IV. PRÉALABLES ET COMPLÉMENTS À LA VALORISATION
La
valorisation des déchets n'est qu'une étape d'un processus
complet dont on ne connaît vraiment ni le début (où
commence la production d'un déchet), ni la fin (tous les
matériaux finissent par se désagréger dans des
périodes plus ou moins longues, allant de quelques semaines à
plusieurs milliers d'années), et surtout dont les ramifications sont
multiples : culturelles, financières, industrielles, techniques,
logistiques, juridiques. Il paraît impossible d'appréhender la
question des déchets avec exhaustivité.
Ainsi, plusieurs " impasses " ont été faites. C'est
notamment le cas des aspects purement juridiques de la gestion des
déchets et des structures intercommunales adaptées. Non que ces
sujets ne soient pas importants, ils le sont, mais soit ils sont relativement
connexes par rapport à la question centrale de la valorisation, soit ils
ont été abondamment et excellemment traités par ailleurs,
et en tout état de cause échappent au champ de l'Office. D'autres
dossiers ne sont, hélas, que survolés ou entrouverts. C'est
notamment le cas de la politique de prévention et de la politique de
collecte, pourtant toutes deux fondamentales.
A. LA POLITIQUE DE PRÉVENTION
Conformément au souhait exprimé par plusieurs
membres
de l'office, quelques développements sont consacrés à la
politique de prévention, sujet consensuel s'il en est, dont la
nécessité est reconnue par tous. La présentation qui suit
reste toutefois sommaire, non que le sujet ne soit pas important -il l'est-,
mais parce qu'il est relativement connexe par rapport à la mission
centrale qui a été confiée à l'Office, et parce
qu'il n'appelle pas vraiment des bases scientifiques et technologiques, mais
plutôt des bases culturelles de société.
En France, la production de déchets augmente de près de 2 %
par an. Cette évolution est-elle inéluctable ? Et si le
concept de société à " zéro
déchets " est aussi illusoire que celui d'une " guerre
à zéro mort ", peut-on, tout au moins, réduire ou
stabiliser le volume ? Il faut, sur ce point, faire la part entre le
souhaitable et le possible, et examiner ce dernier sans fatalisme, mais avec
lucidité.
Malgré quelques initiatives exemplaires, l'expérience et
l'ampleur du défi invitent à contenir les ambitions aussi
louables soient-elles.
1. Situation
a) Présentation générale
La
prévention à la source consiste à réduire le volume
des déchets (diminution du nombre et du poids des emballages, par
exemple), et/ou réduire les impacts environnementaux des déchets
produits (diminuer ou éliminer les substances toxiques dans un
produit : piles à 0 % de mercure par exemple).
Dans la majorité des cas, la réduction de volume diminue les
coûts de traitement. Selon le rapport de la " Cellule
Prospective " du ministère de l'Environnement (dit " rapport
Dron "),
une politique de prévention qui réduirait du
quart la production de déchets ménagers et assimilés en
2000 diminuerait les dépenses de gestion des déchets de plus de
moitié "
.
Dans la grande majorité des cas, l'impact environnemental est
également atténué, même si le même rapport
observe que
" la réduction du volume n'est pas le remède
universel susceptible de guérir de tous les maux
. (...)
Ainsi une
réduction en volume consécutive par exemple à une
obligation de réemploi, pourrait se traduire par une production
supplémentaire de polluants dans un autre secteur "
(exemple : consigne obligatoire générant des dépenses
de transport pour réaffecter le produit, après consommation, au
lieu de production).
Les exceptions ou contre-indications ne remettent pas en cause
l'intérêt évident à limiter les déchets. La
nécessité d'engager des programmes de réduction des
déchets a été d'ailleurs affirmée dès 1975,
et systématiquement réaffirmée depuis.
