C. AUDITION DE M. DENIS KESSLER, VICE-PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) ET DE M. BERNARD BOISSON, DIRECTEUR DES AFFAIRES SOCIALES
La
commission a ensuite procédé à
l'audition de
M.
Denis Kessler, vice-président du Mouvement des entreprises de France
(MEDEF) et de
M. Bernard Boisson, directeur des affaires
sociales
.
Dans son propos liminaire,
M. Denis Kessler
a estimé que la voie
d'une généralisation des 35 heures choisie par le Gouvernement
n'était pas favorable au développement des entreprises et de
l'emploi en France et a formé, à l'encontre du projet de loi,
plusieurs critiques de fond.
Il a observé que le projet de loi isolait la France de ses partenaires
européens. Il a constaté que contrairement à ce qui avait
été dit il y a deux ans, aucun pays n'avait suivi la voie
tracée par le Gouvernement français alors que,
simultanément, chacun d'entre eux avait réduit son taux de
chômage de manière plus accentuée que la France, ceci sans
recourir à la réduction du temps de travail.
M. Denis Kessler
a souligné que ce projet de loi rationnait
l'activité des entreprises et des salariés et freinait
l'expansion économique. Il a estimé que les dispositions
prévues par ce texte réduisaient la capacité productive de
chaque salarié de près de 300 heures, soit 15 % de la
durée du travail, compte tenu du nouveau régime d'heures
supplémentaires.
M. Denis Kessler
a souligné également combien la
réduction du temps de travail était contraire aux
intérêts des salariés. Il a déclaré que
seules 30.000 des 120.000 créations d'emplois annoncées
correspondaient à des créations véritables, ce qui
réduisait d'autant l'impact de ce projet sur le chômage. Il a
insisté sur l'évolution du SMIC qui devrait aboutir, à
terme, à un renchérissement du coût du travail, compte tenu
de la création d'un double barème. Il a observé que le
blocage des salaires consécutif à la réduction du temps de
travail aurait pour conséquence une diminution du pouvoir d'achat des
salariés.
M. Denis Kessler
a considéré que le projet de loi
entravait la flexibilité du travail. Il a souligné que,
contrairement à ce qui avait été évoqué en
octobre 1997, le nouveau texte ne prévoyait pas d'accès direct
à la flexibilité, contrepartie nécessaire de la RTT. Il a
considéré qu'il y avait ainsi une asymétrie entre les 35
heures acquises et la flexibilité qui devait être
négociée. Il s'est interrogé, en outre, sur
l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour les employeurs à
négocier, si tous les paramètres étaient, d'ores et
déjà, fixés par la loi.
M. Denis Kessler
a souligné combien le projet de loi portait
atteinte au dialogue social. Il a déclaré que, contrairement aux
engagements des pouvoirs publics, ce nouveau texte ne respectait pas les
accords de branche ou d'entreprise conclus. Il a relevé quatre domaines
qui étaient particulièrement concernés par cette remise en
cause : les clauses relatives aux durées annuelles de travail, les
dispositions concernant la rémunération et les forfaits sans
référence horaire des personnels d'encadrement, les dispositions
relatives à l'organisation de la formation professionnelle en dehors du
temps de travail et les nouveaux contingents conventionnels d'heures
supplémentaires.
M. Denis Kessler
a estimé que le dialogue social était
ainsi " bafoué " par le contenu du second projet de loi et il
a observé que cela constituait un événement
extrêmement grave, qui remettait en question la pratique de la
négociation collective depuis 1945. Il a observé que le recours,
par le Gouvernement, à la notion d'ordre public social réduisait
d'autant la sphère de la négociation, et remettait en cause tout
le dialogue social.
Il a considéré que, jusqu'à présent, la loi
s'était limitée à fixer un seuil de garanties pour les
salariés, à charge pour les accords collectifs de prévoir
des stipulations plus favorables. Il a estimé que cette nouvelle loi
remettait en question le niveau intermédiaire de la branche, voire celui
de l'accord d'entreprise. Il a qualifié la démarche du
Gouvernement de " renversement historique et copernicien ".
