IV. AUDITIONS DU MERCREDI 6 OCTOBRE 1999
A. AUDITION DE MME MARYSE DUMAS, SECRÉTAIRE CONFÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT) DE M. ROLAND METZ, ANIMATEUR DU SECTEUR GARANTIES COLLECTIVES, ET DE M. MICHEL DONEDDU, SECRÉTAIRE NATIONAL DE L'UNION GÉNÉRALE DES INGÉNIEURS, CADRES ET TECHNICIENS DE LA CGT (UGICT-CGT)
Réunie le
mercredi 6 octobre 1999
sous la
présidence de
M. Jean Delaneau, président
, la commission a
poursuivi son programme d'auditions sur le
projet de loi n° 1786
(rectifié)
(AN) relatif à la
réduction
négociée du temps de travail.
La commission a tout d'abord entendu
Mme Maryse Dumas, secrétaire
confédérale de la Confédération
générale du travail
(CGT),
M. Roland Metz, animateur
du secteur garanties collectives,
et
M. Michel Doneddu,
secrétaire national de l'Union générale des
ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT
(UGICT-CGT).
Evoquant en introduction les rapports entre la loi et la négociation
collective,
Mme Maryse Dumas
a estimé que la loi devait
contribuer à la relance de la négociation collective en mettant
les salariés en position de force face aux représentants du
patronat. Elle a considéré que la réduction de la
durée hebdomadaire du travail constituait une nouvelle conquête
sociale, de nature à favoriser les créations d'emplois.
Mme Maryse Dumas
a ensuite abordé les huit points de la position
de la CGT.
Elle a affirmé que la CGT contestait le projet d'allégement de
cotisations sociales prévu à l'article 12 à la fois sur la
forme, puisqu'il résultait d'une décision unilatérale du
Premier ministre, et sur le fond, dans la mesure où il aboutissait
à instituer un système de cotisations sociales progressives
préjudiciable aux augmentations de salaire.
Elle a aussi revendiqué l'augmentation du SMIC horaire de 11,4 %
à la date de mise en oeuvre de la réduction du temps de travail,
soit en 2000 pour les grandes entreprises et 2002 pour les petites, estimant
qu'une telle augmentation ne se traduirait pas par celle du coût du
travail : en effet, la masse salariale des entreprises demeurerait
inchangée en l'absence d'embauche. C'est pourquoi elle a souhaité
que les aides publiques aillent aux créations d'emploi et non aux
salaires.
Mme Maryse Dumas
a indiqué que, pour que la réduction de
la durée hebdomadaire du travail à 35 heures se traduise par une
amélioration des conditions de travail des salariés, il convenait
de réduire également les durées maximales du travail
journalière, hebdomadaire, sur douze semaines et en continu.
Elle a précisé que la CGT demandait le retrait de l'article 10 du
projet de loi, qui permettait d'exclure le temps de formation du temps de
travail.
Mme Maryse Dumas
a ensuite abordé la question des heures
supplémentaires et souhaité que le régime actuellement
prévu à partir de la 40
e
heure s'applique dès
la 36
e
aux dates prévues pour l'entrée en vigueur des
35 heures. Elle a aussi estimé que la totalité des heures
supplémentaires devrait être comptabilisée dans le
contingent, que ces heures aient fait l'objet d'une rémunération
ou d'un repos compensateur.
Elle a affirmé que les cadres devaient bénéficier de la
réduction du temps de travail au même titre que l'ensemble des
salariés et estimé possible d'établir le décompte
horaire de leur durée du travail.
Assimilant l'annualisation du temps de travail à une flexibilité
inefficace pour favoriser les créations d'emploi, elle a fait part de
l'opposition totale de son organisation syndicale à cette méthode
de gestion du temps de travail.
