faudrait veiller cependant à ce que :
- d'une part ces mesures soient négociées avec la profession,
- d'autre part, qu'elles n'entraînent pas une augmentation globale
de la pression fiscale sur ces activités, non justifiée par une
progression de leurs résultats.
Les casinotiers français se plaignent, en effet, d'être les
plus imposés d'Europe et le risque de voir des investisseurs
étrangers, intéressés par le marché
français, aller placer ailleurs leur argent, ne doit pas être
sous-estimé.
Enfin, votre rapporteur souscrit pleinement à l'observation de la Cour
regrettant l'absence de prise en compte de l'intercommunalité dans
l'affectation du prélèvement communal.
Plus ponctuellement, il souhaite qu'un croupier malade appartenant au personnel
d'un établissement puisse être remplacé -ce que la
réglementation actuelle n'autorise pas !- par un collègue
d'un autre casino du même groupe.
Dans le
secteur des courses de chevaux
, la priorité
paraît être de prendre d'urgence les mesures fiscales qui
s'imposent pour conjurer la menace d'un appauvrissement de notre patrimoine
génétique, du fait de la concurrence étrangère, en
particulier irlandaise. Ce danger affecte principalement le secteur du galop et
les étalons de pur-sang.
Nos meilleurs reproducteurs partent à l'étranger et ce
phénomène risque bientôt de toucher aussi les juments de
nos éleveurs, que ceux-ci se contentent, pour le moment, d'aller faire
saillir en Irlande ou en Angleterre (avec les pertes de devises et les charges
que cela implique).
Il devient urgent de contrecarrer cette tendance
par des
allégements fiscaux (l'alignement se fera par le bas et par le haut,
à moins -hypothèse peu probable- que Bruxelles réagisse
contre le dumping irlandais et britannique).
Outre des aménagements ponctuels
167(
*
)
déjà
évoqués dans ce rapport, il convient de prendre sans tarder des
mesures appropriées, de portée plus générale,
telles que :
- le doublement de l'abattement de 15 % sur les plus-values des
propriétaires particuliers,
- la réduction de moitié (de 16 à 8 %) du taux
d'imposition de celles que supportent les propriétaires, éleveurs
et entraîneurs,
- une exemption totale en cas de remploi de la plus-value en achat de
chevaux,
- l'exonération d'impôt sur les bénéfices de
l'exploitation des étalons stationnés en France
168(
*
)
.
Plus généralement, les prélèvements de l'Etat
sur les jeux doivent être calculés en tenant compte de ce que la
diminution de leur taux pourrait être compensée par un
élargissement correspondant de leur assiette.
S'agissant plus particulièrement des paris sur les courses de chevaux,
il faut tenir compte de leur caractère de plus en plus concurrentiel, du
fait de la possibilité de parier à distance. De ce point de vue,
l'offensive de Londres (zéro prélèvement) paraît
préoccupante
.
*
* *
Une meilleure connaissance des jeux, une attitude plus ouverte à leur égard qui tienne compte de leurs effets économiques, une simplification de leur cadre juridique et un allégement de leurs charges doivent aller de pair avec une protection accrue des individus fragiles et le maintien de mesures fermes de prévention de toute atteinte à l'ordre public.
2. Une politique protectrice
Votre
rapporteur ne prône pas, en matière de jeux, un libéralisme
à tout va.
Il est partisan d'une politique équilibrée
alliant un assouplissement des autorisations (pour tenir compte des
évolutions de la société et des nécessités
de l'économie) à un renforcement de la protection des joueurs et
de l'efficacité des contrôles.
S'il a, jusqu'ici, moins évoqué que d'autres questions la
police des jeux et la protection de l'ordre public, c'est parce qu'elles sont,
de l'avis général, dans l'ensemble, plutôt bien
assurées.
a) le rôle de la sous-direction des courses et des jeux
Comprenant 75 fonctionnaires spécialisés et
190 correspondants locaux compétents en matière
d'information, de prévention et de répression, le personnel de la
Sous-direction des courses et des jeux des Renseignements
généraux
169(
*
)
effectue des enquêtes et assure une présence dans les
établissements de jeux, casinos, cercles ou sur les champs de courses.