M. Denis Kessler
a relevé " l'inimaginable
complexité " du projet de loi, avouant au passage que certaines
dispositions restaient encore obscures pour le MEDEF lui-même. Dans ces
conditions, il s'est interrogé sur la façon dont la loi pourrait
être appliquée par une petite entreprise dépourvue de
directeur des ressources humaines. Evoquant la possibilité, pour
l'inspecteur du travail, de déroger au régime des heures
supplémentaires lorsque l'entreprise bénéficiait d'une
commande exceptionnelle, il a souligné combien l'aide financière
devenait aléatoire et dépendante de l'interprétation de
l'administration.
M. Denis Kessler
a insisté sur la démotivation des cadres,
consécutive au nouveau régime instauré par le projet de
loi. Il a relevé la difficulté à distinguer trois
catégories de cadres selon la fonction, alors qu'il s'agissait en
définitive de personnels titulaires des mêmes diplômes. Il
s'est interrogé sur les modalités de passage d'une
catégorie à une autre.
M. Denis Kessler
a observé que le projet de loi favoriserait une
hausse des coûts salariaux à travers notamment les majorations du
SMIC nécessaires pour combler l'écart entre la garantie mensuelle
et la rémunération des salariés payés au SMIC sur
une base de 39 heures à l'horizon de 2005.
M. Denis Kessler
a considéré
que les 105 milliards
de francs évoqués comme montant total des allégements de
charges constituaient une somme considérable. Evoquant les
40 milliards de francs prélevés sur les régimes
sociaux, il a souligné que, dans le cas du régime des retraites
complémentaires, ces prélèvements reviendraient à
amputer les droits des retraités.
Rappelant que le projet de loi subordonnait la plupart des décisions
à l'accord des syndicats,
M. Denis Kessler
a observé
qu'un nombre considérable d'entreprises ne disposaient pas de
délégué syndical, que le taux de syndicalisation
était de 4,2 %, soit le plus faible de toute l'organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE), et que
les entreprises rencontraient des problèmes pour trouver un
interlocuteur.
M. Denis Kessler
a observé que le projet de loi favorisait un
contrôle administratif de la gestion quotidienne des entreprises, source
de nombreux contentieux, que redoutaient déjà les responsables
d'entreprises.
En réponse à une question de
M. Louis Souvet, rapporteur,
relative à la manifestation organisée par le MEDEF le lundi 4
octobre,
M. Denis Kessler
a déclaré que cet
événement avait démontré la
représentativité de l'organisation patronale. Il a rappelé
que le MEDEF représentait avec la CGPME la totalité des branches
et l'ensemble des entreprises comme l'avait montré ce rassemblement de
30.000 chefs d'entreprises. Il a déclaré que ces derniers avaient
confirmé leur totale hostilité au projet de loi
considéré comme une " loi contre les entreprises ".
En réponse à une question de
M. Louis Souvet, rapporteur,
relative à la façon dont le projet de loi avait repris les
dispositions des accords de branche,
M. Denis Kessler
a
estimé qu'un accord, qui constituait un tout, ne pouvait être
repris à 90 % et qu'en conséquence on ne pouvait pas dire
que le projet de loi reprenait les dispositions des accords de branche.
M. Louis Souvet, rapporteur,
l'ayant interrogé sur la question du
référendum,
M. Denis Kessler
a déclaré que
le MEDEF n'y était pas favorable, car il était attaché
à la représentativité syndicale, facteur de
stabilité. Il a évoqué à ce propos la confusion
existant dans le secteur bancaire dont l'accord de branche, signé par un
syndicat, avait été étendu par Mme Martine Aubry, ministre
de l'emploi et de la solidarité, avant d'être annulé par le
juge.
