B. AUDITION DE M. JEAN DELMAS, PRÉSIDENT DE L'UNION PROFESSIONNELLE ARTISANALE (UPA)
Puis
la commission a entendu
M. Jean Delmas, président de l'Union
professionnelle artisanale
(UPA).
M. Jean Delmas
a rappelé que l'artisanat avait clairement
affirmé son opposition, à l'occasion du débat sur la
première loi relative aux 35 heures, à l'obligation de
réduction généralisée du temps de travail.
Constatant que cette volonté politique était aujourd'hui devenue
loi de la République, l'UPA avait cependant choisi la voie du dialogue
plutôt que celle de l'affrontement. Il apparaissait en effet
stérile de choisir la voie de l'opposition systématique et plus
utile de tenter d'obtenir des aménagements de la deuxième loi
pour rendre supportables, pour les entreprises artisanales, ces nouvelles
contraintes très importantes.
M. Jean Delmas
a estimé que l'application de la première
loi confirmait que le passage aux 35 heures pouvait s'avérer
intéressant pour les grandes entreprises, être négociable
pour les entreprises de taille moyenne dont le volume d'activité
croît mais se révélait inapplicable pour la majorité
des toutes petites entreprises. Il a ajouté que, compte tenu de leur
taille -3 salariés en moyenne-, les entreprises artisanales ne
disposaient pas d'un service juridique interne pour mener une réflexion
sur l'organisation du temps de travail : dans ces conditions, seule la
négociation de branche apparaissait réellement adaptée aux
spécificités des entreprises artisanales.
M. Jean Delmas
a expliqué que c'était dans cet esprit que
l'UPA avait signé une convention avec Mme la ministre de l'emploi et de
la solidarité et Mme la secrétaire d'Etat aux petites et moyennes
entreprises (PME), au commerce et à l'artisanat, le 21 octobre 1998.
Il a précisé que cette convention poursuivait trois
objectifs : permettre la réalisation d'études de
faisabilité sur le passage aux 35 heures dans les
différentes branches professionnelles, permettre l'information des
entreprises artisanales sur le contenu et les modalités de mise en
oeuvre des accords de branche qui ont été conclus et permettre
l'accompagnement des artisans désireux d'appliquer un accord de branche.
Après avoir souligné que sur les 26 branches
professionnelles de l'artisanat, 14 accords avaient déjà
été signés et couvraient plus de 70 % des
salariés de l'artisanat, il a reconnu que le nombre d'entreprises qui
était passé aux 35 heures dans le cadre de l'application de
ces accords de branche restait marginal.
M. Jean Delmas
a ajouté que le contenu de ces accords permettait
d'apporter quelques enseignements. La réduction du temps de travail
était ainsi envisageable dans les secteurs d'activité où
l'annualisation a un sens, comme dans le bâtiment. Il a
précisé à cet égard que l'accord de la
confédération de l'artisanat et des petites entreprises du
bâtiment (CAPEB) reposait ainsi sur l'annualisation rendue possible par
des périodes où l'activité extérieure est difficile.
M. Jean Delmas
a souligné que la création d'emplois
était possible dans les secteurs où l'accroissement de
l'activité est réel. Il a fait observer que d'autres secteurs,
comme celui de l'alimentation, ne parvenaient pas à signer des accords
dignes de ce nom. Il a expliqué que le secteur de l'alimentation
était notamment confronté à des amplitudes d'ouverture
importante, à une concurrence acharnée de la grande distribution,
à un recours systématique aux heures supplémentaires, qui
se traduisaient, pour les salariés, par un supplément de salaire
important, et par des difficultés structurelles de recrutement. Il a
jugé que le passage aux 35 heures allait aggraver ces
difficultés de recrutement.
M. Jean Delmas
a indiqué que l'UPA avait également
demandé du temps au Gouvernement, car le passage brutal aux
35 heures, même fin 2002, était tout simplement impossible
dans ses entreprises qui comptent en moyenne 3 salariés. Il a
observé que, fort de ce constat, l'UPA avait formulé un certain
nombre de propositions d'amendements qui lui semblaient minimalistes, mais qui
n'avaient pas rencontré l'assentiment de la majorité plurielle.
