B. LA VALORISATION DES PRODUITS ORGANIQUES PAR MÉTHANISATION (BIOGAZ)
1. Présentation
a) Le biogaz
Le biogaz
est un gaz combustible mélange
de gaz
carbonique et de méthane qui provient de la dégradation des
matières organiques mortes, végétales ou animales, dans un
milieu en raréfaction d'air (dit " fermentation
anaérobie "). Cette fermentation est le résultat de
l'activité microbienne naturelle ou contrôlée. C'est
également un gaz riche en méthane, mais qui comporte des
éléments difficiles à traiter, notamment les organes
halogénés (chlore et fluor) provenant de la décomposition
des plastiques et de la présence de déchets toxiques (bidons de
lessive, piles...).
Le biogaz est produit à partir de la fermentation. Il existe donc
plusieurs sources possibles d'émission avec chacune leurs
caractéristiques :
les boues des stations d'épuration. Le biogaz provient des
matières organiques contenues dans les eaux. C'est un gaz riche en
méthane, en hydrogène sulfuré, mais aussi en métaux
lourds, provenant du recueil des eaux polluées par le lessivage des
routes par la pluie:
Les biogaz industriels ou agricoles (des industries agro-alimentaires, du
lisier de porc) ;
les biogaz des unités spécifiques de méthanisation
liée au compostage. Normalement, il n'y a pas de biogaz en cas de
compostage, puisque ce dernier nécessite, au contraire de la
méthanisation, un traitement avec apport d'air. Mais il existe
aujourd'hui des procédés mixtes qui permettent de produire
à la fois de l'amendement organique et du biogaz ;
le biogaz de décharge. Les décharges produisent
spontanément du biogaz car les déchets fermentescibles y sont
régulièrement déposés L'émission peut durer
plusieurs dizaines d'années, d'abord à un rythme croissant, puis
décroissant. Le processus peut être accéléré
en humidifiant la matière, auquel cas le potentiel de production peut
être récupéré entre 5 ou 10 ans. Sans installation
particulière autre que le captage des gaz dans les alvéoles, on
peut ainsi récupérer 60 m
3
de méthane par
tonne enfouie (système utilisé à
Saint-Étienne).
Composition du biogaz |
||
|
Méthane (CH 4 ) |
45 à 65 % |
|
Gaz carbonique (CO 2 ) |
25 à 45 % |
|
Eau (H 2 O) |
6 % |
|
Oxygène (O 2 ) |
|
|
Hydrogène sulfuré (H 2 S) |
traces |
|
Organo-halogénés (chlore, fluor) |
|
|
Métaux lourds |
|
Il
s'agit donc d'un gaz naturel relativement toxique (lié notamment
à la décomposition des plastiques, des lessives...). Le gaz
carbonique, et surtout le méthane (qui a un effet 35 fois plus
toxique que le gaz carbonique) contribuent notamment à l'effet de serre.
Ils doivent être au maximum éliminés. Ce gaz, relativement
toxique quand il se dégage spontanément, peut néanmoins
être utilisé comme source d'énergie. D'où
l'idée de contrôler et d'organiser de façon industrielle la
fabrication de ce biogaz : la méthanisation.
La méthanisation ou le processus industriel de fabrication de
biogaz
La méthanisation est la production d'un gaz à haute teneur en
méthane qui provient de la décomposition biologique des
matières organiques.
La production industrielle de biogaz consiste à stocker la
matière organique (en l'espèce les déchets) dans une cuve
hermétique ou " digesteur ", ou
" méthaniseur ", dans laquelle les matières organiques
sont soumises à l'action des bactéries. Un brassage des
matières, éventuellement un apport d'eau, mais surtout un
chauffage, accélèrent la fermentation et la production de gaz qui
dure environ deux semaines. La production peut alors être de
500 m
3
de gaz par tonne de déchets.
b) La valorisation du biogaz
Les différents procédés
L'arrêté du 9 septembre 1997 relatif aux décharges de
classe II impose la captation du biogaz de décharge, et la
recherche de solutions de valorisation, ou à défaut, sa
destruction par voie thermique. La valorisation n'est toutefois possible que
pour les grandes unités. Plusieurs procédés peuvent
être utilisés :
le
torcharge
. Il s'agit simplement de brûler le gaz. Ce
n'est pas une voie de valorisation proprement dite, mais c'est un moyen de
sécurité qui, de plus, limite l'impact du biogaz sur l'effet de
serre ;
la
combustion sous chaudière
. Il s'agit de brûler le
gaz pour en tirer de la chaleur, éventuellement utilisable par un
établissement à proximité. La décharge de Crozin
produit 3 millions de m
3
de biogaz, valorisés chez un
industriel ;
la
production d'électricité
. Le biogaz, comme toute
énergie, peut se transformer en électricité. Le biogaz
doit cependant comporter au moins 40 % de méthane, et avoir un
débit minimum de 500 m
3
/heure. La production
d'électricité peut être couplée avec celle de
chaleur dans le cas de co-génération
37(
*
)
.