Chargée, en amont, d'instruire les dossiers soumis par les casinos
à la Commission supérieure des jeux, la sous-direction veille,
plus généralement, au respect de la réglementation ainsi
qu'à la défense des intérêts de l'Etat, des joueurs
et des établissements de jeux.
Elle comprend, notamment, une section surveillance des casinos (et des cercles)
qui effectue les enquêtes d'agrément des personnels de ces
établissements, exigées par la réglementation.
Sa section judiciaire intervient, soit de sa propre initiative, en flagrant
délit, soit en enquête préliminaire ou sur commission
rogatoire, sous le contrôle de magistrats.
Afin d'éviter une consanguinité malsaine entre les responsables
ou employés des établissements sous surveillance et les
fonctionnaires chargés des missions correspondantes, une règle
non écrite avait été instaurée, selon laquelle ces
derniers ne devaient pas être affectés plus de sept ans à
la sous-direction.
Mais le respect de cette coutume est rendu difficile par la « crise
des vocations » que suscitent les exigences des fonctions en question.
Votre rapporteur souhaiterait pourtant que les personnels concernés
(y compris et peut-être plus encore au niveau local) soient soumis
à une obligation de mobilité.
Il conviendrait également qu'une prochaine loi, dont
l'élaboration paraît nécessaire, sur les jeux dans leur
ensemble, corrige une imperfection du nouveau code de procédure
pénale qui a omis de conférer aux correspondants locaux des
renseignements généraux la qualité d'officiers de police
judiciaire.
La Sous-direction a aussi en charge la répression de la pratique des
jeux clandestins et participe, aux côtés de la Direction des
douanes, à la traque des appareils interdits.
Comme l'a indiqué plus haut votre rapporteur, l'autorisation de machines
« douces » devrait s'accompagner d'une intensification de
la lutte contre les réseaux mafieux avec le renforcement des effectifs
que cela suppose.
b) les interdits de jeux
Concernant les casinos, il existe environ de 30 à 40.000
interdits de jeux, dont 90 % le sont sur leur propre demande
170(
*
)
. Le fichier en est tenu par le bureau
de la prévention et de la protection sociales de la Sous-direction
précitée des libertés publiques et de la police
administrative.
Les mineurs sont interdits de jeux d'office dans ces établissements (loi
du 1
er
septembre 1942).
Le respect de la réglementation applicable dans cette matière est
rendu difficile par :
- le fait que chaque casino tient lui-même à jour
manuellement un fichier dans lequel les intéressés sont
répertoriés,
- l'accès aux salles de machines à sous n'est pas
contrôlé.
Sur le premier point, il paraît possible d'envisager, avec l'autorisation
de la CNIL
171(
*
)
, la mise en
place d'un réseau national d'échanges de données
permettant un croisement des fichiers informatiques des établissements
et de celui de la Direction des libertés publiques.
Concernant le second point, on pourrait, dans un avenir pas très
éloigné, imaginer de recourir aux techniques d'identification
dites « biométriques », mises à
l'étude pour renforcer la sécurité des aéroports
(il s'agit de moyens de détection automatiques des individus à
risque reconnus par des caméras ou par les lecteurs optiques
d'empreintes digitales, à partir d'une mise en mémoire de ces
données numérisées sur ordinateurs...).
Mais certains des joueurs concernés ont suggéré,
d'eux-mêmes, une méthode beaucoup plus économique et rapide
à mettre en oeuvre, consistant à contrôler
l'identité
172(
*
)
des
joueurs au moment où ils achètent des jetons.
Il existe aussi des interdits d'hippodrome. Mais, contrairement à ce qui
se passe dans la majorité des cas, pour les joueurs des casinos, ils ne
le sont pas, à leur demande, mais pour avoir troublé le
déroulement d'une course ou le fonctionnement de l'organisation des
paris, ou encore d'avoir tenté d'en altérer la
sincérité des résultats.