Directive (75/442/CEE) du Conseil du 15 juillet 1975
relative aux déchets
(extraits)
__
Art. 3 -. " Les États membres prennent les mesures appropriées pour promouvoir la prévention (...) des déchets . (...) Ils informent la Commission de tout projet concernant la diminution des quantités de certains déchets ".
b) Résultats
Sauf
exception, les résultats sont on ne peut plus mitigés, depuis
1975, date de la première directive européenne et de la
première grande loi française sur les déchets. En France,
la production de déchets augmente de près de 2 % par an (290
kilos par habitant il y a vingt ans, 360 kilos en 1990 et 430 kg en 1996). Sauf
exception, cette évolution est générale en Europe, et
même s'accélère au cours des années récentes
(+ 25 % en France ou en Suisse en dix ans ; + 38 % en
Italie ; + 18 % en Autriche...).
Sur les quinze pays de l'Union européenne, seule l'Allemagne est
parvenue à stabiliser, voire à réduire pendant un moment,
la quantité de déchets produite.
Production de déchets municipaux. Quelques comparaisons internationales |
||||||||
|
Milliers de tonnes |
kg par habitant |
||||||
|
1975 |
1980 |
1985 |
1990 |
1975 |
1980 |
1985 |
1990 |
France |
14.330 |
15.570 |
16.220 |
20.320 |
271 |
289 |
294 |
360 |
Allemagne (Ouest) |
20.423 |
21.417 |
19.387 |
21.172 |
333 |
348 |
317 |
333 |
Italie |
14.095 |
14.041 |
15.000 |
20.033 |
257 |
252 |
265 |
348 |
Royaume Uni |
16.000 |
15.500 |
17.000 |
20.000 |
324 |
312 |
341 |
348 |
Suède |
2.400 |
2.510 |
2.650 |
3.200 |
293 |
302 |
317 |
374 |
Norvège |
1.700 |
1.700 |
1.970 |
2.000 |
424 |
416 |
474 |
472 |
Suisse |
1.900 |
2.240 |
2.500 |
3.000 |
297 |
351 |
383 |
441 |
Source : Statistical compendium for the Dobris Assessment, Eurostat, 1995 |
La production des déchets suit des grandes tendances de fond liées aux habitudes ou aux types de consommation qui sont des données culturelles ou de civilisation (papier informatique...). Pour ne donner qu'un seul chiffre, on ne peut qu'être frappé par le fait que, en dépit d'une amélioration constante de la qualité des eaux courantes, la consommation d'eaux minérales se soit accrue en France de 27 % en dix ans pour atteindre 5,54 milliards de litres, soit 83 litres par habitant (133 litres en Italie).
Production d'eaux minérales (millions de litres) |
||||||||||
|
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
France |
4.370 |
5.011 |
5.217 |
5.192 |
5.300 |
5.406 |
5.300 |
5537 |
5.450 |
5.540 |
CEE |
15.047 |
17.154 |
18.711 |
19.750 |
21.352 |
21.845 |
24.632 |
25.687 |
25.499 |
25.818 |
Source : Chambre syndicale des eaux minérales |
Dans la
compétition économique entre industriels et distributeurs,
l'emballage est également un élément de concurrence.
L'emballage fait la marque. La marque fait l'emballage (
Perrier
,
Orangina
...). Un produit doit se voir pour se vendre, et sa
présentation renvoie à des notions de service, de
sécurité, de propreté... La recherche d'économies
passe aussi souvent par le développement de promotions et, par
conséquent, d'achats groupés (lots) réunis par des
" sur-emballages " qui sont autant de déchets imposés.
Autant de tendances lourdes qui peuvent peut-être être
infléchies, mais ne seront pas renversées.
La recherche de la diminution du volume des déchets peut être
obtenue tant par une action sur les emballages proprement dits (suppression des
sur-emballages, diminution du volume et du poids, recharges...) que par une
amélioration du produit lui-même qui génère ainsi
beaucoup moins de déchets.
Quelques exemples illustrent parfaitement ces deux voies.
Première voie. La réduction des emballages
.
Cette réduction peut porter sur le nombre et le poids des emballages.
Tel est notamment le cas de la société
L'Oréal
qui
s'est engagée très tôt dans une politique de
réduction du volume des emballages, tant pour des raisons de coût,
que de stratégie commerciale/communication. En moyenne, le poids des
emballages a été divisé par deux en dix ans.
