C. LES PARTENAIRES SOCIAUX DEMANDENT LA VALIDATION LÉGISLATIVE DE LA RECONDUCTION DU MANDATEMENT PRÉVU PAR L'ACCORD DE 1995
Il
existe deux sortes bien distinctes de mandatement, un premier institué
à l'initiative des partenaires sociaux (ci-après appelé
mandatement " type 1995 ") et un second développé dans
le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 13 juin 1998.
Le premier résulte de dispositions adoptées par l'accord
interprofessionnel du 31 octobre 1995 inspirées par la jurisprudence de
la Chambre sociale de la Cour de cassation
94(
*
)
et dont les termes ont
été repris par l'article 6 de la loi du 12 novembre 1996.
Le
mandatement prévu par les partenaires sociaux selon l'article 6
de la
loi n° 96-985 du 12 novembre 1996
Art.
6
I. -
A titre expérimental
, pour atteindre
l'objectif de développement de la négociation collective
dans
les entreprises dépourvues de délégués
syndicaux
en préservant le rôle des organisations syndicales
énoncé au paragraphe 2.3 de l'accord national interprofessionnel
du 31 octobre 1995 relatif aux négociations collectives, des accords de
branche pourront déroger aux articles L. 132-2, L. 132-19 et L. 132-20
du Code du travail dans les conditions fixées ci-après.
Ces accords devront être négociés et conclus
avant le 31
octobre 1998
, pour une durée ne pouvant excéder trois ans, en
commission composée des représentants des organisations
syndicales d'employeurs et de salariés représentatives.
II. -
Les accords de branche mentionnés au I pourront
prévoir qu'en l'absence de délégués syndicaux dans
l'entreprise, ou de délégués du personnel faisant fonction
de délégué syndical dans les entreprises de moins de
cinquante salariés, les représentants élus du personnel
négocient la mise en oeuvre des mesures dont l'application est
légalement subordonnée à un accord collectif
.
Les accords de branche devront fixer les thèmes ouverts à ce mode
de négociation.
Les textes ainsi négociés n'acquerront la qualité
d'accords collectifs de travail qu'après leur validation par une
commission paritaire de branche, prévue par l'accord de branche. Ils ne
pourront entrer en application qu'après avoir été
déposés auprès de l'autorité administrative dans
les conditions prévues à l'article L. 132-10 du code du travail,
accompagnés de l'extrait de procès-verbal de la commission
paritaire compétente. Cette commission pourra se voir également
confier le suivi de leur application.
III. -
Les accords de branche mentionnés au I pourront
également prévoir que, dans les entreprises dépourvues de
délégués syndicaux et dans les entreprises de moins de
cinquante salariés dépourvues de délégués du
personnel faisant fonction de délégué syndical, des
accords collectifs peuvent être conclus par un ou plusieurs
salariés expressément mandatés, pour une
négociation déterminée, par une ou plusieurs organisations
syndicales représentatives
.
Les modalités de protection de ces salariés et les conditions
d'exercice de leur mandat de négociation seront arrêtées
par les accords de branche. Ces accords pourront prévoir que le
licenciement des salariés mandatés ainsi que, pendant un
délai qu'ils fixeront, le licenciement de ceux dont le mandat a
expiré seront soumis à la procédure prévue à
l'article L. 412-18 du code du travail.
IV. - Les accords de branche prévus aux I à III
détermineront également le seuil d'effectifs en
deçà duquel les formules dérogatoires de
négociation qu'ils retiennent seront applicables.
V. - Pour atteindre l'objectif d'amélioration des conditions
de représentation collective des salariés, notamment dans les
petites et moyennes entreprises, énoncé au paragraphe 2.2 de
l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 précité,
des accords de branche pourront être négociés et conclus
avant le 31 octobre 1998, dans les conditions prévues au I du
présent article.
Afin de permettre l'examen des dispositions législatives
nécessaires à l'entrée en vigueur des clauses
dérogatoires des accords de branche mentionnés à
l'alinéa précédent,
le Gouvernement informera le
Parlement de leur conclusion
, sur la base du suivi régulier
prévu par le paragraphe 2.5 de l'accord national interprofessionnel du
31 octobre 1995 précité et après consultation des
organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau
interprofessionnel.
