IV. LES 35 HEURES ONT ROUVERT L'ÉPINEUX DÉBAT SUR LA REPRÉSENTATIVITÉ DES SYNDICATS
A. LA MULTIPLICATION DES ACCORDS " DONNANT-DONNANT " DANS LE CADRE DES 35 HEURES POSE LE PROBLÈME DE LA REPRÉSENTATIVITÉ DES SIGNATAIRES
1. Une " opération de dupes " ?
Les
partenaires sociaux sont au moins d'accord sur un point, les accords
signés dans le cadre de la loi du 13 juin 1998 ont, dans leur grande
majorité, reposé sur le principe du
" donnant-donnant ", l'entreprise acceptant une réduction de
la durée collective du travail contre une modération salariale et
un surcroît de flexibilité de la part des salariés.
Cette problématique reste déterminante aujourd'hui. En effet,
bien que cela ne soit pas apparu clairement lors des débats qui ont
précédé l'adoption de la loi du 13 juin 1998,
l'expérience a confirmé que négocier les 35 heures
revenait en réalité à négocier la
flexibilité dans l'entreprise. Rien que de très logique en fait,
les syndicats de salariés ne pouvant que difficilement accepter des
baisses de salaires ou d'effectifs, l'organisation du travail apparaît
comme la seule véritable marge de manoeuvre des partenaires sociaux.
Comme le déclarait encore dernièrement M. Ernest-Antoine
Seillière :
" les salariés sont lucides sur la
situation. Ils savent très bien que, en échange de la
réduction du temps de travail, ils devront accepter des compensations
sur le plan salarial ou en matière d'organisation du travail
80(
*
)
".
Ce sentiment est partagé par le secrétaire général
de FO, M. Marc Blondel, qui a reconnu que :
" le résultat
de toute cette opération, qui n'aura pas ou peu d'effets sur l'emploi,
c'est que, nous syndicats, nous aurons aidé à la
généralisation de l'annualisation que nous avions refusée
en 83-84 !
81(
*
)
"
.
Ces réactions des partenaires sociaux conduisent à s'interroger
sur les conditions de réussite des 35 heures.
M. Laurent Fabius a estimé que ces conditions étaient au nombre
de deux : "
d'une part, le souci du
" gagnant-gagnant " : la réforme ne réussira que
si les salariés et les entreprises y trouvent leur compte ;
sinon ce serait une opération de dupes.
D'autre part, la souplesse : on ne peut pas traiter à l'identique
le groupe PSA et le garage du coin de la rue
"
82(
*
)
.
Les accords " gagnant-gagnant " ayant cédé devant
les accords " donnant-donnant " voire " perdant-perdant ",
il est compréhensible que les salariés aient, à leur tour,
dix-huit mois après les employeurs, le sentiment d'avoir
été " dupés ".
Dans ces conditions, ces mêmes salariés pourraient se retourner
contre le ou les syndicats signataires et contester la légitimité
de l'accord.
On remarquera que le problème ne se posait pas dans le cadre de la loi
du 11 juin 1996, dite loi Robien. Ce dispositif incitatif à la
réduction du temps de travail reposait en effet sur le principe du
volontariat. Par ailleurs, les aides étaient calculées de telle
manière que les accords étaient
" équilibrés " et prenaient en compte les
intérêts de tous les salariés, cadres y compris.
Les accords " Aubry " étaient déjà moins
favorables que les accords " Robien ", ce qui n'a pas
été sans provoquer des complications pour la finalisation de
certains accords. Or la généralisation du passage à
35 heures promet d'être encore plus délicate étant
donné que l'idée est communément acceptée que les
entreprises qui ont déjà signé un accord étaient
celles qui avaient le plus intérêt à le faire. Les
prochains accords seront sans aucun doute plus exigeants encore en termes de
contreparties exigées par les employeurs, ce qui pose la question de la
légitimité des signataires des accords.