DEUXIÈME PARTIE
LES MODES DE TRAITEMENT
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I. MISE EN DÉCHARGE, STOCKAGE ET FERMENTATION
A. LA MISE EN DÉCHARGE
1. Situation
a) Présentation générale
Contexte politique
La mise en décharge a été longtemps la solution de
facilité, la moins coûteuse et la plus répandue, de traiter
les déchets. Les décharges sont, depuis 1992, au centre de toutes
les polémiques liées au traitement des déchets, et la
situation en dix ans s'est radicalement transformée. Deux textes
fondamentaux sont l'expression de ce bouleversement.
la
loi du 13 juillet 1992
qui fixe l'interdiction de la mise en
décharge des déchets bruts au 1
er
juillet 2002, en
réservant les décharges aux seuls déchets ultimes dont on
aurait tiré toutes les possibilités de valorisation, et en
décidant l'instauration des plans départementaux
d'élimination des déchets ménagers et
assimilés ;
l'
arrêté
du 9 septembre 1997
qui
réglemente étroitement les conditions d'exploitation des
" centres de stockage des déchets ménagers et
assimilés ", dits aussi " décharges de classe II "
ou " centres d'enfouissement technique " (CET), appellation moins
négative que " décharge ".
On compte 6.700 décharges traditionnelles
33(
*
)
, dont 5.000 décharges brutes
(non autorisées) et 1.100 de classe II. Mais les décharges
d'hier (à 20 F la tonne), n'ont plus rien à voir avec les
décharges d'aujourd'hui qui coûtent 250 à 600 F la tonne.
Jusqu'à ces dernières années, les décharges ont
présenté de nombreux inconvénients et dangers :
nuisances multiples, incidence sur les émissions de méthane et de
gaz carbonique (CO
2
) contribuant à l'effet de serre, impact
sur l'état du sol et les eaux souterraines (par le
phénomène de lixiviation, d'écoulement des liquides)... En
outre, leur présence et leurs coûts ne pouvaient que
décourager le recours à d'autres modes d'élimination des
déchets présentant pourtant moins de risques pour l'environnement.
Importance de la mise en décharge
En 1997, 48 % des déchets municipaux allaient en décharge.
C'est donc encore en France le premier moyen de traitement des déchets.
Actuellement, la mise en décharge est utilisée comme une
méthode de gestion des déchets dans tous les États. Son
importance varie selon les pays, selon les conditions géographiques (au
Japon, par exemple, il n'y a pratiquement pas de décharge, faute
d'espace), géologiques (le sol argileux facilite les décharges au
Royaume Uni, en limitant notamment les dépenses
d'étanchéité) ou historiques.
La France serait dans une position moyenne, proche de celle de l'Allemagne
(43 %). D'autres pays comme l'Espagne (83 %), le Royaume-Uni
(85 %), l'Islande (99 %) utilisent les décharges comme moyen
de traitement privilégié. On notera également que les
particularités propres à chaque pays se retrouvent
également en ce qui concerne les tarifs puisque le tarif de mise en
décharge des déchets ménagers, hors produits toxiques,
s'échelonne dans une fourchette extrêmement large comprise entre
24 F ... et 1.250 F la tonne.
Importance et coûts de la mise en décharge dans différents pays |
||
États |
Décharge Stockage |
Tarifs décharge stockage |
France |
48 % |
290 à 440 F/t |
Allemagne |
48 % |
350 à 1.000 F/t |
Suède |
37 % |
225 à 695 F/t |
Norvège |
69 % |
300 à 800 F/t |
Danemark |
20 % |
388 à 428 F/t |
Pays-Bas |
31 % |
432 F/t |
Belgique (Flandre, Wallonie) |
36 % - 58 % |
170 F/t |
Italie |
85 % |
175 à 215 F/t |
Royaume-Uni |
70 % |
118 à 136 F/t |
États-Unis |
61 % |
50 à 600 F/t |
Japon |
15 % |
108 à 446 F/t |
Canada |
66 % |
40 à 140 F/t |
Suisse |
14 % |
400 à 800 F/t |
Autriche |
55 % |
1.100 à 1.250 F/t |
Espagne |
83 % |
24 à 48 F/t |
Source : ADEME, juin 1997 |
b) Description sommaire
Fonctionnement
Les centres d'enfouissement technique (CET) sont divisés en trois
catégories ou classes :
la classe I, réservée aux déchets dits
" spéciaux ou toxiques ",
la classe II, réservée aux déchets ménagers
et assimilés,
la classe III, réservée aux déchets inertes
(gravats...).
Un CET est un ensemble composé de casiers, indépendants sur le
plan hydraulique, eux-mêmes composés d'alvéoles, dans
lesquelles sont entreposés les déchets. Les casiers sont
entourés de digues étanches. L'étanchéité
est assurée par superposition d'une "géomembrane" en
mélange de fibres textiles en PEHD et de matériaux drainant. Les
lixiviats sont récupérés, traités par lagunage puis
envoyés en stations d'épuration ; l'ensemble est
entouré d'une digue périphérique. La hauteur et la pente
des digues, la distance des casiers par rapport à la limite de
l'exploitation, les contrôles etc... sont réglementés. La
duré d'exploitation est en général de vingt ans.
Les conditions d'exploitation et les très grandes difficultés
pour avoir de nouveaux sites font que les coûts d'exploitation n'ont plus
rien à voir avec les décharges d'autrefois.