VI. - L'entrée en vigueur des accords de branche
mentionnés au présent article sera subordonnée à
l'absence d'opposition de la majorité des organisations syndicales
représentatives de la branche. L'opposition, qui ne pourra émaner
que d'organisations non signataires desdits accords, devra être
notifiée aux signataires dans les quinze jours de la signature.
VII. -
Avant le 31 décembre 1998, le Gouvernement
présentera au Parlement un rapport sur l'application du présent
article, en tenant compte du bilan prévu par l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 précité et après
consultation des organisations professionnelles et syndicales
représentatives au niveau interprofessionnel
.
Cet accord a permis aux entreprises dépourvues de
délégués syndicaux,
ou de délégués
du personnel faisant fonction de délégué syndical dans les
entreprises de moins de cinquante salariés
, de conclure des accords
collectifs avec un ou plusieurs salariés expressément
mandatés pour une négociation déterminée, par une
ou plusieurs organisations syndicales représentatives au plan national.
Les partenaires sociaux ont décidé par un accord
interprofessionnel du 8 avril 1999 de prolonger pour une durée de
trois ans ce dispositif expérimental.
Ce mandatement est beaucoup
plus large que celui institué par la loi du 13 juin 1998 et permet
toute négociation sur la réduction du temps de travail, sous
réserve que l'accord de branche l'autorise.
Le second mandatement résulte du paragraphe III de l'article 3
de la loi du 13 juin 1998. Il se distingue du mandatement
précédent sur un point essentiel. Contrairement à
l'article 6 de la loi qui prévoyait que le mandatement n'intervenait
"
qu'en l'absence de délégués syndicaux dans
l'entreprise, ou de délégués du personnel faisant fonction
de délégué syndical dans les entreprises de moins de 50
salariés
", le mandatement " Aubry " apparaît
comme l'unique solution en cas d'absence de délégués
syndicaux. Le contournement des délégués du personnel est
vivement contesté par les partenaires sociaux.
Le
mandatement " AUBRY " selon paragraphe III de l'article 3
de la
loi n° 98-461 du 13 juin 1998
III. -
Dans les entreprises ou
établissements
dépourvus de délégué syndical ou de
délégué du personnel désigné comme
délégué syndical, à défaut d'un accord de
branche mettant en oeuvre les dispositions de l'article 6 de la loi
n° 96-985 du 12 novembre 1996
relative à
l'information et à la consultation des salariés dans les
entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi
qu'au développement de la négociation collective,
un accord
collectif peut être conclu par un ou plusieurs salariés
expressément mandatés par une ou plusieurs organisations
syndicales reconnues représentatives sur le plan national ou
départemental pour ce qui concerne les départements
d'outre-mer
.
Ne peuvent être mandatés les salariés qui, en raison des
pouvoirs qu'ils détiennent, peuvent être assimilés au chef
d'entreprise, ainsi que les salariés apparentés au chef
d'entreprise mentionnés au premier alinéa des
articles L. 423-8 et L. 433-5 du code du travail.
Le mandat ainsi assigné doit préciser les modalités
selon lesquelles le salarié a été désigné et
fixer précisément les termes de la négociation et les
obligations d'information pesant sur la mandataire
, notamment les
conditions selon lesquelles le projet d'accord est soumis au syndicat mandant
au terme de la négociation, ainsi que les conditions dans lesquelles le
mandant peut, à tout moment, mettre fin au mandat. Le salarié
mandaté peut être accompagné lors des séances de
négociation par un salarié de l'entreprise choisi par lui.
L'accord prévoit les modalités selon lesquelles les
salariés de l'entreprise et l'organisation syndicale mandante sont
informés des conditions de sa mise en oeuvre et de son application. Cet
accord est communiqué au comité départemental de la
formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi.
Le temps passé par les salariés mandatés à la
négociation de l'accord ainsi qu'aux réunions nécessaires
pour son suivi est payé comme temps de travail.
Les salariés mandatés au titre du présent article
bénéficient de la protection prévue par les dispositions
de l'article L. 412-18 du code du travail dès que l'employeur
aura eu connaissance de l'imminence de leur désignation. La
procédure d'autorisation est applicable au licenciement des anciens
salariés mandatés pendant six mois après la signature de
l'accord ou, à défaut, la fin du mandat ou la fin de la
négociation.