Le pouvoir calorifique d'un mètre cube de biogaz épuré
(après traitement, évacuation de l'eau, de l'acide
sulfuré...) est équivalent à celui d'un litre de fuel
domestique.
Les demi réussites
Outre sa mauvaise image, sa composition instable dans le temps en fonction de
la nature des déchets, variable selon les mois et l'année, sa
toxicité intrinsèque, les rares expériences d'exploitation
industrielle ont plus ou moins échoué, notamment les
expériences de biogaz de ferme. Concernant les biogaz de
décharge, une seule entreprise a vraiment essayé de s'implanter
sur ce créneau en 1988. Elle a survécu avec difficultés.
Encadré n° 10
L'expérience
Valorga
à Amiens
___
Le
procédé
Valorga
est une filière complète du
traitement des ordures ménagères avec tri de déchets,
méthanisation de la part fermentescible, compostage des résidus
de fermentation, incinération du refus de tri, mise en décharge
des résidus obtenus. Le procédé a été
appliqué à Amiens en 1988
Valorga
a connu des difficultés importantes liées :
à l'abandon de l'incinération des refus de tri, les fours
en place n'étant alors pas capables de résister au pouvoir
calorifique élevé de ceux-ci ;
à l'abandon de la coopération avec Gaz de France. Le
biogaz a été injecté dans le réseau de gaz naturel
après purification, mais est désormais uniquement
brûlé pour alimenter en vapeur les industriels proches ;
à la valorisation nulle du compost qui contenait trop de
résidus ayant échappé au tri, le rendant impropre
à la commercialisation ;
et surtout, à un mauvais créneau.
Valorga
a
tenté cette valorisation sur un gisement d'ordures
ménagères brutes, alors que la méthanisation est
adaptée aux seuls fermentescibles.
La solution est de trier à la source, de façon à
n'introduire dans l'usine que des matières fermentescibles
(déchets de cuisine et de jardin...). En France, la collecte
séparative des fermentescibles n'en est qu'à son tout
début.
En 1998, la société a été rachetée par une
société allemande. La capacité de traitement de l'usine
est de 86.000 tonnes, et devrait passer à 100.000 tonnes. Ce
procédé de biocompostage se développe aussi à
l'étranger : aux Pays-Bas (une usine en 1994), en Allemagne (deux
usines en 1998), en Suisse (une usine en construction) et en Belgique
(projets).
2. Perspectives
Les échecs techniques et économiques des expériences anciennes sont liés par définition aux conditions techniques et économiques de l'époque. Une amélioration de la productivité, l'apparition de nouveaux process , les conditions financières qui ont radicalement changé, pourraient inciter à appréhender différemment le gisement que représente le biogaz.
a) Un gisement presque totalement inexploité
Concernant les seules ordures ménagères et
assimilées, le biogaz peut être produit à partir de tous
les déchets organiques fermentescibles (restes de repas,
épluchures...), mais aussi des invendus de grandes surfaces (fruits
avariés, produits périmés...) et des déchets de
restauration collective. L'avantage par rapport au compostage est que la
méthanisation n'entraîne que très peu d'odeurs (puisque le
traitement se fait dans une cuve hermétique). La méthanisation
est cependant un peu plus chère.
Le biogaz de décharge n'est, en outre, qu'une petite partie du gisement
potentiel qui se présente comme suit.
Le gisement de biogaz en France |
||||
|
Nombre de sites actuels |
Production actuelle (tep 1 /an) |
Nombre de sites potentiels |
Croissance potentielle (tep 1 /an) |
Stations d'épuration urbaines |
150 |
65.000 |
200 |
150.000 |
Stations d'épuration industrielles |
64 |
64.000 |
400 |
800.000 |
Décharges |
5 |
11.000 |
140 |
300.000 |
Méthanisation des déchets solides (IAA...) |
1 |
1.900 |
270 |
1.000.000 |
Digesteurs agricoles |
10 |
100 |
1.000 |
100.000 |
Total |
230 |
150.000 |
2.000 |
3.250.000 |
1 tep = tonne équivalent pétrole |
||||
Source : Centre d'information sur l'énergie et l'environnement |
Ainsi les ressources valorisables sont de 3,25 Mtep/an, toutes ressources confondues, ce qui équivaut à 11 % de la consommation nationale de gaz naturel. Sur cette masse, 10 % pourrait venir du biogaz de décharge.
b) Des nouvelles techniques prometteuses
Les nouvelles techniques de production
L'hydropulpeur.