M. Louis Souvet, rapporteur,
ayant posé une question sur le
débat relatif à la représentativité syndicale
introduit par le projet de loi,
M. Denis Kessler
a estimé que ce
débat était nécessaire, mais qu'il ne trouvait pas sa
place à l'occasion de la discussion d'un texte relatif à la
réduction du temps de travail.
M. Bernard Boisson
a considéré que le mandatement
constituait un autre exemple du non-respect par le Gouvernement des accords
signés. Il a rappelé que les partenaires sociaux avaient
prévu en 1995 la possibilité de négocier des accords avec
les délégués du personnel. Il a observé que cet
accord renouvelé en avril dernier nécessitait une validation
législative sur laquelle le Gouvernement refusait pour l'instant de se
prononcer. Il a considéré que le mandatement ne devait pas
être exclusif de tout autre dispositif comme, par exemple, le recours aux
délégués du personnel.
En réponse à une question de
M. Charles Descours
sur
l'attitude qui serait celle du MEDEF dans l'hypothèse où le
Gouvernement persisterait à vouloir faire financer les 35 heures
par les régimes de protection sociale,
M. Denis Kessler
a
déclaré que son organisation quitterait les organismes
paritaires. Il a rappelé que le patronat s'était engagé
avec les syndicats de salariés depuis 1945 dans la cogestion de la
protection sociale, soit sous la forme d'un paritarisme " pur "
(Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC),
Association générale des institutions de retraite des cadres et
Association des régimes de retraites complémentaires
(AGIRC-ARRCO)), soit dans le cadre d'un paritarisme " bousculé par
un étatisme de plus en plus fort " (Caisse nationale d'assurance
maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Caisse nationale d'assurance
vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)). Il a
considéré que le MEDEF ne pouvait pas accepter, sans
réagir, que la signature des partenaires sociaux ne soit pas
respectée et que les fonds des régimes sociaux soient
" siphonnés " par le Gouvernement. Il s'est interrogé,
en outre, sur la constitutionnalité du paragraphe 16 de
l'article 11 du projet de loi qui dispose que le mode de calcul de la
contribution des régimes sociaux sera déterminé par un
décret en conseil d'Etat.
En réponse à
Mme Nicole Borvo
qui soulignait l'importance
des aides accordées aux entreprises,
M. Denis Kessler
a
déclaré que le MEDEF n'était pas demandeur d'aides
publiques, car elles se traduisaient par une aggravation des
prélèvements sur les entreprises.
Il a souligné par ailleurs que la RTT qui avait à l'origine un
objectif de création d'emplois privilégiait désormais le
développement des loisirs et favorisait le temps libre
subventionné.
En réponse à une question de
M. André Jourdain
sur
les conséquences du projet de loi pour les entreprises,
M. Denis
Kessler
a considéré que si le projet de loi devait être
" gauchi ", il n'en deviendrait que plus inapplicable. Il a
estimé qu'il provoquerait sans aucun doute des délocalisations,
une augmentation du travail au noir et plus généralement un
développement de l'économie grise.
M. Philippe Nogrix
s'étant interrogé sur le dispositif de
conseil prévu par la première loi et sur l'impact respectif de la
croissance et des 35 heures sur l'évolution de l'emploi,
M.
Denis Kessler
a déclaré que l'impact des 35 heures
n'était pas perceptible par rapport au rythme normal de création
d'emplois en phase haute du cycle conjoncturel. Il a constaté par
ailleurs que pour un même taux de croissance, la France ne créait
pas plus d'emplois que ses voisins. Il a considéré enfin que les
35 heures auraient pour effet de renchérir le coût du travail et
de renforcer la substitution du facteur capital au facteur travail.
M. Bernard Boisson
a estimé que l'aide au conseil prévue
par la première loi avait renforcé la pression exercée sur
les entreprises en les incitant à se lancer dans un processus de
réduction du temps de travail. Il a déclaré que les
organisations patronales avaient été plus prudentes dans leurs
conseils prodigués à leurs adhérents.