Prenant acte toutefois de son existence,
Mme Maryse Dumas
a
indiqué que la CGT formulait en conséquence des revendications
pour en contenir la mise en oeuvre. Elle a ainsi déclaré que les
motifs du recours à la modulation ou à l'annualisation devaient
être sévèrement encadrés, que celui-ci devait
être précisé par des accords de branche et d'entreprise,
que la modulation ou l'annualisation ne devait pas s'appliquer au temps partiel
et qu'elle devait faire l'objet d'une programmation très à
l'avance, avec un délai de prévenance de huit jours minimum. En
outre, les contreparties actuelles, à savoir une durée du travail
hebdomadaire calculée à l'année inférieure à
la durée légale et un contingent d'heures supplémentaires
limité à 80 heures, devaient être conservées.
Mme Maryse Dumas
a ensuite évoqué le temps partiel, dont
elle a estimé que sa diffusion au sein du monde du travail aggravait les
inégalités entre les femmes et les hommes. Elle a
déclaré que les salariés travaillant à temps
partiel devaient bénéficier de la réduction du temps de
travail prévue par la loi, soit par un retour au temps plein, soit par
une augmentation de salaire de 11,4 %, soit encore par une diminution du
temps de travail avec maintien du salaire. Elle a fait part de son opposition
au temps partiel intermittent, auquel faisait référence le projet
de loi.
Elle a enfin affirmé l'opposition de la CGT au référendum
patronal, la CGT étant en revanche favorable à la diminution du
seuil d'effectifs pour la désignation de délégués
syndicaux et à ce que la signature par les syndicats majoritaires soit
érigée en condition de validité, parmi d'autres, des
accords d'entreprise.
M. Louis Souvet, rapporteur,
faisant référence aux huit
points abordés par Mme Maryse Dumas, lui a demandé lequel
était le plus important pour la CGT.
Il a souhaité connaître le bilan que traçait la CGT des
accords conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, ainsi que du
" mandatement Aubry ", ainsi que les positions de la
confédération sur l'éventuelle réforme des
dispositions réglementaires de 1966 concernant la
représentativité syndicale et sur la participation des
régimes sociaux au financement des allégements de charges
sociales, prévues par le projet de loi.
Mme Maryse Dumas
a rappelé que la CGT était un syndicat
qui n'avait pas vocation à amender ou voter un projet de loi, et qui ne
devait donc pas établir une hiérarchie dans ses huit
revendications.
Dressant le bilan -qu'elle a qualifié de mitigé- des accords
conclus dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, elle a estimé toutefois
qu'il démontrait que la réduction du temps de travail pouvait
être à l'origine de nombreuses créations d'emplois. Elle a
cependant considéré que les accords conclus concernaient trop peu
d'entreprises et de salariés et que les négociations laissaient
apparaître des situations de blocage dans de grandes entreprises.
Répondant à une question de
M. Jean Delaneau,
président
, elle a confirmé que 120.000 emplois avaient
été créés ou sauvegardés, mais que ce
résultat n'était pas suffisant pour améliorer la situation
du marché du travail.
Elle a rappelé les réticences de la CGT à l'égard
du mandatement, rappelant que son organisation demandait l'abaissement des
seuils pour la création de délégués syndicaux et
souhaitait plus généralement renforcer les droits syndicaux dans
les petites entreprises.
Elle a confirmé que la CGT était favorable à la notion
d'accord majoritaire ; elle a estimé que les syndicats majoritaires
devaient obtenir une primauté dans la négociation collective, les
organisations minoritaires se voyant ouvrir l'exercice d'un droit d'opposition.
Elle a affirmé, s'agissant de la question de la
représentativité syndicale, que, si certains considéraient
que les dispositions réglementaires de 1966 avaient empêché
la " balkanisation " syndicale, elles avaient également
contribué à la faiblesse du taux de syndicalisation en France.
Mme Maryse Dumas
a fait part de l'opposition de la CGT à toute
ponction financière des régimes de protection sociale pour
financer les allégements de charges sociales. Alors que quatre
chômeurs sur dix seulement sont aujourd'hui indemnisés par
l'UNEDIC, elle a estimé que cet organisme avait mieux à faire que
de contribuer à un tel financement.
