2. La France est encore très loin du plein emploi
Les
éclaircies -importantes- sur le front de l'emploi ne doivent pas masquer
les
handicaps structurels qui continuent de peser sur la croissance et
l'emploi en France
et dont témoignent certaines données :
-
taux de chômage le plus élevé de tous les pays
industrialisés après l'Espagne et l'Italie
... alors que
plusieurs de nos partenaires sont dans une situation proche du plein emploi,
avec un taux de chômage égal ou inférieur à
5-6 % ;
-
croissance plus soutenue mais qui ne parvient pas à
dépasser durablement les 2,2-2,5 % de la tendance long terme
,
contrairement à d'autres pays voisins : depuis 1996-1997, 10 %
l'an en Irlande, 4 à 5 % en Finlande et au Luxembourg, 3,5 %
à 4 % aux Etats-Unis... Tous ces pays ont su depuis plusieurs
années (re)créer les conditions structurelles favorables au
développement des entreprises qui ont permis de réduire
massivement le chômage grâce à la création d'emplois
productifs ;
-
rigidités encore fortes au détriment de
l'emploi
: une étude récente de l'OCDE
75(
*
)
s'efforçant de mesurer l'impact
des règles protectrices de l'emploi sur les performances du
marché du travail met en évidence un
renforcement du
degré de contrainte de la législation française
au
cours des années 90 (21
ème
position sur
27 pays), et une
corrélation négative entre l'aspect
contraignant de la législation du travail et le taux d'activité
et le taux d'emploi,
avec les conséquences que l'on sait sur le taux
de chômage, mais aussi les finances sociales ;
-
pénurie croissante de main-d'oeuvre qualifiée
dans
plusieurs secteurs de l'industrie et des services, et dans le Bâtiment.
3. Les performances de nos voisins européens confirment que les réformes structurelles sont plus efficaces pour favoriser la baisse du chômage que les 35 heures
•
La France se singularise par rapport à ses voisins
européens
.
La France est le seul pays d'Europe, voire du monde, à considérer
que la baisse de la durée légale du travail constitue une mesure
incontournable pour réduire le chômage.
Durée " légale " du travail
* Etats-Unis et Royaume-Uni : pas de durée
légale
Sources : EUROSAT, DARES, données nationales
Nos partenaires européens ont conservé une durée
légale du travail comprise entre 40 et 45 heures par semaine.
Il apparaît, par ailleurs, que la durée effective du travail est
légèrement supérieure dans l'Europe des 15
(40,4 heures) à ce qu'elle est aujourd'hui en France.
Il est à noter qu'aucun pays d'Europe n'envisage sérieusement
d'abaisser la durée légale, pas même l'Italie qui l'avait
un moment envisagé.
On peut rappeler que les lignes directrices pour les politiques de l'emploi
établies par l'Union européenne
76(
*
)
ne retiennent pas l'abaissement de la
durée légale du travail comme une voie possible pour
résorber le chômage. Elles reposent sur quatre grands
piliers : la capacité d'insertion professionnelle, l'esprit
d'entreprise, la capacité d'adaptation et l'égalité des
chances.
Le temps de travail en Europe
Salariés à temps plein
|
Nb. d'heures habituellement travaillées par semaine |
BELGIQUE |
38,3 |
ITALIE |
38,5 |
DANEMARK |
38,6 |
FINLANDE |
39,1 |
PAYS-BAS |
39,2 |
LUXEMBOURG |
39,5 |
FRANCE |
39,7 |
ALLEMAGNE |
40,1 |
IRLANDE |
40,1 |
SUISSE |
40,1 |
ESPAGNE |
40,6 |
PORTUGAL |
40,9 |
GRANDE-BRETAGNE |
44,0 |
EUROPE 15 |
40,4 |
Source : EUROSTAT 1997 - Enquête sur les forces
de
travail
Votre commission des Affaires sociales observe également que le
chômage est d'autant plus développé que la durée
annuelle effective du travail est faible, que le recours au travail à
temps partiel est limité et que l'âge de la retraite est bas,
comme le montrent les " performances " de la France, de l'Italie et
de l'Allemagne en termes de chômage.