Indications de coûts
Le coût de stockage en CET de classe II s'échelonne de
250 F à 600 F
34(
*
)
par tonne. Le bas de la fourchette
correspond à des installations de grosse taille (100.000 tonnes/an,
soit 250.000 habitants). Le haut de la fourchette correspond à des
installations de petite taille (20.000 tonnes/an, soit 50.000 habitants).
La répartition des coûts s'établit comme
suit :
|
Réception enfouissement |
55 % |
|
Lixiviats (pompes, épuration, contrôle...) |
10 % |
|
Biogaz (analyse, torcherie...) |
10 % |
|
Post exploitation (traitement des lixiviats, aspects esthétiques...) |
10 % |
|
Taxe TGAP |
15 % |
|
Total |
100 % |
2. Perspectives
a) L'échéance du 1er juillet 2002
Même si les premiers pas ont débuté en
1975, la
loi du 13 juillet 1992 est le véritable tournant, le
véritable déclencheur de la politique moderne de gestion des
déchets, en fixant au 1
er
juillet 2002 la fin de la mise en
décharge comme mode de traitement courant des déchets
ménagers et en réservant les mises en décharge aux seuls
déchets ultimes. L'objectif fixé alors n'a jamais
été remis en cause depuis. Tous les gouvernements, quels qu'ils
soient, l'ont approuvé, soutenu, encouragé. Il n'en demeure pas
moins que, çà et là, des doutes ont pu être
émis sur l'intangibilité de cette " date butoir ".
Car, dès lors que, en 1992, la moitié des déchets allaient
en décharge, un tel objectif ne pouvait que susciter interrogations et
craintes. Il n'est pas rare de voir, en privé et en public, cette
échéance ouvertement discutée et critiquée. L'un
des relais de cette nouvelle attitude fut sans doute le " rapport
Guellec "
35(
*
)
qui, en 1997,
plaida pour une complémentarité des modes de traitement, dont les
décharges font partie, qui peuvent être
" environnementalement acceptables ", dès lors qu'elles sont
mieux gérées, plus contrôlées.
Les réserves sont aujourd'hui légion. Dans son étude sur
les coûts de gestion des déchets municipaux, la SOFRES
évoque la " date présumée " de la limitation de
la mise en décharge aux seuls déchets ultimes. D'autres sont plus
explicites encore, puisqu'on peut lire, par exemple, dans une brochure
publiée par Gaz de France :
" il est clair aujourd'hui
(1998)
que cet objectif ne sera pas atteint, et le rapport Guellec en
1997 précise et amplifie ce doute "
. On ne saurait être
plus clair.
Il ne rentre pas dans notre mission de discuter de l'opportunité de
tenir, maintenir, cette échéance. Même si la remise en
cause dans plusieurs départements des premiers plans
départementaux n'incite pas à un optimisme excessif, nous pensons
et espérons qu'elle le sera, et, en tout cas, que le mouvement sera
lancé pour que l'objectif fixé soit atteint rapidement par la
suite.
Nous voudrions surtout dire à ceux qui croient qu'un report
éventuel leur donnerait une liberté, leur permettait de garder
une situation acquise, et une sorte de confort, qu'ils se trompent et qu'ils
vont au devant de déconvenues.
Ce n'est pas seulement la loi qui a programmé cette
échéance, car, même sans la loi, les gens ne veulent plus
de décharges. Compte tenu de l'évolution -la dérive-
procéduriale de notre société, et de l'écho
toujours plus grand donné par les médias et la justice aux
individus dans leur " combat contre les institutions "
36(
*
)
, un report d'échéance ne
peut que susciter des contentieux, des oppositions, et de nouvelles
contestations dont la classe politique dans son ensemble peut se
passer.
b) La future directive européenne
Encadré n° 9
Le
" feuilleton " de la Directive
Décharge
___
Une
proposition de directive du Conseil concernant la mise en décharge des
déchets est en cours de discussion depuis... 1991. L'adoption est
annoncée pour la fin de l'année.
Une première proposition de directive a été
présentée par la Commission en 1991. Le Conseil de l'Union
européenne a arrêté une position commune en 1995. Une
deuxième proposition de directive a été
présentée par la Commission en 1997. C'est elle qui sert de
proposition de base aux négociations en cours. Suite à l'avis du
Comité des régions du Conseil économique et social et du
Parlement européen, entre juin 1997 et février 1998, la
proposition de la Commission a été modifiée. Le Conseil a
adopté une position commune en juin 1998. Le Parlement européen a
examiné le texte au premier trimestre 1999. La Commission a
présenté une nouvelle rédaction en mars 1999.
La procédure de coopération s'applique pour cette directive, ce
qui signifie que le Conseil doit statuer à l'unanimité pour
passer outre le vote du Parlement européen. Vote qui, jusqu'au mois de
mai 1999, n'était pas totalement conforme à la position commune
du Conseil.
Lorsqu'on se souvient des positions des différents États membres
concernant les décharges, avec en particulier plus de 90 % de mise
en décharge en Irlande, plus de 85 % au Royaume-Uni, on
conçoit que cette directive suscite de leur part quelques
inquiétudes. Cette directive est néanmoins très
importante, compte tenu des précisions qui seront apportées.
Le Parlement européen a insisté pour que la mise en
décharge des déchets soit la dernière option après
la prévention, la réutilisation, le recyclage et
l'incinération.
Des objectifs chiffrés sont prévus. L'objectif est de
diminuer les déchets biodégradables mis en décharge de
25 % après cinq ans de la transposition, 50 % après
huit ans, 75 % après quinze ans.
Cette directive, une fois adoptée, devra être transposée
dans tous les États membres. D'où l'importance de trouver des
solutions innovantes pour les déchets organiques.