Comme pour les produits de la Française des jeux, il est difficile de
faire respecter l'interdiction des mineurs de parier sur les courses
173(
*
)
.
c) les joueurs compulsifs
Une
priorité (cf. supra) est d'abord de mieux étudier le
phénomène de dépendance et de cerner la population qui en
est victime.
Mais il est, en même temps, tout aussi indispensable de venir en aide aux
personnes souffrant de ce type de troubles du comportement.
Or,
leur prise en charge par notre système de santé publique
est totalement déficiente
.
Tout repose, actuellement, sur l'initiative privée. Le groupe Accor, ce
qui est tout à son honneur, a mis en place un programme de
prévention contre les abus de jeux.
Un « guide de prévention aux risques d'abus de jeu »
est présenté aux clients dans tous ses établissements,
comme dans les casinos américains. Il comporte des recommandations du
style :
« Le jeu est un plaisir. Il doit le rester ! »
« Vous jouez avec votre argent, gardez la raison ! »
En outre, Accor est le principal contributeur (avec une subvention dont le
montant doit atteindre 200.000 F en 2002) à « SOS
Joueurs », seule association à s'occuper des joueurs
compulsifs, de façon totalement désintéressée et
sans le moindre soutien public.
Il importe :
- de créer des consultations spécialisées dans les
hôpitaux publics,
- de donner à SOS Joueurs, qui est basée à Paris, les
moyens d'essaimer en province ou de faire en sorte qu'elle suscite des
émules.
Il serait par ailleurs souhaitable que les autres casinos suivent l'exemple
d'Accor.
Enfin,
concernant les jeux d'argent à domicile qui peuvent se
révéler très addictifs, une étude pourrait
être confiée à l'INRIA
174(
*
)
sur d'éventuelles façon
de limiter automatiquement les mises ou d'en rendre impossible l'accès
aux mineurs.
d) des contrôles plus efficaces
Votre
rapporteur a, ci-avant, souhaité une intensification de la
répression de l'offre de jeux automatiques clandestins, indissociable de
l'autorisation des machines douces dans les cafés.
L'assouplissement, qu'il préconise, des conditions d'autorisation de
certains jeux, exige donc un renforcement des contrôles correspondants.
Mais la simplification, dont il est également partisan, du cadre
législatif et réglementaire actuel, simplifierait la tâche,
par ailleurs.
Comme l'a fort bien montré la Cour des comptes, c'est en se concentrant
sur l'essentiel, sans se disperser dans les détails, que le
contrôle par les pouvoirs publics des jeux de hasard et d'argent pourra
gagner en efficacité.
Il faut notamment, comme l'observe la haute juridiction, que les
contrôles financiers des résultats des casinos soient, d'une part,
mieux coordonnés et prennent, d'autre part, « suffisamment en
compte l'appartenance des sociétés exploitantes à des
groupes (dont les capitaux sont parfois d'origine
étrangère) » ainsi que « l'importance des
mouvements financiers entre les sociétés exploitantes et la
société mère ou d'autres sociétés du
même groupe ».
Ainsi, pourraient être, le cas échéant, mieux mises en
évidence et combattues certaines pratiques douteuses.
*
* *
Un
renforcement, dans l'intérêt de tous les intéressés,
de la protection des consommateurs et du contrôle des opérateurs
constitue la contrepartie inévitable d'une éventuelle extension
de la sphère des jeux et d'un allégement des contraintes
auxquelles ils sont soumis.
Extension dans les cafés et les lieux de fréquentation
touristique ou sur Internet.
Allégement des contraintes réglementaires et fiscales.
Votre rapporteur convient donc de ce que le jeu n'est pas une prestation de
services comme les autres.
La surveillance particulière dont ils
doit faire l'objet rassure les joueurs et, pour cette raison, est
souhaitée par les professionnels.
Certaines des propositions émises plus haut peuvent faire l'objet d'un
consensus : amélioration de la connaissance de la population des
joueurs et de leur comportement, renforcement de la coordination entre les
autorités de tutelle...
D'autres sont sujettes à débat, telles l'autorisation de machines
à mises et gains limités dans les cafés ou la
création éventuelle d'une instance de régulation
indépendante.
Enfin, certaines interrogations peuvent légitimement être
soulevées.