L'exemple le plus frappant est celui de la suppression de la cale
(
blister
) plastique des échantillons de soins
Lancôme
. Cette seule mesure a économisé (dans le
monde) 59 tonnes de plastique, 110 tonnes de cartons. Le volume de
transport a été réduit de 2000 palettes, 40 camions.
Cette diminution du poids peut prendre d'autres formes. La simple impression en
recto verso, et le fait de rédiger la notice de soins d'un produit de la
gamme
Vichy Laboratoire
en deux langues, au lieu de trois, a
entraîné une économie de plus de 4 tonnes de papier. La
société a également choisi, depuis peu, d'utiliser des
matériaux recyclés (l'emballage du shampooing "
one 2
one
" aux États-Unis incorpore 25 % de produits
recyclés). L'action principale réside aujourd'hui dans
l'optimisation des épaisseurs et du poids des emballages. La diminution
du poids des flacons entraîne des économies substantielles...
Autre exemple, la société
Procter et Gamble
a lancé
en 1989 la formule des " éco-recharges ". Le succès
fut alors mitigé, les distributeurs ne répercutant pas la baisse
des prix sur le consommateur. Après plusieurs mises en demeure, la
baisse a été répercutée, et le succès a
démarré. Aujourd'hui, sur les lessives, un tiers des ventes sont
en " éco-recharges ". Une " éco-recharge "
représente une économie d'emballages de 75 % par rapport
à un emballage rigide, ce qui représente pour le groupe une
économie de 3.500 tonnes de cartons.
La réduction des emballages est aussi l'intérêt des
fabricants et des distributeurs. Désormais, la plupart cherchent
" l'optimisation dimensionnelle ", génératrice
d'économies d'emballages, donc d'économies de déchets,
donc d'économies de dépenses. Attention toutefois à ne pas
être un " maximaliste forcené ", car les emballages ont
des fonctions essentielles qui ne doivent pas être oubliées.
L'emballage donne des informations sur le produit, le protège ,et est un
élément de concurrence entre les marques.
Deuxième voie. L'amélioration du produit
par
une diminution de sa nocivité, par un allongement de sa durée
d'utilisation. Là encore, de gros progrès ont été
faits soit par l'édiction de contraintes réglementaires (piles
à 0 % de mercure...), soit par la seule concurrence qui peut aussi
entraîner une diminution des déchets. Ainsi, les durées
d'utilisation des pneus, ou des huiles de vidange ont été
multipliées respectivement par trois et par six en vingt ans. Ce qui
génère par conséquent autant de déchets en
moins.
2. Perspectives
Quelques
succès, réels ou anecdotiques, ne peuvent faire oublier que,
globalement, les évolutions sont décevantes. Autant des
transformations importantes peuvent être constatées dans
l'approche de la gestion des déchets, autant le dossier de la
prévention, pour majeur qu'il soit, ne paraît pas être
arrivé à maturité. Faut-il se résigner ?
Assurément pas. Trois pistes peuvent être évoquées.
Première piste. L'initiative privée
Tout d'abord, les professionnels doivent avoir une réflexion technique,
sur les conséquences de leurs choix en matière d'emballages et de
déchets. Cela joue dans plusieurs sens.
D'une part, toutes les conséquences de l'évolution technologique
n'ont pas été tirées en matière d'emballages. La
pratique des " sur-emballages ", des lots pour achats groupés,
ne paraît plus indispensable dès lors que les outils informatiques
en caisse permettent tout aussi bien de calculer les réductions. Dans le
même ordre d'idées, on ne peut que saluer l'initiative de quelques
grands distributeurs pour limiter la fourniture de sacs plastiques et tenter
d'infléchir les comportements des consommateurs. Il faut
également mentionner les initiatives du Cercle national du Recyclage et
du Conseil national de l'emballage qui ont travaillé, avec les
professionnels, sur la diminution, en volume et en poids, des emballages.