M. Serge Franchis
lui a demandé s'il existait, en France, une
institution ou un syndicat qui apporte véritablement son soutien au
projet de loi sur la réduction négociée du temps de
travail.
M. Guy Fischer,
prenant acte des propos de Mme Maryse Dumas selon
lesquels les allégements de charges généralisés ne
favorisaient pas l'emploi, lui a demandé si la CGT pouvait formuler une
proposition établissant un lien entre le versement des aides publiques
et les créations d'emplois.
Mme Nicole Borvo
l'a interrogée sur la distinction
opérée par le projet de loi entre diverses catégories de
cadres.
Enfin,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a demandé à la
représentante de la CGT comment résoudre les contradictions
existant entre certaines dispositions du projet de loi et des stipulations
d'accords collectifs déjà signées. Elle lui a
également demandé si ce projet de loi comportait suffisamment de
dispositions incitant à réduire la durée du travail
jusqu'à 32 heures.
Répondant aux orateurs,
Mme Maryse Dumas
a estimé que le
projet de loi n'allait pas assez loin en matière de réduction du
temps de travail, puisqu'il tendait à établir une norme au niveau
des 35 heures, au lieu d'inciter les entreprises à aller au-delà.
Elle s'est déclarée favorable à l'évaluation des
effets de toutes les aides publiques à l'emploi actuellement
versées aux entreprises, puis à une réforme des
cotisations sociales patronales distinguant des cotisations basées sur
le salaire et des cotisations établies sur la base du rapport existant
dans l'entreprise entre les salaires et la valeur ajoutée. Une telle
réforme, qui permettrait de taxer les revenus financiers, serait de
nature à favoriser les créations d'emploi.
Elle a également considéré que l'obtention des aides
publiques devait être soumise à trois conditions : la
réduction effective du temps de travail, la conclusion d'un accord
majoritaire et la réalisation d'un taux d'embauches nouvelles de
6 % au moins pour toute réduction de la durée du travail de
10 %.
Evoquant de possibles contradictions entre des accords déjà
conclus et le projet de loi actuellement en discussion, elle a souligné
la différence de nature existant entre les accords collectifs, dont le
contenu traduit l'état d'un rapport de force à un moment et en un
lieu donné, et la loi qui doit édicter des dispositions
générales et protectrices.
Elle a à cet égard cité l'exemple de l'accord textile qui
avait été signé par plusieurs organisations syndicales,
dont la CGT. Elle a observé que tous les syndicats signataires avaient
émis des réserves sur ses stipulations concernant le
régime des heures supplémentaires et qu'ils avaient
souhaité que la seconde loi sur la réduction du temps de travail
contribue à en améliorer le contenu.
Elle a enfin rappelé que la CGT s'engageait de toutes ses forces en
faveur de la réduction du temps de travail. Rappelant qu'au cours de ce
siècle, seulement quatre lois avaient réduit le temps de travail,
elle a affirmé que son organisation syndicale ne manquerait pas le
rendez-vous que constituait le présent projet de loi, la preuve
étant faite désormais que, sans loi de réduction du temps
de travail, il n'y avait pas de réduction du temps de travail.
Complétant les propos de Mme Maryse Dumas,
M. Michel Doneddu
a
évoqué la situation des cadres, catégorie de
salariés la plus mal traitée par le projet de loi. S'il s'est
déclaré favorable à l'institution d'une catégorie
de " cadres dirigeants ", à condition de bien la
définir, il a estimé que la distinction entre deux autres
catégories de cadres isolées par le projet de loi, les cadres
à horaire prédéterminé et les cadres à
horaire non prédéterminé, n'avait pas de sens. Il a enfin
regretté que la situation des femmes-cadres soit trop souvent
ignorée et affirmé que le lien établi au sein des
entreprises entre responsabilités et disponibilité constituait
une des premières causes de la discrimination dont elles étaient
victimes.