Il a précisé que ces propositions portaient sur plusieurs points
essentiels.
Il a souhaité tout d'abord que l'on puisse aménager le
régime des heures supplémentaires. Expliquant que les entreprises
de l'artisanat travaillent au-delà de 39 heures par semaine et que
le passage à 35 heures, sans aucun gain possible de
productivité, allait donc poser de graves difficultés, il a
demandé, pour les entreprises de 20 salariés au plus, la
pérennisation du taux de majoration de 10 % entre la 36
e
et la 39
e
heure. Il a jugé en effet indispensable que la
rémunération de la 36
e
à la 39
e
heure, après application du taux de majoration des heures
supplémentaires, ne soit pas supérieure au coût actuel des
heures supplémentaires.
M. Jean Delmas
a également demandé une extension du
régime applicable aux heures supplémentaires effectuées
au-delà du contingent de 130 heures dans les entreprises de
10 salariés au plus à celles de 20 salariés au
plus. Il a considéré que cette mesure permettrait en outre de
limiter les pertes de salaires des salariés effectuant de manière
structurelle des heures supplémentaires.
Il a jugé essentiel de conserver, pour les petites entreprises, des
éléments de souplesse indispensables à la mise en oeuvre
d'une réduction du temps de travail, même annualisée, et a
demandé, par conséquent, la suppression de la réduction du
contingent d'heures supplémentaires à 90 heures en cas de
modulation et le maintien du contingent de 130 heures.
Après avoir rappelé que nombre d'entreprises artisanales
effectuaient aujourd'hui 42 heures,
M. Jean Delmas
a insisté
sur la nécessité de maintenir le paragraphe VIII de
l'article 2 qui prévoit un passage progressif indispensable pour le
déclenchement du contingent d'heures supplémentaires, soit
37 heures en 2002 et 36 heures en 2003.
M. Jean Delmas
a souligné que l'allégement des cotisations
patronales ne devait pas être une contrepartie de l'obligation de
réduire le temps de travail. Il a estimé que, dès lors que
l'Etat renchérissait le coût du travail en diminuant le temps de
travail, il devait compenser le coût de cette mesure. L'allégement
des cotisations patronales était donc une nécessité
à partir du moment où l'obligation de passer aux 35 heures
entraînait un renchérissement du coût du travail de
11,4 %, sans possibilité de gain de productivité pour la
plupart des entreprises artisanales.
Il a jugé regrettable que cette réforme soit assimilée
à une nouvelle aide aux entreprises qui pourront appliquer les
35 heures. Il a donc demandé que toutes les entreprises
bénéficient des allégements si l'horaire légal
était fixé à 35 heures.
M. Jean Delmas
a rappelé que le Gouvernement et la commission des
affaires culturelles de l'Assemblée avaient fait un pas en direction des
entreprises artisanales en acceptant deux amendements pour aider les
entreprises de moins de 20 salariés à absorber le coût
et la charge des 35 heures. Un premier amendement permettait aux
entreprises qui réduisent le temps de travail progressivement, dans le
cadre d'un accord de branche étendu, de bénéficier de
l'aide incitative sans passage immédiat et effectif aux 35 heures.
Un second amendement allégeait les démarches administratives
nécessaires à l'obtention de cette aide dans le cadre d'un accord
offensif. Il a demandé que ce dispositif soit étendu aux accords
défensifs.
S'agissant du temps de travail effectif,
M. Jean Delmas
a indiqué
que l'UPA était tout à fait hostile au durcissement de la
définition du temps de travail effectif qui, s'il était retenu,
entraînerait de nombreuses renégociations d'accords de branche et
serait inapplicable dans les petites entreprises. En outre, cette
définition paraissait contraire au projet de directive
européenne, ce qui mettrait la France dans une situation inconfortable.
Il a considéré que cette disposition, si elle était
adoptée, ajouterait à la complexité de ce projet de loi,
dont il se demandait tout simplement si les chefs d'entreprise seraient en
mesure de comprendre tous les méandres. Il a rappelé à cet
égard que l'on assistait, depuis plusieurs années, à une
multiplication des contentieux dont cette loi risquait d'être une source
inépuisable.