Travailler moins ne sert pas l'emploi
|
Taux
de chômage
|
Durée annuelle effective du travail
|
Age de
la retraite** au 01.01.1999
|
Temps partiel (en % de l'emploi total) |
|
|
|
|
|
|
|
Etats-Unis |
4,6 |
1.967 |
65 |
65 |
13,2 (3) |
Japon |
4,2 |
1.990 |
60 |
59 |
21,8 (3) |
Allemagne |
11,2 |
1.503 (1) |
65 |
65 |
15,0 (3) |
Grande-Bretagne |
6,5 |
1.731* |
65 |
60 |
23,1 |
Italie |
12,2 |
1.682 (2) |
63 |
58 |
12,4 |
France |
11,8 |
1.539 |
60 |
60 |
15,5 |
(1)
Allemagne occidentale. (2) 1994. (3) 1996. *Emploi total. **Tous les pays ont
programmé des relèvements. Source : OCDE
Les limites de la " stratégie française pour
l'emploi " apparaissent aujourd'hui clairement.
En effet, votre commission rappelle
77(
*
)
que l'évolution du
chômage en Europe illustre
deux constats
:
- après deux ans de croissance et de baisse des taux
d'intérêt, la France conserve
un des plus hauts taux de
chômage
d'Europe
avec 11,1 % contre 3,3 % pour les
Pays-Bas, 4,5 % au Danemark, 7 % en Suède, 6,2 % au
Royaume-Uni...
- plus important encore, parmi les pays qui avaient un taux de
chômage supérieur à 10 % en 1997 (Espagne,
Suède, Irlande, Finlande, Italie), la France accuse la moins forte
baisse du chômage (avec l'Italie). Le taux de chômage a
baissé de 23 % en Espagne, de 32 % en Suède, de
33 % en Irlande, de 20 % en Finlande...
Le constat est donc sans appel : la France fait moins bien que ses
partenaires européens depuis deux ans. La politique de l'emploi du
Gouvernement de M. Lionel Jospin ne peut donc être
considérée comme un succès, puisqu'elle n'a pas permis
d'obtenir de meilleurs résultats que ce que permettait
mécaniquement le retour de la croissance
.
Ce constat est d'autant plus accablant que la France bénéficie
d'un surcroît de croissance par rapport à ses voisins. Cela
signifie qu'avec un taux d'activité supérieur, l'économie
française a plus de mal à réduire le taux de chômage.
Des
résultats passables sur le front de l'emploi
Taux de chômage comparé entre la France et l'Europe des 15
Moyenne
1986-1996 1997 1998 1999 2000
France
10,6 12,4 11,8 11,3 10,8
Europe des 15
9,9 11,2 10,5 10,1 9,8
Ecart (en points)
+ 0,7 + 1,2 + 1,3 + 1,2 + 1
Source OCDE
Taux de croissance comparé entre la France et l'Europe des 15
Moyenne
1986-1996 1997 1998 1999 2000
France
2 2,3 3,2 2,3 2,7
Europe des 15
2,3 2,7 2,8 1,9 2,4
Ecart (en points)
- 0,3 - 0,4 + 0,2 + 0,4 + 0,3
Source OCDE
Cette
analyse emporte
deux conséquences
:
- au prochain retournement de conjoncture, le taux de chômage
français repartira brutalement à la hausse ;
- il apparaît que la France est toujours en retard pour ce qui est
des réformes structurelles du marché du travail.
Dans sa dernière évaluation des performances et des politiques de
l'emploi
78(
*
)
, l'OCDE a
constaté que les pays qui avaient observé ses recommandations en
matière d'emploi
79(
*
)
avaient bénéficié d'une amélioration de la
situation du marché du travail, citant le Royaume-Uni, le Danemark,
l'Irlande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l'Australie.
En revanche, l'Organisation de Coopération et de Développement
Economique constate que
" parmi les pays confrontés à un
chômage structurel élevé et/ou croissant (figuraient) ceux
qui (s'étaient) montrés plus hésitants à appliquer
les recommandations sur le marché du travail formulées par la
stratégie pour " l'emploi " ".
On observe que la France est parmi les pays qui ont le moins suivi (moins de
20 %) les recommandations de l'OCDE à la différence des
autres pays qui avaient un problème important de chômage (Irlande
65%, Pays-Bas 60 %, Allemagne 38 %...).
Productivité comparée du travail
|
PIB/Heures travaillées (100 = Union européenne) 1 |
PIB/Actif occupé (100 = Union européenne) 1 |
Belgique |
122 |
125 |
FRANCE |
116 |
114 |
Italie |
113 |
108 |
Pays-Bas |
113 |
94 |
Allemagne |
103 |
100 |
Irlande |
101 |
111 |
Union Européenne |
100 |
100 |
Autriche |
96 |
97 |
Royaume-Uni |
95 |
91 |
Finlande |
88 |
94 |
Espagne |
81 |
99 |
Portugal |
54 |
59 |
Etats-Unis |
112 |
119 |
Source : l'Observateur de l'OCDE, n° 213, août-septembre 1998