L'hydropulpeur est développé
par une société allemande. Il s'agit d'une méthanisation
après traitement liquide composé de trois étapes :
un
prétraitement mécanique
au cours duquel les sacs
papiers (le procédé est en vigueur en Allemagne, et les
déchets fermentescibles sont collectés en sacs papiers) sont
ouverts par un broyeur, et les plus gros éléments sont
éliminés ;
le
passage dans l'hydropulpeur
. Il s'agit d'une cuve
métallique équipée d'une hélice centrale qui
entraîne l'éclatement des cellules végétales. Les
déchets sont mélangés à l'eau formant une pulpe
liquide. Les déchets légers sont éliminés par
flottation (plastiques, textiles), et extraits par peigne hydraulique. Les
déchets lourds (verre, cailloux...) décantent au fond du
" pulpeur " et sont évacués par un sas. Cette phase de
" pulpage " et de décantation permet d'éliminer les
indésirables. Les flottants sont pressés et
incinérés. Les lourds inertes sont mis en décharge ;
la
digestion de la " pulpe "
. Une fois
débarrassée des indésirables, la pulpe alimente un
" digesteur ", chauffé (35/37° C). La matière
reste deux semaines, et permet de dégager deux sous-produits. Tout
d'abord, la matière organique génère un biogaz qui peut
être valorisé sous forme de production d'énergie
(électricité et/ou chaleur) utilisée en autoconsommation
(broyeur, chauffage du " pulpeur ") ou revendue. Ensuite,
après deux semaines, la pulpe est retirée, puis renvoyée
en centrifugeuse permettant de séparer l'eau (recyclée dans le
process
au niveau de " l'hydropulpeur "), d'une partie solide,
le " digestat ". Ce résidu, mélangé avec des
structurants (broyats de déchets verts, écorces...), est
stabilisé, et forme un compost exempt de toute impureté
d'excellente qualité.
Les " digesteurs" de seconde génération par
" filtre anaérobie ".
Il s'agit d'augmenter
l'efficacité et la longévité des bactéries en leur
permettant de se fixer sur des particules mélangées aux
déchets. Selon ce procédé, la fermentation serait
considérablement accélérée (quelques jours au lieu
de deux semaines), et la productivité serait améliorée
dans une proportion de 1 à 4, voire de 1 à 10
38(
*
)
.
Les recherches sur les utilisations nouvelles
Il s'agit, d'une part de l'injection de biogaz dans les réseaux de gaz
naturel
39(
*
)
, d'autre part, de
l'utilisation de biogaz en carburant. Le biogaz doit alors contenir au moins
50 % de méthane, il est épuré, stocké dans des
bouteilles et alimente des pompes où viennent s'approvisionner les
véhicules techniques des collectivités locales
40(
*
)
.
Il ne s'agit encore que d'expérimentations qui doivent être
confirmées.
c) Un marché émergent
La
méthanisation émerge en Europe et même en France, notamment
sous l'impulsion des Allemands, très actifs sur ce créneau.
Valorga, société française qui a connu les déboires
que l'on sait, a été rachetée, il y a cinq ans, par une
société allemande. Depuis, deux usines ont été
vendues aux Pays-Bas, une en Allemagne, une est en construction en Suisse, et
une est en projet en Belgique.
Même s'il n'existe toujours pas de responsable de la méthanisation
à l'ADEME, l'agence s'est cependant engagée à soutenir
financièrement la production de 10 MW
41(
*
)
(en 2000) et 50 MW (en 2002)
d'électricité réalisée à partir de biogaz.
Le groupe Vivendi vient d'acheter une licence allemande, et les appels d'offres
commencent à sortir : Valence, Amiens, Dunkerque (mai 1999)...
Quelques chiffres permettent de fixer les idées. L'investissement d'une
unité complète de méthanisation représente environ
30 millions de francs. L'investissement de simple captage des gaz est de
l'ordre de 2 millions de francs. L'investissement d'une unité
complète de méthanisation est de l'ordre de 30 millions de
francs (pour une unité traitant 20.000 tonnes). Le coût
d'exploitation est de 250 francs/tonne (hors amortissement), soit
350 francs tout compris (en incluant l'amortissement et en
déduisant les recettes).
Sur le plan énergétique, une tonne de déchets
méthanisés produit 300 kW utilisés en
électricité, 300 kW en énergie thermique (la
proportion entre valorisation thermique et valorisation
énergétique dépendant évidemment du contexte
local). Une usine traitant 110.000 tonnes produit 10.000 m
3
de
biogaz par jour, soit l'équivalent de 2,4 millions de litres de fuel par
an.
Le sort de cette technologie est totalement lié à la collecte
sélective, séparative des fermentescibles. L'expérience
Valorga a échoué parce que la société travaillait
sur des produits bruts, avec trop d'" indésirables ". Une
bonne collecte donnerait toutes ses chances au biogaz.
d) Le traitement : " mécano biologique "
Cette dernière piste n'est pas liée au biogaz et à la méthanisation. Elle concerne plutôt l'amont, c'est-à-dire la mise en décharge. Le recul et même l'arrêt donné aux mises en décharge sont liés à la nocivité induite par l'évolution (la fermentation) des matières organiques. L'idée est donc de rechercher à stabiliser la matière organique pour supprimer tout potentiel toxique. Le déchet organique, d'abord trié par traitement mécanique, puis en quelque sorte " inerté ", pourrait alors être dirigé vers la décharge sans inconvénient. Cette solution est très étudiée en Allemagne. Les Lander , qui se refusent à tout traitement thermique, mais qui sont inquiets devant la perspective de ne plus pouvoir mettre en décharge, cherchent en quelque sorte à réhabiliter la mise en décharge en essayant de limiter la toxicité des déchets et en travaillant sur le contenu (le déchet) plus que sur le contenant (la décharge).