Enfin, s'agissant du lien entre réduction du temps de travail et contrat
de travail,
M. Jean Delmas
a souhaité que le refus du
salarié d'accepter ses nouvelles conditions de travail, résultant
d'une obligation légale, soit assimilé à une
démission et ne donne donc pas lieu à indemnisation de la part de
l'employeur. Il a jugé totalement anormal que le chef d'entreprise
supporte la charge d'un licenciement dont il n'est pas responsable.
M. Louis Souvet, rapporteur,
a souhaité savoir quel bilan l'UPA
dressait des accords conclus dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du
13 juin 1998 et du " mandatement Aubry ". Il s'est enquis de
l'opinion de l'UPA sur le principe des accords majoritaires et sur la question
de la représentativité syndicale. Il a souhaité
connaître la position de cette organisation sur le projet du Gouvernement
de faire participer les régimes de protection sociale au financement des
allégements de charges sociales.
En réponse à
M. Louis Souvet, rapporteur,
M. Pierre
Burban
,
secrétaire général de l'UPA
, a
indiqué que si 70 % des salariés de l'artisanat
étaient couverts par un accord de branche relatif à la RTT, le
nombre d'entreprises artisanales appliquant effectivement ces accords devait
être très faible. Il a précisé que
12.000 artisans, sur les 430.000 qui emploient au moins un salarié,
avaient participé à des réunions d'information sur ces
accords de branche. Il a ajouté qu'environ 800 entreprises
artisanales appliquaient aujourd'hui ces accords de branche.
M. Jean Delmas
a souligné que la question des accords
majoritaires ne se posait pas dans les entreprises artisanales qui comptaient,
en moyenne, seulement 3 salariés. Il s'est déclaré
favorable aux accords de branche et hostile à l'idée de
délégués de site.
Après avoir rappelé que l'UPA souhaitait une baisse des
cotisations patronales,
M. Jean Delmas
a indiqué que l'UPA ne
s'était pas encore prononcée sur les modalités de
financement des allégements de charges sociales.
Mme Annick Bocandé
a souligné la diversité des
entreprises et a jugé que ces dernières ne pouvaient être
toutes traitées de la même façon par la loi. Après
avoir fait observer les difficultés de recrutement que connaissaient
certaines branches de l'artisanat, elle a souhaité connaître le
nombre d'emplois que ce secteur était susceptible de créer. Elle
s'est demandé si la seconde loi sur la réduction du temps de
travail pouvait favoriser le recrutement dans les entreprises artisanales.
Evoquant le manque de personnels qualifiés dont souffrait l'artisanat,
M. Philippe Nogrix
a souhaité savoir quel était le
délai pour former les personnels nécessaires. Il s'est
interrogé sur les raisons de la désaffection des jeunes pour les
métiers de l'artisanat. Il a souligné que les recrutements des
entreprises artisanales dépendaient avant tout de leur volume
d'activité et qu'il paraissait difficile de fixer, par une loi,
l'augmentation de cette activité. Il a souhaité connaître
l'impact sur l'emploi de la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée
(TVA) sur les travaux à domicile annoncée par le Gouvernement.
En réponse aux différents intervenants,
M. Jean Delmas
a
indiqué que la Confédération de l'artisanat et des petites
entreprises du bâtiment (CAPEB) estimait que cette baisse de la TVA
pouvait créer environ 45.000 emplois. Evoquant les
difficultés de recrutement dans les secteurs du bâtiment et de la
restauration, il a souligné que l'UPA venait de signer une convention
avec les ministres de l'emploi, du commerce et de l'artisanat et de
l'éducation nationale afin d'aider les entreprises à former des
jeunes et à les recruter. Il a considéré que la
désaffection des jeunes pour ces métiers provenait de l'image un
peu archaïque des activités artisanales et des contraintes
spécifiques liées aux activités de certaines branches. Il
a jugé qu'il faudrait plusieurs années pour inverser cette
tendance.
M. Jean Delmas
s'est refusé à donner une évaluation
du nombre d'emplois susceptibles d'être créés dans
l'artisanat, mais a jugé que le potentiel était remarquable.