Près des deux tiers des accords conclus sur les 35 heures l'ont
été par un salarié mandaté
95(
*
)
. Le bilan de la loi du 13 juin 1998
est donc largement redevable de ce dispositif original qui permet à un
simple salarié désigné par un syndicat de conclure un
accord dans les entreprises dépourvues de délégués
syndicaux.
Les accords de réduction du temps de travail
Période de juin 1998 à mars 1999 |
Accords |
Dont accords avec mandatement |
|
|
|
Nombre |
% |
Ensemble |
3.036 |
1.776 |
58.5 |
dont accords offensifs |
2.509 |
1.669 |
66.5 |
Sources : MES - DARES, base des accords d'entreprise,
juin
1999.
Le recours au mandatement ne fait pas l'unanimité. Cette technique
soulève en effet des questions de plusieurs ordres. Pourquoi serait-il
plus facile de trouver des salariés prêts à être
mandatés plutôt que de devenir délégués
syndicaux ? Quelle sera la compétence de négociateur de ce
salarié mandaté ? Quelle sera son indépendance ?
En quoi le recours à un salarié mandaté serait
préférable à celui d'un délégué du
personnel ?
Comme le constate M. Jean-Michel Olivier
96(
*
)
:
" la
désertification du paysage syndical, spécialement dans les PME et
dans ce qu'on appelle parfois le secteur quaternaire, et la désaffection
des salariés à l'égard des syndicats rendent parfois
difficile tant pour les organisations syndicales que pour les employeurs la
recherche d'un interlocuteur salarié acceptant d'être
mandaté "
.
Concernant les compétences de négociateur du salarié
mandaté, certains doutent de sa capacité à " faire le
poids " face à la direction de l'entreprise. Ainsi, une inspectrice
du travail à Bordeaux déclare :
" sans
expérience de la négociation, comment un salarié
mandaté peut-il en cerner et en déjouer les pièges, et
apporter une garantie au contenu d'un accord ? (...) Un grand nombre
d'entre eux ont axé la négociation sur le maintien des salaires
au détriment des conditions de travail. Ils ont lâché la
proie pour l'ombre
97(
*
)
"
.
Auditionné par le rapporteur
98(
*
)
, M. Bernard Brunhes a fait montre
d'une certaine
perplexité sur le recours au mandatement
. Il a
expliqué qu'il n'était pas rare que la désignation du
salarié mandaté se fasse à l'initiative de l'employeur
désireux de négocier un accord et a mis en exergue les
difficultés que pouvaient poser ces pratiques au regard de l'exercice de
l'activité syndicale et de l'application de l'accord.
Est-ce à dire que les deux tiers des accords signés dans le cadre
de la loi du 13 juin 1998 doivent être considérés comme
sujets à caution et que leur mise en oeuvre pourrait poser des
problèmes lorsque les salariés découvriront
l'étendue des concessions qui ont été acceptées en
leur nom ?
L'application des accords pourrait être d'autant plus difficile que la
procédure de mandatement ne prévoit pas de procédure de
dénonciation. Les modalités de renégociation de l'accord
n'étant pas déterminée par la loi, il est à
craindre des situations de blocage en cas de différend au cours de la
mise en oeuvre de l'accord.
Le recours au mandatement épouse naturellement les contours des
" terres inconnues "
du syndicalisme que constituent les
petites entreprises et le secteur des services.
Les accords avec mandatement par taille et secteur d'activité
Taille |
% |
Moins de 20 salariés |
62 |
20 - 49 salariés |
26.5 |
50 - 199 salariés |
10 |
200 salariés et + |
0.7 |
Secteurs |
% |
Agriculture |
1.0 |
Industrie |
27.0 |
Construction |
5.0 |
Services |
67.0 |
Source : MES-DARES, base des accords d'entreprise, juin
1999.
88,7 % des accords signés par un salarié mandaté
l'ont été dans une entreprise de moins de 50 salariés et
seulement 0,7 % de ces accords ont concerné des entreprises de plus
de 200 salariés tandis que 67 % ont eu pour champ d'application le
secteur des services.