D'autre part, innovation technique -dans la composition des produits- et
recherche dans les filières de recyclage sont loin d'être
complémentaires, et peuvent même s'opposer. Comme on le verra, la
famille des plastiques s'agrandit chaque mois de plusieurs plastiques
différents. Chaque grande catégorie a ses
spécificités chimiques propres, et est donc aujourd'hui
traitée séparément. C'est ainsi que se sont mises en
places, souvent avec difficulté, quelques filières, notamment la
filière de recyclage des bouteilles en PET. Certains plastiques connus
(PVC, PET...), de nouveaux plastiques utilisés en emballage sont
introduits sur le marché, mais ne peuvent être recyclés, et
sont même incompatibles avec les précédents, et doivent
être triés. La surenchère technique, poussée par la
surenchère en termes de marketing, limite les chances de réussite
des procédés de recyclage antérieurs et les rend
même plus coûteux (tri supplémentaire).
Les choses se compliquent avec l'arrivée des nouveaux matériaux,
matériaux composites mélangeant plusieurs matières
(plastique, carton, aluminium en trois couches, comme dans les " tetra
pack "), ou matériaux innovants. Ces matériaux sont la
plupart du temps incompatibles avec les anciens, et doivent donc être
retirés du circuit du recyclage précédent. Ainsi, un
nouveau plastique peut être à la fois impossible à recycler
(parce que le volume est encore trop faible pour que la filière soit
économiquement rentable), et constituer un handicap pour les
filières existantes (parce qu'il impose un tri complémentaire qui
majore le coût du recyclage).
Cette description n'est nullement un cas d'école et correspond à
la mise sur le marché d'une nouvelle bouteille de la marque
Pampryl
, avec un nouveau plastique incompatible avec les plastiques
usuels. Quand, de surcroît, les professionnels et les consommateurs
délivrent à ce nouveau plastique " l'oscar de l'emballage
1997 ", il y a de quoi être désemparé par ces
contradictions et ces incohérences.
Un message double est un message trouble. On ne peut à la fois
encourager la filière qui ose le recyclage et encourager les produits
qui ne le sont pas (ou pas encore).
Deuxième piste. La réglementation. La réduction
des volumes par la contrainte fiscale.
Il existe un principe, adopté il y a plus de dix ans, souvent
délicat à mettre en oeuvre, mais toujours
d'actualité : le principe du " polluant payeur ".
Traité CE
Art. 130 R (§ 2) -. " L'acti
vité de la Commission en matière d'environnement est
fondée sur les principes de précaution et d'action
préventive, sur le principe de correction, par priorité à
la source, des atteintes à l'environnement, sur le principe du
« pollueur payeur ». " (
Acte unique européen
de 1986)
De plus en plus, les fabricants incorporent dans leurs prix de vente un prix
d'élimination. Les sommes ainsi récupérées sont
utilisées pour financer les circuits de collecte, les coûts de
valorisation. Cette taxation a également pour effet indirect de limiter
les volumes. S'il est un secteur pour lequel cette limitation se fait attendre,
c'est celui de la distribution de prospectus publicitaires dans les boites aux
lettres qui n'a encore reçu qu'une réponse partielle et non
satisfaisante
29(
*
)
.
Troisième piste : l'éducation et la formation
Cette piste n'est rappelée que pour mémoire, tant elle est
évidente. Une action du quotidien sans cesse renouvelée. En
Allemagne par exemple, les consommateurs vident leurs caddies de courses
aussitôt après l'achat et se débarrassent des emballages
dans le magasin. Les distributeurs ont tôt fait de comprendre et de
s'adapter à cette évolution et limitent à leur tour les
emballages.
Autre exemple, à la fois modeste et courageux, ce simple affichage dans
le parc naturel du Mercantour, sur la durée de vie des
déchets
30(
*
)
. Une simple
invitation/ incitation à prendre conscience de ses propres gestes. Une
initiative utile qui pourrait très facilement être suivie non
seulement dans tous les autres parcs naturels mais aussi dans toutes les
communes et les écoles de France.
La longue vie des déchets