C. LES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ONT RENFORCÉ LE CARACTÈRE IDÉOLOGIQUE DU PROJET DE LOI
Les
dix-sept articles du projet de loi tiraient les conséquences de
l'abaissement de la durée légale du travail décidée
par le Gouvernement à l'article premier et modifiaient des dispositions
importantes du code du travail sans lien direct avec la réduction du
temps de travail comme le régime du temps partiel.
La première lecture à l'Assemblée nationale a
modifié substantiellement les enjeux comme le contenu du projet de
loi.
1. Le débat à l'Assemblée nationale a confirmé les ambiguïtés du projet de loi
Dans sa
présentation du projet de loi, Mme Martine Aubry a déclaré
que
" les enjeux de la loi (étaient) clairs : non seulement
rechercher un meilleur équilibre quantitatif entre le temps de travail,
le temps pour soi, le temps pour les autres, mais aussi améliorer la
qualité de la vie de travail comme de la vie
personnelle "
164(
*
)
.
Elle a observé que le temps " libéré " par les
35 heures était utilisé pour
" faire du sport, pour
bricoler, jardiner, pour la culture, pour flâner, pour
réfléchir, (...) pour vivre chaque jour "
165(
*
)
.
Elle a considéré que la réduction du temps de travail
constituait un
" puissant levier pour créer du lien social, de
la fraternité, de la convivialité dans une société
qui en (manquait) parfois cruellement "
166(
*
)
avant de déclarer :
" de la chaleur, de la douceur, voilà ce qui nous
manque !
167(
*
)
".
Mme Martine Aubry a souhaité également inscrire le projet de loi
" au coeur des grandes luttes sociales de notre pays pour
l'amélioration des conditions de vie, pour la défense et le
développement de l'emploi "
168(
*
)
.
Avant d'énumérer
" la première loi limitant la durée du travail des
enfants en 1841, puis celles de 1906 et de 1919 accordant le repos hebdomadaire
aux salariés et ramenant la durée du travail à 8 heures
par jour et 48 heures par semaine ".
Elle a enfin évoqué
1936 et l'abaissement de la durée du travail à 40 heures
accompagnée des congés payés.
M. Gaëtan Gorce a souhaité placer le débat dans ce
même cadre historique lorsqu'il a observé que
" de
Waldeck-Rousseau adoptant le droit syndical à Clemenceau et la
journée de 8 heures, de Léon Blum à la semaine de
40 heures, à Pierre Mauroy et François Mitterrand avec la
cinquième semaine de congés payés et les 39 heures
jusqu'aux 35 heures aujourd'hui, c'est le même fil qui court,
reliant différentes périodes par une même idée de la
société "
169(
*
)
.
Toutefois, parallèlement, l'Assemblée national a modifié
les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent bénéficier
des aides prévues par le projet de loi.
Le projet de loi initial posait une double condition : la durée
collective du travail devait être fixée dans l'entreprise à
35 heures hebdomadaires ou 1.600 heures sur l'année, cette durée
du travail devait être fixée par un accord collectif.
Il était prévu en outre que l'accord collectif devait
préciser "
le nombre des emplois créés ou
préservés du fait de la réduction du temps de
travail
".
Le texte de l'Assemblée nationale prévoit que ne
bénéficient de l'aide prévue par le projet de loi que
"
les entreprises qui appliquent un accord collectif fixant la
durée collective du travail au plus soit à 35 heures
hebdomadaires, soit à 1.600 heures sur l'année et s'engagent dans
ce cadre à créer ou à préserver des
emplois
".
Certes, aucune condition chiffrée de création ou de
préservation d'emplois figure dans la loi.
Mais le texte devient ambigu : soit, il est purement symbolique, comme
l'était dans le texte initial, la mention dans l'accord collectif des
"
emplois créés ou préservés
",
soit il s'agit de l'exigence d'un véritable engagement de l'entreprise
à créer des emplois. Dans cette hypothèse,
l'administration se verrait conférer un pouvoir discrétionnaire
d'appréciation pour accorder les aides prévues.
Alors même que le dispositif d'
aide pérenne
s'accorde pour
le moins difficilement avec des engagements de créations d'emplois qui
ne peuvent être valables que pour un
moment
déterminé
.
M.
Bernard Brunhes doute que la loi puisse être applicable
par les
entreprises dès le 1
er
janvier 2000
Auditionné par le rapporteur le mercredi
22 septembre
1999, M. Bernard Brunhes a déclaré que le bilan de la loi du
13 juin 1998 ne constituait à la fois " ni un échec, ni
un succès ".
Il a rappelé que la première loi ne faisait qu'annoncer
l'abaissement de la durée légale du travail en modifiant le
dispositif financier de la loi Robien. Il a estimé qu'elle n'incitait
à la négociation que les entreprises qui souhaitaient
bénéficier des aides financières, ce qui relativisait le
faible nombre d'accords par rapport au nombre total d'entreprises existant en
France.
Il a observé que les estimations d'emplois créés ne
correspondaient qu'à des " promesses d'emplois " qui ne se
réaliseront qu'en 2000.
Il a estimé que les entreprises attendaient maintenant le vote de la loi.
Concernant le détail du projet de loi, M. Bernard Brunhes a
déclaré que l'introduction du principe majoritaire
170(
*
)
pourrait constituer un vrai
progrès pour le développement de la négociation collective
dans la mesure où il bénéficierait d'une application
généralisée. Il a précisé que la France se
distinguait en Europe comme étant le pays où l'on pouvait signer
un accord minoritaire.
M. Bernard Brunhes a estimé que le mandatement avait fait la preuve
de son inefficacité à développer le dialogue social et
qu'il convenait de favoriser la négociation dans le cadre du
comité d'entreprise qui comprend des membres élus.
Il a considéré que l'articulation entre les différents
niveaux de négociation était claire, les accords d'entreprise
ayant vocation à fixer les conditions financières de la
réduction du temps de travail et les accords de branche les principes de
l'aménagement du temps de travail.
M. Bernard Brunhes s'est étonné que le Gouvernement ait
pu estimer à 12,5 % le nombre des emplois ayant
bénéficié d'un effet d'aubaine.
Il a considéré que les entreprises avaient toutes anticipé
les créations d'emplois et qu'en conséquence la
quasi-totalité des emplois annoncés avait
bénéficié d'un effet d'aubaine.
Concernant les problèmes juridiques posés par le projet de loi,
il a considéré que des incertitudes demeuraient sur les trajets
dans la définition du temps de travail effectif, que la loi devrait
être plus souple sur la question des astreintes et que le régime
des aides gagnerait à être simplifié.
M. Bernard Brunhes a considéré que la période de
transition était trop courte étant donné l'importance des
changements à opérer. Il a émis des doutes sur la
capacité des entreprises à appliquer la loi votée
dès le 1
er
janvier 2000.
Il a fait part du risque que se développent des comportements inciviques
et le non-respect de la réglementation sur les heures
supplémentaires.
Enfin, M. Bernard Brunhes a fait part de son interrogation sur le sens de
prime structurelle de 4.000 F qui
" récompense les entreprises
qui appliquent la loi "
. Il a estimé qu'il aurait
été préférable d'abaisser les charges sociales pour
toutes les entreprises, quitte à aggraver le coût des heures
supplémentaires au-delà des 35 heures.