La géographie du mandatement est également celle des secteurs les
plus dynamiques de notre économie, ceux qui créent des emplois et
des richesses. Des secteurs d'activité fondés souvent, mais pas
toujours, sur l'innovation, la flexibilité et des structures
légères. Ces secteurs d'activité se sont toujours
montré réfractaires au modèle " taylorien "
d'organisation sociale, le discours des syndicats " ouvriers " ne
pouvait pas correspondre aux attentes de salariés tantôt
très impliqués dans le fonctionnement de leur entreprise
tantôt en situation précaire et donc difficilement compatible avec
des revendications sociales.
Le rôle du mandatement est dans ces conditions ambigu. S'agit-il d'un
instrument de développement, de conquête, du syndicalisme, chaque
salarié mandaté étant destiné à devenir un
délégué syndical ou bien s'agit-il d'une nouvelle
technique vouée à perdurer, un syndicalisme " à
distance " ? Autrement dit le mandatement est-il un
phénomène transitoire ou permanent ?
Auditionnée
99(
*
)
par la
commission le mardi 5 octobre 1999, Mme Michelle Biaggi, secrétaire
confédéral de Force ouvrière, a considéré
que "
le bilan (du mandatement) n'était pas bon et que cette
procédure n'avait notamment pas entraîné -comme cela aurait
été souhaitable- de créations de sections syndicales ou
d'instances représentatives
". Mme Michelle Biaggi a
également estimé que le recours au mandatement pouvait constituer
une manoeuvre de contournement des syndicats.
Le statut du salarié mandaté, précisé par la loi du
13 juin 1998, tend à se rapprocher de celui de
délégué syndical qui prévoit que toute
décision de licenciement doit faire l'objet d'une autorisation
administrative préalable. Cette protection est accordée au
salarié mandaté
" dès lors que l'employeur aura eu
connaissance de l'imminence de sa désignation "
. Le fait
remarquable est que cette protection touche un salarié non élu
et, le plus souvent, non membre d'une organisation syndicale, ceci pour une
négociation ponctuelle, et non du fait d'une fonction plus
générale de défenseur des salariés. La loi
précise que : "
la procédure d'autorisation est
applicable au licenciement des anciens salariés mandatés pendant
six mois après la signature de l'accord ou à la fin de
l'accord
". La loi Aubry crée ainsi une nouvelle
catégorie de salarié protégé comme l'a noté
très justement M. Pascal Junghans
100(
*
)
. D'aucuns pouvaient être
tentés de multiplier le recours à cette négociation d'un
nouveau genre mais ce serait oublier qu'il est difficilement envisageable de
multiplier les cas particuliers au risque de " déshabiller "
les délégués élus de leurs attributions et de leur
vocation.
Le Gouvernement semble avoir pris conscience des risques inhérents au
mandatement, le paragraphe IV de l'article 11 du projet de loi encadre la
procédure. On observe notamment que la première phrase du
cinquième alinéa prévoit que :
" l'accord
signé par un salarié mandaté doit avoir été
approuvé à la majorité des suffrages
exprimés "
.
Mais, ce faisant, le Gouvernement a ouvert un débat bien plus complexe
encore puisque le recours au référendum et la notion d'accord
majoritaire remettent incidemment en cause la représentativité
des organisations syndicales.
Il est à noter que la CFDT est opposée au recours au
référendum pour valider les accords signés par les
salariés mandatés. Pour cette centrale syndicale :
" les mandatés ont les mêmes pouvoirs que les
délégués syndicaux pour engager par la signature d'un
accord leur organisation syndicale. La nécessité d'un
référendum majoritaire est inadmissible
101(
*
)
"
.
Les partenaires sociaux ont convaincu votre Commission qu'il était
préférable de reconduire dans la loi les dispositions
expérimentales introduites par l'article 6 de la loi du 12 novembre
1996
et arrivées à échéance en octobre 1998.
Les partenaires ont reconduit pour trois ans les dispositions de l'accord
interprofessionnel du 31 octobre 1995 en adoptant un nouvel accord national
interprofessionnel le 8 avril dernier. Cet accord doit être repris par la
loi. Il résulte de ce qui précède qu'il convient de
privilégier cette forme de mandatement plutôt que le mandatement
" Aubry " qui ne présente pas toutes les garanties requises
pour favoriser le développement de la négociation collective.